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Article de revue

Les usagers au secours de la psychiatrie. La parole retrouvée

Pages 821 à 826

Notes

  • [1]
    La rédaction de l’Information Psychiatrique a demandé à Guy Baillon de présenter lui-même aux lecteurs les thèmes qui traversent sa dernière publication, Les Usagers au secours de la psychiatrie. La parole retrouvée, parue en février 2009 aux Éditions Érès.
    Il nous a proposé un texte que nous publions dans le dossier « Soignés/soignants, les lignes bougent » en raison de la proximité des questionnements et des constats effectués.
  • [2]
    Psychiatre des hôpitaux
    <guy-baillon@orange.fr>
  • [3]
    Bonnafé L. « Lettre à un jeune psychiatre sur l’antipsychiatrie ». In : Dans cette nuit peuplée… Éditions sociales, 1977, p121 (paru en mai 1972 dans La Nouvelle Critique).
  • [4]
    Gibello B. « CIM-10, clinique, classifications et pratique médicale ». In : SD Kipman et coll. Manifeste pour une psychiatrie de la personne. Doin, 2009.
  • [5]
    Auteurs du livre À chacun son cerveau. Plasticité neuronale et inconscient. Odile Jacob, 2004.
  • [6]
    Panteleimon Giannakopoulos et Florence Quartier. Un avenir pour la vieillesse. Pratiques cliniques contemporaines en psychiatrie de l’adulte et de l’âge avancé. Doin, 2007.
  • [7]
    Bauduret JF, Jaeger M. Rénover l’action sociale et médico-sociale. Histoire d’une refondation. Paris : Dunod, 2003.

Une parole retrouvée ? Ou encore fortement écartée ?

1Les personnes en souffrance psychique se disent reconnues comme personnes et comme citoyens quand on utilise le terme d’usagers. Certains psychiatres contestent cette utilisation mais les intéressés la réclament. Ils affirment que le terme de « malades », de patients, les stigmatise et ne correspond pas à la réalité de leur vie sociale.

2Cette position ne devrait pas contrarier les professionnels de santé mentale. Le discours qu’ils tiennent actuellement sur les personnes qu’ils soignent, affirme que l’objectif est que ces personnes découvrent leurs potentialités et qu’elles se vivent d’abord comme « citoyens plutôt que comme malades [3] ».

3Pourtant, quand les usagers prennent vraiment la parole, les psychiatres ne sont pas toujours attentifs. Par exemple, à peine quatre psychiatres et psychologues quand, le 18 juin 2009, se déroulait à Paris, au ministère de la Santé, un colloque sur la prévention du suicide. Ce colloque était organisé par la Fnapsy qui avait déjà eu le courage d’organiser un colloque sur la violence, un an auparavant. Ce jour-là, les usagers et des familles étaient venus en nombre.

4Quand la parole est retrouvée, on constate que les usagers savent s’approprier le contenu de ce que l’opinion pense d’eux ! Ils font preuve d’une belle capacité à aborder en public des questions si lourdes à porter.

L’obstacle majeur : la stigmatisation

5Dans l’essai publié en février 2009, je me permets d’affirmer que la stigmatisation est sans conteste l’obstacle majeur à l’évolution de la psychiatrie.

6Quand les psychiatres abordent les usagers avec le diagnostic de leur maladie psychique, ils prennent une attitude qui risque d’enfermer et de stigmatiser les personnes en difficulté. Les psychiatres dans leur ensemble n’ont pas perçu à quel point ils sont eux-mêmes des vecteurs de la stigmatisation.

7L’opinion stigmatise les troubles psychiques et plus encore, tout ce qui évoque la psychiatrie, en y ajoutant aujourd’hui le handicap psychique comme marqués de la peur d’un « danger ».

Amalgame entre folie et dangerosité

8En effet, les médias, en s’emparant de ces problématiques, assimilent folie et crime, troubles psychiques et danger. On ne peut faire pire violence aux usagers. Le sommet est atteint lorsque le chef de l’État (mal conseillé) et cherchant à faire accepter sa politique sécuritaire, affirme que les hôpitaux psychiatriques – à moitié vides – peuvent devenir les espaces de réclusion pour les futurs criminels. La tentation d’assimiler folie et crime est trop grande.

9Le chef de l’État n’a fait que se saisir de cette représentation collective qui était déjà portée par l’opinion publique et que nous, les professionnels, les psychiatres et les équipes soignantes, nous ne sommes pas arrivés à modifier !

10La notion de danger et la persistance des espaces d’exclusion asilaire sont pérennes, et elles le sont avec notre complicité ! Le politique les a donc utilisées ce jour-là.

11Je soutiens que la psychiatrie a laissé trop longtemps l’opinion s’appuyer sur cet amalgame entre folie et dangerosité. Nous avons, par exemple, attendu d’être au lendemain de l’affirmation du chef de l’État pour rassembler tous les travaux qui démontrent que non seulement les malades mentaux sont moins souvent criminels que le reste de la population mais qu’en raison de leur vulnérabilité, ils sont bien plus souvent agressés et cibles de délits que le reste de la population. La violence ne vient pas d’eux, mais se déploie sur eux.

12Avant toute étude, nous avons appris cet état de chose dans notre pratique clinique. Pourquoi avoir attendu si longtemps pour le dire dans l’opinion publique ?

Insuffisance des études et enquêtes

13Pour revenir sur le suicide et la journée organisée par la Fnapsy, j’ai constaté que les propos des professionnels de santé mentale, insuffisamment explicites, sont repris par les organismes de recherche, hors pratique clinique, et fondent ainsi l’occasion d’augmenter la stigmatisation autour des risques que présenteraient les troubles psychiques (je fais référence aussi à ce propos aux récents débats autour des troubles du comportement avant 3 ans).

14A-t-on besoin d’attendre des confirmations statistiques pour affirmer clairement que la formulation par une personne d’un désir de mort (pouvant aller jusqu’à l’évocation du suicide), n’est pas automatiquement un signe de trouble psychique ?

15Ne laissons pas les statistiques faire un lien systématique entre dépression et suicide. C’est un enchaînement simpliste et inexact. On ne saurait amalgamer tristesse, réaction dépressive, et dépression majeure.

16En établissant une séquence sans faille entre troubles dépressifs divers et suicide, nous, psychiatres, les fascinons par notre discours. Mais de quel droit établir une continuité entre dépression et suicide ?

17La « normalité » a aussi sa place comme mode d’accès au suicide.

18La liberté de l’homme est une réflexion possible sur sa propre mort et nous y avons accès à tout moment. Ce pouvoir de l’homme sur lui-même constitue sa force, tout comme celui de décider de refuser d’être un criminel, sans autre limite que sa propre pensée.

19Actuellement, certaines grandes enquêtes cherchent à établir un lien entre troubles psychiques et suicide.

20De telles affirmations nous mettent dans l’embarras et nous rendent réticents quant à la pertinence de ces enquêtes. Nous devons même les critiquer :

  • sur la forme. Après avoir choisi des critères de validité avec soin et méthodologie, probabilité oblige, les auteurs confient à des étudiants (main-d’œuvre bon marché, anonyme, non formée), le soin de téléphoner à des personnes tout venant pendant 15 à 45 minutes. C’est donc un questionnaire « téléphoné » qui permet d’affirmer l’existence et l’intensité d’un ou plusieurs troubles psychiques. Quelle est la valeur dans ce contexte des résultats de telles études ?
  • sur le fond, parler de troubles c’est affirmer un diagnostic. Or, en psychiatrie, peut-être plus encore que dans le reste de la médecine, le diagnostic d’un trouble psychique ne peut être que le fruit d’un échange personnel, donc intime, entre la personne qui souffre et le médecin qui la reçoit et l’écoute. Le diagnostic n’est pas une donnée figée : c’est un processus. Ce sont des étapes au cours d’un processus thérapeutique qui modifient constamment le diagnostic.
Autant le traitement s’appuie sur la confiance, autant le diagnostic isolé peut donner du pouvoir sur l’autre.

21Les classifications en psychiatrie sont totalement insatisfaisantes. Le niveau maximal d’insatisfaction est atteint par celle qui est le plus largement distribuée aujourd’hui le DSM-IV et sa sœur, la CIM-10 (cf. l’excellent article de B Gibello [4]).

22Nous nous élevons contre un diagnostic qui serait asséné au décours d’une enquête. Nous savons par expérience qu’un diagnostic de troubles psychiques graves s’accompagne dans la famille d’une blessure narcissique profonde, plus profonde que pour toute autre maladie ; et pour la personne, elle constitue une atteinte à son identité.

23Ainsi, toutes ces enquêtes portent sur la souffrance psychique de personnes interrogées par téléphone. Elles sont réalisées dans le monde entier mais ce n’est pas ainsi qu’on dépiste les cancers et les troubles cardiaques ! Mais il s’agit ici d’une réalité subjective et de personnes non rencontrées !

24L’attention apportée aux troubles psychiques a dans le champ médical un haut degré de spécificité et justifie que l’on aborde la personne autrement qu’on semble le faire pour les autres maladies. Il s’agit ici de s’appuyer sur une conception de la personne bâtie sur son unité (corps, esprit, relations associés), refusant de prendre l’homme pour un robot auquel il manquerait un simple rouage, ou un logiciel.

25Ainsi, nous pensons que toutes ces enquêtes portent non sur les troubles mais sur la seule souffrance psychique.

Ce que nous disent les usagers et leurs familles

26Nous, psychiatres, ne savons jamais annoncer clairement les frontières entre notre savoir et notre ignorance.

27Sans que nous le percevions, ces présentations publiques confuses et ambiguës des troubles psychiques augmentent notre pouvoir sur les malades et sur la société.

28Les usagers et leurs familles savent fort bien que les faits psychiques et les faits pathologiques sont complexes. Ils nous demandent avec force et détermination de ne pas verser dans un discours simpliste sur la psychiatrie. Ils nous demandent d’avoir le courage de dépasser nos querelles intestines qui mélangent savoirs et pseudo-savoirs, nos réussites « opposées », ils nous demandent d’établir des liens forts entre nos différentes connaissances et d’en parler avec suffisamment de clarté.

29Notre corps professionnel ne peut pas rester indifférent face à cette situation. Nous sommes capables d’adopter aujourd’hui des démarches « intégratives » associant les acquisitions des différents domaines de connaissance.

30Les familles et les usagers nous demandent d’être, dans nos propos, clairs, prudents, et dans nos actes efficaces, et de mettre en harmonie nos connaissances et nos acquisitions. Ils ne nous pardonnent pas d’avoir mis sur la place publique nos querelles de chercheurs. Celles-ci ont aggravé leur désarroi.

31C’est pourquoi il est réconfortant de constater que des complémentarités peuvent être mises en évidence. Au cours des récentes journées nationales de la SFPEADA (Société française de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent et des disciplines associées) organisées à Lille en juin 2009 par le Pr Delion, on a vu qu’une rencontre était possible entre psychanalystes comme François Ansermet et neurobiologistes comme P. Magistretti [5]. Dans la continuité des références du Prix Nobel Eric Kandel, ces auteurs montrent que les « traces » de chaque moment de notre vie s’inscrivent et s’écrivent dans notre cerveau grâce à la multiplication constante des dendrites de nos neurones à ces différents moments selon les études neuroscientifiques, pendant que sur le plan psychique, nos associations d’idées selon Freud en font autant de leurs côtés. La convergence est là. À nous de la travailler.

32Sur le plan des découvertes nous ne pouvons que remercier et féliciter en particulier les auteurs de recherches sur la naissance et la petite enfance (B Golse, P Delion, G Haag, P Jeammet…), tout autant que sur la vieillesse (cf. F Quartier [6]) permettant d’éclairer l’évolution de l’homme du début à la fin de sa vie. Tous ces travaux sont marqués par une volonté d’adopter une méthode « intégrative » associant les acquisitions des diverses données non seulement sciences dures et psychodynamiques, mais aussi les données économiques, philosophiques, créatives…

33À l’inverse nous ne pouvons que déplorer ces rares mouvements de haine comme celui de l’association Léa pour Samy, luttant pour faire gagner « sa » vérité sur l’autisme, en cherchant à éliminer avec violence tous les acteurs autres que ce groupe de familles ! Comment allons-nous écarter de la scène cette violence sans que son histoire ne se termine dramatiquement, tellement cette association (de familles gardant trace des blessures antérieures) s’est construite sur la haine ? Seul un travail collectif peut y arriver.

34« L’homme est fait indissolublement d’amour et de haine », rappelait Geneviève Laroque, bien qualifiée pour son admirable travail auprès des personnes âgées, à qui il avait été demandé de clore la journée des usagers sur le suicide, après avoir partagé une admirable table ronde sur le suicide de la personne âgée, avec Gérard Massé, notre collègue et Claude Finkelstein, présidente des usagers de la Fnapsy, échange dur, stimulant, émouvant et authentique, qui nous a tous fait progresser, bien plus que les statistiques.

35Notre responsabilité « citoyenne » de professionnels de la psychiatrie est très forte. Nous devons en apprécier le poids. Nous avons pris l’habitude, en copiant la médecine, de privilégier la démarche individuelle de soin, sans avoir compris que notre décision de « choisir » la psychiatrie donne automatiquement à chacun de nous une responsabilité de santé publique qui dépasse le simple soin individuel, et nous engage tous dans une réflexion et une interaction sur l’ensemble du champ de la santé mentale du pays (psychiatrie, actions sociale, prévention). Même le retrait respectable du psychanalyste dans son cabinet et la nécessité de la protection de sa pratique ne permettent en rien à ce professionnel de se soustraire à cette réflexion ni à l’engagement qui la suit, comme acte politique.

36Croyez-vous qu’il soit possible de séparer le soin de la personne et l’attention que nous devons porter à l’ensemble de la société sur le plan de la santé mentale ?

Les usagers au secours de la psychiatrie

37Dans notre essai paru en février 2009, nous nous efforçons de mettre en évidence les convergences qui existent entre les démarches des familles (et des usagers) et celles des professionnels de la psychiatrie.

38La loi de 2005 sur les handicaps décrit pour la première fois ce qu’est le handicap psychique. Ce handicap n’est pas une donnée isolée, mais le produit de plusieurs types de facteurs, il est le produit de l’interaction entre les troubles internes de la personne avec le fonctionnement de l’environnement. Cette nouvelle vue des « conséquences sociales des troubles psychiques graves » permet de concevoir un handicap jamais fixé, en constante évolution.

39Cette remarque est fondamentale car elle permet de redonner à la psychiatrie une vision toujours dynamique, sauvegardée par la psychiatrie infanto-juvénile (en raison de la croissance de l’enfant et des liens nécessaires des soignants avec la famille et l’école), mais que la psychiatrie générale a tendance à oublier.

40Les conséquences de ce constat sont considérables, elles permettent de refuser le terme de chronicité pour les troubles psychiques, en raison de leur évolutivité constante et en raison de l’influence permanente de l’environnement.

41Certes, la réflexion sur l’importance de l’environnement n’est pas nouvelle. Mais, les thérapeutiques modernes qui se veulent ponctuelles, centrées sur un seul symptôme, soutenues par les classifications « symptomatiques », et par l’utilisation d’une molécule chimique par symptôme, ne facilitent pas la compréhension des interactions avec l’environnement. C’est ce qu’avaient tenté, autour des années 1950-1960, les psychiatres issus de la convergence entre la psychothérapie institutionnelle et la psychiatrie de secteur. Ils avaient la volonté de réaliser une psychiatrie de l’homme, citoyen avant d’être malade.

42Un profond quiproquo s’est installé entre la société et les professionnels de la psychiatrie, notamment autour de la loi portant réforme hospitalière en 1970. Cette loi coupait la médecine, et donc la psychiatrie, en deux. L’aigu était recentré sur l’hôpital, le chronique délégué au social, en totale méconnaissance de la politique de secteur qui elle, voulait porter sur l’ensemble.

43Notre essai s’appuie ici sur le remarquable livre de J.-F. Bauduret et M. Jaeger qui décrit très bien les origines et l’évolution de ce quiproquo [7].

44Le pari de l’essai est de dire que la découverte de la façon dont s’est installé le divorce entre l’opinion et les professionnels de la psychiatrie, devrait aujourd’hui donner accès à des idées innovantes sur la façon de préparer l’avenir de la Psychiatrie et de comprendre qu’elle doit être accompagnée par le développement de l’Action Sociale, celle-ci la complète solidement (quels que soient les effets des nouvelles lois territoriales de 2009).

45Il paraît pertinent de donner à chacun des pistes pour revisiter l’histoire de la psychiatrie comme celle du handicap. Nous avons tenté de le faire, avec la certitude de prendre des risques, de commettre des erreurs, mais en gardant le souci d’inviter chacun à continuer à travailler cette histoire et à la compléter. Points d’appui fondamentaux pour les jeunes qui choisissent ces carrières.

46Nous pourrons alors faire le point sur les atouts qui sont entre nos mains, sur les ouvertures que nous devons favoriser, tant dans le champ de la Psychiatrie que dans celui de l’Action Sociale. Il nous appartient de réaliser la tâche passionnante, mais considérable, qui consiste à établir une « continuité » entre le soin et les compensations sociales ; à partir de là la question de la prévention pourra enfin être travaillée solidement, car elle est l’affaire, non pas d’une seule catégorie d’acteurs, mais de toutes et de tous.

47Ce que nous comprenons aujourd’hui à la lumière de « la parole retrouvée des usagers », c’est que d’une part cette loi du 11-2-2005 avec la notion de « personne en situation de handicap psychique » est née de la mobilisation publique des usagers, et des familles ; leur implication s’est avérée indispensable pour que la loi l’intègre ; et que d’autre part aucun acteur du champ de la santé mentale nous avons vu qu’il associe les divers soins, les compensations sociales, et la prévention) ne peut plus à lui seul avoir ni une vision complète, ni une compréhension de l’ensemble des besoins, et de l’ensemble des réponses à ces besoins, concernant les personnes présentant des troubles psychiques. En revanche le regard et la compétence de chacun sont nécessaires, complémentaires, certes à des moments et dans des espaces différents, avec des acteurs et des méthodes distincts : les professionnels de la psychiatrie n’ont pas accès à la vie quotidienne dans sa diversité ; ceux du champ social ne sauraient intervenir dans le soin ; les familles, les usagers, ont chacun un regard et un rôle distincts (il n’est plus acceptable de laisser s’installer ici la confusion). C’est cette complémentarité qu’il s’agit d’installer.

48Certes il y a dans la loi du 11-2-2005 des questions non encore résolues.

49Par exemple, la psychiatrie infanto-juvénile n’a vraisemblablement pas été prise en compte avec ses particularités.

50La question générale et « prioritaire » du logement, nécessite sa réponse propre, nous affirmons même qu’elle est préalable à l’application de la loi sur les handicaps.

51Il y a aussi des lumières incontestables : en particulier la réussite de l’innovation que représentent les GEM, les groupes d’entraide mutuelle, créés par la loi et dans une circulaire d’août 2005. Un fonds spécial a permis l’ouverture de 300 GEM. Ils constituent des moments et des espaces d’épanouissement des usagers, hors cadre classique, hors soins, dans une association 1901 que les usagers gèrent eux-mêmes. Certes, cela ne peut se réaliser que grâce à la complémentarité des quatre acteurs : la Fnapsy, l’Unafam, la Croix-Marine, et l’État qui en organisent le cadrage et le parrainage. D’une certaine façon c’est la réalisation la plus accomplie de la loi, la plus fragile aussi. Il est remarquable de constater que si ce point fragile excite les convoitises, ce qui était attendu, il constitue un point de repère fondamental pour l’évolution de l’ensemble de la santé mentale, comme un point de vérité. C’est là que la « parole retrouvée » est à son apogée.

Les objectifs de la santé mentale s’appuyant sur tous les acteurs

Un renouveau de la psychiatrie de secteur

52Cela ne peut se réaliser qu’en annulant les complexités survenues à différentes étapes de son évolution (dues en particulier à l’abandon par l’État du suivi de la psychiatrie de secteur à partir de 1990, et sa conséquence, un développement anarchique), et en retravaillant les valeurs fortes initiales : continuité, proximité, accessibilité des soins et leur appui sur le contexte social et relationnel.

53L’accueil des familles et le travail avec les familles des patients adultes se doivent d’être, comme cela se passe pour les enfants et les adolescents, une composante du soin. Le lien avec la famille d’un patient présentant des troubles psychiques graves est incontournable, même si la tradition l’a constamment et parfois violemment écarté.

54L’opposition systématique public/privé qui avait prévalu au début du secteur dans les premiers slogans n’est plus opérante aujourd’hui. Elle s’appuyait surtout sur la coupure soin/social. La nécessité d’établir des liens attentifs entre soin et compensation sociale rend cette séparation caduque.

Accompagner le développement de l’action sociale

55Il faut pour cela lui associer une lutte contre la précarité et l’accès à un logement pour tous.

56En soutenant la consolidation des Maisons de l’égalité des chances (titre que nous préférons largement à celui de maison du handicap, MDPH, inacceptable pour enfants et adolescents, et même à « maison de l’autonomie », concept insuffisant, car il oriente vers l’isolement qui marque le début de tous les drames humains).

57Il faut également soutenir la promotion des nombreuses associations 1901 nécessaires pour assurer la création des services proposés par la loi 2005 (SAVS, Samsah, Esat, FAM, foyers divers et structures innovantes variées).

58Il faut soutenir enfin le travail de formation des acteurs sociaux face à leurs nouvelles tâches. La complémentarité des expériences acquises par la Psychothérapie Institutionnelle sera là d’une grande utilité à transmettre.

Le certificat médical

59Il est un élément clé de la réussite de la complémentarité soin-social. Il inaugure la démarche visant à obtenir des mesures de compensation auprès de la Maison de l’égalité des chances : il est pertinent de proposer que ce certificat soit écrit « en commun » par le psychiatre, son équipe, avec l’usager, commençant ainsi son aventure sociale grâce à une diversité d’appuis. Cette proposition est justifiée par le fait que les soins et les compensations sociales vont avoir tout au long de ces démarches à se soutenir, se compléter, se relayer, ils se potentialisent les uns les autres.

60Il est donc nécessaire dès le début d’installer une simplicité relationnelle et des liens qui seront utiles pour la suite, car les « ruptures » de soin comme les incidents et conflits en cours de compensation sociale sont des données absolument « normales », tout autant qu’imprévisibles.

61L’écriture commune du certificat médical (portant certes sur les troubles clairement décrits, mais aussi largement sur leurs conséquences sur la vie quotidienne), le psychiatre écrivant avec le patient-usager, a l’intérêt de montrer la continuité entre le soin et la vie quotidienne ; le psychiatre établit un lien plus concret avec la vie, et l’usager grâce à cette écriture peut s’approprier chaque phase de son évolution, tant dans le soin que dans le social, il se sent véritablement « acteur » de chaque temps.

La richesse du mouvement associatif est un appui considérable

62Il permet à l’usager de prendre pied dans la société active et de « retrouver sa parole ».

63La connaissance et l’estime à instaurer entre les acteurs des deux champs (social et soins) sont un ingrédient indispensable. Cela pourrait se réaliser au cours de « formations complémentaires croisées », chacun exposant aux autres, sa propre démarche.

64Ainsi actuellement on perçoit à quel point une information modeste mais suffisante est indispensable pour les acteurs du champ social afin que contrairement à ce qu’ils pensent ils soient persuadés qu’ils n’ont absolument pas besoin de connaître la pathologie des personnes qu’ils reçoivent. Les conséquences sociales des troubles psychiques graves étant les mêmes quelle que soit la pathologie en cause : rupture dans le rythme de présence, rupture imprévisible d’un lien, absentéisme, attitude inadaptée, idée délirante. Point n’est besoin d’en savoir plus. De toute façon le diagnostic est couvert par le secret médical. En revanche échanger sur les acquisitions nouvelles et concrètes des personnes dans leur vie est fort utile pour les personnes comme pour les professionnels divers.

La psychiatrie de secteur peut aider à cette complémentarité soin-social

65Le besoin et la demande des usagers ne portent pas simplement sur la clarté et la convergence des théories et des discours, ils portent autant sur une simplification des pratiques de soin, ce dont les équipes ont concrètement bien besoin aussi. Voici encore une démarche convergente.

66Ne pouvons-nous imaginer une psychiatrie de secteur sans clivage, ni interne, ni externe ?

67Une vraie « continuité des soins » se libérant du clivage constant entre hôpital et cité, cela grâce à l’implantation simple en ville des 20 lits suffisants par secteur dans un immeuble banal et modeste, inclus dans la cité.

68Associée à l’aménagement d’un à trois espaces distincts en ville, pas plus, assurant les soins ambulatoires les uns extensifs, les autres intensifs, soulagés de toutes les « structures intermédiaires », et sans aucune structure intersectorielle, mais assurant une psychiatrie générale.

69L’ensemble géré sur le plan administratif par un directeur pour chaque secteur.

70Il est justifié de bien comprendre que la stigmatisation actuelle du soin psychique continuera à l’accompagner dans l’avenir, dans la mesure où un soin est proposé à une personne qui méconnaît l’existence de son trouble ; ainsi cette personne se trouve atteinte, troublée, blessée dans son estime, intime, d’elle-même. L’essentiel est d’aider la personne à être convaincue que si une atteinte existe elle n’est que partielle, ce qui doit écarter tout sentiment de culpabilité, et apporte la certitude que le fond même de sa personnalité reste solide, témoin de son intégrité. Nous revenons à la découverte de Pussin, Marguerite et Pinel.

Rassembler l’accueil psychique et l’accueil social

71Cela est un objectif essentiel pour l’avenir de la santé mentale pour lutter contre la stigmatisation dans l’opinion publique.

72Nous avons besoin de temps et d’espaces d’accueil informels, hors espaces de soin connus. L’accueil est simplement la mise à disposition simple dans le tissu social de la ville d’acteurs compétents en psychiatrie, accessibles sans rendez-vous préalable, ni introduction nécessaire, pour aborder ce qui représente plus ou moins clairement pour une personne la question de savoir s’il existe un lien possible entre un trouble vrai et une simple difficulté relationnelle.

73L’ensemble de la population doit être habitué, sécurisé par cette disponibilité, pour apprendre à contacter facilement les acteurs d’un tel accueil, en sachant que chacun en tire ce qui lui est utile : c’est relativement rarement l’orientation vers un soin ; dans ce cas le soin alors a pu être expliqué suffisamment longuement. Un tel temps d’accueil informel n’est pas du temps perdu, c’est un apprivoisement entre deux mondes qui font tout pour s’éviter ; cela permet de mieux comprendre le psychisme de chacun, dans ses multiples évolutions.

74Quand une décision de soin se présente, l’appréhension est moindre, des explications ont pu être données. Dans un très grand nombre de cas ces entretiens préalables suffisent pour lever un doute, pour dépasser un certain nombre de problèmes qui inhibent, bloquent ou angoissent, pour établir, réajuster un contact relationnel absent ou fragile.

Conclusion

75Notre essai propose aussi un Plan de santé mentale concret en 15 points permettant l’accès à une nouvelle donnée posée par la parole retrouvée des usagers.

76Notre propos central est d’inviter les professionnels de la psychiatrie à se construire une autre posture à l’égard des usagers de la santé mentale. Cet objectif n’est pas utopique.

77Le regard que nous portons sur la personne le rend possible. Une révolution peut s’ensuivre.

Notes

  • [1]
    La rédaction de l’Information Psychiatrique a demandé à Guy Baillon de présenter lui-même aux lecteurs les thèmes qui traversent sa dernière publication, Les Usagers au secours de la psychiatrie. La parole retrouvée, parue en février 2009 aux Éditions Érès.
    Il nous a proposé un texte que nous publions dans le dossier « Soignés/soignants, les lignes bougent » en raison de la proximité des questionnements et des constats effectués.
  • [2]
    Psychiatre des hôpitaux
    <guy-baillon@orange.fr>
  • [3]
    Bonnafé L. « Lettre à un jeune psychiatre sur l’antipsychiatrie ». In : Dans cette nuit peuplée… Éditions sociales, 1977, p121 (paru en mai 1972 dans La Nouvelle Critique).
  • [4]
    Gibello B. « CIM-10, clinique, classifications et pratique médicale ». In : SD Kipman et coll. Manifeste pour une psychiatrie de la personne. Doin, 2009.
  • [5]
    Auteurs du livre À chacun son cerveau. Plasticité neuronale et inconscient. Odile Jacob, 2004.
  • [6]
    Panteleimon Giannakopoulos et Florence Quartier. Un avenir pour la vieillesse. Pratiques cliniques contemporaines en psychiatrie de l’adulte et de l’âge avancé. Doin, 2007.
  • [7]
    Bauduret JF, Jaeger M. Rénover l’action sociale et médico-sociale. Histoire d’une refondation. Paris : Dunod, 2003.
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