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Article de revue

1958 : expérience d'introduction de psychothérapies dans un service fermé (suite). Collaboration des médecins des hôpitaux psychiatriques et de médecins de médecine générale dans les soins à donner à leurs malades

Pages 787 à 790

Notes

  • [1]
    Cet exposé est le texte d’un rapport présenté à la séance des Commissions des maladies mentales du 26 novembre 1957 et dont on a pu lire le compte rendu de la discussion dans notre numéro de juin 1958 (page 566).

I – Textes

1Les textes réglementant le fonctionnement des asiles d’aliénés, rebaptisés ou non hôpitaux psychiatriques, sont d’une particulière discrétion sur l’activité thérapeutique des médecins de ces établissements.

2L’art. 58 du Règlement modèle de 1857, repris par l’art. 72 du Règlement modèle de 1938, indique : « Le médecin remplit, sous sa responsabilité, toutes les obligations imposées aux médecins des établissements d’aliénés par la loi du 30 juin 1838. » (Ce texte lui-même est remarquablement discret sur les obligations du médecin, si l’on excepte la rédaction de certificats ; il est, cependant, juste de reconnaître que l’art. I prévoit que les établissements d’aliénés sont « destinés à recevoir et à soigner » cette catégorie de sujets.)

3L’art. 59 du Règlement modèle 1857 ajoute « il règle le mode de placement, de surveillance et de traitement des aliénés » ; l’art. 78 du R.M. 1938 « le médecin règle la thérapeutique et a, seul, qualité pour prescrire les bains et douches de traitement ».

4Une exception est, cependant, prévue dès 1857. Art. 73 : « Le traitement des maladies chirurgicales est confié au chirurgien. » On retrouve le même libellé à l’art. 88 du R.M. 1938. Encore doit-on remarquer que le Règlement de 1857 organise assez sérieusement le service de ce chirurgien dont les fonctions se sont estompées quatre-vingts ans plus tard.

5En 1938 apparaît la notion de « spécialistes » (nommés par le préfet sur une liste de présentation dressée par le directeur, après avis des médecins et de la commission de surveillance). Mais aucun texte ne vient préciser les conditions de leur activité.

6De cette revue sur des dispositions laconiques on doit conclure que le médecin d’hôpital psychiatrique est chargé de la totalité des soins médicaux que requiert l’état des aliénés placés dans son service, et que dans les hôpitaux qui ont usé de la faculté de créer des postes de spécialistes il peut avoir recours à leur avis, dans les formes qui ont été fixées par les dispositions locales instituant l’activité de ces praticiens.

II – Évolution de la pratique et de la doctrine

a – Pratique

7Les premiers médecins d’asile furent des médecins sans spécialisation particulière, dont l’activité médicale essentielle consistait dans les soins des affections intercurrentes. (On sait que ce n’est qu’en 1940 que des titres de spécialisation furent requis des aspirants aux fonctions de médecin de quartier d’hospice.)

8Les épreuves du Médicat des hôpitaux psychiatriques comportent une composition écrite sur un sujet de pathologie interne ou d’hygiène hospitalière.

9Dans la conception traditionnelle des fonctions de médecin d’asile, celui-ci est, au moins, autant le médecin somaticien et l’hygiéniste d’une collectivité de sujets tarés que le spécialiste chargé de la thérapeutique des désordres mentaux. Nous avons connu et connaissons encore des médecins extrêmement jaloux de donner eux-mêmes les soins somatiques à leurs malades. (Il est juste de dire aussi que plus nombreux sont les collègues laissant à peu près tout le travail de médecine somatique courante à leur interne.)

10Cependant, le recours « au spécialiste » s’est considérablement développé depuis le début du siècle et dans la mesure même de l’intérêt que le médecin portait aux problèmes somatiques de ses malades on a vu naître la revendication de consultations organisées.

11Tantôt il s’agit de consultations de spécialités annexes telles qu’otoneuro-ophtalmologie, voire la neurologie.

12Tantôt il s’agit de consultations de spécialités médicales : pneumophtisiologie, dermatologie, etc.

13Enfin, dans certains établissements une tolérance a été accordée au médecin que la direction autorisait à appeler de temps en temps en consultation individuelle tel ou tel confrère local auprès malade dont l’état semblait nécessiter un tel recours.

14Mais il faut reconnaître que cette pratique est encore fort rare et qu’elle peut se heurter au veto des autorités financières qui objecteraient, à juste titre, qu’aucun texte ne les autorise à verser les honoraires d’un consultant.

15Une mention toute particulière doit être faite à une discussion qui s’est déroulée à la commission des maladies mentales, mais non rapportée dans le procès-verbal, au cours de laquelle le Dr Aulaleu a bien voulu indiquer qu’il considérait comme applicables aux hôpitaux psychiatriques des dispositions du Règlement modèle des sanatoriums publics qui prévoient que le médecin de l’établissement peut appeler en tout temps le consultant de son choix dont l’avis lui paraît indispensable pour prescrire les soins adaptés à son malade. Si cette déclaration avait été consignée, et mieux encore consacrée par un texte ayant valeur contraignante, le présent rapport serait inutile.

16***

17Cependant, dans le cadre de l’hôpital psychiatrique conçu et réalisé par E. Toulouse sous la dénomination d’hôpital Henri-Rousselle fut prévu un poste permanent de consultant de médecine générale, confié à un praticien dont l’activité était prévue comme quotidienne et régulière.

18Dans un ordre d’idée très différent existent, depuis de longues années, des postes de médecins généralistes auprès de certains établissements privés faisant fonction d’asiles publics. L’analyse de cette situation permet, cependant, de considérer cette pratique comme très originale : les congrégations propriétaires se tiennent pour seules responsables du sort des malades qui leur sont confiés. Certaines d’entre elles ont donc jugé que pour soigner les malades, elles devaient pouvoir s’adresser, selon que le malade leur paraît devoir relever de soins physiques ou de thérapeutiques psychiatriques, tantôt à un généraliste, tantôt à un psychiatre. C’est pourquoi elles se sont attachées à la fois la personne de l’un et de l’autre, qu’elles utilisent comme une famille a recours à tel praticien généraliste ou spécialiste de son choix. C’est ainsi que jusqu’à un passé très récent, dans de tels établissements, les médecins n’avaient pas un service attitré et étaient appelés par l’autorité congréganiste indifféremment auprès de tels ou tels malades d’un même pavillon.

19Il va de soi qu’au gré de l’évolution les situations locales se sont développées de façon variable. Dans certains cas existent ici de vrais services psychiatriques où l’autorité médicale est presque reconnue et établie, et dans le cadre desquels le généraliste est appelé à une collaboration féconde.

b – Réflexions sur la collaboration du psychiatre et du médecin généraliste

1 – Aspect juridique de droit commun

20Force est de rappeler que la neuropsychiatrie est tenue, par l’Ordre des médecins, avec l’approbation des pouvoirs publics, comme une spécialité exclusive. C’est dire que l’Ordre et les pouvoirs publics admettent que la plupart des neuropsychiatres se doivent de limiter leur activité aux soins des malades neurologiques et psychiatriques, laissant au généraliste la responsabilité des soins d’affections autres que celles du système nerveux.

21Cependant, la doctrine française, en matière de médecine, postule la compétence de tout docteur en médecine pour toute intervention médicale, quelle qu’elle soit, et c’est là un élément essentiel du problème.

2 – Aspect concret en fonction de l’évolution actuelle

22Il n’est pas d’homélie officielle émanant d’un médecin ou d’un laïc, qui n’affirme depuis des siècles l’existence de progrès exceptionnels de la connaissance médicale dans les années récemment écoulées. Erreur d’optique consolante de tous les temps.

23Mais il semble, cependant, que l’époque que nous vivons fasse exception par le fait que cette clause de style se trouve coïncider avec une réalité singulièrement prégnante.

24Il est facile de constater que telles descriptions de maladies qu’on pouvait réécrire en 1930 en paraphrasant Trousseau (1801-1867) ont aujourd’hui perdu toute actualité, toute réalité, et n’offrent plus qu’un intérêt historique. Non seulement les techniques d’observation se sont modifiées, mais les faits observés eux-mêmes ont changé profondément sous l’influence de conduites, en particulier, de conduites thérapeutiques nouvelles.

25Ce phénomène se développe dans le double domaine de la pathologie générale et de la psychiatrie. Je reconnaîtrais volontiers que les progrès en cette matière sont moins spectaculaires et que leur présentation fait l’objet d’une illusion inflationniste. Cependant, l’apparition de nouvelles techniques, tant thérapeutiques que d’exploration, requiert du spécialiste un effort continuel de vigilance et d’assimilation.

26Nous avons tous connu, il y a vingt ans, d’excellents psychiatres qui affirmaient « ne plus lire » et conserver les méthodes thérapeutiques de leur jeunesse. Il ne saurait en être de même aujourd’hui et l’on pourrait facilement énumérer des techniques dont l’apprentissage requiert un effort continuel.

27En même temps, l’activité du service, stimulée par l’utilisation de ces pratiques, mobilise plus que jamais, au sens plein du mot, une grande partie de l’attention du médecin, ne lui laissant que très peu de temps pour l’indispensable travail d’information.

28Mais il est facile de constater qu’une révolution analogue se développe dans le domaine de la pathologie générale et les diverses branches de la médecine. Je reconnais volontiers qu’il est infiniment souhaitable que le psychiatre conserve un contact étroit avec une pensée biologique qui ne se limite pas au domaine de la vie mentale.

29Cette exigence est absolue pour tout spécialiste qui se veut capable de réflexion valable sur l’objet de son étude. Elle l’est tout autant dans une perspective plus pratique.

30Mais le médecin d’hôpital psychiatrique se trouve cruellement sollicité par l’obligation d’être au courant de l’évolution de la psychiatrie.

31Il serait tentant de soutenir le paradoxe de la plus grande nécessité d’une culture endocrinologique pour le psychiatre que d’une connaissance du Rorschach et de l’encéphalographie. En fait, le psychiatre qui en jugerait ainsi ne tarderait pas à redevenir un pur aliéniste.

32Et, cependant, chaque jour, dans un service ayant un mouvement d’entrants important, arrivent des malades sortant de services médicaux divers et posant au responsable nouveau de leur sort des problèmes thérapeutiques nouveaux. Le maniement de drogues nouvellement utilisées, la mise en œuvre de techniques de soins nécessitent une information que le psychiatre ne peut posséder. Sans doute l’immobilisme des services centraux de la pharmacie lui fournirait-il une excuse à l’abstention, la compréhension et le courage des titulaires locaux des officines la lui ôtent heureusement pour la vie des hospitalisés.

33Ainsi se trouve posée une contradiction particulièrement délicate dont on retrouve la trace dans la vie quotidienne. Jusqu’à un passé récent, chacun de nous traitait les affections médicales courantes de ceux des membres du personnel logé qui se confiaient à lui. Aujourd’hui, lorsqu’une telle demande nous est présentée, nous préférons la décliner (et réserver notre compétence partielle à nos malades !).

3 – Remèdes envisagés

34Deux ordres de remèdes peuvent être envisagés à cette situation :

  • organisation d’un enseignement, ou tout au moins d’une information complémentaire de pathologie générale pour les médecins des hôpitaux psychiatriques ;
  • organisation du recours à des consultants généralistes.
Pour si intéressante et indispensable que soit la première de ces solutions, elle ne peut permettre une efficacité rapide. Seule, la seconde peut porter des fruits immédiats et fournir aux malades les soins qu’ils sont en droit d’attendre. Par ailleurs, on ne saurait minimiser la valeur formative, pour le médecin, du recours au consultant, facteur de culture pratique que ne donne pas la meilleure information par livre où conférence.

III – Examen de solutions pratiques

35À l’étranger, en Angleterre, aux U.S.A., dans un certain nombre d’hôpitaux existent, depuis de longues années, des consultations généralistes.

36Dans d’autres pays ont été instituées des consultations de médecine générale ou de diverses spécialités médicales. On sait que c’est le système partiel qui fonctionne, soit dans les hôpitaux psychiatriques de la Seine, soit dans divers centres hospitaliers.

37La pratique de la consultation à jour fixe soulève des problèmes délicats. Il est exceptionnel que le psychiatre y assiste, les relations médecin et psychiatre s’établissent par correspondance laconique, souvent difficilement lisible. Elles ne permettent pas de résoudre la totalité des problèmes. En tout cas, de nombreux cas où la consultation ne peut se faire qu’au lit du malade et ne peut attendre une échéance de périodicité, souvent fantaisiste, ne peuvent trouver là leur solution adéquate.

38Ainsi doit-on s’orienter vers un système plus souple :

39a) Nomination, dans les grands centres médicaux, d’un médecin généraliste de valeur, tenu de procéder à une visite quotidienne à l’hôpital.

40Ce médecin doit disposer d’un bureau et d’une salle d’examen où les malades transportables lui seront présentés.

41Il doit pouvoir, sur appel du psychiatre, se rendre avec lui au chevet des sujets qui nécessitent son conseil.

42Dans les très grands hôpitaux il serait, sans doute, concevable qu’un pavillon spécial soit aménagé, dont ce médecin pourrait avoir la charge ; toutefois, l’expérience de telles organisations qui éloignent le malade du psychiatre, que ses obligations retiennent dans son propre pavillon, me rend très réservé, pour ne pas dire hostile, à cette solution.

43En tout état de cause, et puisqu’il s’agit de malades mentaux, les divers traitements doivent être finalement prescrits par le psychiatre qui doit garder la responsabilité totale du malade.

44Restent, dans ce cadre, divers problèmes à résoudre par l’Administration :

45La désignation de ce médecin doit être spécialement étudiée. Il importe, en effet, qu’on ne saisisse pas cette occasion de donner une, prébende à un médecin sans clientèle, mais politiquement bien en cour.

46Dans un très grand centre, et particulièrement dans la Région Parisienne, un jeune médecin des hôpitaux, non encore pourvu de service, semble être le titulaire donnant les meilleures garanties. Dans des centres moyens il convient de fournir au titulaire une rémunération suffisante pour constituer une obligation d’activité.

47Je suis personnellement fort partisan d’un certain changement dans la personne du titulaire.

48Un concours sérieux, sur titre et sur épreuve clinique, aux épreuves duquel participeraient obligatoirement les médecins de l’hôpital, devrait être organisé.

49Ces diverses propositions devraient être révisées dans le cas où l’Administration envisagerait une extension de la structure hospitalière générale aux hôpitaux psychiatriques.

50b) Réglementation permettant l’appel d’un médecin généraliste par le médecin des H.P. d’un établissement peu important. Il semble qu’en cette matière l’adoption pure et simple de la pratique des sanatoriums publics est la formule la plus souple et la plus satisfaisante. Il conviendrait, toutefois, de prévoir un taux de remboursement plus élevé que le simple V, ou même V2. L’Administration doit être consciente du fait que cet appel a le caractère d’une consultation exceptionnelle, comportant non seulement l’examen du malade mais un contact antérieur, suivi de relations secondaires entre médecin et consultant.

Propositions

51Adjonction d’un article au Règlement modèle :

52Le médecin, chef de service, est responsable de la thérapeutique appliquée au malade. Il doit faire appel, chaque fois qu’il le juge nécessaire, aux avis compétents des consultants qu’il croit utiles, pour diriger le traitement de chaque malade.

53Dans les hôpitaux de plus de. lits il doit exister un médecin consultant de médecine générale, tenu de visiter l’hôpital chaque jour, pour y examiner, à la demande des médecins chefs de service, les malades qui lui sont présentés, soit à son cabinet, soit au lit de chacun d’eux.

54Dans les hôpitaux de moins de. lits le médecin-chef de service doit faire appel au consultant qu’il juge nécessaire. Cette consultation sera honorée par l’établissement au tarif de V4, majoré de l’indemnité horokilométrique éventuelle, sur mémoire contresigné du médecin-chef de service auteur de l’appel.


Date de mise en ligne : 15/11/2012

https://doi.org/10.1684/ipe.2008.0382

Notes

  • [1]
    Cet exposé est le texte d’un rapport présenté à la séance des Commissions des maladies mentales du 26 novembre 1957 et dont on a pu lire le compte rendu de la discussion dans notre numéro de juin 1958 (page 566).

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