Notes
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[1]
Nous mettons de côté ici les modèles de financement basés sur le don et la philanthropie qui, s’ils ont montré leur efficacité dans certains cas particuliers, nous semblent largement sous dimensionnés dans le cas d’un problème global tel que le financement à grande échelle de la recherche fondamentale. Les fondations les plus importantes qui financent la recherche fondamentale peuvent faire la différence sur certain projets ciblés (certains médicaments par exemple), mais sont loin de suffire au financement global du système scientifique.
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[2]
Même si, techniquement, il est évident que la connaissance étant largement non-rivale, elle s’approche davantage d’un bien public que d’un bien commun. Une tragédie telle que celle théorisée par Hardin n’est donc pas possible dans le cas de la connaissance scientifique, qui ne peut pas être trop utilisée. Néanmoins, les biens publics et les biens communs étant tous deux non-appropriables, ils posent tous les deux des questions semblables quant à l’organisation de leur production.
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[3]
Ces trois éléments semblent être les principales sources de motivation des scientifiques même si d’autres moteurs incitatifs, tels que le désir d’être utile à l’humanité ou le sens du devoir, peuvent également affecter le niveau d’effort de recherche fourni par les scientifiques.
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[4]
On peut ainsi remarquer que la présence de motivation intrinsèque implique qu’il n’est généralement pas nécessaire de rémunérer les chercheurs à leur niveau de productivité marginale pour les inciter à fournir un effort optimal. Par exemple, Stern (2004) montre que les chercheurs en entreprise sont souvent prêts à accepter des réductions de salaire significatives pour avoir le droit de conduire des recherches fondamentales et de les publier. Il conclut que « conditional on perceived ability, scientists do indeed pay to be scientists ».
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[5]
Cet argument est tiré d’une citation d’un des pionniers du transfert de technologie aux États-Unis, le chimiste F. G. Cottrell qui écrivait en 1912 : « what is everybody’s business is nobody’s business » (Cottrell, 1912, cité dans Mowery et al., 2004, p. 59).
1Les dernières années ont vu un regain d’intérêt en sciences économiques pour les communs et leur mode de gouvernance tel qu’analysé par Ostrom (1990). Cet intérêt s’explique en partie par l’affirmation des technologies numériques qui facilitent la production ouverte et collective. Le changement est tel que certains auteurs prédisent l’avènement d’une « société du coût marginal zéro » dans laquelle le capitalisme disparaîtrait et serait remplacé par une organisation communautaire à grande échelle (Rifkin, 2014). Dans ce contexte, l’organisation et la gouvernance du système scientifique, ses règles, ses succès mais aussi ses limites et ses relations ambivalentes avec le marché nous semblent très instructifs pour comprendre l’économie des communs en général.
2Le système de science ouverte peut se définir comme étant un ensemble de règles et de normes formelles et informelles dont le but est d’assurer la production et la diffusion rapide de connaissances fondamentales fiables. En quelque sorte la science ouverte peut se voir comme étant une organisation communautaire très différente et largement autonome de l’État et au marché. L’histoire de la science peut d’ailleurs être présentée comme une quête continue et progressive vers cette indépendance par rapport au contrôle extérieur, qu’il soit politique ou religieux (financier et/ou moral) (David, 1998, 2008). Les traces d’un changement vers des pratiques scientifiques plus collaboratives et plus ouvertes datent au moins des XVIe et XVIIe siècles (David, 2004). Mais l’aboutissement de ce lent processus d’autonomisation et d’ouverture s’est effectivement accompli dans la seconde moitié du XXe siècle avec le développement du modèle dit de science ouverte.
3Dans cette affaire, les évènements de la seconde guerre mondiale ont bien entendu marqué les esprits. Mais, dans les milieux scientifiques et intellectuels, la publication en 1945 d’un rapport rédigé par Vannevar Bush (qui fut le conseiller spécial pour les questions scientifiques du président Roosevelt pendant la seconde guerre mondiale), intitulé « science the endless frontier », a joué un grand rôle. Dans ce rapport, Bush met en avant trois postulats qui vont modeler l’ensemble de la pensée du processus scientifique et d’innovation de l’après-guerre (et qui continuent d’ailleurs encore aujourd’hui à influencer notre manière d’appréhender la science et l’innovation, Balconi et al., 2010).
4En premier lieu, Bush postule une différence stricte entre la recherche fondamentale et la recherche appliquée. Selon lui, ces deux manières de faire de la recherche portent en elles des différences qualitatives essentielles. En second lieu, Bush postule que la recherche fondamentale est à la base du processus d’innovation. Tout part d’elle. Pour mettre des innovations sur le marché il faut d’abord faire de la recherche appliquée et pour faire de la recherche appliquée il faut d’abord faire de la recherche fondamentale. Bush postule ainsi une séquence, un processus linéaire qui part de la recherche fondamentale. Enfin, en troisième lieu, Bush postule une incompatibilité radicale entre la recherche fondamentale et la recherche appliquée. Il n’est pas possible de faire correctement dans un même temps et un même lieu les deux ensembles. En particulier, comme l’écrit Bush de manière lapidaire : « applied research invariably drives out pure » (Bush, 1945). Autrement dit, il faut protéger la recherche fondamentale de la recherche appliquée qui ne peut que la corrompre.
5L’objectif de cet article est dès lors de montrer comment fonctionne le système de science ouverte qui s’est mis en place à partir du milieu du XXe siècle. Nous souhaitons comprendre ses forces mais aussi ses limites ainsi que la manière dont il interagit avec le reste de la société et, en particulier, le marché. Cet exercice de compréhension nous semble essentiel à l’heure où les contours et les relations du commun scientifique ouvert avec les autres institutions sont en pleine évolution : redéfinition des règles d’interactions de la science avec les entreprises industrielles par exemple, mais aussi avec le politique, les éditeurs scientifiques (essor du mouvement de science ouverte), les citoyens (essor des sciences participatives), etc. Au final, ce travail permet de mettre en avant la complexité des relations entre science ouverte et marché et, surtout, le fait qu’il n’existe aucun modèle d’interaction universel. Cette conclusion a des conséquences essentielles, en particulier pour les politiques publiques et les stratégies de valorisation de la recherche académique.
6Nous commençons par expliciter la nature du problème à résoudre, à savoir assurer la production et la diffusion des connaissances fondamentales fiables (section 2). Ensuite, nous montrons en quoi l’organisation communautaire et ouverte de la science autour de normes scientifiques spécifiques, opérationnalisées par des principes concrets de fonctionnement, offre une réponse cohérente à ce problème (section 3). Nous revenons ensuite sur les limites de ce modèle, qui ont induit sa large remise en cause et le retour de l’État et du marché dans la science depuis quatre décennies (section 4). Enfin, nous analysons les opportunités mais aussi les risques liés au retour des principes marchands dans le commun scientifique, en nous intéressant en particulier à l’exemple du brevetage des recherches scientifiques (section 5).
Le problème : assurer la production et la diffusion des connaissances fondamentales fiables
7L’objectif principal du système de science ouverte est de produire des connaissances fondamentales et de les mettre à disposition des entreprises (Nelson, 1959 ; Polanyi, 1962). En effet, pour l’OCDE, la recherche fondamentale consiste en « des travaux de recherche expérimentaux ou théoriques entrepris principalement en vue d’acquérir de nouvelles connaissances sur les fondements des phénomènes et des faits observables, sans envisager une application ou une utilisation particulière ». Elle doit être distinguée de la recherche appliquée qui consiste en « des travaux de recherche originaux entrepris en vue d’acquérir de nouvelles connaissances et dirigés principalement vers un but ou un objectif pratique déterminé » et du développement expérimental qui consiste en « des travaux systématiques fondés sur les connaissances tirées de la recherche et l’expérience pratique et produisant de nouvelles connaissances techniques visant à déboucher sur de nouveaux produits ou procédés ou à améliorer les produits ou procédés existants » (Manuel de Frascati, 2015, pp. 29-30).
8En conséquence, le problème n’est pas tant la production de connaissances appliquées et d’innovations. La recherche appliquée est plutôt contextuelle, généralement peu exploratoire (faible incertitude), avec un horizon temporel assez court et des possibilités d’appropriation raisonnables (par le brevet, la difficulté de copier des savoir-faire tacites, etc.). On peut ainsi vraisemblablement penser que les entreprises, assistées par des mécanismes d’aides publiques, tels que des subventions à la recherche et développement, du crédit impôt recherche et des systèmes de protection de la propriété intellectuelle, parviennent à produire un niveau acceptable (si ce n’est optimal) de connaissances appliquées et d’innovation (pour utiliser les concepts standards de la microéconomie, dans ce cas la valeur privée de la recherche coïncide avec sa valeur sociale, voir Figure 1). Comme le remarque Nelson (1959, p. 305) « the profit motives [through the patent system or not] may stimulate private industry to spend an amount on applied research that is reasonably close to the amount that is socially desirable ».
9Cependant, innover nécessite également de disposer d’une base de connaissances fondamentales, d’un corpus de connaissances génériques permettant une compréhension globale des phénomènes (théorèmes, lois générales et formules mathématiques). Ces recherches fondamentales ne sont pas applicables à très court terme mais elles offrent un pouvoir de résolution des problèmes au monde industriel. Les recherches fondamentales sont très exploratoires, i.e. leurs développements économiques sont très incertains. De surcroît, si leurs effets économiques potentiels sont larges (car ce sont des recherches souvent très génériques), les gains espérés ne sont qu’à un horizon de moyen-long terme. Enfin, ces recherches ne résultent pas en un artefact appropriable. Autrement dit ce sont des recherches avec un bénéfice social espéré de long terme élevé mais un bénéfice privé espéré très faible. Paradoxalement ce sont ainsi les recherches qui ont le bénéfice social le plus élevé à long terme que les entreprises et le marché ont le moins d’incitation à entreprendre (voir Figure 1). Il faut donc mettre en place une autre organisation que le marché pour assurer la production de connaissances fondamentales. Ce sera le rôle du système de science ouverte.
Figure 1 – Recherche fondamentale, recherche appliquée et défaillance du marché
Figure 1 – Recherche fondamentale, recherche appliquée et défaillance du marché
Commentaire : la recherche fondamentale est fortement générique avec des applications potentielles dans de très nombreux secteurs économiques. Sa valeur sociale est donc potentiellement très élevée. Mais la recherche fondamentale est également très difficilement appropriable. Sa valeur privée, pour l’investisseur, est donc très faible. Dans ce cas les marchés sont largement défaillants. À l’opposé, la recherche appliquée est plus spécifique, plus contextuelle. Sa valeur sociale est donc moindre que celle de la recherche fondamentale. Mais la recherche appliquée est également plus facilement appropriable (par exemple par un brevet), rendant sa valeur privée plus élevée que celle de la recherche fondamentale. À l’extrême, la valeur sociale et la valeur privée de la recherche appliquée coïncident, restaurant ainsi l’efficience des marchés.10Le modèle de science ouverte « pure » suppose ainsi une division du travail et une forte complémentarité entre science et industrie. La science ouverte est chargée de produire des connaissances fondamentales et de les mettre à disposition du monde industriel qui, de son côté, les utilise afin de produire des connaissances appliquées et des innovations. Comme le résume Nelson (1992, p. 62) « in a sense the evolution of technology involves the co-evolution of a public good – generic knowledge- and a collection of private goods – specific practices. One might presume, therefore, that corporate R&D efforts would focus tightly on creating new techniques with public institutions like universities doing most of the work advancing generic knowledge ». Il nous faut maintenant comprendre la manière dont fonctionne ce système de science ouverte.
Le fonctionnement « ideal » du commun scientifique ouvert
Par-delà l’État et le marché
11L’objectif est donc d’assurer la production et la diffusion de connaissances fondamentales fiables. Cela pose la double question du financement et de l’organisation de la production des connaissances fondamentales. Si le financement de la science ne passe pas par la sphère privée, il doit forcément passer par le public [1]. Par contre, l’organisation de la production de connaissances fondamentales peut s’envisager selon une solution ne passant ni par le marché, ni par le public. C’est précisément là que nous rejoignons les théories sur la gouvernance des biens communs (Ostrom, 1990). Pour Ostrom la tragédie des biens communs mise en avant par Hardin (1968) n’est ni inévitable, ni forcément solutionnée par l’intervention du public ou du marché. Une troisième voie est possible. C’est l’auto-organisation au sein de communautés d’individus structurés autour de normes communes. Nous allons voir que le modèle d’organisation de la science ouverte s’apparente largement à un commun tel que défini par Ostrom [2].
12En effet, le cœur du système scientifique n’est pas organisé sur la base de règles juridiques formelles (même s’il existe des contrats de travail, de recherche, etc.), ni sur la base du système de prix. L’organisation de la science ouverte ne repose ni sur la hiérarchie ni sur le marché. Elle repose sur un ensemble de normes auxquelles adhère l’ensemble de la communauté scientifique.
13Pour l’illustrer, prenons un exemple simple : celui de la régulation de la copie dans la science. Le droit d’auteur protège légalement les œuvres de l’esprit et empêche leur copie non autorisée. Mais cette règle de droit est le plus souvent inutilisée dans la science où la régulation de la copie repose plutôt sur le respect d’une norme qui suppose de systématiquement citer l’auteur de l’idée qu’un chercheur emprunte. Si un scientifique omet de citer ses sources, il se rend coupable de plagiat, ce qui est un fait grave du point de vue de la communauté scientifique, mais qui n’a pas d’incidence du point de vue de la loi (sauf s’il a copié à l’identique le texte d’un collègue où dans ce cas le plagiat se double d’une infraction au droit d’auteur). L’on voit bien ici que le problème de la protection des idées et des connaissances au sein des membres de la communauté scientifique passe davantage par l’adhésion à une norme propre à la communauté (les chercheurs doivent citer leur source) que par le droit. Le plagiat dans la science n’est pas une contrefaçon de droit d’auteur (i.e. une violation d’une règle juridique), c’est une violation d’une norme de la communauté scientifique.
Les normes qui organisent le commun scientifique ouvert
14Quelles sont les normes qui structurent la communauté scientifique et comment sont-elles opérationnalisées dans le système de science ouverte ? Ces normes, parfois appelées l’éthos de la science, ont été pour la première fois explicitées par le sociologue Robert Merton en 1973, qui a mis en avant quatre normes fondamentales, auxquelles on a ajouté ensuite le critère d’originalité. Elles peuvent être rassemblées sous l’acronyme CUDOS (« communalism, universalism, disinterestedness, originality, skepticism ») (Ziman, 1994 ; David, 2008).
- Le communalisme met en avant la dimension collective, collaborative du processus scientifique. Cela a pour conséquence d’insister sur l’importance d’un accès ouvert et non restreint aux connaissances scientifiques. La production de connaissances étant un processus collectif et cumulatif, chaque chercheur se tenant sur des « épaules de géants » (Scotchmer, 1991), il convient d’assurer l’accès à tous à ces épaules.
- L’universalisme stipule que l’accès à la communauté scientifique n’est pas restreint. Il n’y a pas de discrimination dans la science. Toute personne qui en a les compétences peut participer à la production de connaissances scientifiques, quels que soient ses attributs personnels ou sociaux. Cet universalisme implique à nouveau que les connaissances produites soient ouvertes, i.e. accessibles à tous.
- Le désintéressement suppose que les chercheurs ne participent pas au processus de recherche par intérêt personnel mais uniquement pour faire progresser la science. Ce désintéressement assure que les scientifiques s’impliquent dans des recherches qui ont une valeur sociale élevée et acceptent de partager leur recherche. Cette propriété de désintéressement au sein de la république des sciences n’est pas une hypothèse naïve quant à une supposée probité morale des chercheurs. C’est plutôt, comme nous le verrons ci-dessous, la conséquence des caractéristiques du système scientifique et, notamment, du mécanisme de récompense en vigueur dans la science.
- La norme d’originalité stipule que le principal critère de récompense des membres de la communauté scientifique est l’originalité et la valeur scientifique des connaissances produites. Les critères d’utilité, de rentabilité, etc., ne doivent pas entrer en vigueur pour évaluer une recherche scientifique.
- Le scepticisme organisé stipule que les connaissances produites par les chercheurs doivent systématiquement être critiquées et remises en doute par la communauté scientifique. À l’inverse d’un croyant qui accepte le dogme sans en questionner la pertinence, le scientifique doit systématiquement douter des connaissances produites. Cela rejoint le principe de Popper selon lequel une connaissance scientifique n’est jamais une connaissance vraie dans l’absolue, mais simplement une connaissance que la communauté scientifique n’a pas encore pu réfuter. À nouveau, cette norme implique l’ouverture des connaissances scientifiques au plus large public possible.
16Ces cinq normes sont apprises et intériorisées par les scientifiques lors de leur formation et sont ensuite mobilisées tout au long de leur carrière scientifique, très souvent de manière implicite.
Les principes opérationnels de la science ouverte
17Comment, concrètement, ces normes se manifestent-elles au sein de la communauté scientifique ? Il est aujourd’hui largement admis que l’organisation de la science ouverte tourne autour de quatre principes directeurs qui sont supposés assurer la mise en œuvre des normes évoquées ci-dessus (Stephan, 1996) : le principe d’indépendance des chercheurs, le principe de validation des résultats de la recherche, le principe de rémunération et de récompense des chercheurs et le principe de priorité.
18Tout d’abord, le principe d’indépendance (ou de liberté) assure que le chercheur est seul décideur de son programme de recherche. Cela implique que le premier problème qu’un scientifique doit résoudre est ce qu’on appelle « le problème du choix du problème » (Ziman, 1987). Autrement dit : quel problème le scientifique va-t-il tenter de résoudre ? Et la communauté scientifique doit répondre à cette question sans aucune ingérence du politique ou du marchand car ces derniers ont des agendas court-termistes totalement orthogonaux à l’agenda scientifique de long terme. La valeur sociale d’une connaissance fondamentale est tellement indéterminée, imprédictible qu’il serait illusoire de vouloir télécommander la recherche fondamentale par un autre motif que l’unique volonté de faire progresser la science. Ce point est ironiquement souligné par Polanyi (1962) lorsqu’il affirme : « I appreciate the generous sentiments which actuate the aspiration of guiding the progress of science into socially beneficent channels, but I hold its aim to be impossible and indeed nonsensical ». En conséquence, alors que dans une organisation la décision est imposée par le supérieur hiérarchique et que dans un marché elle est contrainte par l’impératif de rentabilité, les membres de la communauté scientifique sont parfaitement indépendants et libres de leurs choix.
19Le principe de validation des résultats affirme que la valeur d’un résultat scientifique ne doit dépendre que de l’auto-évaluation réalisée par la communauté scientifique, i.e. l’évaluation par les pairs. Cela garanti que l’évaluation exclura très largement la valeur marchande ou politique immédiate d’une recherche et ne se concentrera que sur la plausibilité du résultat de recherche, sa valeur scientifique et son originalité (Polanyi, 1962). À nouveau, alors que le marché adopte un principe de validation basé sur le profit et le politique sur les bénéfices politiques immédiats, le principe de validation au sein de la communauté scientifique ne doit dépendre que de la dimension scientifique de la recherche.
20Le principe de rémunération et de récompense consiste à largement déconnecter la rémunération d’un chercheur de sa performance de recherche à court terme. Alors que dans la plupart des entreprises les salariés sont rémunérés à la performance et peuvent être licenciés en cas de performance moindre, les chercheurs sont généralement protégés des contingences de court terme. L’objectif est ici de les inciter à prendre des risques, à s’aventurer dans des domaines de recherches inédits, inexplorés, à fort potentiel scientifique, mais également à fort risque d’échec. Le chercheur engagé dans une recherche fondamentale ne doit pas se préoccuper de savoir s’il pourra manger demain sinon il se détournera bien évidemment de sa mission première pour produire des recherches à bénéfice immédiat. Mais se pose alors un problème de passager clandestin standard : si la récompense du chercheur est déconnectée de sa performance et donc de son niveau d’effort, qu’est ce qui incite les chercheurs à faire des efforts ? Qu’est ce qui fait qu’un chercheur cherche ? Depuis les travaux de Merton dans les années soixante cette question a fait l’objet de nombreuses recherches en sociologie, psychologie et économie. La réponse est résumée par Stephan (1996) avec la formule : « Gold, puzzle, reputation » [3].
21Tout d’abord les chercheurs restent, en partie, des homo-œconomicus motivés par le profit. Ils réagissent aux incitations monétaires. Par exemple, ils n’hésitent souvent pas à quitter une université pour une autre qui offre une meilleure rémunération (Stephan, 2012). Aussi, si la rémunération à court terme n’est pas directement liée à la performance scientifique, les carrières des chercheurs à long terme (et donc leur rémunération) en dépendent très largement. Mais, à l’inverse de la plupart des autres activités, la motivation des chercheurs va bien au-delà des considérations financières. Ils sont également motivés intrinsèquement par le simple plaisir de conduire des recherches, de résoudre des énigmes. On parle de curiosité scientifique, de goût pour la science (« a taste of science »). La recherche constitue ainsi une récompense en soi, indépendamment d’une quelconque récompense financière. La plupart des scientifiques de renom, lorsqu’on les questionne sur leur motivation, mettent en avant le plaisir qu’ils ont à chercher, le fait que leur travail s’apparente davantage à un jeu, une quête dans laquelle trouver la réponse est la principale source de récompense [4]. Enfin, les chercheurs cherchent à accroître leur réputation, à être reconnus par leurs pairs. Les scientifiques sont en général très sensibles aux récompenses honorifiques. Cet effet réputationnel, induit une course à la réputation entre les membres de la communauté scientifique qui est fondamentale pour comprendre l’importance du dernier principe sur lequel repose l’organisation du système de science ouverte.
22Le principe de priorité désigne le fait que, dans la science, seul le premier chercheur à publier une découverte est récompensé (obtient le crédit pour cette découverte). Le second n’obtient aucune récompense. Le système scientifique induit ainsi une course dans laquelle chaque chercheur doit être toujours le premier à diffuser ses recherches. Cela mène à un paradoxe étonnant : l’appropriation de la recherche dans la science passe, non pas par la protection et le secret comme sur le marché, mais par la rapide publication et diffusion de cette recherche. Pour s’approprier une recherche scientifique il faut la publier ! En conséquence, la course à la priorité dans la science entraîne un double effet : elle incite les chercheurs à faire de la vraie recherche fondamentale qui reste la seule reconnue par la communauté scientifique ; elle encourage les chercheurs à publier le plus vite possible leur recherche. Comme l’exprime Arrow (1987, p. 687) : « The incentive compatibility literature needs to learn the lesson of the priority system. Rewards to overcome shirking and free rider problems need not be monetary in nature: society is more ingenious than the market ».
23Au final, l’organisation de la recherche scientifique autour de principes directeurs largement différents de ceux du marché (voir Tableau 1), permet d’assurer la production et la diffusion de connaissances fondamentales fiables. Les chercheurs sont incités à faire de la vraie recherche fondamentale car c’est ce type de recherche qui les intéresse intrinsèquement et qui est valorisée par la communauté, ils sont incités à la diffuser le plus rapidement et le plus largement possible pour en affirmer la paternité, et la communauté scientifique est incitée à continuellement tester, remettre en cause ces nouvelles connaissances afin d’en assurer la fiabilité. À l’inverse, l’absence de besoin monétaire à court terme et l’absence d’intérêt scientifique détournent largement les scientifiques de la recherche appliquée qui reste l’apanage des entreprises et du marché.
Tableau 1 – Science et marché : deux fonctionnements différents et complémentaires
Entreprises / marché | Commun scientifique ouvert | |
---|---|---|
Choix de la recherche | Imposé par la hiérarchie | À la discrétion du chercheur |
Motivation de la recherche | Rentabilité (« Gold ») | « Gold », motivation intrinsèque (« effet puzzle »), effet réputation |
Validation de la recherche | Par le marché (prix) | Par les pairs (originalité scientifique) |
Appropriation de la recherche | Brevet et/ou secret « winner does not take all » | Publication « winner takes all » |
Rémunération du chercheur | Connectée à la performance à court terme | Largement déconnectée de la performance à court terme |
Engagement contractuel du chercheur | Plutôt court terme, contrats de travail résiliable | Emploi stable à court terme |
Tableau 1 – Science et marché : deux fonctionnements différents et complémentaires
Quelques failles dans le modèle
24Le modèle de science ouverte n’en reste pas moins sujet à quelques failles et dysfonctionnements qui ne doivent pas être sous-estimés. En premier lieu, la communauté scientifique, du fait justement de la norme de scepticisme et de l’évaluation par les pairs, a tendance à subir une très forte inertie. Paradoxalement, la science, dont l’objectif est de produire de la nouveauté, est structurellement méfiante face au nouveau. Il est en effet toujours difficile pour un individu d’évaluer une nouvelle connaissance qui vient remettre en cause le système qu’il croyait vrai. Les individus, soit ne comprennent pas la nouveauté, soit s’y opposent. De ce fait, les nouvelles idées ont toujours du mal à s’imposer. En témoigne ce commentaire désabusé de Max Planck (1950, p. 33) : « A new scientific truth does not triumph by convincing its opponents and making them see the light but rather because its opponents eventually die, and a new generation grows up that is familiar with it ». L’évaluation par les pairs ou les recrutements par les pairs, dont l’objectif est précisément d’éviter le charlatanisme et d’assurer la fiabilité des connaissances scientifiques, génère ainsi en contrepartie une orthodoxie scientifique qu’il est très difficile de bouleverser. À l’extrême cela peut se traduire par une endogamie des recrutements et une uniformisation des profils et des travaux des chercheurs.
25Une seconde caractéristique potentiellement négative du système scientifique consiste en un auto renforcement continu des inégalités initiales. Étant donné que les moyens de recherche (les budgets, recrutements, etc.) dépendent de la performance de recherche, certains chercheurs tendent ainsi à concentrer autour d’eux et de leur thématique de recherche une part importante des budgets de la recherche. Depuis les travaux de Merton il est fréquent de parler d’effet Saint-Matthieu pour qualifier ce renforcement des inégalités.
« the concept [of cumulative advantage], applied to the domain of science, refers to the social processes through which various kinds of opportunities for scientific inquiry as well as the subsequent symbolic and material rewards for the results of that inquiry, tend to accumulate for individual practitioners of science, as they do for organizations engaged in scientific work […] The concept of cumulative advantage directs our attention to the ways in which initial comparative advantage of trained capacity, structural location, and available resources make for successive increments of advantage such that the gaps between the have and the have-not in science widen until hampered by countervailing processes » (Merton, 1968).
27Ce processus d’auto renforcement des inégalités peut sembler naturel dans la mesure où, si le système ne dysfonctionne pas, les chercheurs les plus reconnus doivent être ceux qui travaillent dans les domaines considérés comme les plus prometteurs et il est donc sain de diriger les moyens de la recherche vers ces domaines. Mais, d’un autre côté, il est également possible que certains avantages initiaux aient été obtenu simplement par le hasard et se voient ainsi démesurément renforcés. Dans tous les cas, cette tendance à l’auto renforcement des inégalités contribue également à accroître l’inertie dans la science.
28Le coût et la difficulté d’accès à certaines infrastructures de recherche participe également à générer des inégalités et de l’inertie dans le système scientifique. Dans certains domaines les infrastructures de recherche sont de plus en plus coûteuses (Stephan, 2012). Elles sont ainsi forcément disponibles en quantité plus limitée et leur accès est rendu plus difficile. À nouveau, le système d’évaluation par les pairs limite alors l’accès à ces grandes infrastructures aux chercheurs les plus reconnus, forcément au sein de l’orthodoxie scientifique.
29En dernier lieu, le système de course à la priorité génère parfois des comportements de concurrence extrême. En effet, la course à la priorité étant basée sur un principe de « winner takes all », elle induit une pression très importante pour être le premier à publier une découverte scientifique. Cette situation peut provoquer des comportements néfastes de la part des scientifiques tels que la non collaboration, le secret (le refus de partager des résultats de recherche) ou encore des malversations scientifiques (Lacetera, Zirulia, 2011). Le système des communs scientifiques est un système idéal de collaboration et d’échanges basé sur l’ouverture et l’universalisme qui, paradoxalement, peut parfois générer des situations de concurrence extrême. C’est sûrement là un mérite important de la mouvance dite « open access », qui progresse très rapidement dans la science, de contribuer à rendre systématiquement publiques les données et sources d’information des études, afin d’en garantir la reproductibilité et la fiabilité et de réduire les malversations.
Les remises en cause du modèle de commun scientifique ouvert
Le retour de l’État
30Le modèle de commun scientifique ouvert « idéal », largement autonome de l’État et du marché, décrit dans la section précédente, malgré ses indéniables succès et sa cohérence intellectuelle, a subi de très sérieuses remises en question depuis le début des années 1980. La première a bien évidemment portée sur les questions budgétaires dans un contexte où les finances publiques étaient davantage contraintes. La question des montants publics à investir dans la science n’est pas nouvelle et est parfaitement légitime. Elle est explicitement posée dès les premières lignes de l’article pionnier de Nelson en 1959 : « How much are we spending on basic research? How much should we be spending ? » (p. 297). Pour répondre à cette seconde question il faudrait pouvoir opérer une analyse coûts-bénéfices détaillée. Mais à l’inverse d’autres investissements publics (les infrastructures de transport par exemple) pour lesquels des analyses coûts-bénéfices (même imprécises) sont envisageables et peuvent guider la décision politique, dans le cas de la science il est impossible d’espérer anticiper sérieusement l’intégralité des bénéfices sociaux. La décision du montant investit dans la science ouverte dépendra ainsi toujours des préoccupations, des convictions, des croyances et des contraintes qui s’exercent sur les citoyens, indépendamment des questions d’économie pure.
31Pour autant, par définition, la recherche fondamentale ne peut pas être rentable rapidement et si l’objectif reste de produire des connaissances fondamentales, alors le financement doit être garanti par le public. Comme nous le rappelle Nelson (1959, p. 306) : « If societies places the brunt of the basic research burden on universities, funds must be provided for this purpose […] Policies should be designed to prevent the increased applied research burden from drawing university facilities and scientists away from basic research. This is not to say that universities cannot effectively undertake applied research. Rather it is to say that their comparative advantage lies in basic research ».
32En parallèle à la question des montants s’est également imposée la volonté des États d’obtenir des retombées économiques plus rapidement afin de justifier politiquement les investissements dans la science. Cette volonté a pu ainsi permettre aux États d’opérer une reprise en main, plus ou moins importante selon les pays, de l’agenda scientifique avec un objectif de rendre la science plus « utile » plus vite. Ce faisant les États ont pu remettre en cause plus ou moins radicalement le principe d’indépendance en modifiant ou en incitant les chercheurs à modifier leur agenda. Les appels à projets ciblés, les recrutements ciblés, etc., sont ainsi devenus la norme dans de nombreux pays. Cette volonté du citoyen d’influencer l’orientation de la science peut aisément se comprendre mais il faut garder à l’esprit qu’elle peut être dangereuse car, comme nous l’expliquait Polanyi (1962), le processus scientifique est très largement indéterminé et peut très difficilement se piloter de manière centralisée que ce soit par un État ou par une entreprise.
Le retour du marché
33Au-delà des enjeux budgétaires et d’intervention publique dans la science, qui se rapportent davantage à des choix politiques qu’économiques, nous insistons ici sur trois éléments d’analyse économique pure qui ont contribué à affaiblir le modèle linéaire d’innovation et le système de science ouverte. Ces critiques sont essentiellement venues remettre en question la pertinence de l’isolement de la communauté scientifique du reste de l’économie et ont ainsi contribué au retour du marché dans la science.
34La première critique a été symbolisée par Stokes (1997) et l’image du « cadran de Pasteur ». Cette image montre qu’il n’est pas possible d’opposer systématiquement la recherche fondamentale, qui n’aurait aucune visée utilitaire autre que l’amélioration des connaissances, et la recherche appliquée, à finalité utilitaire. Le cas de Pasteur montre au contraire que des travaux qui cherchent à résoudre des problèmes concrets du quotidien, tels que la pasteurisation des aliments ou la vaccination, peuvent aboutir à la production de connaissances fondamentales et faire avancer la science. Dans son cadran Stokes distingue trois types de recherches : les recherches à visée exclusive de compréhension fondamentale du monde (la partie Bohr du cadran) qui correspondent à de la recherche fondamentale pure ; les recherches à visée exclusive utilitaire (la partie Edison du cadran) qui correspondent à de la recherche appliquée pure ; et les recherches qui ont à la fois une visée de compréhension générale du monde et une visée utilitaire (la partie Pasteur du cadran) qui correspondent à des recherches fondamentales inspirées par des problématiques appliqués.
35Autrement dit, il peut y avoir un enrichissement mutuel entre recherche fondamentale et recherche appliquée et, lorsque c’est le cas, il est totalement contreproductif d’isoler la recherche fondamentale de la recherche appliquée. Contrairement à ce qu’affirme Bush (1945) la seconde ne chasse pas systématiquement la première. La norme du modèle de science ouverte qui dit que l’objectif des chercheurs doit être exclusivement de s’intéresser à faire progresser les connaissances et qu’ils ne doivent pas chercher à être directement « utiles » est ainsi clairement remise en cause. Il peut être contreproductif de systématiquement isoler et protéger le système scientifique des problématiques quotidiennes du monde. À partir de là, la porte est ouverte pour que les chercheurs académiques s’emparent de problématiques concrètes du quotidien, travaillent avec des entreprises, voire même créent leur propre entreprise comme c’est aujourd’hui très souvent le cas.
36En parallèle à cette première brèche, depuis les années 1980 le modèle linéaire a été remplacé par une vision systémique du processus d’innovation. On parle de modèle interactif d’innovation (Kline, Rosenberg, 1986), de mode 2 de production des connaissances (Gibbons, 1994), de modèle à triple Hélix (Etzkowitz, Leysdesdorff, 2000) ou encore d’innovation ouverte (Chesbrough, 2003). Dans tous les cas, l’idée centrale de ces concepts est que le processus d’innovation est un processus interactif lors duquel les acteurs de l’innovation doivent échanger. Ces interactions peuvent être formelles ou informelles, marchandes ou non marchandes, bilatérales ou multilatérales, etc. Le point central est que les acteurs de l’innovation ne doivent pas rester isolés les uns des autres. Toutes ces théories contribuent ainsi à remettre en cause l’isolement du système de science ouverte par rapport au reste de l’économie. Cette déconnexion est inefficace car l’innovation suppose d’interagir et d’échanger. Il faut donc repositionner le monde académique par rapport au marché et faciliter les interactions régulières entre science et marché. Cela passe par la réalisation de projets de recherche conjoints entre universités et entreprises, l’autorisation de financements privés de la recherche académique ou encore par des échanges réguliers au sein de clusters innovants ou autre.
37Enfin, la troisième attaque est venue des États-Unis et est en lien avec la très large littérature sur le Bayh-Dole Act voté en 1980 (Mowery et al., 2004). Sans entrer dans les détails, l’idée de cette loi est de permettre une meilleure valorisation des inventions issues de la science, le constat étant que de très nombreuses inventions développées dans des laboratoires académiques n’atteignent jamais le marché. Il y aurait en effet un trop grand décalage entre les recherches académiques et les recherches industrielles. Du coup, il devient trop compliqué de faire le grand écart et de transférer vers les entreprises les inventions issues des laboratoires académiques. Pour y remédier certaines entreprisses peuvent réaliser un peu de recherche fondamentale afin de développer leur capacité d’absorption et mieux utiliser les connaissances académiques (Cohen, Levinthal, 1989 ; Rosenberg, 1990). Ou encore, de l’autre côté, il peut être demandé aux universités de se rapprocher du marché.
38L’un des aspects importants de ce débat est lié à la nature souvent embryonnaire des inventions issues de la science. En effet, le plus souvent les inventions qui sortent des laboratoires académiques ne sont pas immédiatement opérationnelles et valorisables par les entreprises. Ces dernières doivent souvent entreprendre d’importants investissements complémentaires avant de pouvoir les utiliser et en retirer des profits (Jensen, Thursby, 2001). Or, il est possible qu’aucune entreprise ne souhaite réaliser ces investissements si l’invention est publique c’est-à-dire accessible à tous. L’argument bien connu ici est que : « what is available to everybody is of interest to no one » (Mazzoleni, Sampat, 2002, p. 237) [5]. Cet argument justifie ainsi que les recherches académiques soient brevetées et que des licences exclusives soient accordées aux industriels afin de les inciter à entreprendre les investissements complémentaires et à valoriser les inventions issues du public. On le voit, cet argument ouvre la porte à la brevetabilité des recherches scientifiques et donc, à nouveau, au retour de l’appropriation et du marché dans la science.
39Finalement, les arguments évoqués dans cette section montrent avant tout les limites d’un modèle de science ouverte totalement autonome et déconnecté du reste de l’économie. Les échanges et les interactions entre la science et l’industrie dans une logique d’innovation systémique sont indispensables pour assurer l’efficience du système. Aujourd’hui, les chercheurs académiques peuvent (et même sont incités à) mener des recherches appliquées, déposer des brevets, travailler avec des entreprises, voire créer leur propre entreprise. La valorisation de la recherche est même considérée comme une troisième mission des enseignants-chercheurs aux côtés de la recherche et de l’enseignement. Des structures de valorisation ont été mises en place dans la plupart des pays occidentaux afin d’aider les chercheurs à développer des interactions avec les entreprises (en France il s’agit de SATT, d’incubateurs, de pôles de compétitivité, etc.). Mais ce nouveau système de relations entre la science et l’industrie, s’il peut être générateur de transfert de technologie, d’innovations et de performance accrue, n’est lui-même pas sans danger.
Les dangers du rapprochement du commun scientifique ouvert et du marché : l’exemple du brevetage des inventions académiques
40Les dangers du rapprochement du commun scientifique ouvert et du marché sont multiples et sont, bien entendu, liés à l’affaiblissement par le marché des normes de la science ouverte. Les principes de fonctionnement du marché sont en effet très différents et risquent de corrompre le fonctionnement « pur » de la « République des sciences » (Polanyi, 1962). Pour comprendre les différents problèmes qu’un tel rapprochement est susceptible de causer, nous nous proposons ici de raisonner à partir d’un cas bien documenté, à savoir les conséquences des brevets dans la science (Mowery et al. 2004 ; Geuna, Nesta, 2006 ; Sampat, 2006).
41Comme nous l’avons évoqué plus haut, les raisons d’autoriser, voire d’inciter, les scientifiques à déposer des brevets sont liées à la valorisation des recherches scientifiques. Le brevet est parfois un mal nécessaire afin d’assurer le transfert des recherches scientifiques et d’assurer leur valorisation économique. Ce point est confirmé par de nombreuses études empiriques. Par exemple, une enquête menée auprès d’inventeurs académiques français montre que 54 % des scientifiques répondants à l’enquête et qui ont déjà vu une de leur invention brevetée et transférée à une entreprise considèrent que le transfert n’aurait pas eu lieu sans le brevet (Pénin, 2010). Ce chiffre monte même à 100 % dans le cas des recherches sur les médicaments. Il n’est que de 28 % dans les sciences de l’ingénieur. Le brevet peut donc être important pour assurer le transfert des inventions issues de la recherche académique, du moins dans certaines disciplines scientifiques.
42Mais si les avantages semblent bien réels, les risques ne sont pas absents, bien au contraire. La littérature a mis l’accent sur trois types de dangers possiblement induits par le brevetage des inventions dans la science (Geuna, Nesta, 2006 ; Verspagen, 2006). En premier lieu, cela risque d’affaiblir la norme d’ouverture et de favoriser les stratégies de secret. En effet, pour être brevetable une invention doit être tenue secrète. Toute divulgation avant le dépôt de brevet entraîne la nullité de la demande. Pour pouvoir déposer des brevets les scientifiques doivent donc garder leur recherche secrète, au moins jusqu’à la demande de brevet. Également, l’introduction du brevet dans la science, et des enjeux marchands et financiers qui vont avec, pourrait affaiblir les échanges et les collaborations entre les scientifiques et augmenter le nombre de conflits. En France, par exemple, les revenus tirés des licences de brevet peuvent très significativement accroître les revenus des chercheurs, remettant ainsi en cause la norme de désintéressement en vigueur dans la science. Comme le remarque Verspagen (2006, p. 616) : « open science works in an atmosphere of openness and sharing of knowledge, data and research results. It is exactly this open nature of the scientific process that is responsible for much of its success [...] Patents may turn this open culture into a more closed one ». Les études empiriques tendent à confirmer ce point et à montrer que le brevet entraîne une augmentation du secret dans la science. Par exemple, l’enquête que nous avons citée plus haut auprès d’inventeurs académiques français indique que la très grande majorité des dépôts de brevet entraîne effectivement un délai dans la publication des recherches. 78 % des répondants affirment avoir du reporter leur publication afin de pouvoir déposer un brevet. Dans la moitié des cas (49 %) le délai de publication excède une année et peut même parfois excéder deux années. De surcroît, 16 % des répondants affirment avoir été obligés de renoncer à la publication de leur recherche du fait du dépôt de brevet (Pénin, 2010).
43Un deuxième risque important lié au brevetage des inventions scientifiques est que cela risque d’entraîner les chercheurs à se détourner de la recherche fondamentale, par définition non brevetable, afin de réaliser davantage de recherche appliquée. Le brevet entraînerait ici un effet d’éviction de la recherche fondamentale vers la recherche appliquée qui devient relativement plus attractive pour les scientifiques. Sur ce point la littérature économétrique n’est pas concluante. De nombreuses études montrent que les chercheurs qui déposent le plus brevet sont également ceux qui publient le plus (Breschi et al., 2008). Autrement dit, le brevet ne détournerait pas ces chercheurs de leur activité de recherche fondamentale. Cependant, toujours la même enquête sur les inventeurs académiques français montre que le brevet dans la science n’est pas neutre par rapport à l’agenda de recherche des scientifiques. En effet, environ 20 % des répondants affirment qu’ils essaient d’orienter leur recherche vers des domaines dans lesquels ils pourront déposer des brevets. Cet effet est particulièrement important dans le cas des médicaments (33 %). Si cela ne signifie pas que ces chercheurs font moins de recherche fondamentale et davantage de recherche appliquée, cela indique clairement que le brevet a un impact sur l’agenda scientifique.
44Enfin, un troisième risque est d’accroître le coût d’accès aux recherches scientifiques pour les scientifiques eux-mêmes et pour les entreprises. Le brevet étant naturellement un droit exclusif il est susceptible d’empêcher l’accès ou d’augmenter le coût d’accès à la science. Dans les domaines où les brevets prolifèrent comme dans les technologies de l’information et de la communication les brevets sont susceptibles d’induire une tragédie des anticommuns (Heller, Eisenberg, 1998) et une privatisation de l’espace commun (Nelson, 2004). À ce jour les études empiriques ne sont pas concluantes et ne permettent pas de valider ces risques. Cependant, la question de l’accès des scientifiques eux-mêmes aux recherches menées par les entreprises reste préoccupante. Les chercheurs bénéficient généralement d’une autorisation d’utiliser les recherches des entreprises, même lorsqu’elles sont brevetées, du fait d’une exception pour motif de recherche fondamentale. Or il est à craindre que les scientifiques devenant de plus en plus entrepreneurs et se rapprochant du marché, cette exception soit menacée. L’on voit déjà aux États-Unis une multiplication des litiges de brevet où des entreprises attaquent des universités pour violation de propriété intellectuelle (Eisenberg, 2003).
45Au final, comme le montre l’exemple du brevet d’invention, le rapprochement entre la science et le marché peut générer des bénéfices (liés surtout à l’amélioration du processus de transfert de technologie dans le cas du brevet) mais également induire d’importants coûts. Dans tous les cas, il semble acquis que l’ampleur des bénéfices et des coûts dépend du contexte, de la nature de la recherche menée, des propriétés de la technologie et de l’invention, etc. Par exemple, dans le cas du brevet, les conséquences du transfert de technologie peuvent être multiples et très différentes selon les propriétés de la technologie transférée et le type de licence d’exploitation qui est adopté (Öcalan-Özel, Pénin, 2019).
Conclusion
46Le modèle de commun scientifique ouvert répond à un problème essentiel, à savoir assurer la production et la diffusion des connaissances fondamentales, objectif que ni une organisation marchande, ni une organisation planifiée et centralisée n’est à même de satisfaire. Nous avons montré ici que le modèle de commun scientifique ouvert offre une solution cohérente à ce problème. Pour autant ce modèle a fait l’objet d’une remise en cause à la fois financière et intellectuelle parfois violente depuis quelques décennies. Cela l’a obligé à s’adapter et à se repositionner, par rapport au marché notamment. Indéniablement, nous avons affaire à une institution récente et encore fragile, dont les contours et les relations avec le reste de la société ne sont pas encore stabilisés et dont le positionnement économique et la régulation pose encore de nombreuses questions qui n’ont pas été évoquées dans cet article.
47Par exemple, quels doivent être les objectifs des interactions entre science et marché ? Qu’entend-on exactement par valorisation de la recherche ? Dans quel but valoriser les travaux académiques ? Pour générer des bénéfices monétaires ? Financer la recherche fondamentale avec l’argent de la valorisation ? Ou, plutôt, pour faire en sorte que les recherches académiques soient utilisées dans le monde socio-économique (quitte à ce que l’État paye pour valoriser ces connaissances, si le bénéfice estimé en vaut la peine) ? La réponse donnée à ces questions conduit à des modalités d’interaction entre science et marché et à des conséquences économiques très différentes.
48Également, la question des parties prenantes au commun scientifique ouvert ne se limite pas aux scientifiques et au marché. Cela nous est rappelé par l’essor des sciences participatives notamment, preuve de l’évolution continue du commun scientifique et de son imbrication avec la société dans son ensemble. La question de l’accès aux connaissances scientifiques interroge aussi les stratégies de publication de ces connaissances et, à ce titre, le rôle et le modèle d’affaires des éditeurs scientifiques, y compris lorsque ces derniers sont dans une logique « open access », qui consiste d’ailleurs souvent à faire payer celui qui publie au lieu de celui qui lit (et, au final, ces deux acteurs sont la plupart du temps les mêmes personnes).
49La redéfinition des contours entre science et marché se perçoit également lorsque des entreprises mobilisent des stratégies ouvertes importées de la science. C’est le cas, par exemple, lorsqu’elles choisissent de publier leurs recherches plutôt que de les breveter (Pénin, 2007). À ce titre, il faut noter que les outils de la propriété intellectuelle ont eux-mêmes évolué, les acteurs privés imaginant des licences plus ouvertes (de type open source et/ou creative commons) afin de s’adapter à l’esprit du commun.
50En conclusion, les liens entre le commun scientifique ouvert et le reste de la société sont complexes et en constante évolution. Il serait ainsi contreproductif de développer des raisonnements binaires qui opposent de manière irréconciliable science et marché, science et citoyens, etc. Il serait surprenant que les différents modèles ne puissent pas trouver un terrain d’entente. Il existe notamment de multiples modalités d’interactions entre science et industrie, souvent complémentaires les unes avec les autres (Schaeffer et al., 2020). Plutôt que de rejeter en bloc toutes les interactions, il nous apparaît plus prometteur de les étudier et d’analyser leurs conséquences respectives selon les contextes. Il est vraisemblable que des voies médianes permettent de concilier la dynamique d’un commun scientifique ouvert avec l’objectif de valorisation de ce commun. Le péché originel des relations entre science et industrie et des pratiques de valorisation de la science dans de nombreux pays a peut-être ainsi été de croire en un modèle unique, issu des sciences de la vie et du médicament, et d’essayer de le copier et de l’appliquer à l’ensemble des disciplines sans discernement.
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Mots-clés éditeurs : Science ouverte, Université, Normes, Brevet, Commun
Date de mise en ligne : 02/10/2020
https://doi.org/10.3917/inno.063.0015Notes
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[1]
Nous mettons de côté ici les modèles de financement basés sur le don et la philanthropie qui, s’ils ont montré leur efficacité dans certains cas particuliers, nous semblent largement sous dimensionnés dans le cas d’un problème global tel que le financement à grande échelle de la recherche fondamentale. Les fondations les plus importantes qui financent la recherche fondamentale peuvent faire la différence sur certain projets ciblés (certains médicaments par exemple), mais sont loin de suffire au financement global du système scientifique.
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[2]
Même si, techniquement, il est évident que la connaissance étant largement non-rivale, elle s’approche davantage d’un bien public que d’un bien commun. Une tragédie telle que celle théorisée par Hardin n’est donc pas possible dans le cas de la connaissance scientifique, qui ne peut pas être trop utilisée. Néanmoins, les biens publics et les biens communs étant tous deux non-appropriables, ils posent tous les deux des questions semblables quant à l’organisation de leur production.
-
[3]
Ces trois éléments semblent être les principales sources de motivation des scientifiques même si d’autres moteurs incitatifs, tels que le désir d’être utile à l’humanité ou le sens du devoir, peuvent également affecter le niveau d’effort de recherche fourni par les scientifiques.
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[4]
On peut ainsi remarquer que la présence de motivation intrinsèque implique qu’il n’est généralement pas nécessaire de rémunérer les chercheurs à leur niveau de productivité marginale pour les inciter à fournir un effort optimal. Par exemple, Stern (2004) montre que les chercheurs en entreprise sont souvent prêts à accepter des réductions de salaire significatives pour avoir le droit de conduire des recherches fondamentales et de les publier. Il conclut que « conditional on perceived ability, scientists do indeed pay to be scientists ».
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[5]
Cet argument est tiré d’une citation d’un des pionniers du transfert de technologie aux États-Unis, le chimiste F. G. Cottrell qui écrivait en 1912 : « what is everybody’s business is nobody’s business » (Cottrell, 1912, cité dans Mowery et al., 2004, p. 59).