1Cet article prend son origine dans le travail que j’ai effectué l’année dernière auprès de l’équipe de soin du centre de santé mentale de la Mutuelle générale de l’éducation nationale à Lille. Ce travail sur la mélancolie avait été proposé du fait de deux cas que nous avions alors au sein de notre hôpital de jour, cas que je pourrai qualifier dans une première approche de radicalement différents ; j’y reviendrai. Mais si, comme mon titre le suggère, la mélancolie résiste bien à l’épreuve du temps, ces deux cas montreront qu’elle résiste bien aussi à l’épreuve des lieux, lieux psychiques que Freud caractérisa en 1920 dans sa deuxième topique.
2La question de la mélancolie m’intéressait depuis ce jour déjà lointain, lorsque, étudiant en médecine, venant d’effectuer un stage d’externe en psychiatrie et voulant préparer le concours de l’internat, j’avais commandé, afin « d’entamer mes révisions », ces fameuses questions d’internat. J’eus alors la surprise de recevoir pour la psychiatrie une question intitulée MMD. La fameuse PMD, psychose maniacodépressive de la littérature, dont j’avais pu constater l’existence quelques semaines auparavant, existence livresque mais aussi sur le terrain de la clinique s’était en quelques jours transformée. On pourrait presque dire dénaturée. Désormais ce n’était plus une psychose mais une MMD ou maladie maniacodépressive. Et l’on sait depuis comment cette MMD a évolué dans les nosographies contemporaines. L’interne de notre service faisant le point l’année passée des dernières tendances nosographiques ne détaillait pas moins de huit entités dans les formes bipolaires (classification d’Akiskal) : les fameuses Bip 1,2,3 mais aussi maintenant forme 1/2, 1, 11/2, 2,2 1/2…
3Certes le dépliage nosographique peut souvent être souhaitable lorsqu’il s’enrichit de nouvelles entités pertinentes mais, dans ce cas précis, précis si j’ose dire, il semble plutôt entraîner la confusion et ne semble pas apporter un intérêt évident tant de compréhension facilitée que de thérapeutique améliorée.
4Ce qui m’intriguait dans les deux cas étudiés peut se résumer dans deux remarques et questionnements : outre de constater que le désinvestissement du monde que l’on observe dans la mélancolie, reflux de la libido sur le moi qui semble bien être ce qui caractérise les psychoses en général, comment expliquer la guérison de certains épisodes mélancoliques (c’est d’ailleurs une notion classique que les épisodes guérissent spontanément en six à huit mois lorsque les patients ne se suicident pas) et le passage à la chronicité de certains autres, gravissimes dans certains cas, notamment pour l’un de ceux que je vais évoquer ?
5Une deuxième remarque, en somme une autre résistance à l’effet du temps et des modes me semble être la constatation de la pertinence toujours actuelle des théories freudiennes pour la compréhension de tels états [5]. Même si celles-ci ne répondent néanmoins pas totalement à certaines questions, en particulier par exemple celle évoquée dans la première remarque à propos du potentiel évolutif éminemment variable d’un cas à l’autre.
Deux cas
6Alors concernant les deux cas, je vais succinctement, d’une manière que je n’espère pas trop simplificatrice, les comparer au regard de leur similarité mais aussi de leur potentiel évolutif radicalement opposé.
7La première patiente, que j’appellerai Mme D, est âgée d’un peu plus de 50 ans. Elle est désormais sortie de l’hôpital de jour après un peu plus d’un an d’hospitalisation et va désormais assez bien. Il s’agit d’une femme professeur de philosophie ayant accompagné les derniers mois de vie de son mari atteint d’un cancer du cervelet, lui cachant jusqu’à la dernière semaine l’évolution fatale annoncée par les médecins par, selon Mme D, « mensonge et trahison ». Après le décès de celui-ci et un deuil pathologique passé inaperçu et que je détaillerai un peu plus loin à propos de la question des lieux, Mme D dut subir dans les suites ultérieures une hystérectomie, puis une mise en invalidité en raison d’une dépression qui durait. Comme tous les ans, se rendant en cure thermale pour le soin d’un psoriasis mais pour la première fois sans son mari, elle fut sollicitée par les avances d’un homme à qui elle plaisait. De cet instant surgit un grand délire qui devait l’amener à l’hôpital. Ce grand délire qui aurait pu passer pour un délire paranoïaque du fait d’interprétations s’organisait néanmoins autour de la faute délirante et des idées d’indignité et de châtiments : on la recherchait comme une criminelle et on la surveillait pour l’abattre. Elle était au centre d’un grand jeu qui passa progressivement d’un niveau local puis national et international, jeu au cours duquel elle devait passer des épreuves au regard desquelles seule la réussite aurait pu avoir une vertu rédemptrice. Mais elle échouait à chaque fois se condamnant à une mort certaine. Elle l’avait de toute façon bien méritée. D’autres idées enrichissaient ce délire. Par exemple son visage allait être dépiauté : « un autre allait rentrer chez moi », disait-elle.
8Après quelques semaines d’hospitalisation de jour et un traitement associant une chimiothérapie antidépressive et un traitement neuroleptique à dose très faible, son état s’améliora. Son moi non totalement englouti put progressivement, par expansions tel un pseudopode, réinvestir le monde.
9La deuxième patiente, Mme B, est une femme hospitalisée dans notre hôpital de jour depuis cinq ans dont l’état est toujours gravissime. Durant les trois premières années, au moins huit hospitalisations à temps plein émaillèrent sa prise en charge en raison de risques vitaux (risques biologiques du fait de l’amaigrissement ou d’un risque suicidaire majeur), risque qui persiste toujours néanmoins. La nécessité itérative du recours à l’hospitalisation à temps plein pour de longues durées et dans des lieux multiples et par des équipes différentes entraînant des discontinuités dans le processus de soins représente la seule chose que nous ayons pu jusque-là améliorer. Nous pourrions décortiquer son histoire en quatre temps pour arriver à ce processus de mélancolisation
- Premier temps. D’abord ce qu’elle dit de son histoire infantile. Ses parents toujours très unis n’ont toujours finalement fait qu’un. Une entité singulière, une bulle, une vacuole. Elle ne parle d’ailleurs jamais de sa mère ou de son père mais de ses parents, entité homogène au côté de laquelle elle se sentait étrangère, exclue. Fille unique élevée essentiellement par la grand-mère maternelle, dont la perte fut très douloureuse vers 5 ans. Elle dit avoir vécu dès lors dans la haine de ses parents jusqu’à son mariage, haine qui l’habite encore toujours aujourd’hui de manière extrêmement puissante.
- Deuxième temps. Les premières années de son mariage semblent avoir été assez heureuses, son objectif étant bien sûr de réaliser avec son mari un couple uni jusque dans la fusion pour ne faire qu’un « comme mes parents » dit-elle. Quatre enfants naquirent.
- Troisième temps. La première bascule est la découverte de la tromperie conjugale. Elle est délaissée pour une autre. C’est un « laisser tomber ». Soupçonnant la tromperie, elle se rend chez l’amante pour la surprendre avec son mari et, alors qu’elle les trouve au lit, ce qu’elle retient étrangement de ce moment concerne le chapeau qu’elle avait offert à son mari quelque temps auparavant, chapeau qui reste là en plan, posé, abandonné dans le vestibule. Le chapeau laissé, c’est elle. Mais ce n’est pas directement cet événement qui l’amène à rencontrer la psychiatrie et l’hôpital. Elle se rapproche dès lors de la sœur de son mari qui semble elle aussi rencontrer des déboires conjugaux. L’éloignement, le décollage du lien au mari entraîne une aventure que l’on peut qualifier rétrospectivement d’amoureuse avec cette belle-sœur dont elle dit qu’elle était sa confidente, comme une sœur avec qui elle aimait discuter de « ce qui ne regarde pas les hommes ».
- Quatrième temps. Au suicide de celle-ci, c’est l’aspiration mélancolique, la chute inexorable qui aboutit à l’état catastrophique que nous connaissons et qui semble fixé dans la pierre pour ne pas dire dans le marbre. « Je l’aimais, dit-elle, elle m’a entraînée dans la mort, j’y suis. Je m’enfonce sous terre. Je lui en ai vraiment voulu de m’avoir abandonnée ». La patiente passe son temps alitée, fixée dans la position d’un gisant, « ça me rapproche d’elle » dit-elle, se décrit comme un déchet, n’aspire qu’à la mort, veut qu’on l’euthanasie afin qu’elle rejoigne cette belle-sœur qui la hante, « qui est en moi, affirme-t-elle, je suis dédoublée, une deuxième personne est là qui attend son heure », qu’elle voit et qui l’appelle à la rejoindre. Elle est persuadée qu’elle vivrait enfin dans l’apaisement avec elle comme compagne, main dans la main. Comme ses parents ne faisaient qu’un toujours agrippés l’un à l’autre, comme elle ne souhaitait faire qu’un avec son mari, comme elle ne souhaite faire qu’un avec cette morte.
Processus d’incorporation
10Pour ces deux cas, j’aimerais revenir sur le processus d’incorporation, processus par lequel un sujet sur un mode fantasmatique fait pénétrer un objet à l’intérieur de son corps. L’incorporation permet de justesse d’éviter, non le manque, mais le vide, la disparition de l’autre risquant d’entraîner sa propre disparition, mais laissant chez le sujet cette impression d’être envahi de l’intérieur. Processus que Nicolas Abraham et Maria Torok ont bien distingué de l’introjection décrite par Ferenczi [1]. Introjection du côté de l’enrichissement et de l’élargissement du moi alors que l’incorporation serait plutôt dans sa limitation par cette inclusion massive limitant les potentialités et les intérêts du moi. Incorporation qui, selon les circonstances, a pu faire parler, selon Torok et Abraham, de fantôme, de cadavre exquis, de crypte, du fait d’un deuil impossible, deuil entravé en raison d’irruptions libidinales honteuses avant ou après la mort de l’objet aimé [2, 8].
11Les classiques notions freudiennes d’ambivalence et de choix narcissique dans la relation à l’objet ne seront pas développées ici pour expliquer la mélancolie dans ces deux cas, même si, dans chaque situation, les patientes ont amené chacune du matériel clinique pour les confirmer [4]. Par exemple, Mme B pouvait dire qu’elle étouffait son mari ou Mme D qu’elle avait mené la vie dure à celui-ci et que avoir une relation amoureuse pendant la cure aurait été selon cette formulation très ambiguë : le faire mourir une deuxième fois. Nous nous concentrerons essentiellement sur la question de l’incorporation, du syndrome de Cotard et de son rapport avec la négation et, enfin, de la protection délirante particulière dans le cas de Mme D.
Inventaire topographique
12Pour commencer, un petit inventaire topographique. Notre première patiente, Mme D, me raconta au cours des entretiens ce que je pourrais appeler une sanctuarisation de certains espaces de son domicile. Depuis le décès de son mari, elle évitait de séjourner dans les espaces où il avait l’habitude de rester, ne faisant qu’y passer si cela s’avérait absolument indispensable. Son bureau, son fauteuil, le garage où les affaires de pêche, pourtant fortement embarrassantes, ne pouvaient même pas être touchées, comme d’ailleurs l’ensemble des affaires ayant appartenu au défunt. Pour le lit, même si elle l’avait conservé, elle s’était acheté une couette d’une place. Ces contournements spatiaux avaient de ce fait fortement limité ses possibilités de déplacement dans la maison. Elle avait pour ainsi dire désinvesti spatialement de grands espaces de son domicile du fait de la présence du mort. Je voyais un parallèle probable entre l’espace géographique de sa maison et l’arrangement son espace topologique. L’ombre tombée sur son moi suite à l’incorporation de l’objet limitait ainsi le réinvestissement du monde comme l’espace de sa maison se trouvait désormais limité par la présence du mort. On pourrait même dire d’une certaine façon que l’espace spatial de sa maison avait été clivé comme son moi l’était par la présence de l’objet incorporé à celui-ci. La place que ce dernier occupait désormais dans son moi obérait l’occurrence d’une possible rencontre amoureuse lors de la cure thermale et la rendait de toute façon inacceptable. C’est ainsi que se déclencha le délire et que se déchaîna le surmoi accusateur. Faute incommensurable, châtiment inéluctable.
13Hulak situe et repère le syndrome de Cotard entre la mort biologique et la mort dans le symbolique par dissolution du sujet [6]. Ce syndrome se caractérise par des idées de damnation, de châtiment éternel et de négation ou de transformation d’organe. La croyance délirante et fréquente d’être déjà mort en représente un autre aspect [3]. Ce syndrome de Cotard est ici repérable chez les deux patientes sous des formes différentes.
14Chez Mme D et son visage dépiauté, c’est une transformation corporelle affectant le spéculaire qui en témoigne. Dans ce moment, la patiente avait l’impression d’être habitée par un autre. Bien plus présent et ouvert chez Mme B qui peut dire « C’est mort en moi. Mon corps est mort du bas, le bassin, les jambes ». Elle formule aussi cette expression énigmatique : « je suis une morte vivante, un être posthume » qui, si l’on s’en réfère au dictionnaire, pourrait signifier qu’elle est désormais un être qui a vu le jour après la mort de quelqu’un. Sans doute cet être posthume est-il, depuis le décès de cette belle-sœur et l’incorporation de l’objet, ce nouvel être de l’entre-deux, entre la mort biologique et la mort psychique.
15Séglas (1895), contemporain de Cotard, avait bien repéré ce qu’il appelait les aliénés négateurs [7]. Ces patients peuvent nier de manière extensive et quasi mégalomaniaque avoir un nom, des organes, une existence propre, une famille, voire l’existence du monde. Dimension de négation et de refus qui, après Freud et le remaniement de sa théorie pulsionnelle, pourra être rattachée à la pulsion de mort et à la haine. « Je hais les gens dont j’ai besoin » dit Mme B. Cette même patiente ne nie pas l’existence du monde, elle nie son appartenance au monde duquel elle est irrémédiablement séparée « par un rideau de larmes ». Il y a le monde, un bloc, un bloc comme ses parents d’ailleurs et elle qui ne participe en rien du monde, sauf à en être un déchet comme elle se caractérise.
16Chez les deux patientes apparaît une dimension mégalomaniaque dans le délire. La progressivité inflationniste dans l’ampleur du jeu qui de régional devient national puis international chez Mme D tellement criminelle qu’elle ne peut être recherchée et abattue « qu’internationalement » à l’acmé de sa mélancolie. Le gigantisme apparaît chez Mme B soit dans le rien et se traduit par le fait d’être « immensément seule », « totalement abandonnée », « incommensurablement déchet », soit dans une identification christique dans plusieurs rêves où elle se voit morte, entourée de douze hommes en blanc, condensation d’une représentation apostolique et soignante.
17Est-ce chez Mme D la spécularité du moi qui se délitait comme la peau du visage sous l’effet du cadavre incorporé qui occupait ce moi ? Comme il occupait de même l’espace de la maison. Mais ici l’ombre de l’objet n’avait pas totalement englouti le moi. Est-ce le délire qui joua un effet protecteur chez elle ? Délire qui, par sa construction assez raffinée, rattachait la patiente au monde, attaches délirantes et persécutives qui faillirent néanmoins la pousser au suicide quelques jours avant d’entrer à l’hôpital comme elle nous le confirma.
18Mme B racontait, quant à elle, que, lors du décès de sa belle-sœur, celle-ci arriva au domicile dans un sac blanc. Elle se souvenait l’avoir trouvée dans ce moment extrêmement belle et elle n’eut de cesse depuis de la rejoindre dans la mort. Dans ses alitements intemporels et permanents, son monoïdéisme tournait autour de ses retrouvailles dont elle parlait avec un grand sourire de jouissance. Allongée, elle imaginait lui donner la main et l’identification à la morte apparaissait par exemple dans les visions qu’elle avait d’elle-même installée dans un très beau cercueil au drap blanc. C’est ce signifiant blanc, blanc du sac de la morte et blanc du drap du cercueil dans la fantaisie imaginative qui témoignait par exemple de cette identification dont nous avions plusieurs éléments. Sous l’effet de l’incorporation et de l’identification massive du moi à l’objet incorporé, la régression chez Mme B est profonde et ne lui permet plus d’investir le monde. Je crois que, dans cet exemple clinique, on peut véritablement parler comme Abraham et Torok le font de fantasme du cadavre exquis.
19Alors que, chez Mme D, on ne peut approcher l’incorporation dans le moi, moins massive, moins « ouverte » que par sa traduction métaphorique dans l’organisation spatiale du domicile. Le clivage du moi la protège contre l’engloutissement total de celui-ci.
20L’incorporation hante Mme B comme un réel. Le fantôme de sa belle-sœur est toujours là. Elle dit se sentir envahie, habitée intérieurement par elle. Incorporé massivement, cet objet entraîne une anorexie des plus graves ayant amené à plusieurs reprises dans les années précédentes Mme B en hospitalisation temps plein devant le risque biologique vital.
21Toute assiégée par ce cadavre dont elle dit qu’il est là, en elle, Mme B se dit « pourrie de l’intérieur ». C’est cette même identification à l’objet qui la fait se sentir « s’enfoncer sous terre » où l’on rejoint le monde des cadavres. Le thème de la pourriture est omniprésent chez elle. On l’a sans doute trouvée dans une poubelle à la naissance, elle n’est de toute façon qu’un déchet et ne peut donc avoir aucune place pour l’autre.
22La question de la faute délirante est moins évidente chez Mme B que chez Mme D. Par contre le déchaînement du surmoi et de la haine est massif chez l’une comme chez l’autre. On a l’impression que ce qui évite à Mme B de passer à l’acte suicidaire c’est qu’une partie de cette haine arrive encore à se déverser à l’extérieur envers ses proches et l’équipe de soin, ce qui avait d’ailleurs entraîné une difficulté de la prise en charge devant la négativité et le refus que cette patiente déployait à l’hôpital de jour. Elle évoque néanmoins ce suicide de manière crue à chaque entretien depuis des années. On l’a d’ailleurs retrouvée à plusieurs reprises avec des objets de strangulation autour du cou.
23Ces refus généralisés (refus de toute activité à l’hôpital de jour, de tout moment groupal) cette négativité traduit la pulsion de mort à l’œuvre. Mme B dit d’ailleurs que le diable est là, qu’il la guette, qu’il ricane, qu’il attend son heure. On peut bien sûr reconnaître les idées de damnation et de châtiment caractéristiques de la mélancolie mais, de la manière dont Mme B déploie les choses, elle évoque une lutte à mort entre elle et le diable. Dualité pulsionnelle entre les pulsions de vie et de mort. Ce diable qui de toute façon va tôt ou tard l’emporter et plutôt d’ailleurs tôt que tard car « tout est déjà fini elle est déjà morte ».
24Cette haine, dit-elle, était déjà là enfant. Mise en sommeil au moment du mariage, elle ressurgit de manière massive au moment de la tromperie pour se déchaîner après le suicide de la belle-sœur.
25Dans le cas de Mme D, la métaphore délirante avait réussi à effectuer un mouvement de projection, projetant la haine dans une extériorité, on la surveille/on veut l’abattre, comme d’ailleurs dans la paranoïa. Ce que n’arrive pas à faire Mme B. Toute la haine surmoïque se déchaîne dès lors sur ce moi totalement identifié à cet objet d’amour et de haine. On ne va pas l’abattre mais elle demande à l’être. La seule chose que nous arrivons encore à faire à l’hôpital, c’est de tolérer qu’une petite partie de cette haine puisse encore se déplacer sur le lieu soignant et le thérapeute plutôt que sur le moi.
Conclusion
26Il semble important devant la dilution nosographique concernant la psychose maniacodépressive de conserver un point d’ancrage théorique fort pour aborder la compréhension des cas qui ne semble pas se réduire à un bip 4 ou 4 1/2. Le modèle freudien repris par ses successeurs ne semble pas obsolète mais, au contraire, toujours pertinent pour un repérage clinique. Que la mélancolie comme le succès de l’exposition parisienne du début de l’année 2006 le montre intrigue toujours autant, même si l’entité psychopathologique ne recoupe pas totalement l’acceptation sémantique de ce mot dans la culture. Et que même si notre période historique du soupçon, de l’abus et de la défiance met plutôt la paranoïa au-devant de la scène, même si elle aurait plutôt tendance à disparaître des nosographies comme le signalait déjà Lantéri-Laura il y a quinze ans, la mélancolie résiste néanmoins bien à l’épreuve du temps.
Références
- 1Abraham N, Torok M. Introjecter-incorporer, deuil ou mélancolie. Nouvelle revue de psychanalyse 1972 ; 6 : 111-22.
- 2Abraham N, Torok M. L’objet perdu-moi, Notations sur l’identification endocryptique. Rev Fr Psychanalyse 1975 ; 3 : 409-26.
- 3Cotard J, Camuset M, Séglas J. Du délire des négations aux idées d’énormité. Paris : L’Harmattan, 1997.
- 4Janneau A. Dictionnaire de psychanalyse. Paris : Calman-Lévy.
- 5Freud S. Deuil et mélancolie. In : Métapsychologie. Paris : Gallimard, 1968.
- 6Hulak F. Syndrome de Cotard ou clinique de l’entre-deux mort. Inf Psychiatr 2003 ; 79 : 415-21.
- 7Séglas J. Délire des négations, sémiologie et diagnostic. Paris : Masson-Gauthier- Villard, 1987.
- 8Torok M. Maladie du deuil et fantasme du cadavre exquis. Rev Fr Psychanalyse 1968 ; 4 : 715-33.
Mots-clés éditeurs : mélancolie, troubles bipolaires, Cotard, psychanalyse, chronicité
Date de mise en ligne : 15/02/2014
https://doi.org/10.1684/ipe.2007.0209