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Article de revue

Conséquences du parcours de soins en psychiatrie

Pages 101 à 104

1Il est inhabituel qu’un psychiatre privé soit invité à rédiger l’éditorial de l’Information Psychiatrique, mais un événement considérable vient de se produire en psychiatrie libérale qui va avoir des conséquences dans tous les secteurs d’activité de notre discipline.

2Après un an d’âpres discussions, il a été décidé que l’accès au psychiatre serait désormais soumis au parcours de soins coordonné.

3Cette décision fait l’objet de l’avenant n° 10 de la convention médicale qui a été signé en décembre dernier entre, d’une part, l’Union nationale des caisses d’assurance maladie (Uncam) et, d’autre part, les centrales syndicales de médecins libéraux signataires de la convention médicale (essentiellement la CSMF et le SML).

4En clair, cela veut dire que, désormais, le patient qui s’adressera directement à un psychiatre conventionné et demandera que son médecin traitant ne soit pas informé de sa démarche sera considéré comme un délinquant et fera l’objet d’une sanction financière. Seuls les patients âgés de moins de 26 ans conservent un libre accès au psychiatre sans pénalité.

5Certes, ces sanctions financières demeurent moindres en psychiatrie que dans la plupart des autres spécialités. En effet, pour toutes les spécialités médicales hormis la psychiatrie, la gynécologie et l’ophtalmologie, il existe un système de double peine : le taux de remboursement des soins par l’Assurance Maladie diminue de 70 à 60 % et le spécialiste est autorisé à prendre un dépassement d’honoraires encadré, dit « dépassement autorisé ». En revanche, pour la psychiatrie, l’ophtalmologie et la gynécologie, le taux de remboursement est maintenu à 70 %, de sorte que la sanction financière n’est constituée que par le dépassement d’honoraires du médecin.

6Ce dépassement autorisé peut permettre d’augmenter les honoraires de la consultation psychiatrique jusqu’à 47 € mais demeure parfaitement optionnel. Le patient peut donc ne pas être pénalisé du tout, mais à condition que le psychiatre accepte que sa consultation ne soit plus honorée que de 37 € au lieu de 40 €, puisque le tarif conventionnel redescend à 37 € hors du parcours de soins coordonné (on ne peut plus coter la majoration de coordination des soins dans ce cas).

7Voilà pour les faits. Mais le plus grave est sans doute ce qu’ils laissent entendre de la politique actuellement menée contre notre discipline. Trois remarques s’imposent à la suite de cette décision.

8Tout d’abord, la confidentialité, pourtant indispensable à la mise en place des soins psychiatriques, devient à la fois un luxe et un délit : un luxe puisque, si le patient la demande, il doit accepter de payer pour l’obtenir ; un délit puisque, quand bien même le patient serait prêt à payer pour cela, cette demande de confidentialité n’en est pas moins stigmatisée comme un écart coupable par rapport au parcours « vertueux » de soins, selon la phraséologie élaborée conjointement par l’Uncam et les centrales signataires. Le patient « vertueux » est au contraire celui qui se retient de recourir au psychiatre sans l’avis de son médecin traitant ou, du moins, accepte que son médecin traitant soit informé par le psychiatre des soins en cours. Le respect de l’intimité du patient doit céder le pas à la transparence, érigée en vertu absolue du système de soins, au risque que le patient renonce à sa demande de soins.

9Pour autant, il serait faux de prétendre que les signataires de cet avenant n’ont pas pris en compte les effets néfastes de leur décision sur l’accès aux soins. Bien au contraire, ils en prennent pleinement la mesure puisque c’est précisément afin de ne pas mettre d’obstacle à leur demande de soins que les patients âgés de moins de 26 ans, étant donné la fragilité psychique de cette classe d’âge, conservent un libre accès au psychiatre. C’est donc en toute conscience que les signataires ont pris leur décision d’introduire un obstacle dans l’accès au psychiatre.

10La seconde remarque porte sur la « coordination des soins », seconde vertu cardinale de ce système de soins rénové et fondement supposé de toute qualité des soins, qui a servi d’alibi à la décision de restreindre ainsi l’accès au psychiatre.

11De fait, la coordination des soins est de longue date une obligation déontologique. L’article 58 du code de déontologie impose la transmission d’informations du spécialiste au médecin traitant sous réserve de l’accord du patient, et l’article 60 du même code impose au généraliste d’adresser son patient à un spécialiste en cas de besoin. Ces obligations déontologiques suffisent à définir une coordination des soins à la fois pertinente et respectueuse de l’intimité du patient.

12La coordination des soins présentée dans la convention médicale n’ajoute rien de plus aux obligations des médecins. En revanche, elle pénalise de manière inacceptable l’éventuel refus du patient que le spécialiste informe le généraliste. Elle ne constitue donc en rien un gage de qualité des soins : elle n’est qu’un alibi pour que les caisses d’assurance maladie s’autorisent un moindre remboursement et que les spécialistes bénéficient d’un droit à dépassement d’honoraires non remboursable plutôt que d’une augmentation de leurs honoraires remboursés.

13M. Pierre-Louis Bras, ancien directeur de la Sécurité sociale au Ministère – et que l’on peut donc de ce fait difficilement suspecter de vouloir favoriser les médecins libéraux – vient de signer à ce propos un article [1] qui démontre remarquablement à la fois l’inconsistance de la notion de coordination des soins dans la convention et de quelle manière elle a servi de masque respectable à l’instauration dans notre système de soins du gatekeeping. Ce dernier s’imposait pour des raisons qui n’avaient rien à voir avec la qualité des soins mais tenaient essentiellement à la revalorisation de la fonction du médecin généraliste et accessoirement à la possibilité d’ouvrir un espace de liberté tarifaire pour les spécialistes libéraux. Nous ne pouvons que recommander la lecture de cet article qui éclaire les véritables ressorts de la réforme et dénonce sans complaisance le caractère fallacieux de la qualité des soins qui a été invoquée pour la faire accepter par le public.

14Cet article permet aussi de constater que le principe d’un libre accès au psychiatre ne choque pas a priori l’Administration. Ainsi écrit-il : « Les assurés ne devraient-ils pas avoir le droit de préserver, sans être pénalisés, une part d’intimité à l’égard de leur généraliste en ce qui concerne leurs démarches vers le psychiatre ? » On ne peut mieux dire. Force est malheureusement de constater que ce sont bien davantage les médecins libéraux – et parmi eux quelques psychiatres – que les tutelles qui ont forcé la décision de restreindre l’accès au psychiatre.

15Les psychiatres qui ont soutenu l’instauration du parcours de soins justifient leur position en affirmant que la mise en place du parcours de soins était la seule manière pour les patients de préserver leur intimité puisqu’il fallait bien que le parcours de soins fût instauré pour que les patients puissent se placer hors de lui et préserver ainsi la confidentialité des soins. Outre le caractère un peu contourné de cette argumentation qui revient à dire qu’il faut bien que le mal existe pour pouvoir ensuite s’en écarter, c’est trop vite oublier que se placer hors parcours de soins suppose de la part du patient la capacité à la fois d’en assumer les conséquences financières et de supporter la culpabilité de sortir délibérément de la règle commune. Il est fort douteux que la majorité des patients qui s’adressent aux psychiatres réunissent ces deux caractéristiques.

16La troisième remarque concerne enfin la fonction du psychiatre. Le parcours de soins instauré par la convention médicale se réfère à un modèle d’organisation des soins qui insiste fortement sur la distinction entre un premier et un second niveau de recours aux soins. A priori le premier niveau est constitué par les médecins généralistes, le second par les spécialistes. Certaines spécialités ont cependant été considérées comme appartenant à la première ligne de soins pour une part importante de leur activité, la gynécologie, l’ophtalmologie et la pédiatrie, bien que cette dernière ne soit en fait pas concernée par cette problématique puisqu’elle s’adresse à des patients de moins de 16 ans.

17Le principe posé par la convention était que l’accès au spécialiste devait rester totalement libre si les soins appartenaient au premier niveau de recours de soins.

18Dès le début des négociations conventionnelles, il était évident pour les tutelles que la psychiatrie était une spécialité dont l’activité se partageait entre la première et la seconde ligne de soins. Le problème était donc de distinguer quels soins appartenaient à la première ligne de soins. La Haute autorité de santé, consultée sur cette question, s’est récusée faute de trouver dans la littérature des données permettant de trancher la question.

19Deux syndicats représentatifs de la psychiatrie privée tenaient des positions divergentes. Le Syndicat national des psychiatres privés, résolument hostile au fait que le psychiatre puisse être considéré comme un expert-consultant, demandait que l’intégralité des soins de psychiatrie soit intégrée dans la première ligne de soins et que l’accès au psychiatre demeure totalement libre. Le Syndicat des psychiatres français, à l’inverse, demandait que le périmètre des soins de première ligne soit le plus restreint possible. C’est cette seconde position qui a été retenue, les soins de première ligne se limitant finalement aux soins demandés par les moins de 25 ans.

20Cette décision sera déterminante pour l’avenir du métier de psychiatre. Dès lors que la convention médicale place le psychiatre en position de spécialiste de second recours pour l’essentiel de son exercice, elle entérine de fait cette conception du psychiatre que l’administration cherche à nous imposer depuis des années en dépit de l’hostilité de la grande majorité des professionnels : le psychiatre comme expert, responsable du diagnostic et des indications thérapeutiques, mais déléguant la plus grande part des soins à d’autres intervenants.

21En outre, le nouveau dispositif libéral remet en cause le secteur qui se caractérise précisément par le fait d’avoir pu s’affranchir de la distinction entre premier et second recours.

22Si l’activité des CMP n’est évidemment pas menacée par la convention médicale, cette dernière actualise toutefois dans le secteur libéral le modèle d’organisation des soins que l’on voyait avancer depuis longtemps. La convention médicale ouvre la voie à une restriction considérable des fonctions du psychiatre, privilégiant ses compétences « expertales » au détriment de sa compétence thérapeutique.

23Si le SNPP s’est si vigoureusement engagé pour préserver le libre accès au psychiatre, c’est parce qu’il a fait l’analyse que dans ce combat se jouaient aussi des enjeux concernant l’ensemble de la discipline, très au-delà du seul exercice libéral.

24Son échec traduit clairement la volonté des tutelles et d’une partie de notre corps professionnel de ramener la psychiatrie dans le tronc commun des spécialités médicales. C’est donc aussi l’échec dans le secteur libéral d’une certaine conception de la psychiatrie, celle qui s’est exprimée lors des États-Généraux de la psychiatrie.

Référence

  • 1
    Bras PL. Le médecin traitant : raisons et déraisons d’une politique publique. Droit social, janvier 2006.

Date de mise en ligne : 20/02/2014

https://doi.org/10.3917/inpsy.8202.0101

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