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Article de revue

Neuroanatomie structurale cérébrale des troubles bipolaires

Pages 107 à 116

1Les principaux symptômes associés au trouble bipolaire, que sont l’instabilité affective, les désordres neurovégétatifs, l’impulsivité et les productions psychotiques, suggèrent l’existence d’un dysfonctionnement cérébral au niveau des réseaux du système limbique antérieur que l’on sait être impliqués dans le contrôle des processus cognitifs et émotionnels. Ces réseaux comprennent les structures limbiques traditionnelles, telles que l’amygdale, l’hippocampe et les circuits fronto-striato-thalamiques.

2Les études de neuro-imagerie structurale consacrées au trouble bipolaire se sont multipliées au cours des quinze dernières années. La technique d’imagerie par résonance magnétique (IRM) a aujourd’hui remplacé la tomographie par rayons X informatisée (CT-scan). Elle permet de repérer des modifications structurales cérébrales in vivo qui différencient les patients bipolaires des sujets sains. Outre la mesure des volumes totaux de matière grise et de matière blanche cérébrales, des modifications volumétriques, ainsi que des modifications de densité de la matière blanche, associées à des régions spécifiques ayant une pertinence pour ce trouble clinique, peuvent ainsi être identifiées.

3De nouvelles techniques émergent qui fourniront des informations complémentaires et encore plus précises portant sur les anomalies de densité de matières grise et blanche, sur les modifications de forme des structures et sur les altérations dans l’orientation des faisceaux de fibres qui sont révélatrices de dysfonctionnements de la connectivité entre différentes structures cérébrales.

4Ces données, issues des différentes techniques d’analyse des modifications structurales des aires cérébrales, associées à celles recueillies grâce aux techniques d’imagerie fonctionnelle telle que l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) qui, elle, renseigne sur l’activation de ces aires lors de la mise en jeu de processus cognitifs et émotionnels, devraient à l’avenir renforcer notre compréhension du substratum neurobiologique des troubles bipolaires.

Techniques d’imagerie structurale conventionnelles

CT-scan ou tomodensitométrie

5Le CT-scan, ou tomographie axiale calculée, également appelé tomodensitométrie, est la plus ancienne des techniques d’imagerie cérébrale. Elle a subi de nombreuses améliorations au cours du temps. Elle produit un réarrangement en 3 dimensions par ordinateur de plusieurs images prises aux rayons X selon différents angles grâce à la rotation de la source de rayonnement autour du patient. Chaque tour produit une tranche photographique correspondant à l’image d’une coupe transversale. Elle permet de visualiser les os et les tissus mous. Du fait de l’utilisation de rayonnements ionisants, elle impose des règles de protection strictes et limite la répétition des examens.

Imagerie par résonance magnétique nucléaire (IRM)

6Cette technique, qui a l’avantage d’être non invasive, présente de surcroît une bien meilleure résolution spatiale (de l’ordre du millimètre) et une meilleure qualité de contraste que la précédente qu’elle a détrônée depuis 1979. Son principe repose sur l’application d’un champ magnétique intense (1,5 à 3 tesla) qui fait vibrer les protons d’hydrogène différemment selon leur densité à l’intérieur de la structure. Des capteurs d’ondes radio relaient cette information à un ordinateur qui combine ces données pour créer des images de coupes du tissu cérébral dans différentes orientations. En faisant varier les paramètres d’acquisition en IRM, l’expérimentateur peut modifier la pondération de l’image, c’est-à-dire l’influence des temps de relaxation T1 et T2 dans le contraste final, permettant ainsi l’obtention de différents types d’informations structurales. Il peut visualiser la substance blanche, la substance grise, les ventricules et donc les atrophies des différentes structures cérébrales. Selon la méthode d’analyse retenue, les informations recueillies diffèrent :

  • l’analyse volumétrique permet de mesurer le volume total du cerveau ou des ventricules, ou bien, par segmentation des régions d’intérêt (ROI), de mesurer le volume de régions cérébrales spécifiques ;
  • la mesure des hyper-intensités de la substance blanche (VMH) est réalisée grâce à l’analyse de la partie du signal, dite en T2 pondéré, obtenue en IRM. Des augmentations de la densité de la substance blanche, révélatrices de neuropathologies, peuvent ainsi être détectées.

Investigations réalisées dans les troubles bipolaires

Hyper-intensités de matière blanche

7Ces modifications inégales et diffuses de matière blanche sont révélatrices de neuropathologies, telles que la dilatation et la démyélinisation des espaces périvasculaires ou l’artérosclérose ; elles peuvent être consécutives à une ischémie et à un œdème cérébraux ou à une altération de la circulation du fluide cérébrospinal.

8Un certain nombre de travaux réalisés dans les troubles bipolaires rapportent des prévalences d’hyper-intensité plus grandes chez les patients (22 à 46 %) que chez les sujets sains (0 à 22 %) [21, 22, 24, 42, 64, 60], qui ne sont cependant pas retrouvées par tous les auteurs [13, 36, 52, 58, 60]. Par ailleurs, une synthèse réalisée par Breeze en 2003 ne rapporte pas de différence entre les troubles bipolaires et d’autres maladies psychiatriques [12]. Il semblerait que les lésions hyper-intenses observées chez les patients bipolaires soient liées à la sévérité et à l’ancienneté du trouble bipolaire.

Modifications de volume des régions cérébrales

9La plupart des études volumétriques réalisées en IRM n’ont pas signalé de changement dans le volume total du cerveau ou de ceux de la matière blanche et de la matière grise cérébrales [31].

10En revanche, de nombreux travaux ont rapporté des modifications de volume spécifiques de certaines régions cérébrales (figures 1 et 2). L’ensemble de ces données est rassemblé dans le tableau 1.

Figure 1

Les différentes parties du cortex cérébral étudiées dans les troubles bipolaires : 1) cortex orbitofrontal, 2) cortex préfrontal latéral, 3) cortex ventromédian, 4) système limbique, 5) cortex cingulaire antérieur. D’après Le cerveau à tous les niveaux, site Web de l’Université de McGill, Canada

Figure 1

Les différentes parties du cortex cérébral étudiées dans les troubles bipolaires : 1) cortex orbitofrontal, 2) cortex préfrontal latéral, 3) cortex ventromédian, 4) système limbique, 5) cortex cingulaire antérieur. D’après Le cerveau à tous les niveaux, site Web de l’Université de McGill, Canada

Figure 2

Les différentes parties du système limbique étudiées dans les troubles bipolaires : A) corps calleux, B) voie olfactive, C) corps mammilaires, D) fornix, E) thalamus antérieur, F) amygdale, G) hippocampe, H) gyrus parahippocampique, l) cortex cingulaire, J) hypothalamus. D’après le Cerveau à tous les niveaux, site internet de l’Université de McGill, Canada

Figure 2

Les différentes parties du système limbique étudiées dans les troubles bipolaires : A) corps calleux, B) voie olfactive, C) corps mammilaires, D) fornix, E) thalamus antérieur, F) amygdale, G) hippocampe, H) gyrus parahippocampique, l) cortex cingulaire, J) hypothalamus. D’après le Cerveau à tous les niveaux, site internet de l’Université de McGill, Canada

Tableau 1

Volumes régionaux cérébraux des patients bipolaires comparés aux sujets sains

Tableau 1
Auteurs Méthode Volumes cérébraux Comparaison bipolaires versus témoins ep/int - anal Age Groupes VEN VCT SGT SBT FRO GCA TEM PAR AMY HIP GGB THA CC CER Commentaires Pearlson et al. 1981 [48] TDM 16 à 50 DSM-III BP nc - ROI 16 à 50 Témoins Schlegel et al. 1987 [56] TDM nc DSM-III BP nc - ROI nc Témoins Dewan et al. 1988 [18] TDM 32,7 DSM-III BP *3e ventricule 10/nc - ROI 31,1 Témoins Hauser et al. 1989 [26] IRM - 0,5T 40,5 ± 12,8 RDC trouble affectif 10/0 - ROI (15 BP) 33,8 ± 6,2 Témoins Swayze et al. 1990 [64], 1992 [65] IRM - 0,5T 33,9 DSM-III BP * d *Non significatif 10/0 - ROI 33,2 Témoins °Asymétrie temporale sexe féminin Altshuler et al. 1991 [4] IRM - 0,5T 39,8 ± 9 RDC BP I 10/0 - ROI 37 ± 12 Témoins McDonald et al. 1991 [41] IRM - 1,5T 68,3 ± 7 DSM-III-R BP* *Age début > 50 ans 5/2,5 - nc 68,7 ± 7 Témoins Strakowski et al. 1993 [60] IRM - 1,5T 28,4 ± 6,8 DSM-III-R BP 1er ép. *3e ventricule 6/0 - ROI (manie ou mixte) 30,9 ± 7,3 Témoins °Ratio SB/SG Aylward et al. 1994 [6] IRM - 1,5T 39,3 ± 11,1 DSM-III-R BP * *Noyau caudé 5/nc - ROI 37,6 ± 9,0 Témoins Sexe masculin Harvey et al. 1994 [25] IRM - 0,5T 35,6 DSM-III-R BP g 5/0 - ROI 31,6 Témoins Schlaepfer et al. 1994 [55] IRM - 1,5T 34,9 ± 8,6 DSM-III-R BP 5/0 - ROI 31,6 ± 8,0 Témoins Dupont et al. 1995 [22] IRM - 1,5T 36,6 ± 10,8 DSM-III-R BP 5/2,5 - ROI 39,1 ± 9,4 Témoins Woods et al. 1995 [68] IRM - 1,5T 36,3 ± 15,1 DSM-III-R BP 5/2,5 - ROI 36,3 ± 11,4 Témoins Drevets et al. 1997 [20] IRM - 1,5T 35 ± 8,2 DSM-III-R BP* g *Forme familiale 2,5/0 - ROI 34 ± 8,2 Témoins Pearlson et al. 1997 [49] IRM - 1,5T 34,9±8,6 DSM-III-R BP d* g *Gyrus temporal 3/0 - ROI 31,6±8,0 Témoins supérieur Zipursky et al. 1997 [69] IRM - 1,5T 35,9 ± 7,2 DSM-III-R BP *Vent. latéraux 5/2,5 - ROI 29,9 ± 6,6 Témoins °Volumes SG et SB Delbello et al. 1999 [17] IRM - 1,5T 29 ± 5 DSM-III-R BP Mult. Ep *Aire V3 du vermis 1/0 - ROI 24 ± 4 DSM-III-R BP 1er ép. ??????? 27 ± 5 Témoins Hirayasu et al. 1999 [30] IRM - 1,5T 23,7 ± 5,1 1er ép. affectif g* *Forme familiale 1,5/0 - ROI (21 BP I manie) vs non familiale 24 ± 4,3 Témoins et vs sujets témoins Lim et al. 1999 [37] IRM - 1,5T 44,4 ± 9,2 DSM-III-R BP 5/2,5 - ROI 44,3 ± 6,8 Témoins Sax et al. 1999 [54] IRM - 1,5T 27 ± 6 DSM-III-R BP nc - ROI (manie ou mixte) 27 ± 5 Témoins Strakowski et al. 1999 [61] IRM - 1,5T 27 ± 6 DSM-III-R BP g* *Vent. latéral 1/0 - ROI 28 ± 6 Témoins Sexe masculin Velakoulis et al. 1999 [66] IRM - 1,5T 21,8 ± 2,3 DSM-III-R g 1,5/0 - ROI (1er Ep affectif) 22,8 ± 6,1 Témoins Altshuler et al. 2000 [5] IRM - 1,5T 50,2 ± 12,7 DSM-III-R BP 1,4/0 - ROI 53,4 ± 11,1 Témoins Hauser et al. 2000 [28] IRM - 0,5T 41,8 ± 10,5 RDC BIP Ig* *Vent. latéral 5/0 - ROI 39,4 ± 10,2 RDC BIP II ° BP I vs BP II 33,2 ± 7,1 Témoins Brambilla et al. 2001 [8] IRM - 1,5T DSM-IV 1,5/0 - ROI 36 ± 10 (17 BP I - 5 BP II) g* *Forme familiale (10 forme familiale) vs non familiale 38 ± 10 Témoins Caetano et al. 2001 [14] IRM - 1,5T 34,4 ± 9,8 DSM-IV BP 1,5/0 - ROI (20 BP I - 5 BP II) 36,6 ± 9,7 Témoins Noga et al. 2001 [47] IRM - 1,5T Jumeaux MZ *d: BP vs co-jumeaux sains et jumeaux témoins g: BP et co-jumeaux sains vs jumeaux témoins 2/0 - ROI 34,5 ± 10,5 DSM-III-R BP d* dg* 29,9 ±
Tableau 1
Auteurs Méthode Volumes cérébraux Comparaison bipolaires versus témoins ep/int - anal Age Groupes VEN VCT SGT SBT FRO GCA TEM PAR AMY HIP GGB THA CC CER Commentaires Brambilla et al. 2002 [9] IRM - 1,5T 35 ± 11 DSM-IV BP 1,5/0 - ROI (21 BP I - 6 BP II) 37 ± 10 Témoins Lopez-Larson et al. 2002 [39] IRM - 1,5T 29 ± 8 DSM-IV BP I manie *Volume SG nc - ROI 31 ± 8 Témoins Strakowski et al. 2002 [62] IRM - 1,5T 25 ± 6 DSM-IV BP I Mult. Ep 1,5/0 - ROI 22 ± 6 DSM-IV BP I 1er Ep *Putamen 24 ± 6 Témoins Blumberg et al. 2003 [7] IRM - 1,5T 31,0 ± 14,1 DSM-IV BP I *ns *22 adultes 1,2/0 - ROI 28,3 ± 13,7 Témoins et 14 adolescents Brambilla et al. 2003 [10] IRM - 1,5T 35 ± 10 DSM-IV BPg 1,5/0 - ROI (18 BP I - 6 BP II) 37 ± 10 Témoins Brambilla et al. 2003 [10] IRM - 1,5T 34 ± 9 DSM-IV BP I 1,5/0 - ROI 38 ± 10 Témoins Kasai et al. 2003 [34] IRM - 1,5T 23,2 ± 5,0 DSM-IV 1er ép. affectif g* *Volume SG 1,5/0 - ROI (24 manie 2 DU) Pôle temporal 24,6 ± 4,4 Témoins Kieseppä et al. 2003 [35] IRM - 1,0T 44,4 Jumeaux DSM IV BP I 5/0 - ROI (5 MZ 19 DZ) 44,5 Co-jumeaux sains g 46,7 Jumeaux témoins McDonald et al. 2003 [43] IRM - nc BP I d* *Volume SB nc Témoins Sharma et al. 2003 [57] IRM - 4,0T 38,3 ± 6,2 DSM-III-R BP I d *Non significatif 3,3/0 - ROI 38,3 ± 6,9 Témoins Adler et al. 2004 [1] IRM - 3,0T 32 ± 8 DSM IV BP I *Désorganisation ROI - DTI 31 ± 7 Témoins faisceaux SB Brambilla et al. 2004 [11] IRM - 1,5T 35 ± 11 DSM IV BP *Intensité signal IRM 3/0 - ROI 37 ± 10 Témoins Davis et al. 2004 [16] IRM - 1,5T 43,1 ± 11,4 DSM IV BP I *Corrélation avec l’âge 3/0 - ROI 37,8 ± 10,8 Témoins Doris et al. 2004 [19] IRM - 2T 40,5 ± 11,6 DSM IV BP I* d° *Mauvaise évolution 1/0 - VBM 39,1 ± 10,5 Témoins °Densité SG Lochhead et al. 2004 [38] IRM - 1,5T 38,2 ± 10,8 DSM IV BP g* g° *Frontopariétal 1,5/0 - VBM (7 BP I - 4 BP II) °Ventro-médial 36 ± 14 Témoins §Densité SG Lyoo et al. 2004 [40] IRM - 1,5T 38,3 ± 11,6 DSM IV BP I d* g* *Densité SG 1,5/0 - VBM 35,7 ± 10,1 Témoins McIntosh et al. 2004 [46] IRM - 1,5T 40,5 ± 12,1 DSM IV BP I* *Forme familale 1,7/0 - VBM 35,3 ± 11,1 Témoins °Thalamus antérieur Sassi et al. 2004 [53] IRM - 1,5T 38,3 ± 10,9 DSM IV BP I et II g* *BP non traités 1,5/0 - ROI 32,9 ± 10,7 DSM IV BP I et II Li+ vs avec lithium 36,6 ± 9,7 Témoins et vs sujets sains Wilke et al. 2004 [67] IRM - 3T 14,5 ± 1,8 DSM IV BP I g g *Orbitofrontal 1/0 - ROI VBM (manie ou mixte) °Mediotemporal 14,5 ± 1,3 Témoins Haznedar et al. 2005 [29] IRM - 1,5T 42,2 ± 10,8 DSMIV BP *CY putamen 1,2/0 - ROI DTI (17 BP - 7 BP II - 16 CY) °CY 40,7 ± 11,6 Témoins McDonald et al. 2005 [45] IRM - 1,5T 40,7 ± 11,6 DSM IV BP I* *Forme familale 1,5/0 - VBM 39,3 ± 14,8 Témoins Sanches et al. 2005 [51] IRM - 1,5T 15,5 ± 3,5 DSM IV BP**Forme familale 1,5/nc - ROI (11 BP I - 3 BP II) 16,9 ± 3,8 Témoins Strasser et al. 2005 [63] IRM - 1,5T RDC DSM BP* *Forme familale 1,5/0 - ROI 36,4 ± 11,6 forme psychotique (21 BP I - 2 BP II) 40,8 ± 14,1 forme non psychotique (9 BP I - 6 BP II) 39,6 ± 11,7

Volumes régionaux cérébraux des patients bipolaires comparés aux sujets sains

ep/int.: épaisseur de coupe / intervalle entre coupes (mm); anal: type d’analyse; nc: non communiqué ; VEN: ventricule; VCT: volume cérébral total; SGT: substance grise totale; SBT: substance blanche totale; FRO: lobe frontal; GCA: gyrus cingulaire antérieur; TEM: lobe temporal; PAR: lobe pariétal; AMY: amygdale; HIP: hippocampe; GGB: ganglions de la base; THA: thalamus; CC: corps calleux; CER: cervelet; SG: substance grise; SB: substance blanche; TDM: tomodensitométrie; IRM: imagerie par résonance magnétique; ROI: Région Of Interest; VBM: Voxel Based Morphometry; DTI: Diffusion Tensor Imaging; RDC: Research Diagnosis Criteria; DSM: Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders; BP: bipolaire; DU: dépression unipolaire; SCZ: schizophrénie; CY: trouble cyclothymique; Ep: épisode; g: gauche; d: droit; MZ: monozygote; DZ: dizygote. D’après Kaladjian et al., 2006 [33].

• Cortex préfrontal

11Cette région a tout particulièrement été étudiée du fait de son implication dans la régulation de l’expression des états émotionnels. De récentes études ont mis en évidence des diminutions du volume de la substance grise, à gauche, au niveau des régions supérieures et moyennes, qui seraient associées à la durée d’évolution de la maladie et, à droite, au niveau des régions moyennes et inférieures, comprenant en particulier le gyrus frontal inférieur (BA 47) et le gyrus précentral (BA 44), et qui seraient associées au nombre d’épisodes maniaques [39, 40]. Des augmentations de volume et de densité de la substance grise ont également été rapportées. Elles touchent les cortex insulaire et frontopariétal gauches [38]. Quant au volume de la substance blanche, qui a été moins étudié, il a été rapporté, selon les auteurs, soit identique à celui des sujets sains [39], soit diminué localement dans la région frontale droite [44, 43]. Une désorganisation des faisceaux de la substance blanche, touchant en particulier les aires de Brodmann 9 et 10, les régions frontales antérieures ainsi que les faisceaux longitudinal supérieur et fronto-occipitaux [1, 29], a pu être mise en évidence grâce à la technique récente de tenseur de diffusion.

Cortex cingulaire

12Cette région, qui a un rôle clé dans la régulation des processus cognitifs et émotionnels, a été très étudiée dans les troubles bipolaires. Les aires qui la composent (BA 24, 25 et 33) ont des connexions étroites avec les autres régions impliquées dans la régulation des émotions, comme l’amygdala, l’insula, le thalamus, la substance grise périacqueducale et le cortex orbitofrontal. Dans le trouble bipolaire, des diminutions de volume ont été rapportées dans la portion subgénuale au niveau des deux hémisphères, en particulier chez les patients chez qui cette affection a un caractère familial [20, 29, 38, 30, 40, 44, 57, 67]. Par ailleurs, une diminution de volume du cortex cingulaire antérieur gauche a été rapportée chez des patients non traités, alors que, chez les patients traités par lithium, aucune différence n’a été observée [53]. Il semblerait par ailleurs que la diminution de densité de substance grise dans cette région soit associée à une évolution clinique défavorable [19].

Lobe temporal

13Le lobe temporal, en particulier la partie englobant le gyrus supérieur, joue un rôle majeur dans l’ensemble des processus associés au langage. Les premières études en IRM montraient une atrophie bilatérale du cortex temporal chez les patients bipolaires [4, 26, 27], ultérieurement retrouvée de façon restreinte à l’hémisphère gauche et dès les premiers épisodes psychotiques [34]. Plus récemment, des augmentations du volume temporal ont été retrouvées au sein de l’hémisphère gauche [25, 28], et plus précisément au niveau de la partie du gyrus temporal supérieur droit [48].

Hippocampe

14L’hippocampe fait partie, avec l’amygdale, le cortex orbitofrontal et le cortex cingulaire, d’un circuit neuronal impliqué dans le traitement de l’information et dans la formation des processus mnésiques, en particulier des mémoires déclarative et émotionnelle. La plupart des travaux ne rapportent aucune anomalie significative du volume hippocampique chez les patients bipolaires [5, 10, 15, 28, 61, 63]. Néanmoins, deux études montrent des diminutions de volume de l’hippocampe dans l’hémisphère droit [65] et dans l’hémisphère gauche lors d’un premier épisode psychotique [66].

Amygdale

15Cette structure reçoit des afférences des lobes frontaux et temporaux et est à l’origine de projections sur les aires limbiques, en particulier l’hippocampe, le cortex entorhinal, le thalamus et le néocortex. Elle joue un rôle majeur dans les réponses aux stimuli émotionnels. Son élargissement a fréquemment été observé dans les troubles bipolaires [10, 61, 5]. Pour certains auteurs, cette augmentation du volume amygdalien serait corrélée au nombre d’épisodes maniaques [5]. D’autres études ont en revanche rapporté une diminution de volume [7, 49]. Chen et al. [15] ont mis en évidence une corrélation entre l’augmentation de volume de l’amygdale et l’âge. Un développement anormal de cette structure au cours de la maladie pourrait également aboutir à son hypertrophie.

Ganglions de la base

16Les ganglions de la base sont composés du noyau caudé, du putamen et du globus pallidus. Ils sont connectés aux régions corticales et limbiques grâce à deux circuits parallèles dont l’intégrité est nécessaire à la régulation de l’humeur et des affects. Un certain nombre de travaux ne rapportent pas de différence significative du volume de ces structures entre les patients bipolaires et les sujets témoins [8, 22, 54, 59, 65]. Néanmoins, une augmentation bilatérale de volume a également été observée au niveau du striatum [6, 61, 62]. Une augmentation a été mise en évidence précocement chez des patients bipolaires adolescents [67] et lors du premier épisode maniaque [62].

Thalamus

17Le thalamus est une structure relais entre les régions cérébrales corticales et sous-corticales qui est primordiale pour la coordination des processus cognitifs et moteurs. Cette structure est sous-divisée en de nombreux noyaux qui sont en connexion étroite avec différentes régions du système limbique. Le volume thalamique a été montré soit inchangé dans les troubles bipolaires par rapport aux sujets sains [14, 54, 62, 60], soit augmenté de façon bilatérale [22, 61]. Des augmentations de densité de la substance grise thalamique ont également été rapportées, en particulier chez les patients de sexe féminin [38].

Cervelet

18Outre son implication dans les régulations motrice et vestibulo-oculaire, le cervelet jouerait un rôle dans l’intégration des processus cognitifs et la régulation de l’humeur. Cette structure a d’importantes connexions avec le reste du cerveau grâce à deux faisceaux de fibres principaux : la voie thalamique qui la relie aux aires associatives corticales et limbiques et, en particulier, aux cortex préfrontaux dorsolatéral et médian, au cortex cingulaire antérieur et à l’hypothalamus postérieur, et la voie qui relie le noyau rouge du mésencéphale aux aires corticales associatives. Une réduction de volume du vermis a été rapportée chez les patients bipolaires, en particulier chez ceux ayant présenté de nombreux épisodes maniaques [17]. Une telle diminution n’a pas été retrouvée par Brambilla et al. [8]. Par ailleurs, une diminution de volume des hémisphères cérébelleux et du vermis a été mise en évidence, par ces mêmes auteurs, spécifiquement chez les patients ayant une forme familiale du trouble bipolaire.

Ventricules cérébraux

19La taille des ventricules a été très tôt l’objet de travaux en IRM. Un élargissement ventriculaire a d’abord été décrit chez les patients bipolaires [48] mais les résultats ultérieurs sont discordants [18, 56]. L’utilisation de l’IRM a permis d’obtenir des mesures morphométriques plus précises des ventricules. L’étude de Swayze et al. [64] montre un élargissement ventriculaire modéré, moins important que dans la schizophrénie, et n’affectant que les patients bipolaires de sexe masculin. Si cette donnée a été confirmée ultérieurement par certains auteurs [59, 69], d’autres, en revanche, n’ont pas rapporté de différence significative [22, 41, 25, 62]. Une méta-analyse menée en 1995 par Elkis et al. [23] montre que les volumes ventriculaires des patients présentant un trouble affectif sont supérieurs à ceux des sujets témoins mais inférieurs à ceux de patients souffrant de schizophrénie. Les travaux plus récents confirment la présence d’un élargissement des ventricules latéraux et du troisième ventricule chez les patients bipolaires. L’amplitude de cet élargissement serait d’autant plus importante que les épisodes maniaques ont été nombreux [3, 8, 62]. En outre, elle affecterait plus particulièrement les patients présentant des symptômes psychotiques [63]. Une méta-analyse récente, réalisée à partir de 26 études de volumétrie en IRM sur un ensemble total de 404 patients souffrant de troubles bipolaires, montre que les volumes du ventricule latéral droit sont statistiquement différents de ceux des sujets sains, contrairement aux volumes des autres structures cérébrales qui seraient préservés [44].

Intérêt potentiel des nouvelles méthodes d’imagerie structurale

Morphométrie voxel par voxel (VBM)

20La VBM est une alternative aux approches structurales fondées sur les régions d’intérêt conventionnelles (ROI). Elle consiste à faire des comparaisons voxel par voxel à partir des images en IRM obtenues pour chaque sujet et normalisées par rapport à un modèle de référence. Elle a l’avantage de permettre une analyse exploratoire systématique des changements de densité et de volume de matière grise et de matière blanche à travers tout le cerveau, sans qu’un a priori soit nécessaire quant aux structures d’intérêt et indépendamment des modifications de volume spécifiques à certaines structures. Elle permet en outre l’exploration structurale de régions fonctionnellement importantes, comme par exemple le cortex préfrontal, qui sont difficiles à définir avec précision sur le plan anatomique. Ainsi, une étude menée par Adler en 2005 [2] met en évidence une augmentation très nette de densité de la matière grise au niveau du cortex cingulaire antérieur, du cortex préfrontal ventral, mais également au niveau du cortex temporal et des aires impliquées dans le contrôle moteur incluant une partie du cortex moteur supplémentaire et le gyrus précentral. Quant aux modifications de volume, une diminution est détectée uniquement dans une partie du lobule pariétal supérieur gauche.

Imagerie par tenseur de diffusion

21Elle permet la cartographie de la microstructure et de l’organisation des tissus in vivo [50]. Elle offre la possibilité de détecter et de quantifier des anomalies de la substance blanche non visibles en imagerie conventionnelle. Elle repose sur le déplacement aléatoire des molécules d’eau dans toutes les directions pouvant être quantifié par un « coefficient de diffusion » qui exprime l’amplitude du mouvement. Au niveau cérébral, ce déplacement est dépendant de l’organisation des tissus et des éléments cellulaires tels que les axones. Cette technique permet de visualiser la direction des faisceaux de matière blanche. Des anomalies de l’orientation des axones, en particulier au niveau des connexions entre le cortex frontal et le striatum et au niveau du corps calleux, deviennent détectables. Ainsi, une étude récente réalisée par Haznedar et al. [29] met en évidence, grâce à cette technique, des altérations au niveau des faisceaux de fibres de la capsule interne adjacente au striatum et au thalamus et majoritairement au niveau du cortex orbitofrontal.

Analyse de forme

22Les approches volumétriques conventionnelles n’offrent pas une sensibilité suffisante pour pouvoir détecter de manière reproductible de subtils changements de volume dans les structures corticales et sous-corticales. Les techniques d’analyse de forme doivent permettre de repérer des différences de forme au niveau de petites structures, en l’absence de différence de volume. Une récente étude menée par Hwang et al. [32] rapporte des différences de forme au niveau des surfaces antérieure et ventrale des ganglions de la base chez des patients bipolaires non traités.

Conclusion

23Les résultats obtenus jusqu’ici en imagerie structurale dans le trouble bipolaire présentent une grande hétérogénéité. Un ensemble de facteurs peut en rendre compte, qui sont liés aux différences de techniques et de méthodes d’analyse utilisées d’une part et à la variabilité selon les études des caractéristiques démographiques et/ou cliniques des patients étudiés d’autre part. Le sexe, la forme clinique du trouble, la durée d’évolution, le nombre d’épisodes sont autant de facteurs susceptibles d’influencer les résultats expérimentaux. Le caractère génétique du trouble semble également jouer un rôle. Les traitements sont aussi à considérer, en particulier le lithium dont on connaît l’effet neurotrophique. Par ailleurs, les variations locales d’intensité de signal appréhendées en neuro-imagerie ne sont qu’un reflet indirect de changements dans la composition du parenchyme cérébral. Ces changements résultent d’un ensemble de processus pathologiques qui conduisent à des anomalies de densité et/ou de taille des cellules neuronales et gliales, via des altérations synaptodendritiques ou des remaniements cellulaires régionaux.

24Grâce aux approches d’imagerie structurale, des anomalies au niveau des interactions inter-hémisphériques d’une part et cortico-sous-corticales d’autre part ont pu être mises en évidence dans les troubles bipolaires. Toutefois, la localisation et la spécificité de ces altérations nécessitent d’être précisées. De nouvelles méthodes émergent, qui permettent un niveau d’analyse plus fin des modifications anatomiques. Par ailleurs, l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle permet aujourd’hui de voir chez les patients des différences d’activation des aires cérébrales lors de la mise en jeu des divers processus cognitifs et émotionnels. Les informations issues de l’imagerie structurale, en conjonction avec celles que fournit l’imagerie fonctionnelle, devraient encore faire prochainement évoluer notre connaissance des mécanismes physiopathologiques qui sous-tendent la maladie bipolaire.

figure im5
Emilie Benoist. Matière grise, 2004. Laine d’acier, coton et polypropylène 50 x 30 x 55. Un cerveau divisé, en laine d’acier, laisse apparaître la propagation aléatoire de la zone de perception des couleurs localisée habituellement à l’arrière du cortex.

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Mots-clés éditeurs : imagerie structurale, cerveau, trouble bipolaire, imagerie par résonance magnétique

Mise en ligne 18/02/2014

https://doi.org/10.1684/ipe.2007.0096

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