Notes
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[*]
<georges.jovel@wanadoo.fr>
Psychiatre des hôpitaux, EPSDM de l’Aisne, 02320 Prémontré -
[1]
Cette comparaison attribuée à un député témoigne d’une classique intoxication par le signifiant. À force de parler de pilotage de l’hôpital ou d’établissement sans pilote (Pluriels 2009 ; 78 : 7), on en vient à cet effet de contamination par l’aéronautique.
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[2]
In : Rey A. Dictionnaire culturel en langue française. Paris : Le Robert.
-
[3]
Trémine T. Revoir l’organisation des soins. L’Information Psychiatrique 2009 ; 85 : 3-8.
-
[4]
Baruk H. Des facteurs moraux en psychiatrie. La personnalité morale chez les aliénés. L’Évolution psychiatrique 1939 ; 2 : 3-38.
-
[5]
On peut s’interroger sur la légitimité de la HAS pour entériner une telle « prescription » hors champ de compétence (tyrannie niveau II à niveau I).
-
[6]
C’est un constat assez amer : on observe en une génération une dévalorisation des pratiques en prise directe avec le patient et qui faisaient leur noblesse. La logique s’est inversée en faveur d’activités impliquant une part gestionnaire, administrative ; le ratio temps soignant/temps global des personnels ne fait que s’appauvrir !
-
[7]
L’idée même d’un contrat contraint est un non-sens : c’est pourtant ce que l’on vit à la faveur du pouvoir pris par l’ARH auprès de directeurs d’établissements et qui les amène à signer des contrats léonins dans un déni de démocratie.
-
[8]
67 % répondent en effet que « leur établissement paraît en déclin ». Un effrayant gâchis. Enquête du Nouvel Observateur, N° 2322, du 7 au 13 mai 2009, p. 15, 16.
-
[9]
Penochet JC. Nouvelle gouvernance : un traitement autoritaire pour achever l’hôpital public ? L’Information psychiatrique 2004 ; 80 : 705-6.
1Ce texte destiné à la « Tribune des lecteurs », fait suite à l’actualité des réformes en cours, aux prises de position, aux articles récents de collègues et à notre commentaire du rapport Couty publié dans le précédent numéro de la revue.
2Nous y avons souligné des confusions, un brouillage de notions développées par le président de la République et nos interlocuteurs du ministère, qui comportent des assimilations, des réductions dont la résultante est la simplification de la clinique à des fragments de discours scientifique, gestionnaire et sécuritaire. Le choix du mot « ordre » dans notre intitulé fait référence à la politique interventionniste de l’État à l’égard des pratiques psychiatriques, au concept d’« ordre disciplinaire » analysé par M. Foucault.
3Nous proposons d’examiner six points d’articulation de notre discipline en prenant appui sur une conceptualisation des ordres que nous définirons, et en dégageant des éléments de réflexion dans le champ théorique et pratique de la psychiatrie :
- psychiatrie et économie, en introduisant un terme tiers, celui d’humanisme. L’étude de ces liens permettra de répondre à la question « Couty, ange ou démon ? » ;
- psychiatrie avec le ou la politique dans une actualité particulièrement tendue qui inclut une analyse de l’idéologie, des habiletés sémantiques contenues dans le discours d’Antony du président de la République ;
- psychiatrie et morale justifiée par l’usage répété de termes s’y référant : le mérite, la vertu, la responsabilité, les valeurs, les principes, l’idéal mais aussi la norme.
- le rapport de la psychiatrie à l’éthique est interrogé à propos de la dérive du tout sécuritaire, des menaces concernant l’indépendance des praticiens, et de la dénonciation d’un « langage commun » (J.-P. Descombey) avec l’autorité politique ; nous l’envisagerons aussi ici sous l’angle de l’amour ;
- psychiatrie et malaise dans la civilisation, à propos de la ségrégation vis-à-vis des malades mentaux assimilés aux criminels et de questions touchant à l’autre différent ;
- enfin, psychiatrie et libéralisme : nous verrons pourquoi un établissement de santé publique ne peut être assimilé à une entreprise (aéronautique ou autre) [1].
4La délimitation d’un ordre psychiatrique est-elle pertinente au regard de la complexité de notre champ ? L’identification d’objets spécifiques que l’intitulé suggère permet-elle de définir un ensemble homogène au fonctionnement propre, descriptible, ordonné ou hétérogène tributaire d’autres discours ou pouvoirs ? Nous appliquerons les conceptions préexistantes de l’ordre en rappelant que le concept d’ordre est présent dans les objets de la psychiatrie au chapitre de la nosographie, de l’institution spécialisée ou de l’assignation au contrôle social.
Une « mise en ordre » féconde
5Ce développement s’appuie sur trois éléments imbriqués :
- une lecture descriptive des registres scientifique, politique, moral et éthique d’où se dégage un effet de vérité ;
- une application de la méthode de « mise en ordre » transposée à notre discipline et à ses discours, ce qui réserve quelques surprises ;
- une réflexion à partir de ces deux points qui permette d’améliorer notre positionnement stratégique dans les combats à mener, car nous n’échappons pas nous-même à ce que nous énonçons ici.
6Les philosophes ont de tout temps été tentés d’organiser le monde selon une démarcation, une classification, une hiérarchisation à partir de systèmes de valeur et de distribution des objets.
7La philosophie politique a poursuivi ces apports grâce à une analyse des transformations sociales fondées sur une interprétation historique et dynamique des institutions de l’espace politique.
8Les avancées d’A. Comte-Sponville ont leurs sources dans Blaise Pascal, qui dans la pensée 793 distingue « trois ordres différents de genre », celui du corps, celui de l’esprit ou de la raison, enfin l’ordre du cœur ou de la charité. A. Comte-Sponville actualise et complète cette distribution en leur préservant le caractère d’indépendance. Il en déduit une hiérarchisation à quatre niveaux, soit du plus bas (I) au plus élevé (IV) :
- l’ordre technico-scientifique (I). C’est le nôtre, celui des sciences humaines, de la médecine, des techniques, de l’économie, de la sociologie et de l’expertise en général. Il est défini par la question du possible ou de l’impossible de la science ;
- l’ordre politique et juridique (II). Il est structuré par la loi, l’État. Il introduit une opposition entre légal/illégal, le pouvoir de l’État et le contre-pouvoir démocratique ;
- l’ordre de la morale (III). Cette instance qui surplombe et limite le deuxième ordre, est l’ordre des exigences morales, de la conscience, du devoir et de l’idéal. Il est structuré par l’opposition du bien et du mal, du devoir et de l’interdit. Cette conscience morale est à l’origine des limites, des normes qui imposent la vie en société, l’être ensemble, et de la culture ;
- l’ordre de l’éthique (IV). L’auteur en donne une définition réductrice plus inscrite dans la lignée de l’élaboration philosophique que de la pensée médicale traditionnelle qui fait référence au dilemme, au conflit de valeurs ou dans l’interprétation de ces valeurs. A. Comte-Sponville situe l’éthique dans le registre de l’amour. Amour est à entendre ici au sens large, amour de la vérité, de la liberté, de l’humanité. Nous ajouterons à cette série l’amour du savoir (l’épistémè). Cette capacité à aimer, quelle que soit la nature de l’objet, a une fonction civilisatrice qui légitime d’être promue en ordre supérieur.
La confusion des ordres
9A. Comte-Sponville reprend la terminologie de B. Pascal pour désigner la confusion des ordres à partir des termes ridicule, angélisme et tyrannie.
10Le ridicule, c’est en résumé déroger à son ordre.
11La tyrannie procède de l’effet d’une confusion des ordres érigée en gouvernement. Du fait de l’échelle des ordres, deux dynamiques sont possibles :
- soumettre un ordre supérieur à un ordre inférieur, ce ravalement a pour nom la barbarie ;
- soumettre un ordre inférieur à un ordre supérieur, cette naïveté, cette prétention, la tyrannie du supérieur est ici nommée angélisme.
12Reprenons chacun des points à problématiser qui introduisaient notre exposé.
Psychiatrie, humanisme et économie (à propos du rapport d’É. Couty)
13Un préalable : si l’humanisme a été avec le désaliénisme une valeur essentielle pour fonder historiquement et idéologiquement la politique de Secteur, il faut cependant rester réservé sur la généralisation contenue par le suffixe « isme » qui recèle un passage du singulier (la relation soignant-soigné) à une abstraction notionnelle rapportée à un groupe et à prétention universelle. Nous savons avec les textes de S. Freud Malaise dans la civilisation, Pourquoi la guerre et Pulsions et destins des pulsions ce qu’il est nous est permis d’espérer ou de désespérer de la nature humaine. L’ambition de vouloir le bien de l’autre dans une vision doctrinale, de changer la société et d’en assurer le progrès a connu son apogée avec le « saint-simonisme » dont l’en-tête du journal L’Organisateur annonçait ainsi le programme : « Toutes les institutions sociales doivent avoir pour but l’amélioration du sort moral, physique et intellectuel de la classe la plus nombreuse et la plus pauvre. » M. Dide nous a indiqué dans sa monographie de 1913, Les Idéalistes passionnés, que l’« inclinaison fixe » pour la bonté, l’éthique, la justice incluse dans le réformisme social, la philanthropie, les utopies peuvent être mues par un idéalisme passionné dont témoigne le destin de Prosper Lenfantin ou d’Auguste Comte. Ailleurs, l’oblativité peut relever de traits obsessionnels ou de la « belle âme » de nature hystérique.
14Dans le rapport inaugural de La Rochelle, nous avons effectué la mise en série de l’alliance hygiéniste d’ordre moral et du souci budgétaire, à partir d’une phrase extraite d’une citation de l’ouvrage d’A. Carrel L’Homme cet inconnu : « Un établissement euthanasique, pourvu de gaz appropriés, permettrait d’en disposer de façon humaine et économique. Le même traitement ne serait-il pas applicable aux fous qui ont commis des actes criminels. » Fragment également isolé par P. Coupechoux dans son ouvrage Un monde de fous. Cette confusion de l’humanisme au sens du développement de la société humaine, but suprême de la civilisation, soit l’intérêt supérieur de l’homme, adossé à l’économie, a forgé des justifications théoriques aux pratiques liberticides de régimes totalitaires nazi « geimeinnütz geht vor eigennütz » ou stalinien.
15C’est au nom de l’intérêt général, du bien commun que peuvent être commises les pires exactions. L. Althusser, cité par A. Comte-Sponville (p. 113), a développé une réflexion critique sur le danger contenu dans le couplage précis de ces deux termes, explicitée à partir d’une phrase de Staline : « C’est l’homme qui est le capital le plus précieux. » On connaît le tragique de la suite.
16La biocratie d’Édouard Toulouse érige des caractéristiques bio-psycho-morphologiques comme fondement d’une politique et d’une morale : ce mélange des genres (niveau I à niveau II et III) a été légitimement dénoncé comme facteur de risque majeur s’il était promu comme principe de gouvernement. Concrètement, la dérive de telles théories vers la tyrannie s’est confirmée. « L’humanisme économique » est une doctrine dont le projet est d’éviter les écueils du collectivisme et du capitalisme mono polistique. Le pari de concilier économie de marché et environnement social est illusoire…
17L’humanisme dans sa déclinaison plus commune peut-être utilisé pour justifier la démagogique nécessité de réformes urgentes, et ainsi servir d’alibi à des entreprises de réduction des coûts.
18Les orientations de la politique européenne en matière de santé publique et de santé mentale, le rapport Couty en sont une stricte illustration.
19Reprenons la formalisation en ordres.
20Mêler humanisme et économie, c’est vouloir ériger le niveau le plus bas (I) celui de l’économie au niveau (IV) celui de l’éthique, de l’amour, appuyé sur les considérations humanistes, volontaristes, le « débordement des bien-pensances » (T. Trémine) pour le patient, sa famille. C’est-à-dire procéder par angélisme !
21Contre toute attente, É. Couty, dans sa démarche, son rapport qui recèle une naïveté savante, est à situer du côté de l’ange et non du démon [3] !
22Au-delà de la formule et du rapport Couty lui-même, c’est toute la rhétorique gouvernementale fondée sur l’homme, le progrès, terminologie détournée des Lumières, et le modernisme qui est à dénoncer.
23Conformément aux engagements pris à l’égard des instances européennes, il existe de la part de nos gouvernants une volonté de réduire le déficit budgétaire, la dette publique ; une des voies est la conduite d’une économie de marché, la désorganisation des services publics en place de monopole au nom de la « concurrence libre et non faussée » (article 3 de la Constitution européenne).
24Les considérations autres pour les patients, leurs familles, pour l’amélioration des pratiques ne sont qu’un enrobage de ces mesures, et lui servent de caution démagogique. La part accordée aux associations, à leur représentation au futur conseil de surveillance des établissements, au bureau des usagers en est un avatar.
25Ce discours qui s’appuie sur la « démocratie sanitaire » ne tient pas face à la désorganisation des soins que l’on observe actuellement. C’est véritablement de la poudre aux yeux. La politique implique des choix y compris dans le domaine de la santé et de la part de budget à lui consacrer ; la logique des discours, ses conséquences pour les patients sont délibérément masquées. Démocratie sanitaire, économie de marché et dirigisme d’État sont inconciliables.
26La confusion sciemment entretenue est au service d’une pure stratégie de communication pour faire passer la pilule amère des restrictions budgétaires que l’on constate dans la déclinaison des Plans de retour à l’équilibre (PRE) de nos établissements et dont un des opérateurs est le pôle et le futur chef de pôle.
Psychiatrie et politique
27L’articulation de la psychiatrie et de la politique est l’une des spécificités de notre discipline. P. Pinel et plus encore J.-E. Esquirol nous l’ont enseigné. Ce dernier a étudié les liens entre les manifestations de l’aliénation et les désordres de son temps, les « convulsions sociales », il a fait œuvre d’épidémiologiste, a réalisé un rapport sur la situation des aliénés, des structures et a délivré des conseils auprès du régime en place. J.-E. Esquirol prenait en considération l’intérêt du patient et le souci financier : « En formant de grands établissements, en les plaçant et les distribuant convenablement, on obtiendra des résultats utiles pour ceux qui sont reçus ; économiques pour l’administration. »
28Chaque époque est marquée par la nature des relations avec l’autorité administrative et politique, le pouvoir en place qu’il s’agisse du mouvement hygiéniste, de la politique de secteur, de l’ère de l’antipsychiatrie ou dans notre actualité de l’alliance de la science, de l’épidémiologie et de la gestion. De nombreux écrits témoignent de l’intérêt des aliénistes puis des psychiatres pour la politique au sens de la gestion de la cité mais aussi de l’autorité publique.
29M. Foucault a consacré une part de son enseignement dont le cours de l’année 1973-1974 donné au Collège de France « le pouvoir psychiatrique » publié en 2003 (Gallimard-Seuil), de ses écrits et son engagement au sein du « Groupe Information Asile » à dénoncer la psychiatrie comme un instrument du pouvoir politique, comme une instance répressive. Il a mis en garde contre le « marquage médical » d’un régime disciplinaire. L’ « ordre disciplinaire » résulte de la démarche médicale objectivante qui s’appuie sur « la distribution des corps, des gestes des comportements, des discours ». Le concept d’ordre est utilisé dans son acception première : qui s’oppose au désordre de l’irrationnel et du hors-norme social de la folie. R. Castel a consacré un chapitre, « De la psychiatrie comme science politique », de son ouvrage précité à décrire la « coïncidence entre les discours de savoirs et les discours de pouvoirs ».
30Les gouvernants de leur côté ont toujours perçu la psychiatrie comme un facteur de régulation sociale. C’est de là que naît la tentation de psychiatriser le malaise social, la déviance et de contrôler les populations à risque. La psychiatrie est sous cette influence. Cette extension s’opère aux dépens de la maladie mentale résumée à un catalogue de troubles et du patient dont l’expression est recentrée au seul fait pathologique au prix du sens et de la part d’invention. L’empiétement du politique sur notre discipline n’est pas habituellement reconnu ou revendiqué par les politiques, ce sont les psychiatres qui dénoncent non pas une légitime implication du politique en charge d’un ministère de la Santé mais la volonté d’emprise, de contrôle des pratiques par le biais de l’instrumentalisation des concepts de dangerosité et de sécurité. Un pas a été franchi : le président de la République à Antony transgresse l’exigence de réserve, la hauteur attachée à sa fonction, le ministre de tutelle revendique comme « choix politique » dans son discours du 10 février dernier à propos du projet de loi HPST, un assujettissement de la santé au politique et à la volonté de réforme du président. Extrait du discours : « […] D’ailleurs, pensez vous un seul instant que la santé ne soit pas un sujet politique ? […] La santé n’est pas un sujet technocratique. C’est fondamentalement un sujet politique. » Ailleurs : « On a trop longtemps séparé l’organisation des soins du financement. » Le message est on ne peut plus clair… quant à cette exclusive ; le fait de tyrannie niveau (II) rabaissé au niveau (I) est consommé !
31Nous aborderons dans cette même veine le discours d’Antony qui nous a sidérés. Je ne reprendrai pas les précédentes analyses qui en ont été faites, ni les débats suscités en particulier dans un numéro ouvert de l’Information Psychiatrique de décembre 2008, la mobilisation des soignants (appel des 39, la nuit sécuritaire, et création de collectifs de défense de la psychiatrie publique et de l’hôpital public). Notre première impression était que dans son intervention le président de la République n’était pas à sa place, était en décalage avec sa « fonction suprême », d’où le malaise que nous avons ressenti.
32La formalisation des ordres permet la encore un pas de plus en précisant que la confusion est ici majeure. En posture du niveau (II) celui de l’ordre politique et juridique le président ravale son discours à un niveau médicotechnique (I) (critique de nos pratiques de terrain) pour ensuite tenter de s’élever au niveau (IV) celui de l’éthique (l’amour) par l’usage de l’émotion, de la compassion victimaire. Le brouillage est ici maximal et nous pouvons à partir de la formalisation des ordres, parler de discours ridicule mêlant ravalement, angélisme, à dénommer populisme lors qu’il est utilisé par le pouvoir politique.
Psychiatrie et morale
33La question de la morale traverse l’histoire de la psychiatrie et de ses acteurs, ce dont témoignent dans leurs écrits M. Foucault, G. Swain, J. Goldstein et R. Castel. Nous l’aborderons à grands traits. Dans la période prépinelienne, la folie était assimilée à la faute, au péché, et les insensés ont été violentés, sacrifiés au nom de ces représentations maléfiques qui font retour dans la peur du malade-criminel.
34P. Pinel a introduit les notions de médecine spéciale, de curabilité, de dignité, de respect mais au prix d’une moralisation du malade au-delà du traitement dit moral.
35Le terme moral du traitement est ici à entendre dans son équivoque au sens de « psychique », de mental en opposition aux traitements physiques jusqu’alors pratiqués. La visée est celle d’une normalisation selon les critères de la moralité bourgeoise de l’époque. Les principes pragmatiques, développés par J.-B. Pussin seront théorisés par E. Esquirol et surtout par F. Leuret, le premier à concevoir une théorie de la pratique selon l’expression de G. Lanteri-Laura. L’immoralité et la dangerosité d’abord familiale des malades mentaux trouvent une triste illustration chez U. Trelat, en particulier dans son ouvrage sur « la folie lucide » publié en 1861.
36Nous choisirons des références plus récentes pour étudier les connexions entre psychiatrie et morale.
37Tout d’abord, la conceptualisation d’une « psychiatrie morale » par H. Baruk. Cet auteur a de sa place d’universitaire exemplifié et théorisé sur un mode très personnel qui n’a pas fait école, ces deux notions qu’illustre cet extrait d’un article synthétique de l’Évolution [4] reprise d’une conférence de 1939. Il convient de s’assurer que « ces données morales ont non seulement été comprises et adoptées par notre cœur et notre intelligence mais encore qu’elles ont imprégné profondément toute notre personnalité consciente ou inconsciente de façon qu’elles colorent ou polarisent notre moindre geste, nos attitudes, nos jugements et même nos habitudes ». Dans la réponse qui suit l’intervention, J. Lacan se démarque courtoisement et très fermement de cette conception qui entraîne une confusion entre « valeurs de compréhension » et « valeurs morales ».
38Politique, morale, et éthique, remparts contre une science qui discrimine, ont été au cœur de la réflexion et des actions anti-psychiatriques. En témoigne ce propos de R. Gentis extrait de la revue Recherches, « Histoire de la psychiatrie de secteur », p. 500 : « Ne pas oublier que, plus qu’une science, la psychiatrie a toujours été une branche bâtarde de la morale. La responsabilité, la faute, on peut bien la faire glisser de l’individu à la famille, puis de la famille à la société, qu’est-ce que cela change ? » L’essor de l’éducation thérapeutique, des campagnes hygiénistes et de l’autonomisation du patient-usager vont dans ce sens.
39Plus proches de nous s’inscrivent les débats sur les troubles des conduites, des comportements et de l’adaptation issue du DSM.
40La catégorie de l’homosexualité extraite de la dernière version du DSM, de la déviance, des addictions, du transsexualisme, divise les praticiens sur les liens entre fait clinique, fait de société et… acte politique.
41La clinique est tributaire des valeurs, normes sociales et morales d’une époque qui signent la relativité culturelle et psychiatrique.
42En témoigne le raccourci saisissant perpétré par notre ministre de tutelle qui lors d’une journée dédiée à la lutte contre l’homophobie et la transphobie affirme que « la transsexualité ne sera plus considérée comme une affection psychiatrique en France » ! Déclaration faite au journal Libération le 16 mai dernier.
43Le ministre aurait à cette fin saisi la Haute Autorité de santé [5]. Quand clinique des troubles de l’identité de genre, lobbie des « trans » s’inscrivant dans la mouvance de minorités sexuelles en quête de reconnaissance, et politique se rejoignent ! Dans le même ordre d’idées, nous proposons de supprimer la paranoïa, en tout cas ce qu’il en reste, du prochain DSM en rappelant que ces ex-patients ont payé un lourd tribut aux vexations, humiliations, persécutions de toutes natures, et que cet effacement serait une juste réparation des préjudices subis…
44La conscience morale s’applique à la clinique mais aussi à l’organisation des soins avec mise en opposition d’un service public égalitaire, d’un secteur vertueux respectant les principes républicains, opposé à un libéralisme jugé amoral ou non moral car rattaché à des notions d’argent et de profit !
45Les dérives d’un monde individualiste, qui revendique plus de liberté, d’autonomie, imposent à nos gouvernants l’affichage plus que l’application d’une moralisation de la vie publique (la finance, la justice, la santé). À ces conceptions morales s’attachent les qualificatifs de mérite, de valeurs défendues au service de principes, d’idéal et d’utopie.
46Cette confusion procède de l’angélisme passer du niveau (I) de l’expertise technique au niveau (III) de la conscience morale.
47La psychiatrie, la santé mentale, la médicalisation du mal-être et du malheur se prêtent particulièrement à un tel glissement des registres et des ordres. La morale dans notre domaine est articulée à la déontologie, au droit, à la justice et à l’égalité dans l’accès aux soins et dans la limitation des libertés (autonomie, hospitalisations contraintes), à la responsabilité à l’égard de son acte. Il existe une morale du métier de psychiatre qui dans le cadre de l’exercice public donne tout son sens et sa valeur au Secteur, invention conceptuelle de la morale d’un exercice à plusieurs, appliqué non à un territoire périmétrique mais à une entité démo-géographique.
Psychiatrie et éthique
48Nous avons rappelé l’acception qu’en donne A. Comte-Sponville d’une équivalence à l’amour. Cette conception qui dérive de la philosophie (niveau universel) s’écarte du registre médical d’interrogation, de mise en réflexion de la pratique du cas (niveau individuel).
49L’amour est érigé en ordre suprême comme le « souverain bien » (Aristote). Nous suivrons cette approche en indiquant que si Aristote disserte dans la première partie de son ouvrage sur les vertus morales du bien, du beau, du bonheur dans la seconde il pose les questions en terme d’éthique ; soit la délibération, la décision la responsabilité, l’éducation au bien et à la politique. Spinoza, dans son ouvrage L’Éthique à Nicomaque, s’intéresse aux passions de l’âme (nos affects), il oppose la force, la fermeté, la générosité à la tristesse assimilée à une « moindre perfection ». Chaque idée, ou acte « enveloppe nécessairement l’essence éternelle et infinie de Dieu ». L’amour de Dieu ou des semblables est très présent dans son recueil.
50Il y a dans cette hiérarchisation des valeurs un écart majeur entre l’éthique et l’économique. L’amour et le profit sont-ils pour autant indissociables, d’intérêts inconciliables ? Question délicate qui conduit aux notions de plus-value et de jouissance.
51La dimension de l’amour est évacuée des débats actuels appliqués à la psychiatrie, elle est refoulée comme politiquement incorrecte dans une période ou le pragmatisme ambiant domine, et comme donnée non évaluable.
52Cette notion reste essentielle dans le champ du soin et de ses composantes : le savoir et le transfert. L’amour du métier a été envisagé comme thème d’un de nos congrès annuel (SIP). Nous en avions même rédigé en son temps, l’argument à garder en réserve pour le futur ?
53L’amour, c’est en effet pour le soignant, l’amour du métier, la curiosité et l’intérêt pour le réel d’une clinique qui échappe à l’entendement commun, le plaisir à travailler ensemble (le collectif de soin, la pratique à plusieurs des collègues du champ freudien), et le souci du patient. Amour de transfert, amour du savoir, intérêt pour les autres, d’où naît le désir de faire cette profession, cet art. La vocation cet appel se trouve réduit à la motivation, soit passer d’un désir à une volonté ?
54Il s’agit là d’un ordre de premier rang, qui dans son sens large renvoie à la libido freudienne et dont la déclinaison la plus achevée dans notre champ a été la psychothérapie institutionnelle, forme originale de travailler ensemble (patients-soignants) et d’élaborer au jour le jour les pratiques de soin au sein d’une communauté thérapeutique.
55Cette intervention de l’éthique selon Spinoza fait retour en négatif dans le désenchantement ressenti au sein des équipes, la perte des solidarités (contrôler, évaluer, inciter à dénoncer les mauvais traitements, la maltraitance, etc.). Le vécu dépressif, dépréciatif est favorisé par la perte de l’identité professionnelle, de ses valeurs, de son aura [6].
56Faire de l’instance économique, de la rentabilité, du soin réduit à un pur produit, un primat sur l’éthique (l’amour du métier) c’est ravaler les pratiques au prix de la perte de la dimension d’idéal, proposer des identifications contre nature à l’entreprise, au marché de la santé et favoriser les ravages actuellement constatables. Cette « désymbolisation » de l’institution entraîne un affaiblissement du sentiment d’appartenance ; elle est un des éléments générateur du malaise. Les équipes sont tiraillées par des impératifs inconciliables dont la résultante nuit à l’« efficience de l’hôpital » pour reprendre la terminologie gestionnaire.
57Que dire dans ce contexte du programme de formation sur la bientraitance que l’ARH a imposé malgré notre réserve via les CPOM [7] à nos trois établissements spécialisés. Nous saurons tout de la bientraitance grâce à un organisme privé alors que dans le même temps, les effectifs se réduisent, les unités sont en sur occupation, les équipes désorganisées.
58Nous proposons, en marge de ce développement, une approche rapide de l’opposition nature/culture, au sens de civilisation à propos de la violence faite aux malades mentaux, de la ségrégation.
Psychiatrie et malaise dans la civilisation
59La peur, le rejet de l’autre différent, énigmatique est une forme de racisme ordinaire et peu médiatisée. Au nom de ces préjugés mais aussi de la science, du progrès, les malades mentaux ont payé un lourd tribut à cette entreprise et emprise de l’autre. Cette stigmatisation est d’autant plus critiquable que les malades mentaux sont plus souvent victimes qu’agresseurs, ne se constituent pas en lobbies efficaces (par défaut du lien social).
60Les usagers sont présents dans des associations à faible représentation, mais fortement soutenues, assistées par le ministère.
61Il est peu réaliste de penser que patients et familles seraient à même d’inverser la tendance actuelle de la politique ministérielle, y compris avec notre alliance.
62La volonté de normaliser s’inscrit aussi dans la logique du soin et de la demande de pacification sociale et se déduit du glissement d’une clinique du symptôme à une clinique du trouble, de la psychopathologie à une anomalie du comportement.
63Vouloir le bien de l’autre, répondre aux exigences sociales c’est faire l’économie de l’ambivalence du désir de soignant, du désir du soignant et de la demande du patient-usager, et des besoins de soin.
64Ces questions cruciales justifieraient des développements que nos journées de Nancy en 2010, sur « la psychiatrie entre norme et liberté » tenteront de résoudre, en sachant que le mot « masqué » de l’intitulé est celui de singularité !
Psychiatrie et libéralisme
65Nous conclurons par le malentendu qu’engendre la formule de l’hôpital-entreprise. Il s’agit là d’une erreur historique qui relève du même rabaissement de l’éthique (IV) au niveau médico-technique et économique (I) (p. 49). A. Comte-Sponville rappelle très justement (p. 131) « qu’il y a des choses qui ne sont pas à vendre : la vie, la santé, la liberté, la dignité, l’éducation, l’amour, le monde », et pourtant ! La santé figure en bonne place dans ce catalogue… Le commerce des services est un impossible à traiter.
66Le mot « entreprise » est ici à entendre au sens d’entreprise commerciale. L’idée de l’hôpital-entreprise est un thème martelé par nos gouvernants, et la série de qualificatifs « rentabilité », « efficience », « concurrence », « soins réduits à un produit », « clientèle », « consommateurs », « prestations », « gestion », « traçabilité », « contrôle qualité », « management » en témoignent.
67Un vocabulaire nouveau promu par l’idéologie libérale essaime pour nous conforter dans cet amalgame à dénoncer car relevant d’un contre sens historique.
68L’hôpital, établissement public de santé, ne répond à aucun des critères économiques admis par tous de l’entreprise mais à ceux de « la loi du service » l’égalité et la solidarité. La différentiation des activités publiques et privées est à préserver et non leur décloisonnement.
69La finalité de l’entreprise, c’est l’argent, la rentabilité, la création de bénéfices qui servent l’intérêt d’actionnaires. Le profit du service public est un gain collectif, c’est-à-dire dans l’intérêt de tous, qui s’évalue en terme d’un service rendu. Dans une entreprise, l’écart entre ce que ça rapporte (les revenus) et ce que cela coûte (charges, salaires, produits) en délimite la plus-value ; pour nous, soignants, la plus-value c’est l’amélioration clinique, voire la guérison.
70La dynamique d’une entreprise, c’est donc de réduire les coûts, tout en préservant la qualité (puisqu’elle est placée dans un système concurrentiel). C’est le principe de fonctionnement de cliniques à but lucratif souvent organisé en chaînes : ce fonctionnement financier est rendu possible par des compressions de personnels et la sélection de malades au regard d’indicateurs de rentabilité.
71La souplesse, le dynamisme, mais au prix de la précarisation des statuts, la gestion médicale de ces établissements peuvent faciliter une qualité de soins.
72Ensembles monodisciplinaires, parfois de haut niveau de technicité, certaines cliniques sont à même d’attirer les patients et également des médecins de CHU dont des universitaires, lassés de la pesanteur administrative et technocratique et de la lourdeur de la réglementation rencontrée dans leur exercice public antérieur. Nous avons choisi l’exercice à l’hôpital… et maintenons ce choix.
73Positionner l’hôpital comme une entreprise relève d’une contre-vérité.
74La charité, la compassion, la philanthropie, les soins aux exclus indifférenciés, les léproseries, les hospices pour indigents et les congrégations religieuses hospitalières (au service des malades et des nécessiteux) sont les bases du fonctionnement des premiers établissements hospitaliers, les hôtels-Dieu. C’est dans la continuité de la charité, puis de l’assistance en particulier aux aliénés dérivée de la loi de 1838 que s’édifie l’hôpital. Aux valeurs religieuses s’agrégeront les laïques issues de l’égalité républicaine et à l’après guerre celles des services publics nationaux (constitution de décembre 1958) régis par les principes de continuité, d’égalité, de neutralité et plus inconstamment de gratuité. La charité s’est professionnalisée et les soignants ont une formation, des statuts, des rémunérations et carrières indexées au niveau européen. Les dispensaires d’hygiène mentale relayés par les CMP distribuent ces soins gracieux au nom d’un des cinq fléaux sociaux, la maladie mentale, isolés par les ordonnances de 1945. L’assistance se transmue au fil des progrès de l’hygiène, de la médecine et de la chirurgie en soins de qualité pour tous. La réforme de 1958 portant création des CHU, la circulaire de mars 1960 sur le Secteur, les grandes lois hospitalières de 1970 et 1991 structurent l’hôpital moderne et favorisent son essor, « l’âge d’or de l’hôpital public », avant d’en entrevoir le déclin.
75Le soin a un coût ! Nul ne l’ignore mais cet aspect financier est la conséquence et non la cause de notre institution (inversant la logique par rapport au privé lucratif). Il ne faut pas confondre rationalisation des structures et de leur fonctionnement et pur rationnement !
76Le soin n’est pas un produit mais un processus, il n’est pas un objet commercial, standardisé, codifié par une procédure mais le résultat d’une opération complexe (qui touche aux ressorts de l’humain), d’un changement physique ou psychique qui se déroule dans une temporalité celle de la rencontre soignant-soigné d’où émerge l’acte thérapeutique. Avoir le souci de l’autre, être attentif à ses attentes, ses besoins, l’amener à un mieux-être, à une stabilisation est en décalage avec produire des normes.
77La médecine est une pratique du singulier, un art, est non une technique protocolisable, standardisable aboutissant à un « produit fini » reproductible.
Conclusion
78Avant de proposer en force des réformes structurelles encore faut-il au préalable analyser les causes du malaise. Des éléments qui précèdent peuvent être mis en perspective : nous avons rappelé les fondements traditionnels de l’hôpital, la charité chrétienne, la philanthropie, valeurs auxquelles il convient d’ajouter l’autorité médicale et technique de l’aliéniste puis du psychiatre liée à ses compétences et aux garanties morales et éthiques qu’implique son exercice.
79Qu’en est-il aujourd’hui ? L’hôpital comme l’école sont les révélateurs des mutations sociétales. L’affaissement des croyances religieuses, des idéaux, la valorisation du droit sur le devoir et du consumérisme facilitent une culture individualiste, l’intérêt personnel soit le chacun pour soi. À la philanthropie laïque portée par les valeurs solidaristes du service public nous sont opposées les vertus du marché, de la concurrence, de la rentabilité le soin-produit, l’intéressement (la part variable, le statut contractuel).
80À l’autorité médicale reliée à la clinique et à la pratique auprès des patients et des équipes, nos gouvernants veulent substituer le dirigisme d’État et l’autoritarisme d’un directeur « patron » dont la légitimité reposerait sur l’équilibre financier de l’établissement !
81Ces énoncés signent un bouleversement de culture et de valeurs, un contresens d’appréciation car les réformes en cours ne sont porteuses d’aucun crédit, d’aucun projet collectif à même de relancer la confiance, le désir et l’espoir pour les patients, leurs familles et les équipes en charge du soin. Le mal-être constaté naît de l’écart grandissant entre le réel de la pratique et l’idéal soignant malmené. La pression des demandes en intra, en extra, l’accroissement des files actives facilitent une clinique réduite à la gestion des comportements, des médicaments, ce qui ne nuit pas à la codification des actes mais à la « qualité des soins ».
82Un indice de la fin de l’Empire romain est attesté par le fait que les prêtres dépassés par le polythéisme grandissant ne se prenaient plus au sérieux et s’en amusaient lors de leurs rencontres ! Hormis notre responsabilité soignante personnelle auprès des patients qui nous sont confiés et de leurs familles, reconnaissons qu’une bonne partie de notre activité est marquée du sceau du semblant, de l’insignifiance, du dérisoire que la certification des établissements exemplifie, ce dont nous convenons et nous plaignons régulièrement entre nous. Cette perte dans la crédibilité et le sérieux d’une part de nos fonctions annonce la décadence de l’hôpital public. Si ce mot n’est pas employé, celui de déclin l’est et le sondage récent effectué auprès de cent quarante professeurs de médecine en témoigne [8] ; la décadence antonyme de la croissance, du progrès, de l’épanouissement n’est pas loin et nous ne ressentons pas une volonté politique de refondation de l’hôpital public malgré les cris d’alarme qui résonnent !
83A. Comte-Sponville précise que les ordres qu’il a délimité « peuvent aller dans la même direction, soumis qu’ils sont à des principes de structuration interne différents et indépendants… Ce sont des moments de bonheur » (p. 115).
84Nous avons connu avec le Secteur ces moments de grâce (de 1970 à 1996 ?) par convergence de la praxis tendue par la morale et l’éthique et de la volonté politique du moment. Et depuis ? La complexité, l’incertitude et la perte de sens ont mis à mal cette cohérence. À qui la faute ? Qui en porte la responsabilité ? Il y a des facteurs contingents externes à notre exercice mais aussi de la responsabilité de chacun d’avoir soutenu ce projet qui comporte, un engagement individuel et une part d’utopie.
85Comment utiliser notre contribution opérée à partir de la logique d’ordre, dans la confrontation présente avec notre Ministère de Tutelle et l’autorité publique ?
86Le premier intérêt est de clarifier le discours qui nous est opposé, de mettre à nu les différents niveaux et ordre des affirmations.
87Le second est une confirmation de la pertinence de la ligne développée par le SPH et plus précisément dans la période récente et dont rend compte l’éditorial de novembre 2004 de J-C Penochet [9]. Nous faisons état à l’opposition tranchée et déterminée à la gouvernance, au projet de loi HPST, au rapport Couty, aux dérives sécuritaires indignes qui activent les « figures de la peur » (Y. Hémery).
88Isoler des ordres de discours c’est aussi identifier notre place d’acteur, nos références médico-techniques, notre expérience et s’y tenir en se dégageant de toute tentation de compromission, collaboration avec le pouvoir en place, les langages mélangés ou une stratégie d’adaptation de notre discours à celui de l’autre méchant. Chacun à sa place et dans son ordre.
89Il apparaît important et c’est un sujet qui peut faire débat entre nous, de ne pas s’écarter de notre argumentaire de cliniciens, de praticiens les mieux à même de penser la psychiatrie comme discipline autonome et d’élaborer les conditions de son organisation, c’est-à-dire l’hôpital public, le service public, le secteur.
90Les dérives morales, politiques, ou même éthiques ont moins de pertinence et de poids, car elles sont marquées du sceau de la confusion des rôles ici en l’occurrence de l’angélisme attitude « déplacée » qui n’échappe pas à nos interlocuteurs.
Notes
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[*]
<georges.jovel@wanadoo.fr>
Psychiatre des hôpitaux, EPSDM de l’Aisne, 02320 Prémontré -
[1]
Cette comparaison attribuée à un député témoigne d’une classique intoxication par le signifiant. À force de parler de pilotage de l’hôpital ou d’établissement sans pilote (Pluriels 2009 ; 78 : 7), on en vient à cet effet de contamination par l’aéronautique.
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[2]
In : Rey A. Dictionnaire culturel en langue française. Paris : Le Robert.
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[3]
Trémine T. Revoir l’organisation des soins. L’Information Psychiatrique 2009 ; 85 : 3-8.
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[4]
Baruk H. Des facteurs moraux en psychiatrie. La personnalité morale chez les aliénés. L’Évolution psychiatrique 1939 ; 2 : 3-38.
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[5]
On peut s’interroger sur la légitimité de la HAS pour entériner une telle « prescription » hors champ de compétence (tyrannie niveau II à niveau I).
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[6]
C’est un constat assez amer : on observe en une génération une dévalorisation des pratiques en prise directe avec le patient et qui faisaient leur noblesse. La logique s’est inversée en faveur d’activités impliquant une part gestionnaire, administrative ; le ratio temps soignant/temps global des personnels ne fait que s’appauvrir !
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[7]
L’idée même d’un contrat contraint est un non-sens : c’est pourtant ce que l’on vit à la faveur du pouvoir pris par l’ARH auprès de directeurs d’établissements et qui les amène à signer des contrats léonins dans un déni de démocratie.
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[8]
67 % répondent en effet que « leur établissement paraît en déclin ». Un effrayant gâchis. Enquête du Nouvel Observateur, N° 2322, du 7 au 13 mai 2009, p. 15, 16.
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[9]
Penochet JC. Nouvelle gouvernance : un traitement autoritaire pour achever l’hôpital public ? L’Information psychiatrique 2004 ; 80 : 705-6.