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Article de revue

Troubles anxieux : diversité des approches théoriques

Pages 775 à 780

1Raymond est un homme de 53 ans suivi pour troubles anxieux, présentant comme antécédents somatiques un glaucome et un carcinome cutané. Sur le plan psychiatrique, on note un antécédent de tentative de suicide médicamenteuse et des conduites de consommations éthyliques périodiques depuis l’âge de 20 ans. Les hospitalisations psychiatriques sont nombreuses tant à l’hôpital qu’en clinique. Par ailleurs, Raymond est suivi en psychothérapie depuis 12 ans.

2Sur le plan biographique, ce patient est marié et a 2 enfants : un fils de 24 ans, étudiant en biologie et une fille de 22 ans, infirmière. Il est le troisième d’une fratrie de 4, ses parents sont décédés. Il exerce le métier d’enseignant et est actuellement en congé longue maladie. Son travail ne lui aurait jamais plu et il aurait tenté de se reconvertir mais sans succès.

3Les hospitalisations de Raymond sont fréquemment contemporaines de moments d’angoisse. Il fait alors part de ruminations morbides, d’allégations suicidaires pesantes non apaisées par le suivi ambulatoire. Les propos parfois évoquent un passage à l’acte imminent. Raymond passe beaucoup de temps à se raconter, il est sensible à la réassurance. On note parfois des moments de colère ou de dérision. La prise en charge est souvent mise en échec, le contexte des hospitalisations peut être lié à un nonrenouvellement de congé maladie, à une crise conjugale, à l’angoisse à l’idée d’être seul, à des lamentations sur son avenir, à un découragement lié à des événements somatiques. Il peut alors égrener ses craintes du handicap, focaliser sur ses multiples identités de cancéreux, d’aveugles, de dépressif et d’alcoolique potentiel. La vie en dehors de l’hôpital peut alors lui paraître insupportable.

4Des décompensations fréquentes apparaissent en réaction à une réalité sévère concernant sa santé. On note des moments d’effondrement dépressif en l’absence d’étayage. L’aspect démonstratif des troubles et la tendance à la dramatisation sont importants. L’usage de l’hospitalisation sur le plan psychique apparaît très économique, parfois dans le bénéfice secondaire. Le travail d’engagement dans le soin est difficile. Raymond n’a de cesse d’attendre de l’autre une réponse à sa souffrance. Cependant, à la faveur d’un traitement anxiolytique et antidépresseur et d’une prise en charge soutenue en centre médicopsychologique, les hospitalisations se feront plus rares.

5Sur le plan diagnostique, dans une perspective psychodynamique, les troubles anxieux se produisent ici sur une personnalité névrotique et les épisodes d’aggravation thymique surviennent dans un contexte de faillite narcissique. En référence au DSM4, on évoquera sur l’axe 1 à la fois une anxiété généralisée et un trouble dysthymique alors que, sur l’axe 2, on parlera de personnalité histrionique et dépendante.

Introduction

6À travers ce cas clinique, nous avons choisi d’aborder le thème des troubles anxieux qui constituent aujourd’hui une véritable maladie de civilisation. L’anxiété, dont nous donnerons la définition, donne lieu actuellement à de nouveaux découpages nosographiques.

7Nous commencerons par nous attacher à l’anxiété chronique. Le cas clinique présenté en donne une illustration. Il s’agira d’évoquer le trouble anxieux généralisé tel que le DSM l’envisage, c’est-à-dire selon une approche essentiellement descriptive à partir de critères diagnostiques et de symptômes.

8Nous aborderons ensuite diverses conceptions étiologiques concernant ces troubles anxieux, notamment les conceptions biologiques et comportementales. Dans un second temps, nous verrons que ces troubles peuvent être envisagés selon une autre approche : on constate en effet que l’anxiété est fréquemment associée à des troubles de la personnalité. Cela renvoie à une approche structurelle de la personnalité, et notamment aux névroses dont la cohésion conceptuelle tient aux approches psychodynamiques de la psychanalyse. L’anxiété est constante dans les états névrotiques. L’influence de la psychiatrie anglo-saxonne, avec le DSM3 en 1980, aboutira à l’éclatement nosographique des névroses et à une critique radicale de ce concept. En prenant l’exemple de l’hystérie tel que le cas clinique le suggère, nous étudierons l’évolution de ce concept de névrose dans le temps comme dans la symptomatologie.

9Pour conclure, nous essaierons de faire des liens entre les diverses approches étiologiques ou conceptuelles que nous aurons abordées au cours de ce travail.

Anxiété et névrose

Définition

10L’angoisse, l’anxiété ne sont ni vraiment des sentiments ni vraiment des émotions, ce sont des affects, en raison de leur caractère diffus. Ces affects sont pénibles, désagréables, douloureux. Leur caractère essentiel est leur obscurité apparente : leur origine, leur source, leur cause demeurent inconnues à la conscience, ce qui accroît leur caractère oppressant. Ce sont des peurs sans objet apparent [8].

11L’angoisse et l’anxiété désignent surtout une réaction à quelque chose qui vient du dedans et non plus à un danger situé à l’extérieur, dans la réalité [3]. C’est une réaction ubiquitaire qui existe chez l’homme normal et qu’on rencontre à des degrés variables dans tous les états pathologiques, aussi bien dans la pratique médicale somatique que dans le domaine psychiatrique. On la qualifie de pathologique lorsque la souffrance du sujet l’amène à la ressentir comme telle, du fait de son intensité, de sa durée ou de l’incapacité où il se trouve de la tolérer, de l’utiliser ou de s’en défendre [5].

12Classiquement, l’angoisse renvoie aux réactions du corps viscéral, l’anxiété aux réactions strictement psychiques. Mais l’un et l’autre des termes peuvent être utilisés indifféremment. Pour Kierkegaard, philosophe, l’angoisse est inéluctablement liée à l’existence humaine et à la liberté d’opérer des choix. Elle résulte de cette tension du sujet entre l’attirance et le rejet. Pour l’homme, l’angoisse est ainsi la rançon de sa liberté. L’angoisse normale éclaire l’esprit et le pousse vers la création. L’angoisse pathologique, elle, l’entrave dans sa pensée et ses actions et menace de l’anéantir [14].

13Bergeret distingue quant à lui trois types d’angoisse : l’angoisse de castration, l’angoisse de morcellement et l’angoisse de séparation renvoyant respectivement aux névroses, aux psychoses et aux états limites [3].

Théorie biologique

14Les structures anatomiques en jeu dans l’anxiété concerneraient essentiellement le diencéphale, le système limbique et septohippocampique avec l’amygdale. L’utilisation des médicaments dans l’anxiété repose aussi sur des hypothèses biologiques, elles concernent certains récepteurs particuliers (complexes GABA et récepteurs aux benzodiazépines) et sur les expérimentations d’autres systèmes représentés par le jeu des monoamines cérébrales, notamment de la sérotonine et de la noradrénaline [14].

15À cela, on peut ajouter la théorie périphérique des émotions, c’est-à-dire une excitabilité nerveuse périphérique accrue, notamment du système nerveux sympathique. Des théories génétiques sont également à évoquer.

Approche cognitivocomportementale

16Selon cette approche des troubles anxieux, l’interprétation catastrophique de ses symptômes somatiques entraîne le patient dans un cercle vicieux. Pour les comportementalistes, le symptôme névrotique est un comportement appris et mal adapté. L’accent est mis sur le conditionnement névrotique, c’est-à-dire sur les réponses d’anxiété et de comportements régressifs présentés par l’animal conditionné dans des situations expérimentales qui le déroutent.

17L’apport cognitiviste pose comme hypothèse relative au conditionnement le fait que, pour des raisons probablement d’origine cognitive, les différents symptômes somatiques ressentis par le patient font l’objet d’une interprétation catastrophique. Cette interprétation pathologique est source d’une anxiété qui, elle-même, va aggraver les symptômes somatiques et entraîne un cercle vicieux qui, par moments, peut culminer en un état de panique incoercible [2].

18Notre cas clinique évoque ces situations d’interprétation catastrophique. Ne parle-t-on pas de réactions anxieuses liées aux événements somatiques, de craintes du handicap, de lamentations sur l’avenir pouvant aller jusqu’au vécu insupportable de la vie ? Cliniquement, cela renvoie à l’anxiété chronique, ou trouble anxieux généralisé, tel que le dénomme le DSM. Il s’agit d’un état de tension intérieure pénible, une attitude de doute et un sentiment d’insécurité durable. L’appréhension permanente ne se fixe sur aucun élément précis mais peut s’exacerber dans des circonstances variables et indifférenciées : ruminations négatives, majoration du moindre souci, interrogations pessimistes sur l’avenir. L’anxiété entraîne souvent une gêne importante de la concentration et rend difficile et éprouvante toute activité mentale prolongée. Elle s’accompagne d’une hyperactivité émotionnelle, de troubles du sommeil, d’une certaine asthénie et de symptômes somatiques. Il existe une souffrance cliniquement significative ou une altération du fonctionnement social, professionnel ou d’autres domaines importants [5]. À ce moment de l’exposé, on peut dire que les troubles anxieux se manifestent par trois types de réponses :

  • les réponses physiologiques qui comprennent les traductions physiques de l’anxiété ;
  • les réponses biocomportementales qui associent les notions d’hypo ou d’hyperfonctionnement de l’axe corticotrope à des comportements de fight or flight qui correspondent à une fonction d’adaptation brutale et grossière d’orientation vers la fuite, l’inhibition ou l’attaque ;
  • les réponses cognitives qui comprennent les pensées automatiques tournant autour d’un nombre limité de thèmes, de postulats regroupés en schémas. Les perturbations psychologiques viendraient en partie d’une vulnérabilité biologique résultant de prédispositions héréditaires et d’un couplage d’informations acquises lors d’expériences personnelles avec les propriétés du système nerveux central. Ce couplage aboutit à la constitution de schémas qui vont sélectionner et interpréter les événements qui ont lieu dans l’environnement [2].

Anxiété et troubles de la personnalité

19Comme nous l’avons dit en introduction, une autre façon d’aborder l’anxiété se fait jour à partir de cette constatation que les troubles anxieux surviennent fréquemment sur des personnalités dites pathologiques. L’organisation de la personnalité est en effet inhérente à un mode de fonctionnement particulier, ce qui permet de faire un diagnostic structurel [11]. Les capacités d’élaboration, les capacités de mentalisation dépendent essentiellement du mode d’organisation de la personnalité.

20Nous avons également dit que l’anxiété est constante dans les états névrotiques. Ce concept de névrose fonde son unité sur une approche dynamique du fonctionnement mental : la névrose, selon Freud, est une maladie globale de la personnalité impliquant tout à la fois la présence de symptômes et d’une organisation pathologique du caractère. L’anxiété, dans ces états névrotiques, se réfère à la culpabilité, à la punition et à la crainte. Le point de départ de l’élaboration freudienne est un modèle simple, celui des névroses actuelles, où l’angoisse est interprétée comme un surcroît de tensions psychiques liées à un désordre de la vie sexuelle actuelle. Ce qui est considéré comme pathogène est la carence de mentalisation de l’excitation somatique court-circuitant la symbolisation et le langage [14].

21D’ailleurs, pour Lacan, l’angoisse est angoisse de l’innommable et elle surgit lorsque l’expérience ne peut être mise en mots. À ce premier modèle de l’angoisse-tension, succède celui des psychonévroses de défense, construit à partir de l’hystérie, et qu’il relie à des conflits sous-jacents issus de l’histoire infantile du sujet. Les symptômes y sont l’expression symbolique de ces conflits. Le conflit intrapsychique inconscient peut toujours se résumer à une opposition entre le principe de plaisir qui recherche l’abaissement des tensions par la satisfaction de la pulsion et le principe de réalité qui y fait obstacle. L’élaboration d’un compromis par le moi du sujet entre les exigences du ça « réservoir » des pulsions et celles de la réalité ne permet qu’une satisfaction partielle au prix d’une anxiété dont l’intensité reste en rapport avec celle du conflit [14].

22Le développement de l’angoisse conduisant à l’état de détresse correspond à une faillite du moi. L’étude de la théorie psychanalytique de l’angoisse conduit ainsi à proposer une séparation entre l’angoisse mentale qui est un affect lié à des représentations mentales sans manifestations viscérales et l’angoisse somatique ou tension physique qui se décharge par les voies classiques (réactions viscérales, endocrinométaboliques et motrices automatiques). Cette angoisse somatique ne se manifeste pas dans le moi et signe même sa défaillance. Ce n’est pas un affect et elle n’est pas représentée. Elle peut surgir de façon habituelle dans les névroses actuelles [3].

23Notre cas clinique ne semble pas relever de cette angoisse dite somatique, il se rapporterait plutôt au modèle des psychonévroses de défense. Le caractère dramatisé et démonstratif de la symptomatologie présentée par notre patient prête à penser au manque à être de tout être humain que l’on rencontre dans l’hystérie. On retrouve en effet cet état fantasmatique d’insatisfaction qui marque et domine toute la vie du névrosé. La névrose est une mauvaise façon de se défendre, la façon inappropriée que, sans savoir, nous employons pour nous opposer à une jouissance inconsciente et dangereuse. Finalement, il s’agit de substituer à une jouissance inconsciente, dangereuse et irréductible, une souffrance consciente, supportable et en dernière instance réductible. Souffrir sur un mode hystérique, c’est souffrir consciemment dans le corps, c’est-à-dire convertir la jouissance inconsciente et intolérable en souffrance corporelle [12].

24Notre patient ne présente pas réellement de symptômes conversifs caractéristiques de la névrose hystérique, il relève préférentiellement de troubles de la personnalité de nature hystérique qui sont répertoriés au nombre de deux dans le DSM : la personnalité histrionique et la personnalité dépendante. La première est un mode général de réponses émotionnelles excessives et de quête d’attention, la seconde correspond à un besoin général et excessif d’être pris en charge qui conduit à un comportement soumis et « collant » et à une peur de la séparation. La personnalité de notre patient emprunte des éléments de ces deux entités, on peut parler de personnalité histionicodépendante. Les troubles anxieux constatés peuvent être perçus comme une complication de la personnalité qu’il présente.

Évolution du concept de névrose

Dans le temps

25Ce concept de névrose auquel nous nous référons fait actuellement l’objet de vives discussions. La névrose semble en effet aujourd’hui être détrônée de la place centrale qu’elle a occupée pendant plus d’un demi-siècle [6].

26Les classifications internationales illustrent parfaitement la remise en question de ce modèle par le morcellement des symptômes ou des troubles inhérents aux névroses. La névrose y apparaît éclatée, fragmentée, dispersée et fixée dans des ensembles apparemment mieux maîtrisés. Les étapes névrotiques sont méconnues au profit d’un seul état terminal irréversible [9].

27Le DSM3 affirme qu’il n’y a pas de consensus dans le champ de la psychiatrie sur la manière de définir une névrose. Déjà Lasègue déclarait « la névrose n’a jamais été et ne sera jamais ». En quelque sorte, on élimine l’inconscient et on privilégie les éléments descriptifs [9]. Au cours des quatre dernières décennies, le comportement aura joué un rôle très important dans la conceptualisation des troubles anxieux et dans leurs explications pathogéniques, ce qui aura abouti à l’isolement d’entités finement différenciées. Cette théorie stipule que c’est à partir des attaques de panique que l’on assiste à un développement de l’anxiété anticipatoire et à la survenue de comportements phobiques d’évitement.

28Le DSM dans sa troisième version intègre ces différentes conceptions et fait disparaître le modèle freudien de la psychonévrose de défense [14]. On retrouve cependant le terme de « troubles névrotiques ». Ils sont définis comme des comportements non activement opposés aux normes sociales et des perturbations relativement constantes et récurrentes. Ils sont répartis sur l’axe 1 de la classification en plusieurs catégories qui comportent les troubles anxieux (trouble panique, trouble anxieux généralisé, agoraphobie avec ou sans attaque de panique, phobie sociale, phobie simple), les troubles somatoformes, les troubles dissociatifs et les troubles psychosexuels. Ces dernières catégories ont trait à l’hystérie qui, elle aussi, de fait, disparaît.

29De plus l’unicité du concept de névrose sous-tendue par l’inter-relation supposée de symptômes et d’une structure de personnalité est contrariée par la présence de troubles de personnalité sur l’axe 2 sans qu’aucune relation de principe ne soit établie entre symptômes névrotiques et caractère. Relation que nous avons faite à propos de notre patient en considérant que les symptômes anxieux présentés s’articulaient avec une structure de personnalité pathologique. On précise par ailleurs à ce propos que la question est la même pour le DSM4 que pour le DSM3.

30Cependant, un autre point de vue peut prévaloir, certains estimant que les névroses ne sont pas une invention de la psychanalyse et que la psychiatrie les ramène au bercail en leur donnant un encadrement nosographique plus apte à les intégrer aux connaissances et aux besoins de la médecine [1].

Dans la symptomatologie

31Malgré tout, un siècle après sa spécification freudienne, la définition de la névrose souffre aujourd’hui de plusieurs apories dont certaines étaient déjà connues par le créateur de la psychanalyse, tandis que d’autres semblent provenir de la double marche du temps, au niveau individuel et social [6].

32Certes, le concept évolue mais, comme nous allons le voir, au-delà des mots, des termes et des catégories nouvelles, la symptomatologie évolue également. Prenons pour exemple l’hystérie : elle ne figure plus dans les classifications internationales. Malgré cela, elle n’a pas disparu, elle reste une des grandes constantes de la pathologie de tous les temps et de toutes les cultures [10]. Elle est toujours, comme nous le constatons, un mode d’expression excessif des émotions et de l’anxiété. Ses symptômes sont polymorphes et, comme le caméléon, elle change de couleur en fonction de son environnement. Aujourd’hui, comme autrefois, elle avance masquée derrière les préoccupations d’une époque, inspire et préoccupe toujours la médecine actuelle [4]. Elle donne l’impression, cependant, de ne plus être la même, elle n’a plus la vedette mais elle survit, cachée, voilée pour refaire surface, en particulier lors des décompensations privées ou collectives déclenchant des régressions [7]. Le contexte culturel modifiant ses caractéristiques, elle est dans certains cas devenue dépression, douleur, certains postulent même que la tentative de suicide pourrait être une forme de conversion hystérique moderne en tant que résolution de la culpabilité.

Clinique de la civilisation

33Bien que la névrose obsessionnelle et la phobie soient devenues les maladies du siècle ou plutôt de nos sociétés avancées – contrôle et peur des microbes, des acariens, de la saleté, de la maladie, de la vieillesse, de la mort – force est de constater que les névroses se font de plus en plus rares [7].

34Nous vivons en effet à un rythme accéléré, dans un monde de plus en plus impatient où l’agir est valorisé et où peu de gens acceptent les lenteurs de la psychanalyse [7]. La névrose se situe au point de rencontre de l’individu et de la société. Or, si les mots perdent leur sens, si l’élaboration mentale, la verbalisation perdent du terrain au profit de la mise en actes et de l’agir, la symbolisation est touchée.

35Si la névrose se définit comme « l’expression symbolique d’un conflit psychique », c’est donc la pathologie névrotique qui est du même coup remise en question [6]. On a longtemps dit également que la névrose était la maladie du XIXe siècle, au temps de la famille hiérarchisée où le père avait pouvoir et autorité. Qu’en est-il aujourd’hui à l’heure des familles recomposées ou monoparentales et de la libéralisation sexuelle ? [7]. Pour s’organiser, la névrose requiert la rencontre de l’individu avec une organisation sociale suffisamment répressive pour paraphraser la « mère suffisamment bonne » de Winnicott. On peut se demander si ce modèle n’est pas révolu [15]. Cependant, on ne peut éviter totalement l’interdit de la transgression et donc la névrose, à moins de verser dans la perversion [7].

36Pourtant depuis la seconde moitié du XXe siècle et en ce début de millénaire, on a vu apparaître de plus en plus de cas non névrotiques, borderline, pervers, psychopathes délinquants, structures psychosomatiques et on a fini par considérer le fonctionnement névrotique comme celui de la normalité si bien que toute pathologie nous fait douter de sa structure névrotique [7].

37Parallèlement, de l’avis des psychologues et des psychanalystes d’enfants, de très nombreux pays relevant peu ou prou des modèles dits de civilisation occidentale, la latence fond comme neige au soleil, dans tous les milieux socioculturels. Une autre façon de décrire ce phénomène, favorisé sinon créé par la société de consommation serait de dire que la pseudo-maturité gagne tous les jours du terrain et que le faux self présente de plus en plus les caractéristiques d’une omnipotence infantile qui ne s’est pas frottée à la réalité [6].

38La civilisation amène à repenser les théories, influence les modes d’expression psychique, produit de nouveaux symptômes et façonne les personnalités à son image. Ce mouvement permanent englobe les névroses et justifie ce questionnement à leur égard. Nous voyons donc que les troubles anxieux peuvent être appréhendés de multiples façons : selon les théories auxquelles on se réfère et selon les modes d’expression des uns et des autres en fonction des personnalités. La société influencerait aussi la fréquence, l’intensité et la clinique de ces troubles.

Conclusion

39Pour conclure, il paraît judicieux de tisser quelques liens entre les diverses théories que nous avons évoquées. Ces théories abordent le sujet selon des modèles différents certes, mais cette pluralité de points de vue ne peut-elle pas aider à percevoir le patient dans sa globalité ? Car l’homme est à coup sûr biologique et psychique [3].

40C. Dejours a tenté une articulation de la psychanalyse et de la biologie de l’angoisse. Pour lui, l’angoisse de la névrose actuelle s’oppose à l’angoisse délirante, non seulement psychiquement mais aussi biologiquement. Le manque de représentation mentale de la première déclencherait une libération de l’axe diencéphaloviscéral. Au contraire, quand l’angoisse est organisée par un vécu persécutif, l’hypothalamus reste docilement sous contrôle limbocortical bloquant les réactions viscérales.

41L’angoisse du psychotique, mentalement représentée et organisée autour de la persécution, serait, dans le registre psychique, l’équivalent de ce qu’est l’hypertonie dopaminergique dans le registre biologique. L’angoisse non représentée mentalement et actuelle serait, dans le registre psychique, l’équivalent de ce qu’est l’hypotonie dopaminergique centrale dans le registre biologique. La névrose se situerait entre ces deux extrêmes, ni dans un corps viscéral hyperactif à l’excitation à la différence de ce qui se passe dans la névrose d’angoisse, ni dans un corps muet, totalement coupé de ce qui se joue à l’étage mental, comme c’est le cas dans la psychose. Dans la névrose, le système dopaminergique fonctionnerait correctement comme modulateur de la boucle méso-cortico-hypothalamique [3].

42Parallèlement, Widlocher pense que la psychopathologie psychanalytique est concernée par la question de la cognition. Pour lui, la psychopathologie de l’inconscient psychanalytique repose sur des mécanismes élémentaires que seule la psychopathologie cognitive peut expliquer. De même, en nous appuyant sur les travaux de Dolto, nous pourrions dire que l’atteinte cognitive induit un ébranlement de ce qu’elle appelle le narcissisme primordial, c’est-à-dire la sensation de « mêmeté d’être » ou bien, si nous prenons des références plus « winnicottiennes », nous pourrions dire que les atteintes cognitives mettent en péril le self. La cognition aurait une fonction d’étayage interne pour le sujet [13].

43L’articulation entre psychanalyse d’une part, neurosciences et psychologie cognitive d’autre part reste cependant encore difficile compte tenu de leurs modèles différents. Malgré cela, un nouveau courant interdisciplinaire lancé aux États-Unis est en train de se constituer, comme en témoigne la création en juillet 2000 de la Société internationale de neuropsychanalyse qui réunit des analystes, des neurologues et des cognitivistes décidés à rétablir des ponts entre eux.

Bibliographie

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Mots-clés éditeurs : névrose, approche théorique, conception psychodynamique, troubles anxieux

Mise en ligne 11/02/2014

https://doi.org/10.1684/ipe.2007.0222

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