Notes
-
[*]
Praticien hospitalier, CHG Robert-Ballanger, 93602, Aulnay-sous-Bois <eduardo.mahieu@free.fr>
-
[1]
Dénomination des directeurs d’asile.
-
[2]
Dorothea Dix (1802-1887), la pasionaria qui contribue au mouvement de création d’asiles [31], exprime dans ses discours la même idée : les régions habitées par les Indiens, ainsi que les plantations où vivent les esclaves noirs produisent peu de cas de folie en comparaison avec les régions habitées par les Anglo-saxons.
-
[3]
Isaac Ray (1807-1881), auteur du célèbre A Treatise on the medical jurisprudence of insanity (1838) et superintendent de l’Augusta Asylum dans le Maine (et plus tard de l’asile de Rhode Island), écrit que la pauvreté aux États-Unis est « une condition accidentelle, une infortune passagère, le résultat d’un accident, d’une maladie, de la malchance, et elle s’éteint avec son malheureux sujet » [26].
-
[4]
Superintendent de l’Utica Asylum de NewYork.
-
[5]
Superintendent du Massachusetts State Lunatic Asylum deWorcester de 1832 à 1846.
-
[6]
Le regard anthropologique du début du XXe siècle voit la figure du fou se confondre avec celle du thérapeute. Les états de transe et d’extase, les « maladies initiatiques », sont souvent décrits en termes psychopathologiques. M. Gusinde [12] affirme que les Indiens distinguent les maladies provoquées par des causes naturelles, des phénomènes surnaturels qui relèvent spécifiquement du médico-hechicero. Les traitements vont de la danse à l’extase collective, mais n’excluent pas l’usage de remèdes secrets, et aussi des pratiques sur le corps tels la succion de l’esprit morbide pratiqué par les Indiens de la région du Chaco.
-
[7]
La machi, lors d’une cérémonie collective initiatique, traverse une maladie mystérieuse décrite par M. Eliade comme « rituel symbolique de mort mystique ». Elle est l’intermédiaire entre monde terrestre et monde céleste.
-
[8]
Il s’agit d’une femme dotée de pouvoirs surnaturels, capable de soulager les malades « qui ont perdu leur esprit » [11].
-
[9]
José Ramos-Mejía, le premier historien-essayiste de la psychiatrie argentine, prétend qu’à cette période elle est au pouvoir [24].
-
[10]
Dans le cas de la soul loss, l’extase du chaman doit retrouver et réintégrer l’âme fugitive du malade. Elle relève spécifiquement du chaman, tandis que les medecine-man peuvent traiter les autres maladies [6].
-
[11]
Promulgués en 1865, ils sont le dernier avatar d’une série de lois concernant les esclaves. Le Code Noir (1685) est son équivalent dans les régions sous domination française et, en Amérique espagnole, c’est le Código Negro Carolino de 1784 promulgué par le roi Carlos qui règle la vie des esclaves noirs.
-
[12]
Ainsi on dénomme les individus qui maîtrisent une connaissance technique des cérémonies rituelles. En même temps que prêtres, ils sont guérisseurs [8, 22].
-
[13]
L’étude de A. Métraux en Haïti [22] laisse imaginer que ces pratiques ne devaient pas être très différentes de celles des esclaves des plantations. Nous apprenons aussi qu’elles ont été très sévèrement réprimées et les esclaves évangélisées de manière stricte. En Haïti, la « campagne antisuperstitieuse », appuyée par l’armée américaine entre 1915 et 1934, peut jeter quelque lumière du combat contre les esprits des lwa [14].
-
[14]
Le New York City Lunatic Asylum est rempli avec des étrangers vers 1860.
-
[15]
A peine arrivé de Suisse, Adolf Meyer affirme en 1894, après 18 mois passés au Kankakee State Hospital (Illinois), que « les conditions de base pour l’observation clinique et l’examen sont absentes » [10].
-
[16]
Osvaldo Eguía, le médecin qui exerce à l’hôpital de femmes devenu plus tard La Convalescencia, perpétue le lien originaire avec la tradition clinique française en nommant « Pinel » et « Esquirol » les pavillons de l’institution.
-
[17]
D. Sarmiento, à l’image d’autres hommes éclairés du continent, pense qu’il est possible de mener à terme le projet des Lumières, là où il s’est arrêté en Europe [28].
-
[18]
C’est une expression de l’époque. Le prologue de la Constitution de 1862 invite « tous les hommes du monde qui veulent habiter le sol argentin », mais cette universalité trouve sa limite dans l’art. 25 qui fait référence explicite à l’immigration européenne.
-
[19]
J.C. Stagnaro recense un total de 115 articles dont 54 consacrés à des cas cliniques, 24 à des questions institutionnelles, 11 à des questions de santé publique, 7 à la thérapeutique, 6 à l’épidémiologie, 5 à la psychiatrie légale, 2 à la nosographie, 2 à des commentaires de thèses et 4 à des sujets variés [30].
-
[20]
Fondée en 1864 par les médecins hygiénistes Pedro Mallo (1838 -1889), Angel Gallardo et Emilio Coni (1855 1928) ; ce dernier est originaire de Saint-Malo par son père.
-
[21]
C’est aussi remarquable la vitalité de cette catégorie qui se glisse jusque dans le DSM IV dans les culture bound syndromes. Elle est attribuée aux populations latino-américaines et comprend de manière surprenante, parmi ses autres dénominations, la soul loss, alors qu’il n’existe aucun culture bound syndrome en rapport avec les afro-américains ou les amérindiens du Nord [3].
-
[22]
L. Meléndez écrit en 1880 dans son article « Manía periódica. Influencia del tratamiento moral en la producción de los ataques » (Rev Médico-Quirúrgica 1880, XVII : 102-103, cité par Stagnaro [30]), que le traitement par le travail se doit de continuer le même métier qu’exerçait la personne avant sa maladie. Ainsi, il met à disposition de « P.J. », cordonnier français de 24 ans atteint de « manie périodique », un capital pour fonder un petit atelier dans l’Hospicio de las Mercedes. Le succès économique inespéré du cordonnier le pousse à réinvestir ses bénéfices et à élargir son marché en dehors de l’hôpital. Mais ce cycle de croissance trouve son point d’arrêt dans une nouvelle crise de manie.
-
[23]
Ancien hôpital général d’hommes.
-
[24]
Cependant, il faut signaler la drapetomania, diagnostic proposé en 1851 par Samuel Cartwright (Louisiane) pour décrire une tendance des esclaves noirs à fuir les plantations, et la dysaethesia aethiopica, du même auteur, qui décrit le manque de motivation des esclaves pour le travail.
-
[25]
« Nous devons ce privilège à une cuisinière noire qui a travaillé pendant quelques années à la maison, « blanchissant » beaucoup ses idées du fait de se trouver parmi des personnes étrangères à toute superstition religieuse. Peu avant la révolution de 1893, elle nous proposa de nous montrer quelque chose « qu’aucun Blanc n’avait jamais vu ». Nous sommes allés à un immeuble où se réunissaient les Noirs pour danser et nous sommes restés enfermés dans une chambre contiguë à celle qui servit cette nuit pour « bailar el santo ». De là, nous avons tout entendu et entraperçu une partie de la cérémonie que nous avons décrit, qui avait pour objet la guérison d’un noir fou, « persécuté par les mandingas ». Postérieurement, elle nous a dit que le malade avait été amené à La Convalescencia, car « El Tata » ne l’avait pas guéri, ajoutant avec mépris que les « bailes del santo » ce sont des « choses de Noirs » » [15].
-
[26]
Il est arrivé jusqu’aujourd’hui une chanson de comparsa de carnaval : « Ni balai, ni plumeau, le noir ne peut plus vendre, car ces naples du diable, sont venus prendre les affaires » [27]. Cette proximité entre Napolitains (souvent classés trigueños) et Noirs, reflète à la fois leur concurrence pour le travail, mais aussi le fait qu’ils font l’objet du même regard méprisant de la bourgeoisie argentine qui s’attend à recevoir une immigration anglo-saxonne.
-
[27]
John Galt du Williambsburg Asylum, propose dès 1850 l’ouverture des structures décentralisées inspirées de la Ferme Sainte Anne et de la colonie d’aliénés de Gheel. En 1869 ouvre dans l’état de NewYork l’asile deWillard, resté seul sur ce modèle aux Etats-Unis.
-
[28]
Le premier open-door d’Argentine est inauguré en 1901 à Luján (à 60 km de Buenos Aires). L’anecdote veut que Georges Clemenceau lors d’une visite en 1910 affirme : « Mon destin a voulu que ce soit dans une maison de fous que je trouve l’œuvre la plus parfaite de la raison humaine » (cité par Guerrino [11]).
1Ce n’est pas la rencontre avec l’autre barbare qui saisit l’esprit de L. Mansilla dans cette terra incognita, mais plutôt ce qui fait penser à Walter Benjamin qu’il n’est pas de document de culture qui ne soit aussi un document de barbarie. Les pionniers de la psychiatrie le découvrent en même temps lorsque la spécificité de la discipline naissante est mise à l’épreuve dans ses avant-gardes exportées d’Europe aux Amériques. Car l’histoire des contradictions de la psychiatrie aux Amériques au XIXe siècle ne naît pas de sa rencontre avec la folie d’un monde exotique. Cette invention européenne ignore les « pratiques traditionnelles » de l’égarement de l’âme. Malgré le choc entre les populations autochtones du continent et celles venues d’Europe et d’Afrique, les pratiques profanes de la folie constituent tout au long du siècle une limite externe, toujours hors de portée de son regard, et sa spécificité à leur égard ne peut pas se poser : la question de l’eurocentrisme de la psychiatrie doit attendre le XXe siècle.Au moins deux raisons font obstacle à cette rencontre : d’une part, la vocation propre au projet des Lumières − qui ne se déploie aux Amériques qu’au cours du XIXe siècle −, veut que ses postulats aient une valeur universelle. De l’autre, l’expansion civilisatrice exclut ces populations au-delà de sa frontière et amène avec l’immigration européenne sa propre folie. L’excès inhérent à ce projet est traversé par sa contradiction interne entre une utopie libérale, émancipatrice et universaliste, et un souci d’ordre social et de pragmatique économique. C’est cet antagonisme qui produit au XIXe siècle une torsion de la psychiatrie entre sa dimension de discipline clinique médicale et l’exigence sociale d’organisation de soins, mettant à l’épreuve sa spécificité.
2Aussi, aux Amériques s’exportent différentes approches nationales des psychiatries européennes. Au nord, la tradition anglo-saxonne faite de pragmatisme économique utilitariste et éthique protestante [2, 5]. Au sud, la singularité de la psychiatrie latine, dont l’étendard est Pinel, et son esprit celui de la Révolution française [32, 18]. L’extension que nous pratiquons au sud du continent américain, au-delà de la région culturelle que délimite Georges Lantéri-Laura dans son ouvrage Essai sur les paradigmes de la psychiatrie moderne [17], nous permet de comparer l’histoire de la psychiatrie aux États-Unis et en Argentine. Cette comparaison fait naître une tension illustrée par l’ironie de l’historien britannique Eric Hobsbawm [13], pour qui les pays arriérés qui cherchent à se frayer une voie vers la modernité sont « peu originaux dans leurs idées, quoiqu’ils le soient nécessairement dans la pratique ».
Début de siècle post-colonial
3Au début du siècle aux États-Unis, les almhouses (hospices), qui ont été construits par devoir caritatif religieux, sont sans spécificité thérapeutique. Pendant la présidence d’Andrew Jackson (1829-1837), la société nord-américaine manifeste une préoccupation importante pour la folie. Ce premier souci est dominé par l’idée qu’elle est inhérente à la civilisation et qu’elle est en croissance exponentielle. L’existence de la folie chez les Amérindiens et les esclaves noirs ne pose pas de question. L’Annual Report de 1843 de l’asile de Worcester affirme que « La folie est rare dans une société à l’état sauvage ». À son retour d’Europe, le superintendent [1] Pliny Earle (1762-1832) s’inspire des récits de A. Humboldt et affirme que la folie est peu connue dans les sociétés barbares [25]. Pour William Awl (1799-1876), pionnier de la psychiatrie dans l’Ohio, la race blanche anglo-saxonne est la plus exposée à la folie du fait de ses grandes réussites intellectuelles [2]. L’idée dominante à cette période est que la folie s’atteint par sa limite supérieure : civilisation et réussite intellectuelle. L’envers utopiste de cette inquiétude de l’ère jacksonienne est la certitude que la folie est curable.
4L’approche coloniale de la folie [11] domine en Argentine l’aube du XIXe siècle : les riches se soignent par claustration à domicile ou au couvent, et les pauvres au cachot ou bien conduits aux cuadros de dementes des hôpitaux généraux. Vers 1820, dans une région dix fois moins peuplée que les États-Unis, Cosme Argerich (1758-1820) et Diego Alcorta (1804-1842) sont les premiers à introduire la méthode clinique développée par l’Ecole de médecine de Paris et l’œuvre de Philippe Pinel. La thèse de D. Alcorta, Dissertation sur la manie aiguë (1827), reflète cette inspiration du Traité de l’aliénation mentale de 1809 [18]. Ce premier embryon d’aliénisme est marqué par son inspiration de l’utopie révolutionnaire française, mais il est de courte durée : La Restauración de Juan Manuel de Rosas et son gouvernement de type féodal (1828-1852) mettent un point d’arrêt aux aliénistes en devenir de la Pampa.
Naissance de l’asile dans le Nouveau Monde
5En quelques décennies se créent des asiles dans presque tous les états du nord-est et du middle-west des Etats-Unis [25]. Au retour de leurs voyages en Europe, les aliénistes nord-américains croient à une singularité de la question de la folie [32] dans la Nouvelle République. Les paupers lunatics, qui encombrent le vieux continent, ne leur semblent pas constituer un obstacle dans la nouvelle société [25, 32] : folie et pauvreté vont disparaître par la nouvelle organisation sociale qui se met en place [3]. Les asiles publiques sont créés avec cette conviction. En 1844 naissent l’Association of Medical Superintendents of American Institutions for the Insanes (l’AMSAII, antécédent de l’APA) et son organe d’échanges scientifiques, l’American Journal of Insanity dirigé par Amariah Brigham [4] (1798-1849), devenu plus tard l’American Journal of Psychiatry. Deux aspects sont à remarquer dans ce courant de l’aliénisme nord-américain : d’un côté, l’outil thérapeutique essentiel paraît être la bonne gouvernance des institutions [10] (l’AMSAII propose de développer un ensemble uniforme de procédures et de rapports statistiques afin de découvrir l’étiologie et la nature des troubles mentaux pour faciliter des politiques de plus en plus efficaces [10]) ; de l’autre côté, se produit une désaffection pour la clinique et la nosologie, considérées comme secondaires. A. Brigham estime « qu’elle n’est pas d’une grande utilité pratique » [10] et Samuel Woodward [5] (1750-1835) pense que la thérapeutique est indépendante de tout système nosologique. Malgré quelques percées de la monomanie d’Esquirol, la référence nosologique essentielle reste la vieille répartition pré-pinélienne (manie, mélancolie, idiotie, démence) [9].
6Pendant ce temps, en Argentine la psychiatrie est inexistante. J.-M. de Rosas renforce son pouvoir en se servant de la population afro-argentine (25 % de la population de Buenos Aires à l’époque) [1, 27, 33], qui bénéficie d’une relative liberté pour pratiquer ses rites, dont le baile de santo [4, 15] ce qui, aux yeux des Blancs, n’est qu’une danse vulgaire. La guerre contre les Indiens les expulse au-delà de la frontière et fait disparaître des villes les thérapeutes traditionnels [6]. Loin des idées civilisatrices, l’ancestrale cérémonie du machitún [7] [12] se poursuit dans les montagnes de la Patagonie, la médica [8] continue ses fonctions communautaires dans les déserts du Nord-Ouest et, dans la forêt tropicale de l’Est, le payé soigne les autochtones. Dans les villes, la société de J.-M. de Rosas ne laisse aucune place à des questionnements sociaux ou médicaux sur la folie [9]. D. Alcorta, le précoce commentateur de Pinel, se consacre à une pratique de la médecine générale en ville et abandonne à sa longue nuit coloniale le cuadro de dementes de l’hôpital général d’hommes.
7Aux États-Unis, la déportation d’Indiens dans le Oklahoma entre 1838 et 1839 exclut les medicine man au-delà de la frontière de la civilisation. La transe, la danse et « la descente aux enfers » des chamans nord-américains [6], les manières de guérir la soul loss [10] s’exilent loin du regard des aliénistes. Dans les états du Sud, les Black Codes [11] rendent invisibles les oungan [12] afro-américains et leurs rites dont nous aurons écho par les versions démonisées du vaudou [13] [22].
Le tournant du siècle : la croissance
8Loin de ces populations, dans les nombreux asiles nord-américains se met en place le moral treatment dans la version inspirée par S. Tuke [32]. Le moral treatment à l’asile consiste à imposer l’ordre de façon humaine et familiale : pour I. Ray, « calme, silence, routine régulière, […] prendront la place de l’inquiétude, le bruit et l’activité frénétique » [25] produits par la civilisation et cause principale de l’insanity. Mais, l’excès inhérent à la croissance économique de la civilisation s’introduit dans l’ordre asilaire, renversant pratiques et conceptions. L’industrialisation et l’expansion économique produisent une croissance de la population avec des nouveaux venus immigrés, ce qui se répercute dans les asiles. Vers 1850 dans l’asile de Worcester (Massachusetts), près de 40 % des patients sont issus de l’immigration [25], majoritairement des Irlandais (dans d’autres asiles, les chiffres sont similaires ou supérieurs [14]). Les autorités limitent les prérogatives des superintendents et interfèrent avec les politiques d’admission pour donner priorité aux cas les plus turbulents et les moins susceptibles d’être guéris [25]. L’inexorable croissance de la population asilaire produit un impact majeur dans la structure et le fonctionnement institutionnel [10].
9L’historien G. Grob évoque la transformation progressive de l’esprit de la psychiatrie aux États-Unis qui, d’une activité clinique et thérapeutique, devient insensiblement une spécialité administrative et de management [15]. Les successeurs des premiers aliénistes charismatiques sont choisis pour leurs qualités de managers [10]. L’échec de l’utopie libératrice renverse les liens entre civilisation et folie : elle n’est plus l’excès des plus hautes réussites intellectuelles mais le fait des paupers lunatics venus d’ailleurs, plutôt frustes et sans éducation. Edward Jarvis (1803-1884), pionnier de l’analyse statistique épidémiologique, publie dans Insanity and idiocy in Massachusetts : Report of the Commission on Lunacy (1855) les conclusions qu’il extrait du premier recensement rigoureux d’aliénés dans la population générale : « Il existe des bonnes bases pour supposer que les habitudes et les conditions de vie des Irlandais pauvres de ce pays œuvrent de façon défavorable sur leur santé mentale et produisent un ratio plus important d’aliénés par rapport à celui trouvé parmi les natifs pauvres ». Pour sa part, l’opinion publique pense à l’époque que la doctrine catholique est incompatible avec les idéaux républicains. Dans la période antebellum, la conjonction entre crime, alcool, pauvreté et immigration assombrit la lumière de l’utopie psychiatrique : l’illusion dans la guérison de la folie s’inverse dans la crainte de l’accumulation d’une chronicité arrivée d’ailleurs [16].
1852 : (re)naissance de l’aliénisme argentin
10En 1851, un voyage en Europe permet au Dr Buenaventura Bosch (1814-1871) de découvrir la ferme Sainte-Anne, Bicêtre et la Salpêtrière. À son retour, le régime républicain, qui s’instaure dans le pays en 1852, lui permet de commencer la transformation des principales institutions de Buenos Aires, l’hôpital de femmes [16] et l’hôpital général d’hommes, gérées par la charité publique. Il est à l’origine d’un processus de reconquête médicale de la folie. Quelques conflits se nouent à propos de l’hôpital de femmes entre la Sociedad de Beneficencia, composée par des femmes de la bourgeoisie et la Comisión de Filantropía e Higiene, dirigée par B. Bosch. À cette période, l’institution compte seulement 68 pensionnaires entre aliénées et femmes relevant du droit commun. B. Bosch assume aussi la direction de l’hôpital général d’hommes avec le cuadro de dementes et ses 120 malades. Mais les réformes tardent à se mettre en place à cause du désordre politique du pays. Ironie de l’histoire, à cette période les Indiens, qui vivent libres en Patagonie, vendent leurs services guerriers aux différentes factions à la manière des condottieri. De son côté, la population afro-argentine amorce un repli progressif avant de disparaître de façon controversée [1, 4, 33].
11Entre 1868 et 1876, le président Domingo F. Sarmiento (1811-1888), ancien ambassadeur aux États-Unis, cherche à combler l’écart avec le voisin du Nord [17]. Il transforme radicalement le pays favorisant les industries, les chemins de fer, les écoles publiques, les instituts de science, etc. Mais surtout, il fait venir un alluvion d’immigrés [18] qui bouleverse le paysage humain. À la même période, Lucio Meléndez (1844-1901) produit une transformation comparable dans la psychiatrie argentine. Il organise l’enseignement de la chaire de pathologie mentale (1886) à l’université de Buenos Aires, poursuit la réforme des asiles existants, programme la construction de nouvelles institutions, participe aux recensements de la population et publie [19] sans relâche dans la Revista Médico-Quirúrgica [20]. La Revista remplit en Argentine la fonction de l’American Journal of Insanity, mais son inspiration ouvertement francophile la rapproche des Annales médico-psychologiques. Autour de L. Meléndez et de la Revista se crée un groupe d’aliénistes qui produisent une nosologie propre présentée en langue française au congrès international d’Anvers en 1878. L. Meléndez est plus attentif aux évolutions de la clinique élaborée en France qu’au mouvement psychiatrique nord-américain. Ses cours et sa méthode clinique sont inspirés par Auguste Voisin, par qui l’influence de l’École de médecine de Paris se poursuit en Argentine.
12Fait curieux, en 1879, dans les statistiques de la folie à Buenos Aires établies par Samuel Gache, se glisse le susto (dénomination générique donnée par les Espagnols aux diverses conceptions de l’égarement de l’esprit des Indiens) [21]. Néanmoins, cette catégorie n’est pas maintenue dans la nosographie établie en 1887 par les aliénistes argentins. Elle combine avec originalité des catégories françaises pour l’essentiel, mais aussi allemandes. Les articles et thèses universitaires d’époque révèlent que l’intérêt pour la clinique dépasse celui de l’organisation et le management, qui n’est pas le point fort au Río de la Plata. Le principe du traitement moral reste foncièrement individuel, comme le montre le cas du cordonnier français [22] traité par L. Meléndez à l’Hospicio de las Mercedes [23] [29, 30].
Spécificités de la folie outre-Atlantique ?
13Entre les recensements de 1869 et 1895, la population argentine passe de 1 800 000 habitants à 3 600 000 [27] (en comparaison, en 1880, les États-Unis comptent 50 000 000 d’habitants avec 41 500 malades dans les asiles et deux fois plus dans les hospices de charité) [26]. Cette transformation démographique se retrouve dans les asiles argentins dont la population de malades augmente inéluctablement. En 1875, O. Eguía publie dans la Revista Médico-Quirúrgica les statistiques de La Convalescencia (l’hôpital de femmes) : sur un total de 211 femmes, 34 sont argentines, 23 italiennes, 22 espagnoles, 17 françaises, etc. [30]. En 1878, dans le recensement de l’aliéniste Samuel Gache à l’Hospicio de las Mercedes, sur un total de 350 malades, 79 sont argentins, 118 italiens, 71 espagnols et 29 français [11], etc.
14Deux articles de L. Meléndez évoquent les questions posées par l’immigration à l’aliénisme argentin. L. Meléndez est surpris par l’absence d’Indiens dans l’Hospicio de las Mercedes, même après la fin de la Conquista del Desierto (1878) qui annexe les territoires de la Patagonie à la République. Dans son article « Los indígenas y la locura », il se montre sceptique face à la mystérieuse spécificité de cette « race privilégiée ». Comme il le dit de façon ironique : « Nous ne trouvons pas de raisons suffisantes pour croire que l’organe cérébral de l’Indien soit une exception aux règles générales de l’organisation humaine » [21]. Il demande l’avis des chefs de l’armée ayant participé à la campagne, mais leurs réponses ne lui semblent pas concluantes. De manière concomitante, dans son texte « Los locos en la capital » [30], il signale la prédominance de la folie chez les immigrés venus d’Europe, ces nombreux malades « qui passent des navires à l’asile ». Le lien entre immigration, hérédité et folie se pose de manière explicite : « L’immigration est la source principale d’aliénés, car avec eux non seulement certains arrivent déjà malades, mais ils amènent aussi les germes hérités ». S. Gache est de cet avis : il pense que les natifs du pays supportent mieux les revers de la fortune, tandis que les Européens se laissent emporter rapidement par le désespoir [11].
Colored insanes
15À la fin de la Guerre de sécession, la question entre race et folie se pose avec force aux États-Unis. Le superintendent John F. Miller écrit en 1896 sur les effets de l’émancipation sur la santé des Noirs. Fort de ses 40 ans d’expérience, il affirme la rareté de l’aliénation et la tuberculose chez les Noirs dans la période précédant l’abolition [24]. Désormais, « les Noirs ne jouissent plus de l’immunité contre ces maux » [23] et, à l’aide de statistiques annuelles de différents asiles, il montre que, entre 1860 et 1890, dans les colored asiles et les pavillons de colored insanes, le ratio de malades chez les Noirs est passé de 1/10 000 à 1/900 ha. Pour lui « la manie est la forme prévalente des troubles mentaux et les suicides sont rares », mais l’essentiel du problème réside dans l’incapacité des Noirs à se plier aux lois de la civilisation en raison du fait que « les circonvolutions du cerveau sont peu nombreuses et superficielles ; leurs mesures crâniennes sont petites, et d’autres faits anatomiques démontrent leur infériorité ». Avec l’essor de l’eugénisme scientifique, l’approche de la psychiatrie face à la problématique raciale va tenter des réponses spécifiques de manière très diverse selon les états. Un exemple singulier constitue l’ouverture en 1903 du Hiawatha Insane Asylum dans le South Dakota, un asile réservé aux Indiens nord-américains en provenance de toute l’Union, lorsque le Far West est définitivement conquis. Nous pouvons mesurer alors le renversement spectaculaire qui s’est produit avec les idées du début de siècle.
16En Argentine, le problème de la folie chez les Afroargentins n’est pas soulevé en tant que tel. Le psychiatre et historien italo-argentin José Ingenieros (1877-1925, né Giuseppe Ingegneri à Palerme), est le seul à avoir laissé un témoignage de la cérémonie afro-argentine de bailar el santo (apparentée au candomblé du Brésil, à la santería de Cuba et au vaudou d’Haïti). Il assiste en 1893 à Buenos Aires à une cérémonie secrète [25] destinée à traiter un homme noir « persécuté par les mandigas » [15]. Pour la première fois en Argentine, un psychiatre décrit à travers le regard qu’il pose par le trou de la serrure, une cérémonie thérapeutique propre à cette population : paroles incantatoires prononcées dans des langues inconnues, impositions de mains, danse et transe. Mais il signale avec malice que le malheureux sujet finit quelque temps après à La Convalescencia, n’ayant point été guéri par El Tata. Malgré les convictions propres à l’époque concernant la supériorité de la race blanche européenne, le problème en Argentine prend à l’envers le chemin de l’eugénisme et de la ségrégation. Entre 1838 et 1887, la population noire passe de 26 à 2 %. Ce devenir de la population afro-argentine reste controversé : décimée pendant les guerres d’indépendance et par les maladies, elle disparaît des statistiques vers la fin du XIXe siècle. Mais il faut signaler que, contrairement aux États-Unis où, d’après J. Miller, jusqu’à 1/8 de sang pur africain (les octaroons [23]) on reste dans la catégorie raciale noire, en Argentine les trigueños se comptent parmi les Blancs et se confondent avec des nombreux immigrés européens, en particulier du sud de l’Europe [26]. L’historien George Reid Andrews évoque à ce propos un procès de « blanchissement réussi » [1].
Fin de siècle
17À la fin du siècle aux États-Unis, un débat fait rage sur la spécificité, l’utilité et la rentabilité des institutions asilaires. Devenus de taille gigantesque, ils sont engorgés par des personnes âgées et des malades désormais « chroniques ». En même temps, se développe progressivement une nouvelle psychiatrie qui se confond avec la neurologie et qui ne regarde plus l’asile comme le lieu spécifique de son projet [10]. Un fort courant anti-institutionnel commence à se développer. En Argentine, les asiles se voient engorgés par la même problématique et L. Meléndez se plaint que « l’asile est né insuffisant » [30]. À contretemps du grand voisin du Nord, Domingo Cabred (1859-1929), élève et successeur de L. Meléndez, persuade les autorités de construire un réseau d’asiles. Mais, il s’agit maintenant du modèle utopique de « communauté thérapeutique asilaire » inspiré de Gheel en Belgique et des colonies agricoles de l’Écossais John Conolly [27]. Dans son discours lors de la fondation de l’open-door de la province de Córdoba en 1914 [28], il détaille son vaste programme d’asiles pour « aliénés, pour crétins et retardés mentaux, pour alcooliques, pour épileptiques, pour personnes âgées, pour enfants errants » [19]. D. Cabred, qui préside la Comisión Asesora de Asilos y Hospitales Regionales, est plus un hygiéniste qu’un aliéniste. Son souci ne se restreint pas à la folie, mais s’étend aux tuberculeux, lépreux, etc. La spécificité de la folie se dilue dans une préoccupation d’ordre sanitaire « pour la protection de la lumière de l’esprit » [19]. Sous son impulsion naissent des institutions psychiatriques ayant pour modèle le cottage anglais et le chalet suisse, avant que la psychanalyse ne débarque en Argentine un peu plus tard, et change à nouveau l’histoire.
Conclusion
18Ce parcours sur la naissance et l’enracinement de la psychiatrie moderne dans deux pays du Nouveau Monde montre les limites mouvantes de l’objet de la psychiatrie et sa solidarité des avatars politiques et socioéconomiques de son temps.AuxAmériques, la course frénétique à la modernité, entamée au XIXe siècle, ne laisse pas de place à des questions d’ordre anthropologique : la limite externe de la psychiatrie — une frontière au sens littéral — constituée par les pratiques traditionnelles de la folie doit attendre pour que la tradition européenne s’impose comme la tradition universelle. Mais, au sein des contingences historiques de la rencontre entre la jeune Amérique et les nations de la Vieille Europe (dont Hegel réserve pour l’Allemagne la philosophie, pour la France la politique et pour l’Angleterre le pragmatisme économique), ce processus met en jeu des lignes de fracture et des antagonismes qui lui sont inhérents : la lutte entre d’un côté un idéal d’émancipation du sujet de son aliénation et, de l’autre, sa participation à l’organisation de l’ordre social. Entre utopie, pragmatisme et ordre social, les glissements ne sont pas sans conséquences. Tout au long du XIXe siècle, le déploiement de la psychiatrie aux Amériques nous montre une oscillation perceptible entre le personnage du médecin et celui du manager entrepreneurial. Henri Ey, qui considère que le seul fondement de la science psychiatrique [7] est l’acte clinique à visée thérapeutique, aurait pu nous faire remarquer que son oubli se fait au risque que la psychiatre perde non seulement sa spécificité, mais certainement son âme.
Références
- 1Andrews GR. Afro-Latin America, 1800-200. Oxford University Press, 2004.
- 2Bynum W. La Grande Bretagne. In : Postel J, Quetel C, eds. Nouvelle histoire de la psychiatrie. Paris : Dunod, 1994.
- 3Diagnostical and Statistical Manual of Mental Disorders, 4th Edition.Washington : American Psychiatric Association, 1994.
- 4Coria JC. Pasado y presente de los negros en Buenos Aires. Buenos Aires : J.A. Roca, 1997.
- 5Dörner K. Ciudadanos y locos. Historia social de la psiquiatría. Madrid : Taurus, 1974.
- 6Eliade M. Le chamanisme et les techniques archaïques de l’extase. Paris : Payot, 1968.
- 7Ey H. La Naissance de la psychiatrie. Actual Psychiatr 1977 ; 5 : 9-24.
- 8Golden K. Voodoo in Africa and the United States. Am J Psychiatry 1977 ; 134 : 1425-7.
- 9Grob G. Origins of DSM-I : a study in appearance and reality. Am J Psychiatry 1991 ; 148 : 421-31.
- 10Grob G. The mad among us. A history of the care of America’s mentally ill. Cambridge Massachusetts : Harvard University Press, 1994.
- 11Guerrino A. La psiquiatría argentina. Buenos Aires : Editores Cuatro, 1982.
- 12Gusinde M. El médico-hechicero entre los indios de América del Sur. Actas Ciba Argentina 1939 ; 4 : 123-8.
- 13Hobsbawm E. L’ère du capital. 1848-1875. Paris : Hachette, 1998.
- 14Hurbon L. Les mystères du vaudou. Paris : Gallimard, 1993.
- 15Ingenieros J. La locura en Argentina, 1ra ed. Buenos Aires : Cooperativa Editorial Limitada, 1920.
- 16Lanteri-Laura G. La chronicité en psychiatrie. Les Empêcheurs de Penser en Rond. Synthélabo, 1997.
- 17Lanteri-Laura G. Essai sur les paradigmes de la psychiatrie moderne. Paris : Editions du Temps, 1998.
- 18Mahieu E. Diego Alcorta : Dissertation sur la manie… aiguë ? Actes du 6e congrès de la EAHP, Paris, septembre, 2005.
- 19Maldonado A, Pedraza G, Naides E. El Asilo. Memorias de la vida cotidiana. Buenos Aires, 2002.
- 20Mansilla LV. Una excursión a los indios ranqueles. Buenos Aires : Editorial Kapelusz, 1966.
- 21Melendez L. Los indígenas y la locura. Rev Médico-Quirúrgica 1880 ; XVII : 34 ; (Publié dans Vértex, Revista Argentina de Psiquiatría 2004–2005 ; 58).
- 22Metraux A. Le vaudou haitien. Paris : Gallimard, 1958.
- 23Miller JF. The effects of emancipation upon the mental and physical health of the Negro of the South, 1896. Reprinted from the North Carolina Medical Journal, Electronic Edition, UNC University Library, http://docsouth.unc.edu.
- 24Ramos-Mejía J. La neurosis de los hombres célebres en la historia argentina. Segunda edición. Buenos Aires : La Cultura Argentina, 1915.
- 25Rothman D. The discovery of the asylum. Social order and disorder in the New Republic. Back Bay Books, 1990.
- 26Rosenkrantz B. Les Etats-Unis. In : Postel J, Quetel C, eds. Nouvelle Histoire de la psychiatrie. Paris : Dunod, 1994.
- 27Saenz-Quesada M. La Argentina. Historia del país y de su gente. Buenos Aires : Editorial Sudamericana, 2001.
- 28Sarmiento DF. Facundo. Civilización y barbarie. Madrid : Alianza Editorial, 1988.
- 29Stagnaro JC. La réception des idées de la clinique psychiatrique française à Buenos Aires dans la seconde moitié du XIXe siècle. Actes du 6e Congrès de la EAHP, Paris, 2005.
- 30Stagnaro JC. Lucio Meléndez y el nacimiento de la psiquiatría como especialidad médica en la Argentina (1870-1890. Tesis de doctorado, Facultad de Medicina, Universidad de Buenos Aires, 2005.
- 31Talbott J. Dix personnalités qui ont changé le visage de la psychiatrie américaine. Inf Psychiatr 2002 ; 78 : 667-75.
- 32Weiner D. La Psychiatrie arrive en Amérique : une perspective globale. Paris : Actes du 6e congrès de la EAHP, 2005.
- 33Yao JA. Negros en Argentina : integración e identidad. @mnis, Revue de Civilisation Contemporaine de l’Université de Bretagne Occidentale, Europes/Amériques, www.univ-brest.fr/amnis/.
Mots-clés éditeurs : États-Unis, immigration, économie, civilisation, politique, asile, Argentine, race
Date de mise en ligne : 13/02/2014
https://doi.org/10.1684/ipe.2007.0217Notes
-
[*]
Praticien hospitalier, CHG Robert-Ballanger, 93602, Aulnay-sous-Bois <eduardo.mahieu@free.fr>
-
[1]
Dénomination des directeurs d’asile.
-
[2]
Dorothea Dix (1802-1887), la pasionaria qui contribue au mouvement de création d’asiles [31], exprime dans ses discours la même idée : les régions habitées par les Indiens, ainsi que les plantations où vivent les esclaves noirs produisent peu de cas de folie en comparaison avec les régions habitées par les Anglo-saxons.
-
[3]
Isaac Ray (1807-1881), auteur du célèbre A Treatise on the medical jurisprudence of insanity (1838) et superintendent de l’Augusta Asylum dans le Maine (et plus tard de l’asile de Rhode Island), écrit que la pauvreté aux États-Unis est « une condition accidentelle, une infortune passagère, le résultat d’un accident, d’une maladie, de la malchance, et elle s’éteint avec son malheureux sujet » [26].
-
[4]
Superintendent de l’Utica Asylum de NewYork.
-
[5]
Superintendent du Massachusetts State Lunatic Asylum deWorcester de 1832 à 1846.
-
[6]
Le regard anthropologique du début du XXe siècle voit la figure du fou se confondre avec celle du thérapeute. Les états de transe et d’extase, les « maladies initiatiques », sont souvent décrits en termes psychopathologiques. M. Gusinde [12] affirme que les Indiens distinguent les maladies provoquées par des causes naturelles, des phénomènes surnaturels qui relèvent spécifiquement du médico-hechicero. Les traitements vont de la danse à l’extase collective, mais n’excluent pas l’usage de remèdes secrets, et aussi des pratiques sur le corps tels la succion de l’esprit morbide pratiqué par les Indiens de la région du Chaco.
-
[7]
La machi, lors d’une cérémonie collective initiatique, traverse une maladie mystérieuse décrite par M. Eliade comme « rituel symbolique de mort mystique ». Elle est l’intermédiaire entre monde terrestre et monde céleste.
-
[8]
Il s’agit d’une femme dotée de pouvoirs surnaturels, capable de soulager les malades « qui ont perdu leur esprit » [11].
-
[9]
José Ramos-Mejía, le premier historien-essayiste de la psychiatrie argentine, prétend qu’à cette période elle est au pouvoir [24].
-
[10]
Dans le cas de la soul loss, l’extase du chaman doit retrouver et réintégrer l’âme fugitive du malade. Elle relève spécifiquement du chaman, tandis que les medecine-man peuvent traiter les autres maladies [6].
-
[11]
Promulgués en 1865, ils sont le dernier avatar d’une série de lois concernant les esclaves. Le Code Noir (1685) est son équivalent dans les régions sous domination française et, en Amérique espagnole, c’est le Código Negro Carolino de 1784 promulgué par le roi Carlos qui règle la vie des esclaves noirs.
-
[12]
Ainsi on dénomme les individus qui maîtrisent une connaissance technique des cérémonies rituelles. En même temps que prêtres, ils sont guérisseurs [8, 22].
-
[13]
L’étude de A. Métraux en Haïti [22] laisse imaginer que ces pratiques ne devaient pas être très différentes de celles des esclaves des plantations. Nous apprenons aussi qu’elles ont été très sévèrement réprimées et les esclaves évangélisées de manière stricte. En Haïti, la « campagne antisuperstitieuse », appuyée par l’armée américaine entre 1915 et 1934, peut jeter quelque lumière du combat contre les esprits des lwa [14].
-
[14]
Le New York City Lunatic Asylum est rempli avec des étrangers vers 1860.
-
[15]
A peine arrivé de Suisse, Adolf Meyer affirme en 1894, après 18 mois passés au Kankakee State Hospital (Illinois), que « les conditions de base pour l’observation clinique et l’examen sont absentes » [10].
-
[16]
Osvaldo Eguía, le médecin qui exerce à l’hôpital de femmes devenu plus tard La Convalescencia, perpétue le lien originaire avec la tradition clinique française en nommant « Pinel » et « Esquirol » les pavillons de l’institution.
-
[17]
D. Sarmiento, à l’image d’autres hommes éclairés du continent, pense qu’il est possible de mener à terme le projet des Lumières, là où il s’est arrêté en Europe [28].
-
[18]
C’est une expression de l’époque. Le prologue de la Constitution de 1862 invite « tous les hommes du monde qui veulent habiter le sol argentin », mais cette universalité trouve sa limite dans l’art. 25 qui fait référence explicite à l’immigration européenne.
-
[19]
J.C. Stagnaro recense un total de 115 articles dont 54 consacrés à des cas cliniques, 24 à des questions institutionnelles, 11 à des questions de santé publique, 7 à la thérapeutique, 6 à l’épidémiologie, 5 à la psychiatrie légale, 2 à la nosographie, 2 à des commentaires de thèses et 4 à des sujets variés [30].
-
[20]
Fondée en 1864 par les médecins hygiénistes Pedro Mallo (1838 -1889), Angel Gallardo et Emilio Coni (1855 1928) ; ce dernier est originaire de Saint-Malo par son père.
-
[21]
C’est aussi remarquable la vitalité de cette catégorie qui se glisse jusque dans le DSM IV dans les culture bound syndromes. Elle est attribuée aux populations latino-américaines et comprend de manière surprenante, parmi ses autres dénominations, la soul loss, alors qu’il n’existe aucun culture bound syndrome en rapport avec les afro-américains ou les amérindiens du Nord [3].
-
[22]
L. Meléndez écrit en 1880 dans son article « Manía periódica. Influencia del tratamiento moral en la producción de los ataques » (Rev Médico-Quirúrgica 1880, XVII : 102-103, cité par Stagnaro [30]), que le traitement par le travail se doit de continuer le même métier qu’exerçait la personne avant sa maladie. Ainsi, il met à disposition de « P.J. », cordonnier français de 24 ans atteint de « manie périodique », un capital pour fonder un petit atelier dans l’Hospicio de las Mercedes. Le succès économique inespéré du cordonnier le pousse à réinvestir ses bénéfices et à élargir son marché en dehors de l’hôpital. Mais ce cycle de croissance trouve son point d’arrêt dans une nouvelle crise de manie.
-
[23]
Ancien hôpital général d’hommes.
-
[24]
Cependant, il faut signaler la drapetomania, diagnostic proposé en 1851 par Samuel Cartwright (Louisiane) pour décrire une tendance des esclaves noirs à fuir les plantations, et la dysaethesia aethiopica, du même auteur, qui décrit le manque de motivation des esclaves pour le travail.
-
[25]
« Nous devons ce privilège à une cuisinière noire qui a travaillé pendant quelques années à la maison, « blanchissant » beaucoup ses idées du fait de se trouver parmi des personnes étrangères à toute superstition religieuse. Peu avant la révolution de 1893, elle nous proposa de nous montrer quelque chose « qu’aucun Blanc n’avait jamais vu ». Nous sommes allés à un immeuble où se réunissaient les Noirs pour danser et nous sommes restés enfermés dans une chambre contiguë à celle qui servit cette nuit pour « bailar el santo ». De là, nous avons tout entendu et entraperçu une partie de la cérémonie que nous avons décrit, qui avait pour objet la guérison d’un noir fou, « persécuté par les mandingas ». Postérieurement, elle nous a dit que le malade avait été amené à La Convalescencia, car « El Tata » ne l’avait pas guéri, ajoutant avec mépris que les « bailes del santo » ce sont des « choses de Noirs » » [15].
-
[26]
Il est arrivé jusqu’aujourd’hui une chanson de comparsa de carnaval : « Ni balai, ni plumeau, le noir ne peut plus vendre, car ces naples du diable, sont venus prendre les affaires » [27]. Cette proximité entre Napolitains (souvent classés trigueños) et Noirs, reflète à la fois leur concurrence pour le travail, mais aussi le fait qu’ils font l’objet du même regard méprisant de la bourgeoisie argentine qui s’attend à recevoir une immigration anglo-saxonne.
-
[27]
John Galt du Williambsburg Asylum, propose dès 1850 l’ouverture des structures décentralisées inspirées de la Ferme Sainte Anne et de la colonie d’aliénés de Gheel. En 1869 ouvre dans l’état de NewYork l’asile deWillard, resté seul sur ce modèle aux Etats-Unis.
-
[28]
Le premier open-door d’Argentine est inauguré en 1901 à Luján (à 60 km de Buenos Aires). L’anecdote veut que Georges Clemenceau lors d’une visite en 1910 affirme : « Mon destin a voulu que ce soit dans une maison de fous que je trouve l’œuvre la plus parfaite de la raison humaine » (cité par Guerrino [11]).