1Les psychiatres et les soignants en psychiatrie ont inscrit dans leurs formations initiales ainsi que dans leur pratique quotidienne la nécessité d’une analyse constante de leur travail clinique sous forme collective. Les équipes de psychiatrie publique ont développé différentes pratiques de soins s’appuyant sur le concept de secteur de psychiatrie. Ce modèle intègre autour du patient et de sa famille différents niveaux d’intervention, étapes, lieux et temps de soins. Nos équipes accompagnent ces patients par des modalités très diverses comme les prises en charge intensives en hospitalisation, le recours à des outils alternatifs ou le suivi en consultations ambulatoires. L’espace du soin se construit sur les questions de la continuité des soins et du travail psychothérapeutique institutionnel.
2Ce travail institutionnel de groupe est formalisé dans nos services selon l’histoire sous diverses formes : réunions de service, groupes de supervision ou d’intervision, synthèses, staffs, cartels… Ces différents modèles permettent une véritable analyse institutionnelle s’appuyant sur un approfondissement des contenus et des processus développés dans ces réunions. Les réflexions sont complétées d’analyses des situations complexes, de problèmes cliniques particuliers, des recherches bibliographiques… Ces différents niveaux de recherche permettent à chacun de se situer dans une élaboration de son rapport aux savoirs.
3Les médecins sont tenus, depuis la loi du 13 août 2004, à une obligation d’évaluation des pratiques professionnelles (EPP) qui a été précisée par le décret n° 2005-346 du 14 avril 2005.
4D’après la Haute autorité de santé (HAS), « l’évaluation des pratiques d’un médecin ou de tout autre professionnel de santé est l’analyse que celui-ci (avec ou sans ses pairs) peut faire de son activité clinique. Cette analyse se fait évidemment par rapport aux recommandations professionnelles disponibles existantes. De cette comparaison doit résulter une amélioration des pratiques, au bénéfice du service rendu au patient ».
5Différentes méthodes existent permettant la mise en place d’une démarche d’évaluation et la poursuite du développement d’une démarche qualité. Ces programmes amènent également à une validation dans un deuxième temps de l’obligation légale selon des procédures individuelles ou collectives ou encore dans le cadre de la certification des établissements de santé.
6Parmi ces formes d’organisation d’EPP, deux apparaissent pouvoir s’appuyer dans leur forme et leur contenu sur les modèles de travail d’analyse déjà institués par certaines réunions dans nos services, ce sont les groupes d’analyse de pratiques entre pairs et les staffs-EPP des équipes hospitalières. Ces méthodes ont fait l’objet d’un travail de synthèse que l’on retrouvera sur le site de la HAS, et une adaptation à la pratique en psychiatrie a été proposée en séminaire d’EPP de l’Association pour les congrès et la formation continue des psychiatres (ACFCP) au congrès de la Société de l’Information Psychiatrique à Marseille en octobre 2006 par Nicole Garret-Gloanec et Marc Bétrémieux.
Les groupes d’analyse de pratiques entre psychiatres
7L’analyse de la pratique en groupe est un mode extrêmement répandu de reprise du travail clinique entre psychiatres. Les équipes ont développé dans le cadre institutionnel de leur pratique de secteur de psychiatrie diverses formes de réunion de présentation de situations.
8Cette approche permet à chaque professionnel de situer son intervention clinique dans les différentes dimensions que sont l’analyse séméiologique, l’élaboration de la démarche diagnostique et la construction d’un projet de soins.
9Le recours institué au groupe oblige chaque praticien à confronter sa pratique individuelle à un cadre théorique scientifique partagé, à interroger son savoir mais, surtout, lui permet de mettre à l’épreuve son rapport aux patients et à la maladie, dimensions centrales d’une pratique de clinicien en psychiatrie.
10La HAS a formalisé une démarche d’amélioration de la qualité, à partir de l’expérience développée à l’initiative de plusieurs associations de médecins : les groupes d’analyse de pratique entre pairs.
Le groupe d’analyse de pratique entre pairs peer review
11Ce modèle a été élaboré par les associations de médecins généralistes ayant une pratique essentiellement ambulatoire et en particulier par la Société française de médecine générale (SFMG) dont l’expérience acquise par plusieurs années de pratique fait référence : « Les groupes de pairs sont nés de la volonté de structurer une étude de la pratique de la médecine générale en groupes de travail ». Ces médecins généralistes ont soutenu l’idée primordiale de valoriser leur pratique effective et quotidienne. Ils ont souhaité l’analyser au travers de modalités de travail en groupe afin de permettre l’expression et le débat. Ce travail d’élaboration est complété par une confrontation aux données de la science.
Historique
12Le terme de « groupes de pairs », utilisé par la SFMG a été inspiré par R. Grol et son équipe néerlandaise de Nimègue dont l’article Peers review in general practice, édité en 1985 dans la revue Family Practice, s’intéresse aux motivations des médecins généralistes à participer à des audits cliniques.
13En France, dès 1987, la SFMG impulse les premiers groupes comme méthode d’étude critique de la pratique et de la formation d’une personnalité professionnelle. La SFMG fait le dépôt légal du terme « groupe de pairs® » en 1994. La méthodologie du groupe de pairs® a été validée en 2003 lors du 2e symposium à Annecy. D’autres modalités d’organisation de groupes ont été développées telles que les groupes d’échange des pratiques de MG Form ou les groupes qualité de l’URML Bretagne.
14Cette méthode de formation et d’évaluation a été reconnue par la HAS en 2006 comme un des moyens collectifs de répondre à l’obligation d’évaluation des pratiques professionnelles (EPP) en ambulatoire et qui en a fait une fiche technique disponible sur son site.
Définitions
15Le critère premier de cette méthodologie concerne la nécessité d’égalité de statuts des différents participants au groupe : les pairs sont des personnes égales en situation sociale et semblables quant à la fonction. Tous les professionnels occupant le même rang dans l’organisation du groupe, l’absence de hiérarchie permet de faciliter la libre parole de chacun.
16Un groupe de pratique entre pairs doit être constitué de praticiens d’une même spécialité. Il fonctionne en s’appuyant sur des modalités de travail interactives. D. Davis et al. ont montré que seules les formations médicales continues qui utilisent des méthodes interactives ont une certaine efficacité.
Objectifs
17Les auteurs M. Arnould et C. Cohendet de la SFMG, dans un débat publié dans la Revue du Praticien, rappellent que les groupes d’analyse de pratiques entre pairs ont comme finalité l’acquisition de nouveaux savoir-faire. Cela se fait à travers divers objectifs comme celui de favoriser les échanges entre médecins ou encore d’analyser et de critiquer la pratique telle qu’elle est, la confronter aux données de la science.
18La dynamique du groupe permet de renforcer l’identité professionnelle, d’améliorer le travail en équipe et la coordination des soins.
19Ces différents objectifs constituent la base d’une démarche visant à améliorer la qualité des soins.
Les groupes d’analyse de pratique entre psychiatres
Méthodologie : le groupe
20Les psychiatres, praticiens d’un même exercice, doivent constituer un groupe homogène, volontairement restreint de six à dix praticiens afin de permettre l’expression de chacun.
21Ce groupe peut se créer à partir d’une configuration déjà existante comme certaines réunions institutionnelles que les praticiens décident de faire évoluer en reprenant les critères de formalisation des « groupes d’analyse de pratique entre pairs » tels que définis par l’HAS. D’autres modalités de constitution de groupes peuvent également être utilisées et s’appuyer sur différents statuts informels ou encore associatifs.
22Le groupe centre son analyse sur la pratique quotidienne et ordinaire de chaque psychiatre qui compare sa pratique à celle des autres sur des cas réels. L’absence de hiérarchisation dans la communication aboutit à ce que le groupe fasse fonction d’une certaine façon de référentiel où il n’y a pas d’individu en place d’expert.
23La discussion entre les participants conduit à la mise en évidence de divergences dans l’analyse, aboutissant à consulter les recommandations existantes, les données de la science et de la littérature. Chaque praticien et, à un autre niveau, l’ensemble du groupe est amené à comparer sa pratique, à observer les écarts, à les réduire ou à les justifier par rapport à un référentiel de pratique. L’évaluation de la pratique ainsi organisée aboutit à un premier objectif de formation continue interactive.
24Le groupe d’analyse de pratique entre pairs constitue un moyen d’évaluation collective et continue des pratiques s’appuyant sur une démarche personnelle volontaire. Les règles du groupe se doivent de respecter l’identité professionnelle, ainsi que les formes et les modalités habituelles développées dans le quotidien de notre travail. Par ailleurs, il se doit d’être un lieu d’auto-évaluation non sanctionnant
Méthodologie : les réunions
25Pour fonctionner chaque groupe d’analyse de pratique entre psychiatres se doit de respecter différentes règles et aura à en justifier pour la démarche de validation de l’EPP.
26L’ACFCP a organisé à Marseille en 2006 un séminaire EPP consacré aux groupes d’analyse de pratiques entre psychiatres. Différents critères retenus par la HAS ont été validés dans des fiches protocoles. Les réunions doivent être régulières et avoir une fréquence suffisante : le rythme d’une par mois permet d’obtenir une démarche d’amélioration continue. La présence des membres du groupe doit être certifiée par la signature sur une liste d’émargement, chaque médecin ayant à participer à au moins six de ces réunions pour une validation de son EPP.
27L’animation du groupe s’appuie sur la désignation d’un modérateur et d’un secrétaire à chaque réunion. Le modérateur a comme responsabilité de faciliter la dynamique, de répartir le temps de parole, d’aider chacun à se maintenir dans les objectifs du groupe. Afin de garder la confidentialité des débats, il n’y a pas par principe d’observateur extérieur. De façon volontaire et concertée, le groupe peut faire appel à un animateur extérieur qui peut apporter dans certains cas son expertise.
28Un compte rendu de séance rédigé par le secrétaire témoigne du contenu de la séance, il résume les problèmes posés et les réponses apportées par le groupe, les références et les prises de décisions consensuelles. Chaque membre du groupe exerce tour à tour le rôle de secrétaire de séance.
29Chaque réunion est organisée autour de trois temps distincts : l’étude de cas, l’analyse du parcours et de la coordination des soins, des thématiques spécifiques. L’ensemble de la réunion dure entre deux et trois heures (encadré 1).
L’ACFCP a été agréée le 29 novembre 2006 par la Haute Autorité en Santé pour l’évaluation des pratiques professionnelles des médecins salariés et hospitaliers.
Processus d’analyse et d’amélioration de la pratique
30Au cours de la réunion, les problèmes cliniques sont présentés et analysés, les références sont consultées, chaque psychiatre argumente ; des pistes d’amélioration consensuelles et référencées sont éventuellement définies et proposées.
31L’appropriation par chacun de praticiens accompagne l’effort d’amélioration de l’exercice quotidien de la pratique et de la continuité des soins par réduction des écarts observés et évaluation régulière de l’impact.
Les staffs-EPP des équipes hospitalières de psychiatrie
32De nombreuses équipes de psychiatrie en établissement de santé ont développé des réunions de service appelées staffs réunissant les différents soignants de manière pluriprofessionnelle, ce qui est d’un intérêt majeur pour la prise en charge des patients de notre discipline. Le staff désigne la réunion d’un service ou d’une unité de soins instituée dans un but organisationnel ou pour évaluer et résoudre des problèmes des prises en charge médicales. La plupart de ces staffs hospitaliers affichent un objectif associé de formation des participants.
33La HAS a souhaité valoriser ces modalités d’exercice clinique qui portent en elles-mêmes un volet d’évaluation et permettent aux équipes d’analyser les données de leurs pratiques. Le principe retenu pour le staff-EPP des équipes hospitalières est de formaliser certaines de ces réunions afin d’enclencher une démarche d’amélioration continue de la qualité.
Staffs médicaux hospitaliers « protocolisés »
34L’arrêté du 13 juillet 2006 portant homologation des règles de validation de la formation médicale continue considère que les staffs protocolisés sont intégrés dans la catégorie 3 qui regroupe un ensemble de situations professionnelles formatrices.
35Dans sa réflexion sur le développement de l’EPP, la HAS a mis l’accent sur les formes émergentes de pratiques médicales et d’évaluation où l’analyse de dossiers, base de travail des staffs médicaux, apparaît comme forme d’évaluation des pratiques professionnelles. La mise en place d’un protocole a été retenue comme objectif afin de permettre de valider une démarche d’amélioration des pratiques pour un staff.
Historique
36La Fédération des spécialités médicales a mis en place un groupe de travail, coordonné par Jacques-Henri Barrier (interniste) et Nicole Garret-Gloanec (pédopsychiatre), qui a rédigé des fiches de protocole de staff. Deux fiches de staff ont été différenciées, une pour la formation et une autre pour l’EPP. La fiche technique d’un protocole de staff élaborée par la FSM a été examinée par le Conseil national de formation médicale continue des hospitaliers (CNFMCH) qui a confirmé les deux niveaux de participation à un staff, le premier étant formatif et le second évaluatif. Ces fiches ont finalement été adoptées par le CNFMCH le 21 avril 2006.
37Le modèle de staff pour la formation médicale continue est présenté sur le site de la Fédération des spécialités médicales.
38Cette séparation est relativement artificielle et les staffs ont en général une double fonctionnalité formative et évaluative.
Staff protocolisé pour l’EPP : groupe de décision et d’évaluation professionnelle (GDEP)
Groupe de professionnels
39Le groupe de staff-epp va réunir différents professionnels d’une même structure : médecins spécialistes, généralistes, autres professionnels de santé. La dimension pluriprofessionnelle est possible, voire recommandée. L’équipe comporte rarement plus de dix praticiens.
40La composition du groupe doit être stable au cours des différentes réunions afin de maintenir une certaine dynamique. La possibilité de confrontation à d’autres équipes, à des formes d’exercices interdisciplinaires ou à des échanges sur les pratiques public-privé sont également des expériences encouragées.
Objectifs
41L’analyse des pratiques professionnelles dans les staffs-EPP doit permettre le développement de la formation des praticiens et l’amélioration de la qualité des soins. Chaque groupe staff-EPP identifie un ou plusieurs thèmes, par exemple un symptôme, une technique, un examen complémentaire, une organisation ou parcours de soins, un chemin clinique, un traitement, un axe de prévention ou d’éducation thérapeutique/de santé et met en place une analyse et une recherche.
Organisation
42Différentes fonctions sont définies et occupées par les membres du staff-EPP :
- un responsable du programme de staff-EPP ;
- un modérateur ayant une expertise dans le ou les thèmes choisi désigné avec pour fonction de permettre la circulation de la parole ;
- un expert, qui peut être aussi le modérateur, choisi au préalable si le thème est préétabli ou en début de séance si les travaux portent sur les cas cliniques en cours ;
- un secrétaire de séance qui est en charge des différents comptes rendus : résumé de séance, de discussion, etc.
43L’organisation s’appuie également sur des modalités pratiques que le groupe aura programmées :
- une feuille d’émargement qui sera datée et signée ;
- la régularité des séances : la date du staff est déterminée ainsi que sa fréquence avec un suivi sur une durée qui est variable de 6 à 12 mois (action ponctuelle) ou sans limite (programme continu) ;
- les supports sont les dossiers des patients des membres du groupe ;
- les références sélectionnées que sont les données de la littérature, les travaux d’autres équipes ; les référentiels d’EPP et ceux à créer s’ils n’existent pas par les sociétés savantes.
44La HAS précise que le déroulement du staff-EPP est une démarche entre professionnels qui associe successivement :
- une revue de dossiers préalablement sélectionnés de manière explicite par l’équipe et qui fait émerger un questionnement sur des domaines variés (modalités de prise en charge, diagnostic, traitement, pronostic, iatrogénie, qualité et efficience des soins, cas clinique, etc.) ;
- une revue bibliographique sélectionnant les meilleures références (niveau de preuve) qui permettent d’apporter des réponses aux questions posées par la revue de dossiers ;
- une discussion entre professionnels lors d’une réunion appelée staff-EPP afin d’apprécier la validité, l’utilité et l’applicabilité des références sélectionnées pour répondre aux questions posées. Pour cela on utilise une démarche médicale basée sur les preuves (evidence based medicine ou EBM) qui intègre les meilleures références disponibles couplées à l’expertise des praticiens et tenant compte des choix des patients. ;
- des actions d’amélioration et de suivi sont alors mises en place selon des modalités explicites (rédaction/actualisation de protocoles, chemin clinique, audit, suivi d’indicateurs, enquête de satisfaction patient, etc.).
Les staffs-EPP des équipes hospitalières de psychiatrie
45La HAS considère qu’un médecin qui participe activement et régulièrement à des staffs-EPP répondant aux critères énoncés ci-dessous remplit son obligation d’évaluation des pratiques professionnelles (décret n° 2005-346 du 14 avril 2005). Ainsi deux documents apparaissent indispensables pour valider un tel programme, au titre de l’EPP : une charte (ou règlement intérieur) précisant le fonctionnement du staff-EPP, des comptes-rendus écrits de chaque staff-EPP.
Proposition de charte décrivant le fonctionnement du staff-EPP
46Ce document, daté et actualisé, décrit les modalités d’organisation du staff-EPP et apporte des informations sur les objectifs du staff-EPP, le secteur d’activité (ou service ou pôle) concerné, les professionnels concernés (qui participe aux réunions ?), la périodicité, la durée des réunions (2 heures tous les 2 à 3 mois en moyenne), le responsable du programme staff-EPP, les modalités de sélection des dossiers, les modalités de désignation des responsables du choix des thèmes, de la revue de dossiers, de la revue bibliographique (un ou plusieurs praticiens à tour de rôle ?), les modalités de déroulement de la réunion (qui anime la réunion ? comment se déroule-t-elle ? invitation éventuelle d’un expert du thème ?), la traçabilité et l’archivage des documents issus du staff-EPP (comptes-rendus écrits, modalités d’archivage, respect de l’anonymat des patients et des professionnels ayant pris en charge les patients).
Conseils pour la rédaction d’un compte-rendu de staffs-EPP
47Le compte-rendu du staff-EPP comporte le résumé anonymisé du dossier et les questions posées, les références bibliographiques sélectionnées et utilisées, le résumé de la discussion, les actions d’amélioration entreprises et les modalités de suivi, les modalités de diffusion des conclusions du staff-EPP (courrier, réunion, communication, poster, publication…), la liste des personnes présentes (feuille d’émargement datée et signée).
48Un bilan d’activité annuel faisant la synthèse des staffs-EPP peut être intéressant à réaliser (nombre de réunions, nombre de dossiers examinés et typologie, actions d’amélioration entreprises, suivi d’indicateurs, etc.).
Méthodologie
49La méthodologie du déroulement des staffs-EPP des équipes de psychiatrie hospitalière est décrite dans l’encadré 2.
Réunions des groupes d’analyse de pratique entre psychiatres
Chaque psychiatre présente le cas d’un patient choisi de façon aléatoire parmi ceux qu’il a vus récemment : par exemple sera retenu la troisième consultation du mardi précédent la réunion du groupe d’analyse. Cette modalité de tirage au sort permet de centrer la discussion clinique sur ce qui représente la majorité des situations rencontrées dans la pratique. La présentation aléatoire favorise une analyse et une évaluation d’un dossier ordinaire. A ces dossiers choisis de manière aléatoire doivent être associés, dans le cadre de la démarche de validation de l’EPP, un ou plusieurs thèmes qui seront suivis et évalués périodiquement.
Chaque médecin expose un cas clinique en utilisant différents registres définis préalablement par le groupe comme la description séméiologique, la dynamique de la consultation, les antécédents et informations utiles, les hypothèses diagnostiques, les éléments de la discussion bénéfices/risques, l’élaboration des décisions prises à partir de l’analyse de la consultation et des autres déterminants, etc.
Cette phase de présentation clinique va s’appuyer sur l’utilisation d’un outil commun aux membres du groupe : une grille de présentation. Les objectifs d’utilisation de cette grille sont de faciliter la présentation du cas, de permettre au praticien d’argumenter et de justifier ces décisions avec plus de précision, de permettre au groupe un travail collectif reposant sur un outil partagé, d’évaluer sa pratique et de la confronter aux données de la science, de documenter dans le cadre d’une procédure de validation de l’EPP, d’ouvrir la possibilité de travaux de recherche exploitant les données recueillies.
2e étape - Analyse de la continuité des soins
Ce temps du groupe se centre sur l’analyse globale et par plan de l’organisation du projet de soins. Celui-ci doit permettre de développer la notion de continuité des soins avec le patient et les différents partenaires, entourage familial, professionnels de santé, ou ceux de son contexte social. Ce temps est tout particulièrement sensible en psychiatrie où le projet de soins ne peut être pensé que dans une dimension continue et plurifocale telle que pensée par le concept de secteur.
La continuité relationnelle désigne la relation thérapeutique entre un patient et un ou plusieurs soignants. Elle offre au patient une meilleure reconnaissance de ses troubles et du diagnostic, une meilleure observance et lui permet de mieux faire face à sa maladie. Cette dimension, analysée en partie dans le premier temps de discussion, va être formalisée dans ce deuxième temps à travers différents critères qui concernent la qualité des informations délivrées, la qualité de l’organisation des soins, la recherche de relations continues entre patient et soignants ainsi qu’entre les professionnels partenaires, la stabilité du personnel, etc.
La continuité va également s’appuyer sur le deuxième plan qui concerne la continuité informationnelle, c’est-à-dire la disponibilité et l’utilisation de renseignements sur les éléments antérieurs de l’histoire permettant d’adapter le projet de soins : éléments issus du recueil d’informations écrites, éléments du dossier du patient, courriers entre les différents intervenants. Le transfert d’information écrite lie les éléments du soin dans le temps et constitue un prérequis pour la coordination des soins. Le groupe analysera les courriers, l’organisation du dossier patient, etc.
Un troisième axe concerne la continuité du plan d’intervention, particulièrement importante en psychiatrie, qui s’appuie sur la cohérence temporelle et fonctionnelle entre les diverses actions de soins et les différents plans d’interventions : soignant, social, économique, judiciaire, éducatif, etc. Le groupe d’analyse de la pratique procède à l’examen des modalités de coordination internes au service, à l’établissement, avec les professionnels extérieurs : médecins libéraux, mais aussi l’ensemble des professionnels institutionnels.
3e étape - Approfondissement de thèmes spécifiques
Le groupe d’analyse de pratique entre psychiatres s’appuie sur des données qui sont référencées : recommandations, données de la littérature, niveau de preuve, evidence based medecine. Par ailleurs, le groupe peut au préalable choisir une ou plusieurs thématiques particulières qu’il souhaite approfondir et suivre au cours des différentes séances à travers plusieurs critères ou paramètres cliniques. Ces données seront discutées au sein du groupe, lors de chaque séance et comparées aux références. Le choix préparatoire de thématiques facilite le travail de recherche bibliographique et de mise à disposition de données référencées.
Ce temps pourra être également l’occasion de parler des cas complexes.
50Les staffs protocolisés ne représentent pas conceptuellement une réelle innovation. Même si l’exercice médical a longtemps été individuel, surtout dans le monde libéral, les équipes hospitalières et des secteurs de psychiatrie ont toujours su se réunir pour résoudre leurs problèmes. Elles en ont fait même un modèle thérapeutique à partir du travail du courant de psychothérapie institutionnelle.
Conclusion
51Nous avons présenté et mis en parallèle deux méthodes d’analyse des pratiques qui ne dérouteront sans doute ni les psychiatres ni les équipes de psychiatrie. Les réunions d’analyse et de synthèse font partie intégrante du cadre soignant habituel de notre discipline, qui ne peut être pensée que dans son rapport aux savoirs.
52La méthode des groupes d’analyse des pratiques entre pairs s’appuie sur un modèle développé par les médecins généralistes. Elle apparaît très pertinente par son objet premier qui est la mise en commun par chaque participant de ce qui est au cœur de sa pratique, le lien médecin-patient. Le groupe permet une lecture des fondements de cette relation légitimée par le rapport du médecin aux savoirs, aux données de la science : quelle en est son appropriation dans le quotidien de ses actes et en quoi évolue-t-il ?
53Le recours au groupe est nécessaire pour aider les praticiens ayant une activité clinique isolée ambulatoire en cabinet, à amener une dynamique interactive où chacun se confronte à la pratique de l’autre. La HAS en a reconnu tout l’intérêt dans le processus de mise en place d’une évaluation des pratiques professionnelles et a apporté une légitimité par la formalisation de protocoles.
54Ce modèle d’analyse des pratiques peut trouver un écho favorable auprès de nombreux psychiatres dont l’activité ambulatoire en centre médicopsychologique est axée sur la consultation individuelle.
55L’analyse de la dynamique de ces consultations, qui est le socle de notre activité de médecin, s’articule avec la réflexion sur la continuité des soins. Chaque psychiatre de secteur de psychiatrie construit son projet de soin avec le patient en résonance avec l’équipe pluriprofessionnelle qui développe les diverses interventions soignantes sur des plans multiples.
56L’expérience acquise depuis de nombreuses années de groupes de travail appelés staffs, dans leur version centrée sur la clinique et l’analyse de dossiers fait partie intégrante des outils utilisés par les équipes hospitalières dans toutes les disciplines. Ce modèle de staff est une base théorique préalable à la mise en place d’une dynamique d’évaluation des pratiques professionnelles. Ces staffs centrés sur l’approfondissement de certaines situations ciblées, certains cas complexes font appel à un travail de recherche et de référencement théorique et bibliographique. L’appropriation de ces éléments par les médecins et les équipes permet d’approfondir les connaissances et d’améliorer la qualité des soins.
57Pour que ce modèle évolue vers une forme de protocole d’évaluation des pratiques professionnelles staff-EPP, la HAS a formalisé une série de critères à partir du travail des associations de spécialités médicales.
58Les équipes de psychiatrie ont institué ce travail en staff, axé sur l’approfondissement des situations problématiques ou complexes mais aussi sur les questions de la formation transversale, elles sauront sans grande difficulté s’approprier ces protocoles staff-EPP et pourront dans le cadre de la certification des établissements de santé et dans l’évaluation des pratiques professionnelles par les psychiatres valider leurs démarches d’amélioration de la qualité des soins.
59Notre rapport au patient et à la maladie mentale ne peut néanmoins se réduire à une vérité définitivement acquise ou au seul principe de normes. La création des formes et protocoles donnés à l’évaluation des pratiques professionnelles par la HAS doit s’appuyer sur l’expérience pratique des médecins et des équipes ainsi que sur les apports théoriques des sociétés scientifiques.
Méthodologie : déroulement des staffs-EPP des équipes de psychiatrie hospitalière
Deux possibilités, non exclusives l’une de l’autre :
- analyse des besoins du groupe et/ou choix de priorités de santé publique, thème repérable (délimité, fréquent, avec le choix de critères en nombre limité) ;
- choix de thèmes le jour du staff à partir de cas cliniques posant problèmes
Présentation d’un ou de cas cliniques
Détermination du ou des problèmes soulevés
Hypothèses de résolution du ou des problèmes
Discussion (expert)
Apport de références
Définition de la procédure choisie pour résoudre le problème
Autoévaluation de chaque participant (par rapport à leur pratique) au regard de cette procédure
Axe d’amélioration
3e étape - Mise en application des décisions d’amélioration
Pour les nouveaux cas ou les anciens en cours
Pour les organisations ou parcours de soins nouveaux ou en cours
4e étape - Lecture et critique du compte-rendu de la réunion précédente
Retour sur les questions concernant les cas antérieurs, réexamen des questions non résolues (réponses, poursuite des réflexions)
Aide pour le ou les cas difficiles éventuels
Lecture/commentaire d’articles
Suivi et critique du référentiel
Xe + n étape
Confrontation éventuelle avec d’autres équipes
Xe + n + 1 étape
Validation de l’ensemble défini comme l’amélioration des pratiques professionnelles de chacun
Validation de l’évolution du référentiel
Validation de l’organisation des soins ou du parcours de soin
Validation des indicateurs choisis
NB. Un programme continu nécessite des évaluations périodiques pour validation
Bibliographie
Bibliographie
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