Notes
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[1]
Les idées contenues dans ce papier ont été présentées au workshop organisé par l’ESDES le 10 septembre 2015 sur l’innovation frugale. Nous remercions les participants pour leurs commentaires. Nous avons aussi beaucoup retenu des remarques des rapporteurs.
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[2]
Dans les débats postérieurs à la parution du livre, un article de The Economist du 27 janvier 2011, remarquait que dans les pays pauvres la croissance économique poussera de plus en plus de personnes vers le haut du système éducatif et les laboratoires de recherche boostant l’innovation technologique. C’est dire que l’innovation frugale n’est pas vue comme candidate potentielle pour faire repartir la machine de l’innovation. L’innovation dans les pays du sud est encore vue comme devant emprunter les formes prises au Nord ; c’est-à-dire le modèle du science/technology push. Par ailleurs, Cowen avance qu’une façon de booster l’innovation serait de relever le statut des chercheurs scientifiques ; on est donc loin de l’innovation frugale.
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[3]
Une récente littérature traite l’IF en liaison avec ce que Prahalad (2005) appelait les entrepreneurs sociaux du Sud comme du Nord qui œuvrent pour améliorer les conditions économiques et sociales des couches sociales les plus défavorisées. À cause de l’importance que jouent les besoins de ces catégories sociales dans la définition de l’IF on peut considérer que l’IF se présente comme une variété d’innovation sociale qui est une façon créative et innovante de solutionner les problèmes sociaux souvent à travers l’activité d’entreprises et les compétences d’entrepreneurs. Selon la Stanford Social Innovation Review l’innovation sociale est une « novel solution to a social problem that is more effective, efficient, sustainable, or just than existing solutions and for which the value created accrues primarily to society as a whole rather than private individuals » (http://www.ssireview.org/articles/entry/rediscovering_social_innovation/).
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[4]
Les six principes directeurs de l’IF pour Radjou et al. (2013) sont : la recherche des opportunités dans l’adversité, faire plus avec moins, penser et agir de façon flexible, viser la simplicité, intégrer les marges et les exclus, suivre son cœur. Ce qui est très proche de l’innovation Jugaad qui considère les aspects d’inclusion (répondre aux besoins des populations les plus pauvres) comme une dimension forte de l’innovation.
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[5]
Le tableau 1 fournit une vue synthétique des définitions des concepts voisins de celui d’IF.
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[6]
On traduit souvent ce terme anglais par innovation de rupture. Le terme apparaît trop fort. Le terme innovation perturbatrice semble préférable.
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[7]
« More and more, companies are redeploying their resource-constrained innovations to Western markets, to attract cost-minded customers or to fill gaps in these large, developed markets » (Zeschky et al., 2014).
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[8]
Voir aussi Boersema et Bertels (2000) et Wheeler et Elkington (2001).
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[9]
Pour Brem et Ivens (2013) l’innovation frugale et l’innovation inverse pourraient être intégrées dans une réflexion sur le management stratégique qui considèrerait la durabilité dans les processus de création de valeur.
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[10]
Elles correspondent pleinement à la Sustainability Economics de Ayres (2008). C’est-à-dire « … a quest for sustainability is already starting to transform the competitive landscape, which will force companies to change the way they think about products, technologies, processes, and business models » (Ayres, 2008, p. 281).
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[11]
Pour Ketata et al. (2014) l’investissement dans la formation de la main-d’œuvre est plus important que l’intensité (par rapport au chiffre d’affaires) de l’investissement de R&D.
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[12]
Elles constituent une forme des trajectoires technologiques naturelles pour Nelson et Winter (1982), il s’agit d’un concept voisin de la notion de paradigme.
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[13]
Sur les savoirs traditionnels voir la publication de l’INPI (2015).
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[14]
Nous donnons ici la définition devenue standard de l’innovation environnementale de Kemp (2010) : « … a new or significantly improved product (good or service), process, organizational method or marketing method that creates environmental benefits compared to alternatives. The environmental benefits can be the primary objective of the innovation or the result of other innovation objectives. The environmental benefits of an innovation can occur during the production of a good or service, or during the after sales use of a good or service by the end user » (Kemp, 2010, p. 399).
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[15]
Voir Fleming (2001, 2007), Fleming et Sorenson (2004). La croissance du savoir par recombinaison est également modélisée par Weitzman (1998).
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[16]
Kotsemir et Meissner (2013) avance que le modèle d’open innovation pourrait être le modèle de la 6e génération.
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[17]
Hobday (2005) remarque que ce type de modélisation a des limites en ce que l’innovation dépend de la culture et du contexte de la firme mais aussi du leadership, de l’ingéniosité et de la vision du futur.
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[18]
Voir plus haut nos remarques sur l’IF comme innovation majeure.
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[19]
Elle implique souvent aussi des changements dans la chaîne de valeur. Ce point ne peut être traité ici nous renvoyons au travail de Eagar et al. (2011).
1Tyler Cowen (2011) dans son ouvrage The Great Stagnation de 2011 notait au cœur de son argumentation que la croissance économique aux USA et dans les pays industriels européens souffrait d’une croissance ralentie causée par la diminution du taux d’innovation. Les grandes innovations du début du XXe siècle ont épuisé leurs effets sur la croissance économique. Même internet, qui fait beaucoup pour la curiosité intellectuelle, fait peu pour accroître le niveau de vie. Constat qui rejoint celui, tout aussi argumenté, de Gordon (2012) : la troisième révolution industrielle, celle des technologies de l’information et de la communication (en particulier internet), qui a eu un réel impact sur la productivité dans le passé immédiat, n’entraîne aujourd’hui que peu de changements sur la productivité du travail et sur le niveau de vie. Gordon note « Invention since 2000 has centered on entertainment and communication devices that are smaller, smarter, and more capable, but do not fundamentally change labour productivity or the standard of living in the way that electric light, motor cars, or indoor plumbing changed it ». (Gordon, 2012, p. 2). En clair, on entre dans un monde où l’innovation, en tant que moteur de la croissance, est beaucoup moins efficace [2].
2C’est dans ce contexte que l’innovation frugale (IF par la suite) doit être replacée. Certes l’innovation frugale peut prendre une grande variété de formes et de configurations selon les pays et les secteurs d’activité, mais elle a un contenu unique et des conséquences spécifiques, que ce papier tente de décrire.
3Le but de l’article est triple. D’abord, mieux cerner comment définir l’IF à travers une lecture de la littérature centrée sur ce type d’innovation (ce que nous faisons dans la section 1). Ensuite, développer une première hypothèse selon laquelle l’IF pourrait constituer un nouveau paradigme technologique au sens de Dosi (1982). L’innovation frugale tend, en effet, à concevoir des produits plus simples sans doute plus facilement réparables, avec des pièces plus facilement récupérables. Elle est alors parfaitement en adéquation avec les principes de l’économie circulaire et, pour faire vite, du développement durable. Elle est donc en phase avec l’économie de soutenabilité (section 2). Enfin, proposer une seconde hypothèse complémentaire à la première : avec l’IF se constitue un modèle d’innovation qui tranche fortement avec les précédents que nous passons en revue (c’est l’objet de la section 3). Elle pourrait constituer un nouveau modèle d’innovation, schéma qui serait en cohérence avec l’idée que l’IF contient un moteur de la croissance économique comme les innovations fordiennes l’ont été dans le modèle de croissance fordiste. Répondant par des produits moins chers aux besoins de catégories de population les plus pauvres, dans les pays industriels comme dans les pays en développement, elle a nécessairement un rôle de soutien à la demande. Non seulement l’IF serait un moteur de croissance de la firme mais pourrait déboucher sur des enchaînements macro-économiques vertueux en restaurant les conditions d’une croissance durable.
L’innovation frugale, une analyse des définitions et des concepts voisins
4Le concept d’innovation frugale (IF) est susceptible de recevoir des définitions différentes mais non contradictoires. Une première définition est typiquement économique : l’IF n’est pas seulement une question de coût, c’est principalement une question concernant la re-conception des produits et des procédés (Woolridge, 2010). La définition donnée par Basu et al. (2013) met l’accent sur la finalité sociale de l’IF : « Frugal Innovation is a design innovation process in which the needs and context of citizens in the developing world are put first in order to develop appropriate, adaptable, affordable, and accessible services and products for emerging markets ». Ils ajoutent « Social enterprises are built around the idea of Frugal Innovation and entrepreneurship to solve sustainability challenges in Bottom of the Pyramid (BOP) markets » (Basu et al., 2013, p. 70) [3]. Ainsi, dans leur approche, elle vise à servir les populations les moins nanties. Enfin le concept d’IF est parfois compris comme celui de jugaad innovation, c’est-à-dire une ingénierie spécifique visant à faire plus avec moins tout en minimisant l’usage des ressources naturelles rares (Radjou et al., 2013) [4]. Elle aboutit à un construit technologique peu sophistiqué mais qui répond directement (et totalement) à un besoin sans le simplifier. En cela elle est quelquefois assimilée au bricolage, au système D, à la débrouillardise. Enfin un document du cabinet A. D. Little décrit l’IF à partir de quelques grandes entrées : nouveaux segments/nouveaux besoins, « low cost » radicalement nouveau, retour à des applications dans des segments plus consistant, état d’esprit tourné vers une grande accessibilité (Eagar et al., 2011). L’innovation frugale peut aussi permettre l’inclusion des populations fragiles, et pas seulement sur le plan économique. L’innovation frugale n’est pas uniquement un concept low-cost, à bas prix. Elle offre trois autres dimensions à optimiser : la simplicité (accessible pour tous), la durabilité (importante pour l’environnement), et la qualité.
5On trouve aussi dans la littérature le terme de low-cost innovation peut être plus précis que celui de Cost innovation. Selon Zeschky et al. (2011) [5] : « Low cost innovation are solutions that offer similar functionalities to Western products at lower costs for resource-constrained customers » (Zeschky et al., 2011, p. 40). Elles correspondent plus à ce qu’on appelle « produits low-cost ». La low-cost innovation serait un terme voisin de celui d’IF. Il s’oppose au mouvement accroissant de façon continue la complexité technologique des produits, et s’avère au contraire fondé sur le principe de simplification, pas plus de fonctionnalités que nécessaire tout en conservant une bonne qualité. Elle implique une bonne connaissance des besoins des consommateurs, une concentration sur les fonctionnalités absolument nécessaires, l’usage de composants déjà existants, une minimisation des coûts de fabrication/distribution.
6Une partie de la littérature considère que l’IF est plutôt spécifique aux pays en voie de développement. Toutefois nombre de recherche traitent de la possible reverse innovation, c’est-à-dire de la possibilité de transférer vers le Nord des technologies (produits et procédés) et les méthodes frugales. Il n’est pas certain que les produits low-cost constituent des retombées dans le Nord des IF réalisées dans le Sud. Le low-cost du Nord n’est peut-être pas dans la continuité de l’IF du Sud car la notion de pauvreté dans les deux hémisphères n’est certainement pas la même d’une part, et que les besoins des consommateurs ne sont pas identiques dans les deux espaces économiques. La littérature souligne en revanche que les filiales dans le Sud de grandes firmes du Nord développent un volume significatif d’IF (Zeschky et al., 2011). L’enjeu, il nous semble, est plus de savoir si, comme certains l’ont défendu, l’idée que l’IF pourrait s’intégrer aux normes de management occidentales pour définir de nouvelles perspectives d’innovation est pertinente. Pour Carlos Ghosn les pratiques low-cost de Renault seraient directement inspirées de la logique de l’IF (voir ses remarques sur le modèle Logan dans Radjou et al., 2013). Il y a certainement de bonnes pratiques au sein de l’IF dont l’ingénierie de l’occident peut s’inspirer. Dans le même esprit l’IF peut être un complément à l’innovation structurée (Radjou et al., 2013). Récemment Zeschky et al. (2014) ont proposé de distinguer l’IF, la cost innovation, la good-enough innovation et la reverse innovation. Leur recherche est susceptible de mieux poser les relations des emprunts entre les différentes catégories d’innovation à travers la production de nouveaux concepts. Deux caractéristiques sont choisies : le degré de nouveauté technologique et le degré de nouveauté du marché auquel s’adresse l’innovation. L’innovation low-cost (ou low-cost innovation) correspond à une innovation qui a les mêmes fonctionnalités que les produits existants et est moins chère compte tenu des contraintes de coûts des consommateurs. La good-enough innovation est associée à de nouvelles fonctionnalités (le produit est adapté à de nouvelles conditions de marché), en général il est reconfiguré pour correspondre à la demande de consommateurs à revenus plus bas. Elle reste positionnée sur une situation low-cost.
7L’innovation frugale est fondée sur de nouvelles architectures de produits. En cela elle est déstabilisante ou perturbatrice (disruptive [6]), bien que produite avec de faibles ressources et pour des marchés de consommateurs à faibles revenus. Elle apparait ainsi beaucoup plus « nouvelle » que les deux autres catégories du point de vue du contenu technologique, comme du point de vue des perspectives de marché, car elle peut avoir des applications entièrement nouvelles (Zeschky et al., 2014). Cela conforte l’idée qu’elle correspond bien à un nouveau paradigme technologique. Ces trois types apparaissent clairement comme des alternatives à l’innovation classique. Le premier type est plutôt du type innovation de procédés alors que les deux autres affectent aussi bien les procédés (ce qui a pour conséquence des coûts plus bas) que les produits. Par rapport à ces trois types d’innovations, l’innovation inverse renvoie plus à une question de marchés qu’à celle du contenu technologique. En cela on peut dire qu’elle peut renvoyer à de l’innovation low-cost, de l’innovation good-enough et à l’innovation frugale. Alors que dans le passé la voie standard du transfert de technologies était du Nord vers le Sud, aujourd’hui l’innovation inverse témoigne précisément d’un renversement [7] : les idées viennent des économies en développement ou émergentes pour produire des biens vendus sur les marchés globaux, et peut-être avant tout sur les marchés du Nord. Remarquons que si l’innovation frugale colle trop fortement à son environnement du Sud il devient plus difficile « de l’inverser » ou alors elle peut offrir de nouvelles opportunités de marché dans le Nord.
8Pour Brem et Ivens (2013), les notions d’innovation frugale et d’innovation inverse se réfèrent à un concept d’innovation identique : bas coûts de développement, faible sophistication technologique, réponse aux besoins fondamentaux de consommateurs et donc à des prix peu élevés. La différence provient des marchés. Les produits correspondants à l’innovation frugale sont en général développés pour le marché domestique et n’ont pas vocation à être distribués au niveau mondial. En revanche, l’innovation inverse « has the goal to develop market-oriented products in and for emerging economies through globalized innovation teams, which are meant to be sold worldwide from the beginning » (Immelt et al., 2009, p. 57). Nunes et Breene (2011) sont plus clairs quand ils avancent que la différence entre les deux est liée au fait que les produits de l’innovation inverse sont en premier développés pour les marchés des économies émergentes, puis modifiés pour être vendus dans les pays développés.
9Du point de vue de l’innovateur, l’innovation frugale est susceptible d’avoir un impact sur le rendement de l’innovation et la quasi rente qui lui est associée. Il y a tout d’abord l’effet direct de l’apparition de nouvelles concurrences que peuvent représenter les alternatives « frugales » de l’innovation, qui vont avoir une incidence négative sur le pouvoir de marché et la quasi rente. Mais, indirectement, pour les firmes qui auront su s’inscrire dans une démarche de frugalité, de nouvelles opportunités d’innovation seront ouvertes et l’accès à des marchés jusque-là hors de portée en raison du faible niveau de revenu de la population, deviendra possible.
10On voit apparaître dans la récente littérature le concept d’innovation soutenable. L’innovation frugale une innovation soutenable ? L’innovation soutenable ou durable est un concept d’innovation sans doute plus large et plus englobant que l’innovation frugale. Les travaux récents de Ketata et al. (2014) ont beaucoup fait progresser notre connaissance de l’innovation durable. La définition qu’ils proposent est la suivante : « Sustainable innovation… incorporates social issues as well as the needs of future generations which most certainly have a number of overlaps with the environmental dimension » (Ketata et al., 2014, p. 60). En d’autres termes l’innovation soutenable est un mix d’innovation sociale et d’innovation environnementale. La définition retenue par Yoon et Tello (2009) est un peu plus large : « By sustainable innovation, we specifically refer to innovation activities that contribute to the triple bottom line of sustainable development : economic, ecological and social benefits Thus, sustainable innovation can reasonably be defined as the development of new products, processes, services and technologies that contribute to the development and well-being of human needs and institutions while respecting the worlds’ natural resources and regenerative capacity » (Yoon, Tello, 2009, p. 88) [8]. En clair, l’entreprise innovante qui inscrit sa pratique de l’innovation dans la logique du développement durable doit être considérée comme un innovateur durable. Pour l’observateur, l’innovation durable apparait comme un concept plus opérationnel que celui (plus large) de développement durable (Wolf, 2010). Selon Ketata et al. (2015) la problématique de l’innovation soutenable intègre donc explicitement le développement durable et constitue sans doute un micro fondement à l’économie circulaire. Cela est cohérent avec l’idée que les entreprises sont sous la pression croissante des diverses parties prenantes (Christmann, Taylor, 2002 ; Ottman et al., 2006), et en particulier des consommateurs qui sont demandeurs de produits durables ou éco-efficients [9].
Différents concepts d’innovation : définition et impacts
Différents concepts d’innovation : définition et impacts
11Les propriétés de l’innovation soutenable ont récemment fait l’objet d’un examen en profondeur [10]. Pour Schaltegger et Wagner (2011) ce type d’innovation est fortement lié à l’entrepreneuriat soutenable. Elle a un effet de long terme conséquent sur les performances des firmes (Kim, 2015). L’innovation durable est considérée comme porteuse de plus d’enjeux que les autres types d’innovation car elle entremêle plusieurs dimensions (technologique, social, environnementale, etc.) ou plusieurs couches de complexité (Hall, Vredenburg, 2003). Cela a des conséquences en termes de management et d’organisation. Par exemple, Ketata et al. (2014) notaient « Sustainable innovation activities… require a broader scope as they are related to different functional dimensions… they can involve nearly all organizational functions as well as the whole supply chain » (Ketata et al., 2014, p. 63). Il s’avère de plus que l’expertise du Manager est d’une particulière importance pour mettre au point et réaliser des projets d’innovation soutenable alors que les stratégies relatives aux innovations conventionnelles ne sont pas pleinement applicables (Hall, Vredenburg, 2003). S’agissant des déterminants de l’innovation soutenable Yoon et Tello (2009) identifient les facteurs internes suivants : les pressions des actionnaires comme des salariés, l’identité de la firme, la taille de la firme, les capacités [11]. Parmi les drivers externes à la firme on trouve la demande des consommateurs, la réglementation publique, l’activisme des groupes de pression. Plusieurs drivers internes sont directement associés à la responsabilité sociale des entreprises.
L’innovation frugale élément d’un paradigme technologique naissant
Paradigme : définition
12Nous développons ici notre première hypothèse considérant l’innovation frugale comme un élément constitutif d’un paradigme technologique naissant.
13Dosi (1982) s’inspirant des modèles de philosophie des sciences de Kuhn, fournit une analyse aussi brillante que fine, de ce qu’est et implique la notion de paradigme technologique : « A ‘technological paradigm’ defines contextually the needs that are meant to be fulfilled, the scientific principles utilized for the task, the material technology to be used. In other words, a technological paradigm can be defined as a ‘pattern’ of solutions of selected techno-economic problems based on highly selected principles derived from natural sciences,… jointly with specific rules aimed to acquire new knowledge and safeguard it, whenever possible, against rapid diffusion to the competitors » (Dosi, 1982, p. 150). Cette notion peut être associée à l’idée d’une heuristique positive, autrement dit, elle incorpore de fortes instructions quant à la direction des changements technologiques que l’on doit poursuivre. Ce qui implique aussi que certaines options soient négligées ou rejetés.
14Notre hypothèse est que l’IF correspond tout à fait à un paradigme technologique au sens de Dosi (1982). Un paradigme scientifique dominant, auquel adhèrent des communautés entières de scientifiques, constitue un cadre communément accepté permettant de résoudre collectivement des questions relatives aux sciences. Un paradigme technologique constitue la matrice d’une série de solutions techniques à des problèmes qui ont été au préalable sélectionnés. Il constitue à la fois une heuristique négative (les trajectoires de recherche à éviter) et une heuristique positive (les trajectoires de recherche qui doivent être suivies). C’est un vrai programme de recherche, qui comme tel s’applique à différents types de technologies, ou à différents types de problèmes indiquant la direction des progrès techniques à rechercher. Une telle heuristique va puissamment guider le travail des ingénieurs et des chercheurs. La mécanisation (voire l’automatisation) dans la problématique des technologies labour-saving, l’exploitation des rendements croissants à l’échelle [12] ou la miniaturisation pour les technologies de l’information représentent également des paradigmes technologiques distincts. Au sein d’un paradigme la conception est sans cesse modifiée par des innovations incrémentales, mais celles-ci s’inscrivent dans les limites fixées par le paradigme. Ces innovations tendent, en fait, à adapter le paradigme aux conditions locales ou contextuelles.
Spécificités de l’IF
15Ce qu’il y a de nouveau (si bien sûr notre hypothèse d’une IF constitutive d’un paradigme est pertinente), c’est que l’IF n’a pas un contenu technologique fort (mesurable par un indicateur d’intensité technologique comme le poids de la recherche-développement) comme pour les principaux autres paradigmes technologiques. On tient là une originalité forte de l’IF. Il est également probable que son émergence ne ressemble en rien à ce que l’on sait de l’émergence des paradigmes technologiques que Dosi (1982) fut le premier à décrire, c’est-à-dire comment il s’établit et comment il est préféré à d’autres. Dans le cas de l’IF on repère l’importance des dimensions sociales ou sociétales fortes associée à une faible implication de la « poussée » de la Science. Deux facteurs qui soulignent sa structure atypique. L’histoire des inventions nous indique d’ailleurs que parmi les grands inventeurs des XVIIIe et XIXe siècles l’ingéniosité et le savoir-faire étaient essentiels. Les principaux inventeurs de la révolution industrielle étaient des « bricoleurs » plus que des scientifiques. MacCormick et Franklin furent des praticiens de type Jugaad (Radjou et al., 2013). Il y a donc une lignée d’innovateurs en Occident, principalement dans le passé, dont les logiques de production d’innovations étaient proches de celles de l’IF. Ce qui fait dire à Radjou et al. (2013) que l’Occident a perdu son Jugaad. Dans les industries low-tech (ou middle-tech) il n’y a pas en général (ou très peu) d’apprentissage par la science et la technologie, au moins dans les entreprises industrielles. Cela est moins vrai pour les centres techniques (Von Tunzelmann, Acha, 2005). En conséquence l’innovation et plus généralement les activités technologiques s’opèrent de façon pragmatique via le learning by doing ou le learning by using. C’est sans doute à ce niveau que l’IF, comme développant un nouveau paradigme, peut être trouvé. Souvent dans ces secteurs, l’application de grandes découvertes scientifiques requière des capacités propres aux firmes, comme des activités d’ingénierie et des innovations d’organisation et non pas de la recherche-développement formelle.
16Ici dans le cas de l’IF le contenu du paradigme est la recherche de dispositifs techniques impliquant une simplicité de fonctionnement, mais fonctionnant efficacement (pas de perte de fonctionnalités autre que des fonctionnalités mineures), et capables de répondre très exactement à des besoins sociaux de façon économique (low price). De ce fait l’existence de ce paradigme apporte de nouvelles possibilités pour des firmes ou des économies nationales qui se situent à distance respectable de la frontière des connaissances ou ne bénéficient pas d’un stock important de connaissances ou de compétences techniques. Alors que l’importance du stock de connaissances accumulées semblait permettre la reproduction quasi indéfinie de l’avantage compétitif des firmes les plus avancées, la prise en compte de l’innovation frugale s’analyse comme une ouverture vers d’autres acteurs et d’autres talents.
17La puissance d’un paradigme va bien au-delà d’un projet de recherche particulier, il peut organiser le travail de toute une communauté de scientifiques et d’ingénieurs qui partagent des valeurs et des visions identiques (Geroski, 2003). Il aide à définir les priorités et établir des outils méthodologiques. Il n’est donc pas étonnant que de nombreux chercheurs indiens travaillent au sein de ce paradigme technologique nouveau. Par rapport à ce qu’avance le management de l’innovation, qui retient comme catégories structurantes les concepts d’innovation majeure et d’innovation mineure, l’IF ne constitue pas une innovation mineure. En effet elle n’est pas destinée à améliorer les fonctionnalités des technologies existantes, elle ouvre au contraire une autre façon d’innover. En cela on pourrait plutôt la rapprocher de l’innovation majeure qui implique une recomposition ou une autre conception de l’objet (ou du procédé). Toutefois, elle se distinguerait de l’innovation majeure si on prenait comme critère le volume des ressources en recherche-développement consommées. L’IF consomme nécessairement moins de ressources que l’innovation majeure. Si on définit la complexité technologique par le nombre d’éléments constituant la technologique, l’IF vise plutôt à réduire la complexité. En cela elle constitue un puissant moteur de réduction des coûts.
18Le rapport de l’IF aux savoirs traditionnels mérite d’être posé. Les savoirs traditionnels si important dans les pays en développement sont associés à des pratiques artisanales ou techniques élémentaires efficaces et demandant beaucoup de savoirs tacites [13]. Ils sont parfois reconnus comme un levier possible de croissance et de développement industriels ? La catégorie d’IF, en tant que paradigme technologique, est plus générale elle peut s’appliquer à tout ensemble technologique, quelle que soit l’intensité ou la complexité technologiques. Même pour des technologies traditionnelles il est sans doute tout à fait possible de faire plus frugal (même si elles sont en général plus frugales que les technologies industrielles modernes). Qui plus est, recourir à l’IF ne signifie pas revenir à des technologies traditionnelles. Même s’il se peut que des éléments de technologies traditionnelles fassent partie de la recombinaison vers plus de frugalité.
IF et durabilité
19Dernier élément à prendre en compte. Il y a une demande pour que l’innovation soit plus beaucoup socialement acceptable du point de vue environnemental (Hansen et al., 2009). L’IF répond il nous semble à certaines caractéristiques de l’innovation environnementale [14], et ce même si son objectif premier n’est pas de générer des retombées positives pour l’environnement. L’économie de ressources, l’utilisation de matériaux bon marché et d’origine locale, le caractère économe de la mise en œuvre, la possibilité de réparer en cas de panne, la récupération des éléments en fin de vie et leur recyclage s’inscrivent clairement dans une perspective de développement durable. Elle renvoie également à des dimensions de l’innovation soutenable (Ketata et al., 2014), car elle intègre une préoccupation sociétale à travers l’accroissement du niveau de consommation des populations les plus pauvres. Aussi pouvons-nous convenir, au moins à titre d’hypothèse, que l’IF comme paradigme possède des propriétés liées au développement durable.
L’innovation frugale et la theorie de l’innovation
20L’économie de l’innovation au cours de son développement a formalisé successivement plusieurs modèles d’innovation. Par exemple le modèle linéaire (Bush, 1946) ou modèle du « pipeline » dans lequel c’est l’avancée des connaissances qui permet de créer de la valeur. Il est associé au schéma dit de « Science Push » retenant que les avancées scientifiques « poussent » à des découvertes technologiques. Un second schéma, linéaire encore, est suggéré à travers un effet demand pull. Ainsi les travaux de Schmookler dans les années 1960 ont démontré l’existence d’un impact de la demande sur la capacité d’innovation des firmes. Plus récemment, on souligne que le volume de la demande et sa croissance ont un effet plus marqué sur l’innovation produit et beaucoup moindre sur l’innovation de procédé (Cabagnols, Le Bas, 2001). De même les petites séries poussent à des innovations de produit et empêchent les innovations de procédé (Pavitt, 1984). En revanche, une élasticité prix de la demande élevée pousse à l’innovation de process, car une réduction des coûts peut entraîner une demande plus élevée. Plus tardivement, on a conçu l’innovation comme un processus complexe et interactif. Dans ce contexte, le modèle d’innovation en chaîne (Kline, Rosenberg, 1986) privilégie fortement les interactions. En revanche dans le modèle d’innovation par fusion (Kodama, 1988) ou par recombinaison [15] tous les éléments sont préexistants mais dispersés. Ils sont ensuite réarrangés de façon novatrice. Ces modèles ne sont ni successifs, ni exclusifs, mais coexistent dans la plupart des économies avancées et même parfois au sein de chaque secteur.
21Rothwell (1994) a suggéré une analyse historique fondée sur une séquence de modèles d’innovation, deux autres générations de modèles sont décrites. Le modèle en ligne parallèle (parallel lines model) souligne l’importance des relations amont avec les offreurs (ou équipementiers) et aval avec les clients. Mais liaisons ou alliances sont également déterminantes. La cinquième génération voit plutôt l’innovation comme un processus impliquant plusieurs acteurs (en réseau) mis en relation via les technologies de l’information et internet. Toutefois, un haut niveau d’intégration intra-firme ou inter-firmes reste nécessaire.
22Faut-il alors rajouter un nouveau modèle représenté par l’IF qui se caractérise, entre autres par un plus faible niveau d’intensité technologique ? Un sixième modèle à la fin de la séquence de Rothwell (1994) ? La réponse est sans doute positive [16]. En raison de l’importance des marchés potentiels associés à l’IF, qui se comptent en centaines de millions de consommateurs, mais aussi en raison de l’ampleur des effets retour qu’elle entraîne sur les pratiques des firmes des pays avancés via la reverse innovation [17]. Il convient dès lors de l’analyser et de décrire ses conditions de fonctionnement du point de vue de la firme qui innove qu’elle soit originaire d’un pays avancé, d’un pays émergent ou d’un pays en développement. La part de l’IF qui provient d’individus ou de petits groupes non structurés est plus difficile à appréhender avec les seuls outils de l’économiste.
23Il est commode de partir de ce que le modèle d’IF n’est pas une version low-cost d’un bien ou d’un service obtenue en serrant les coûts ou avec une version light. L’écart des propensions à payer allant du simple au double voire souvent au décuple dépasse largement les gains possibles. C’est donc bien l’architecture du projet, la façon dont le produit est conçu qui est en cause [18]. Un même type de solution technique ne peut généralement pas générer une innovation et sa version frugale. Cela signifie que l’entreprise qui vise le créneau de l’IF doit avoir un projet bis visant le même besoin à partir de solutions alternatives moins couteuses, plus économes en ressources, plus faciles d’utilisation. Un premier enseignement est donc la nécessaire duplication des projets avec si possible une décentralisation dans un pays cible. Un deuxième enseignement porte sur les caractéristiques du projet bis qui doit valider un certain nombre de principes : parcimonie des fonctionnalités par élimination de tous les aspects secondaires voire inutiles (on rejoint la philosophie du good enough), simplicité du mode de fonctionnement, robustesse, capacité à fonctionner en environnement défavorable, économie de fonctionnement. Par contraste, l’innovation non frugale sera marquée par la performance technique, la fiabilité, le confort d’utilisation, voire son prix (effet de démonstration). Certes l’IF comme nouveau modèle d’innovation pourra prendre appui sur les moteurs de deux autres modèles d’innovation : plus d’intégration des activités d’innovation au sein de la firme et une connectivité forte avec les fournisseurs et clients (4e pour Rothwell), et l’usage intensif des technologies de l’information et de la communication (5e pour Rothwell). En définitive, il s’agit plus d’un dépassement (avec des inflexions éventuelles) des modèles antérieurs que d’une opposition frontale avec eux [19].
24Le transfert de l’IF dans les pays avancés (schéma de l’innovation inverse) conduit à un modèle de différenciation verticale classique (Shaked, Sutton, 1982). Dans ce type de modèle, les différentes variétés d’un produit se distinguent par leur niveau de qualité. Les entreprises choisissent un niveau de qualité, puis un niveau de prix qui ne traduit pas directement le niveau du coût de production, mais correspond à ce que certains consommateurs sont prêts à payer pour ce niveau de qualité. Face à une demande hétérogène concernant les aspirations en matière de qualité et à des capacités ou des volontés de payer différentes, ce type de modèle permet de maximiser la quasi rente qui peut être extraite par l’ensemble des firmes opérant sur le marché.
25Dernier élément enfin, à côté de l’IF qui trouve son origine dans l’entreprise, donc dans un cadre formel, structuré, il y a tout ce qui relève plutôt de l’informel et correspond mieux à l’idée du « jugaad ». C’est un milieu innovateur sans doute potentiellement très riche. L’économiste n’est pas forcément le mieux placé. La sociologie, à travers les réseaux d’expérience, les communautés d’usage, les sciences cognitives et la capacité à trouver des solutions pratiques à des problèmes répétitifs, ont sans doute beaucoup à nous dire sur ce type d’ingéniosité au cœur du modèle d’IF.
Conclusion
26Au terme de cette recherche notre hypothèse centrale s’est affinée. On doit concevoir l’IF à la fois comme un nouveau paradigme technologique émergent au sens de Dosi (1982) quand on la regarde du point de vue de sa structure technologique, et comme un nouveau modèle d’innovation quand on apprécie finement ses conséquences micro-économiques voire macro-économiques. En cela ce travail offre des bases beaucoup solides pour des travaux ultérieurs.
27Par rapport aux modèles d’innovation qui sont dotés de leur dynamique propre, le modèle d’IF dispose d’une capacité de diffusion particulièrement étendue. Par son universalité et la relative réduction de l’avantage des pays avancés en matière de production de connaissances et de niveau technologique qu’il réalise, il ouvre des perspectives nouvelles aux économies émergentes et plus généralement aux pays en développement pour accroître leur présence sur des marchés de produits innovants et réduire ainsi leur dépendance par rapport à l’exploitation des ressources naturelles.
28En termes de prolongements citons deux perspectives. Nous voyons combien la prise en compte de l’IF pourrait apporter à une approche sectorielle en termes d’Economie Industrielle. Elle pourrait affecter sans doute de façon durable le type de concurrence par l’innovation et constitue un vecteur d’entrée dans l’industrie. Par ailleurs le rapprochement seulement envisagé ici entre IF et innovation environnementale devrait être plus étudié en liaison avec une problématique du développement durable.
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Mots-clés éditeurs : développement durable, paradigme technologique, modèle d’innovation
Date de mise en ligne : 23/09/2016
https://doi.org/10.3917/inno.051.0009Notes
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[1]
Les idées contenues dans ce papier ont été présentées au workshop organisé par l’ESDES le 10 septembre 2015 sur l’innovation frugale. Nous remercions les participants pour leurs commentaires. Nous avons aussi beaucoup retenu des remarques des rapporteurs.
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[2]
Dans les débats postérieurs à la parution du livre, un article de The Economist du 27 janvier 2011, remarquait que dans les pays pauvres la croissance économique poussera de plus en plus de personnes vers le haut du système éducatif et les laboratoires de recherche boostant l’innovation technologique. C’est dire que l’innovation frugale n’est pas vue comme candidate potentielle pour faire repartir la machine de l’innovation. L’innovation dans les pays du sud est encore vue comme devant emprunter les formes prises au Nord ; c’est-à-dire le modèle du science/technology push. Par ailleurs, Cowen avance qu’une façon de booster l’innovation serait de relever le statut des chercheurs scientifiques ; on est donc loin de l’innovation frugale.
-
[3]
Une récente littérature traite l’IF en liaison avec ce que Prahalad (2005) appelait les entrepreneurs sociaux du Sud comme du Nord qui œuvrent pour améliorer les conditions économiques et sociales des couches sociales les plus défavorisées. À cause de l’importance que jouent les besoins de ces catégories sociales dans la définition de l’IF on peut considérer que l’IF se présente comme une variété d’innovation sociale qui est une façon créative et innovante de solutionner les problèmes sociaux souvent à travers l’activité d’entreprises et les compétences d’entrepreneurs. Selon la Stanford Social Innovation Review l’innovation sociale est une « novel solution to a social problem that is more effective, efficient, sustainable, or just than existing solutions and for which the value created accrues primarily to society as a whole rather than private individuals » (http://www.ssireview.org/articles/entry/rediscovering_social_innovation/).
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[4]
Les six principes directeurs de l’IF pour Radjou et al. (2013) sont : la recherche des opportunités dans l’adversité, faire plus avec moins, penser et agir de façon flexible, viser la simplicité, intégrer les marges et les exclus, suivre son cœur. Ce qui est très proche de l’innovation Jugaad qui considère les aspects d’inclusion (répondre aux besoins des populations les plus pauvres) comme une dimension forte de l’innovation.
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[5]
Le tableau 1 fournit une vue synthétique des définitions des concepts voisins de celui d’IF.
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[6]
On traduit souvent ce terme anglais par innovation de rupture. Le terme apparaît trop fort. Le terme innovation perturbatrice semble préférable.
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[7]
« More and more, companies are redeploying their resource-constrained innovations to Western markets, to attract cost-minded customers or to fill gaps in these large, developed markets » (Zeschky et al., 2014).
-
[8]
Voir aussi Boersema et Bertels (2000) et Wheeler et Elkington (2001).
-
[9]
Pour Brem et Ivens (2013) l’innovation frugale et l’innovation inverse pourraient être intégrées dans une réflexion sur le management stratégique qui considèrerait la durabilité dans les processus de création de valeur.
-
[10]
Elles correspondent pleinement à la Sustainability Economics de Ayres (2008). C’est-à-dire « … a quest for sustainability is already starting to transform the competitive landscape, which will force companies to change the way they think about products, technologies, processes, and business models » (Ayres, 2008, p. 281).
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[11]
Pour Ketata et al. (2014) l’investissement dans la formation de la main-d’œuvre est plus important que l’intensité (par rapport au chiffre d’affaires) de l’investissement de R&D.
-
[12]
Elles constituent une forme des trajectoires technologiques naturelles pour Nelson et Winter (1982), il s’agit d’un concept voisin de la notion de paradigme.
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[13]
Sur les savoirs traditionnels voir la publication de l’INPI (2015).
-
[14]
Nous donnons ici la définition devenue standard de l’innovation environnementale de Kemp (2010) : « … a new or significantly improved product (good or service), process, organizational method or marketing method that creates environmental benefits compared to alternatives. The environmental benefits can be the primary objective of the innovation or the result of other innovation objectives. The environmental benefits of an innovation can occur during the production of a good or service, or during the after sales use of a good or service by the end user » (Kemp, 2010, p. 399).
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[15]
Voir Fleming (2001, 2007), Fleming et Sorenson (2004). La croissance du savoir par recombinaison est également modélisée par Weitzman (1998).
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[16]
Kotsemir et Meissner (2013) avance que le modèle d’open innovation pourrait être le modèle de la 6e génération.
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[17]
Hobday (2005) remarque que ce type de modélisation a des limites en ce que l’innovation dépend de la culture et du contexte de la firme mais aussi du leadership, de l’ingéniosité et de la vision du futur.
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[18]
Voir plus haut nos remarques sur l’IF comme innovation majeure.
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[19]
Elle implique souvent aussi des changements dans la chaîne de valeur. Ce point ne peut être traité ici nous renvoyons au travail de Eagar et al. (2011).