Couverture de INPSY_8605

Article de revue

Analyses de livre

Pages 453 à 455

Christoph Held, Doris Ermini-Fünfschilling, Maladie d’Alzheimer : accueillir la démence. Organisation du cadre de vie, des services et des soins. Genève : Médecine & Hygiène, 2010

1Cet ouvrage résulte de la récente publication en français de la 3e édition d’un livre de référence destiné à promouvoir l’aménagement, la planification de structures d’accueil et de prise en charge spécifiques pour patients présentant un état démentiel. Le sous-titre général Organisation du cadre de vie, des services et des soins rend compte de la philosophie du projet des concepteurs à savoir créer les conditions institutionnelles et organisationnelles (dont architecturales) visant à préserver les valeurs de bien-être et assurer une qualité de vie aux patients souffrant de démence.

2Cette perspective qui prend appui sur une réflexion « démentologique » pluridisciplinaire et pluriprofessionnelle est une voie d’abord utile et féconde ; l’articulation logique entre le processus démentiel et ses différents déficits, la prise en charge au quotidien et le cadre de vie recèle une observation attentive des processus à l’œuvre et la mise en place des moyens pour organiser la vie en tenant compte de l’altération des capacités instrumentales, communicationnelles et de l’adaptation aux besoins.

3Il y a dans cette réflexion large alliant prise en charge collective soucieuse des individualités des éléments à retenir dans l’organisation des soins au quotidien pour ces patients y compris dans les unités de psychiatrie générale et dans les unités dédiées aux sujets âgés. Sont en effet abordées les conditions d’accueil, l’importance des liens avec la famille, du « travail biographique » ou de la réflexion sur la nourriture. La façon de gérer au mieux les éléments de vie quotidienne est formulée à partir d’indications, de préconisations concrètes.

4Cette expérience concerne également les équipes de psychiatrie qui adressent des patients dans les Ehpad et assurent les suivis post-hospitalisation. Enfin nous pouvons être amenés à participer à une réflexion pluridisciplinaire sur les unités en cours de création les UHR unités d’hébergement renforcées, unités Alzheimer au sein des Ehpad ou UCC unités cognitivo-comportementales au sein des services de suite ou d’Ehpad pour lesquels un avis psychiatrique est recommandé (Mesures 16 et 17 du plan Alzheimer 2008-2012).

5Le livre est découpé en 4 chapitres que nous décrirons avant d’effectuer une analyse transversale.

6Le 1er chapitre intitulé « Vivre avec la maladie d’Alzheimer » est un rappel clinique, histologique et thérapeutique de l’affection, de ses manifestations principales, de ses modalités évolutives, de ses effets sur l’entourage et de ses représentations collectives.

7Le deuxième chapitre traite de la prise en charge du patient à partir de modèles de soins et de besoins de soins. Sont abordées les conceptions des auteurs sur l’équipe soignante, le travail avec les proches, les moments particuliers scandant la vie institutionnelle que sont la procédure d’admission, les différentes étapes de la maladie (3 stades sont classiquement délimités) les soins palliatifs et le deuil.

8Cette partie du recueil fait une place aux actions gérontopsychiatriques dans le dispositif de soins.

9Le 3e chapitre est centré sur une réflexion sur les présupposés scientifiques de la création de structures d’hébergement spécifiques avec rappel des avantages comparatifs de la logique intégrative sur la logique ségrégative. De ce débat découle un argumentaire en faveur de la création d’unités protégées. Les lignes directrices du projet dans ses dimensions fonctionnelles et architecturales sont dessinées.

10Le dernier chapitre comporte une description détaillée des structures avec des données concernant la constitution de l’équipe, son profil, et des plans d’aménagement. 3 types de structures sont dégagés selon le degré évolutif de la maladie.

11Les annexes rassemblent des documents techniques : échelles d’évaluation, questionnaire médical d’admission, échelle de la douleur…

12La philosophie du livre est orientée par le pragmatisme : le récit s’appuie sur des expériences personnelles confortées par l’analyse de réalisations européennes. L’approche est plus globale que singulière et met de côté le débat sur la fonction morale de notre société ou des réflexions éthiques qui sont volontairement exclues du travail, de même que les aspects économiques et sociaux ce que l’on peut regretter.

13Les considérations sur le projet soignant dont le principe fondateur est le « vivre avec » soit la convivialité ou la communauté thérapeutique ne sont pas théorisées. Les relations avec les familles font l’objet de conseils, de remarques qui ne rendent compte que partiellement de la complexité des situations rencontrées.

14L’approche générique de la démence apparaît dans l’intitulé et le choix de « l’accueil de la démence » plutôt que du sujet dément.

15Cet ouvrage qui n’a pas vocation à être un ouvrage clinique même s’il se réfère aux modifications cognitives et comportementales induites par la maladie, est constitué de réflexions, de conseils en organisation de la prise en charge de la démence. À ce titre il s’agit d’une contribution originale et indispensable pour penser la création ou l’aménagement des structures d’accueil. Il s’adresse à un large lectorat fait de psychiatres, de gériatres et de leurs équipes, des directions hospitalières ou d’établissement médicosociaux amenées à promouvoir des unités Alzheimer.

16Les auteurs sont spécialistes en démentologie : Le Dr Christoph Held est gérontopsychiatre formé et exerçant à Zurich.

17Outre son engagement institutionnel et une pratique de soins il s’est investi dans une approche organisationnelle de la maladie d’Alzheimer. Doris Ermini-Fünfschilling est géronto et neuropsychologue à Bâle. Elle dirige un groupe d’experts chargés de l’appui et du conseil au personnel des unités de soins.

18Georges Jovelet

Robert Samacher, Sur la pulsion de mort. Création et destruction au cœur de l’humain préface d’Olivier Douville. Paris : Hermann, 2009

19Ce livre est celui de l’engagement professionnel d’un psychanalyste. Engagement clinique, théorique et, surtout, éthique. Dans une écriture accessible et dynamique R. Samacher entraîne son lecteur dans l’histoire d’une vie dont il évoque les difficultés tragiques qui l’ont porté dès le début. Enfant né durant la guerre, Juif d’origine polonaise, il ne fit la connaissance de son père qu’en 1945, à son retour de déportation, dans un état déplorable. C’est là le premier souvenir, la première image pour lui d’une famille qui se retrouve et qui prend vie autour du yiddish, qui ne le quittera plus. Son père était confectionneur et, jeune adulte, R. Samacher livrait des manteaux. Humour et association d’idées, il note que par la suite, en tant que clinicien en secteur psychiatrique, il s’est occupé de malades mentaux.

20Les articles qu’il a écrits tout au long de sa carrière professionnelle de clinicien et d’universitaire ont un lien les uns avec les autres. Son effort, lors de la rédaction de ce livre a porté sur la mise en évidence de ce lien. Sans lien entre les textes, il n’y avait pas de transmission possible. Pour écrire ce livre, R. Samacher dut faire un retour sur lui-même et sur les différents temps de sa vie : enfance, carrière professionnelle, formation psychanalytique. Sa préoccupation a toujours été d’articuler la clinique à la théorie. Ainsi, il a dégagé un fil conducteur qui relie les différents textes entre eux. De cette façon, son livre n’est pas une compilation d’articles, il a une cohérence d’ensemble.

21Le titre du livre, Sur la pulsion de mort, peut poser question. Comment la psychanalyse se débrouille-t-elle avec la pulsion de mort ? Qu’appelle-t-on pulsion de mort ? Si la pulsion se caractérise par un déséquilibre structurel, c’est à partir d’un vide initial, à partir du chaos, de la destruction, que va pouvoir être trouvé le chemin de la construction-création. Le sous-titre, Création et destruction au cœur de l’humain, fait entendre que l’un ne va pas sans l’autre. Si l’on se place dans une perspective créationniste, c’est d’abord la destruction qui va permettre la création. Pour parler de la destructivité de la pulsion, Samacher reprend des éléments autobiographiques. Ainsi il évoque surtout son enfance pendant la deuxième guerre mondiale. La « tuché » pèse ici de tout son poids, accompagnée de l’« automaton » qui montre comment les différents parcours de vie se croisent et se recoupent et comment tout sujet est marqué par le signifiant.

22Ayant travaillé surtout comme psychologue à l’hôpital psychiatrique, R. Samacher vient plus tardivement à l’université. Il entreprend une démarche psychanalytique qui s’accompagne d’un travail de formation technique et intellectuel auprès de Françoise Dolto, Solange Faladé et Claude Dumézil. C’est donc à travailler les enseignements de Freud et de Lacan, dans le cadre de l’actuelle École freudienne, que l’auteur se met en quête des restes et des traces qui l’habitent, pour donner sens aux événements traumatiques de son enfance. Ce livre a des aspects techniques dont l’auteur expose clairement les enjeux et les implications pour une théorie et pour une éthique de la psychanalyse. Il donne aussi au lecteur les traces et les restes traumatiques portés par la nostalgie des activités et des pensées autour des shmattès et de la langue, ce yiddish du mame-loshn. De là prennent source les considérations sur le corps des déportés, leur destruction, la destruction de la langue et de la culture, jalons historiques, pierres de souvenirs qui jalonnent le livre au fur et à mesure de sa construction théorique, portée par le récit de l’engagement d’un homme dans sa vie. Ce livre a certainement une résonance chez tous ceux qui ont connu et témoigné de cette souffrance de l’après-guerre sans l’avoir vraiment physiquement rencontrée, ayant toujours vécu en elle plutôt qu’avec elle. Les aspects théoriques et cliniques de la psychanalyse sont ainsi portés dans le plus grand respect d’autrui.

23Ce livre qui rend compte de ce parcours est divisé en six parties :

  1. Des traces et des restes ;
  2. La dynamique pulsionnelle ;
  3. Passage à l’acte et dangerosité ;
  4. Enjeux structurels ;
  5. Questions d’esthétique ;
  6. Questions d’éthique.
Les lecteurs peuvent commencer par la partie qui leur convient, les introductions à chacune d’elles leur permettent de retrouver le lien entre les différentes parties. Ce que Robert Samacher montre, c’est l’unité de la pulsion, chaque homme étant amené à reconnaître et combattre la haine en son cœur et pour qu’il y ait création, il faut aussi qu’il y ait destruction. Ce livre rend compte d’un parcours de vie. L’auteur rappelle ce qu’ont pu être les effets de la guerre et de l’occupation sur un tout jeune garçon. La rencontre de la haine, de la violence, de la peur qui oblige à se cacher. La déportation du père, la famille qui est amenée à se cacher, qui doit porter l’étoile jaune et qui est en danger d’être arrêtée. Son texte sur Un secret, écrit à partir du livre de Philippe Grimbert, rend compte de cette atmosphère. Se cacher, aller d’un lieu à l’autre pour ne pas se faire prendre, cacher son origine, et surtout ne pas parler yiddish, langue de la mère pour ne pas se faire remarquer. Le texte sur le yiddish mameluschen des Juifs ashkénazes évoque également ce climat.

24Puis la libération et la rencontre avec le père décharné, épuisé, méconnaissable, si contraire à l’image idéalisée que la mère pouvait en donner. Revenu des camps de la mort et entouré de ses copains, il raconte. La destruction des corps est en permanence évoquée et cela donne la matière des Corps des déportés et le yiddish, Destruction des corps, destruction de la langue, Haine et barbarie. En détruisant les corps, les bourreaux cherchaient aussi à détruire le corps des signifiants de la langue yiddish. Qu’en est-il des traces, des restes de ces populations juives que les nazis ont voulu éradiquer de la surface de la terre ? Traces qui ont à voir avec l’effacement des signifiants de la yiddishkeit et les restes qui sont les résidus, les scories qui subsistent de la destruction complète. Cette distinction n’est pas sans lien avec la jouissance des bourreaux qui, en tuant, en fusillant, en exterminant par le feu, désignent le lieu maudit de la Chose, le lieu du plus grand mal parce que non évidé de la jouissance, alors que la Chose pourrait être le lieu du plus grand bien. Freud évoque la Chose dès L’Esquisse d’une psychologie scientifique (1895), c’est de ce lieu, la Chose, qu’émerge l’infans, et ce lieu va s’effacer au profit du manque, le signifiant en est son « effaçon » (Lacan). Ce manque va être rencontré au cœur de l’Autre, qui du fait su signifiant, va le marquer en tant que « parlêtre ». C’est aussi de ce manque qui part d’un vide, que va naître la pulsion. Pour que l’homme puisse vivre avec d’autres hommes et les respecter, il faut que le lieu de la Chose soit évidé de toute jouissance et c’est aussi la question qui se pose au niveau politique, lorsque des hommes politiques sont amenés à faire la paix.

25Pour démontrer l’unité de la pulsion, R. Samacher part de l’exposé de Pierre Kaufmann dans le Séminaire VII, qui montre que la pulsion échappe à l’énergétique. Kaufmann insiste sur sa dimension historique, qu’elle soit pulsion de vie ou pulsion de mort, elle part du même vide initial et forme une unité qui s’inscrit dans un circuit en continuité selon la figure du tore. Si ce système n’était pas en déséquilibre, il ne pourrait pas fonctionner : la pulsion tourne autour d’un vide au centre duquel se trouve l’objet a qu’elle n’atteint jamais. Comment comprendre que dans le circuit pulsionnel, c’est la destructivité qui prévaut ?

26Revenant au paradigme du nazisme, on constate qu’une grande partie d’un peuple, avec ses élites, s’est laissé enrégimenter dans un système idéologique meurtrier et suicidaire et a fonctionné dans une économie de haine, alors que ce même peuple était connu pour son haut niveau de culture et par la réputation de ses plus grands artistes. Ce qui s’est posé au niveau collectif peut aussi se poser au niveau individuel. Comment comprendre que certains individus qui, durant leur vie se sont montrés particulièrement brillants puissent un jour basculer dans la folie ?

27Du fait d’une grande partie de sa carrière en hôpital psychiatrique, Samacher a rencontré des personnes qui ont brusquement basculé dans le naufrage que représente pour certains la folie. Qu’est ce qui rend un homme haineux, violent, destructeur, que se passe-t-il en lui, comment l’arrêter, faire en sorte qu’il retrouve des limites, quel est son rapport à la loi et puis de quelle loi parle-t-on ? Celle de l’interdit, référé au surmoi féroce ou s’agit-il du surmoi conscience, qui le fait juge pour lui-même du bien et du mal et qui n’est pas sans lien avec la castration symbolique ?

28L’ensemble de ces questions amène Robert Samacher à reprendre la question de la responsabilité ou de l’irresponsabilité des actes humains. Il revisite un certain nombre de situations déjà présentées par différents auteurs dont Lacan avec les Sœurs Papin, ou encore le cas du Caporal Lortie présenté par Pierre Legendre. Il évoque aussi certains événements publiés par la presse. À partir de quel événement, de quel moment, un sujet peut-il être considéré comme dangereux ? Cette approche de la violence et de la dangerosité l’amène à poser la question de la structure, puis celle de la prise en charge et du traitement des sujets psychotiques. Qu’en est-il alors du transfert dans la psychose ?

29Dans le courant de ce livre, après avoir souligné la destructivité de la pulsion, son auteur en vient à sa dimension créatrice, en rappelant que Freud a parfois articulé la création avec le processus de la sublimation. La sublimation part également d’un vide, mais on peut aussi être créatif sans forcément passer par le processus de sublimation. L’exemple du pâtissier présenté par Solange Faladé montre qu’à partir de perceptions-sensations qui ne partent pas d’un vide, un sujet peut être créatif et cela vaut aussi pour la psychose. À ce propos, il reprend l’exemple de Van Gogh et, par la suite examine d’autres modes de création, celui de David Nebreda qui a une fonction de survie et qui vise à la construction d’un double photographique ou encore les performances-création de Philippe Stelarc qui ont pour projet de mettre en scène un fantasme pervers.

30Après avoir traité de la dimension esthétique, la dimension éthique s’impose. Robert Samacher revient à ce qu’il a connu durant la dernière guerre mondiale. Il se demande comment comprendre que certains hommes ont pu participer à un mouvement de destruction d’une dimension insoupçonnable alors que d’autres ont dit clairement « non » et qu’ils sont entrés en dissidence et en résistance. Il cite en particulier le cas du Pasteur Trocmé qui, comme Antigone défend des lois supérieures qui transcendent les lois de la cité. Le livre de Hannah Arendt E ichmann à Jérusalem montre que nombre d’hommes, pour préserver leur tranquillité sont prêts, comme de bons fonctionnaires, à commettre des crimes de bureau. Mais en revanche, dans des situations inextricables, lorsque la haine et la violence débordent, des hommes tels que Mandela et Declerk, ont su mettre la « haine de côté », privilégiant le vide de la Chose. Comme l’a souligné Solange Faladé, ces deux hommes que tout séparait, ont été capables de dialoguer. Ce modèle serait-il applicable au conflit israélo-palestinien ? À quoi tient la guerre ou la paix ?

31La dernière partie traite de l’acte en psychanalyse, quelle position le psychanalyste doit-il tenir pour qu’il y ait acte psychanalytique. Samacher se réfère aux quatre discours ainsi qu’au Séminaire de Lacan « L’acte psychanalytique » et aux commentaires de Solange Faladé. Quelle est la place de la passe dans la formation du futur analyste ? Par des questions concernant la formation du psychanalyste, il essaie aussi de faire œuvre de transmission dans ce domaine.

32Ce livre mérite une attention tout à fait particulière, par son contenu d’abord, traité de la façon la plus respectueuse d’une éthique de la pratique psychanalytique qui déborde volontiers le cadre de la cure. Ensuite eu égard à la particularité de l’époque que nous vivons, où les attaques menées contre la psychanalyse et, surtout, les réfutations de l’inconscient viennent se heurter aux récents jalons qui ont marqué les anniversaires freudiens : celui de la mort de Freud, fuyant le nazisme, celui des droits relatifs à ses écrits qui, entrés dans le domaine public, sont, comme on a pu le lire dès le début, le gage d’un champ de culture et d’un champ de recherches renouvelés et toujours vivants.

33Claude Wacjman

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