Notes
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[1]
mmichel. marchesnay@ wanadoo. fr
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[2]
Paris, Grasset, 2004,90 pages.
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[3]
Fils « infidèle » de John Bates Clark, qui fut un ponte de l’Université de Chicago, adepte du positivisme logique et prosélyte du paradigme walrasien (comme en témoigne une correspondance suivie avec Alfred Marshall).
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[4]
Ce dilemme est excellemment évoqué dans un article de Ning Wang (2003) consacré à Coase.
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[5]
Pour ne pas alourdir le propos, les références bibliographiques seront fournies in fine. En-dehors des ouvrages de Galbraith, et des travaux d’histoire de la pensée, nous avons particulièrement apprécié le numéro spécial de Management International sur la NEI, ainsi que l’article de Nin Wang. Ces quelques pages ont donc les limites d’une approche personnelle sur la question.
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[6]
Le MIT est plus proche des thèses positivistes.
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[7]
Sachant que Veblen, ayant eu maille à partir avec le management des universités majeures, car jugé hétérodoxe, n’enseigna que dans des « petites » Universités (ce qui rappelle le destin d’un Walras ou d’un Norbert Elias).
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[8]
A titre d’exemple, la phrase suivante est révélatrice du puritanisme : “In common with other men ( ? ), the business man is moved by ideals of serviceability and an aspiration to make the way of life easier for his fellows ( ?)”. Mais il ajoute : “No doubt such aspirations move the great businessman less urgently (sic) than many others, who are, on that account, less successful in business affairs ( !)”. (Theory of Business Enterprise, page 25). Sur l’humour spécial de Veblen, voir la préface de Raymond Aron à la Théorie de la Classe de Loisir.
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[9]
Pour plus de détails, voire notre opuscule : Economie et Stratégie industrielles, Paris, Economica-Poche.
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[10]
Le film « The Corporation » traduit parfaitement cet état d’esprit anticapitaliste.
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[11]
Fortement revendiquée, comme conforme aux préceptes de James Dewey et William James.
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[12]
Voir sur ce point l’ouvrage récent de Martinet et Reynaud.
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[13]
Dans sa préface à l’édition française de Managerial Revolution (L’ère des organisateurs, Calmann-Lévy, 1947), Léon Blum est particulièrement ambigu sur la coloration socialiste des propositions de James Burnham, suscitant par la suite un débat entre Aron et Sartre… et une mise en accusation lors du maccarthysme.
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[14]
Alfred Marshall attendra la 8° édition des Principles, en 1921, pour admettre la possibilité d’une croissance au-delà de la taille « optimale », entrant ainsi (à reculons) dans l’univers coasien, au sein duquel prédominent les transactions internes.
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[15]
Les actionnaires retourneront la proposition, dans un sens conforme à la bouta-de de Clemenceau sur les militaires.
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[16]
Cf. l’opuscule de Roland Pérez sur ce thème à La Découverte.
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[17]
Il faudrait ajouter que les performances des « grands » managers ont été souvent mythifiées, sous forme de mémoires ou d’hagiographies leur attribuant tous les mérites de la réussite de leur affaire – en attendant que la suite leur apporte un démenti et déclenche un processus révisionniste (on pense ici à Jack Wel-ch)… On sait que les « managers de l’année » ont coutume de connaître par la suite des destins plus chaotiques…
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[18]
Ce qui rejoint les anathèmes contre la « grande distribution »…
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[19]
Encore que son électorat traditionnel – les classes moyennes salariées – tende à s’en éloigner… ou à disparaître.
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[20]
Ces critiques valent sans doute également pour les courants sociaux-démocrates européens.
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[21]
La firme représentative marshallienne se heurte à la « loi » des rendements décroissants.
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[22]
Cf. notre thèse : « Analyse dynamique et Théorie de la Firme », Paris, 1969.
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[23]
Notamment les avantages en nature et les stock-options.
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[24]
Rappelons qu’il ne s’agit pas d’un prix « Nobel », mais d’un prix décerné par la Banque de Norvège, les héritiers ayant refusé de reconnaître la légitimité des recherches en sciences économiques…
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[25]
Que l’on retrouve chez Smith, par exemple, qui passera de la théorie rousseauiste des « sentiments moraux » à celle, héritée de Locke, de la « main invisible ».
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[26]
On retrouve le même clivage, source d’incompréhensions, en ce qui concerne l’utilitarisme benthamien, puis millien.
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[27]
Une telle approche s’avère fort pertinente dans les milieux économiques fortement institutionnalisés, comme, en France le monde agricole ou l’artisanat.
1Il n’est – hélas – pas très courant (du moins à ce jour), de prendre connaissance d’un petit ouvrage aussi alerte que semble l’être son auteur [2], qui approche tout de même du siècle, puisque l’illustre John Kenneth Galbraith est né en… 1908 !
2Certes, ce court essai, qui semble reposer sur des entretiens, n’apprendra rien que nous ne sachions déjà, surtout à ceux qui se sont imprégnés des œuvres majeures de celui qui fut président de l’Association Américaine d’Economie, conseiller de Kennedy (puis de Mac Carthy, et, plus généralement du Parti Démocrate), ambassadeur en Inde, consultant, journaliste, professeur, entre autres activités. Mais il a le mérite d’offrir une synthèse des apports essentiels de Galbraith, et des thèmes qui lui sont chers, comme homme, tant de pensée que d’action, qui en font une figure emblématique du courant social-démocrate américain.
3En effet, les thèses de Galbraith constituent une mise en perspective privilégiée de l’évolution du capitalisme américain dans sa configuration managériale (sur un siècle, donc…), d’autant plus qu’elles s’inscrivent dans un courant doctrinal dominant dans ce que l’on peut appeler la « gauche » américaine – disons, social-démocrate –, et plus particulièrement dans la mouvance qualifiée d’institutionnaliste. Comme on le verra, l’essai reprend les thèses majeures, développées après la Guerre de Sécession, par Thorstein Veblen, développées en Nouvelle-Angleterre, terre d’élection (et d’élections…) démocrate, notamment dans « la Mecque du Management, l’Université Harvard, par Commons, Mitchell, John Maurice Clark [3] et, en principe, perpétuées jusqu’à nos jours, voire audelà (si l’on suit la postface), comme en témoigne le développement de la « Nouvelle Gauche » américaine.
4On peut toutefois se demander si ses thèses sont encore en adéquation avec l’évolution du capitalisme américain, et, plus largement, mondial. Galbraith rappelle d’ailleurs que les républicains et les libéraux de tout poil ont préféré parler d’« économie de marché ». Cependant, et assez paradoxalement, du fait de leur pragmatisme, les économistes américains voient dans l’« Economie », non seulement une discipline à vocation « scientifique » (economics), préoccupée de ses procédures, mais avant tout un champ d’études (economy) dans lequel se meuvent des organisations et des institutions, ontologiquement sociales, qu’il s’agit de faire fonctionner, individuellement et collectivement, de la façon la plus performante possible [4].
5En d’autres termes, les disciplines du droit, de l’économie et de la gestion relèvent davantage des sciences morales et politiques que des sciences expérimentales ou spéculatives (mathématiques), mais aussi que des sciences humaines et sociales. Il s’agit au demeurant d’un juste retour à la pensée aristotélicienne, après la parenthèse positiviste. C’est pourquoi une branche importante de l’enseignement et de la recherche en « économie » s’est développée, dans les Universités nord-américai-nes, autour de la Nouvelle Economie Institutionnelle (NEI).
6Notre réflexion nous conduira à la double interrogation suivante : dans quelle mesure la NEI constitue-t-elle un prolongement ou une rupture par rapport à l’Economie Institutionnelle (EI) ? Dans quelle mesure les thèses institutionnelles et néo-institutionnelles permettent-elles de comprendre ce qui passe, non seulement aux Etats-Unis, mais aussi dans le Monde ? [5]
7Les thèses soutenues par Galbraith tout au long de ses publications et de ses interventions s’inscrivent donc dans la mouvance de ce que l’on appelle l’école, ou le courant institutionnaliste, dont l’épicentre se situe à Boston, notamment à Harvard [6]. Il n’est pas inutile d’en rappeler les racines historiques, pour comprendre en quoi les thèses institutionnalistes imprègnent une certaine mentalité nord-américaine.
8L’héritage puritain des Pilgrims transparaît dans ce que nous appellerons un fonds de moralisme, que l’on peut traduire abruptement de la façon suivante : dans quelle mesure la « Société », les organisations, les institutions, les valeurs, fonctionnent (décident, agissent) dans l’intérêt commun, mais aussi pour assurer le salut de chacun ? Cette question, autant politique qu’éthique, toujours au sens d’Aristote, est d’autant plus délicate que, chaque individu étant malheureusement porté à rechercher son intérêt personnel (Pascal parlerait de « concupiscences ») il importe de le « gouverner » en édictant des règles de « Bien Commun » qu’il (ou l’organisation sociale instituée) doit observer.
9Tocqueville montre comment cet objectif est réalisé dans l’ère proto-industrielle, notamment au travers de la religiosité, des associations, des petites organisations. Cinquante ans plus tard, le système capitaliste va connaître une rupture et devenir managérial. C’est le message de Veblen, que rappelle Galbraith au début de son opuscule [7], sachant que les thèmes dominants seront ensuite diffusés par Harvard et les Bostoniens : John Maurice Clark, Commons, Mitchell après la Première Guerre Mondiale, Burnham, Barnard, Galbraith après la Seconde Guerre Mondiale.
LE PREMIER THEME EST CELUI DE LA MORALITE DES AFFAIRES
101°) Les « barons pillards » tirent parti de la période d’expansion industrielle qui suit la fin de la Guerre de Sécession pour constituer des trusts d’actionnaires puissants, uniquement intéressés par l’accaparement du profit, au travers de rentes de situation liées à des pratiques douteuses, déloyales, d’élimination des concurrents. Ils contribuent ainsi à la destruction de l’appareil industriel, pour obtenir des gains à court terme. Plus généralement, Veblen vilipende les « affairistes » et autres spéculateurs (on parlera plus tard de « capitalisme de casino ») plus soucieux de « coups » juteux que de pérennisation et de perfectionnement des entreprises. Les allusions à l’actualité – notamment à la bulle spéculative sur les NTIC sont transparentes, et nommément citées. [8]
112°) Les « enrichis » constituent une « classe oisive », où l’idéal n’est plus de travailler pour assurer le salut de son âme (thème puritain par excellence), mais de gaspiller les profits réalisés dans des dépenses ostentatoires de nouveaux riches. Plus généralement, toutes les classes sociales sont incitées à consommer au-delà de leurs besoins, notamment pour imiter la classe immédiatement « supérieure », contrevenant au précepte puritain de frugalité et de modestie (représenté par exemple par Rockefeller). Là encore, l’actualité rejoint cette thèse véblénienne, avec l’écart croissant entre riches et pauvres, ne serait-ce qu’aux Etats-Unis.
12Ces attaques connurent, suite à des campagnes de presse, un écho tel dans le public qu’elles aboutirent, comme le rap-pelle Galbraith (à notre humble avis, un peu plus tôt que ce qu’il indique, dès les années 1890) aux lois anti-trusts. Gal-braith se plait à rappeler qu’il a longtemps enseigné l’industrial organization, dont Scherer est représentatif, à laquelle John Maurice Clark aura apporté une contribution décisive, avec le « concept inductif » de workable competition, de concurrence praticable, dans l’entre-deux-guerres. Il convient de rappeler [9] que cet enseignement comprenait non seulement les aspects juridiques (jurisprudence), mais aussi les rudiments du management. En effet, la méthode des cases (affaires ayant fait l’objet d’un procès) fut instaurée à la Harvard Law School pour mettre les futurs lawyers (juristes) en situation de plaidoirie dans les procès anti-trust. Or, il est particulièrement intéressant de se souvenir que Ronald Coase, de son côté, a largement publié et enseigné en droit de la concurrence, mais aussi en tant que « régulateur », d’instaurateur de guidelines en vue d’une fair competition.
13Galbraith met en perspective historique cette préoccupation morale pour en montrer toute l’actualité, en s’appuyant sur les scandales financiers survenus aux Etats-Unis. Il souligne que ces scandales laissent entrevoir une « immoralité » plus large, sans doute consubstantielle aux bureaucraties managériales, dans la mesure où les informations recueillies, diffusées, transmises sont nécessairement et à dessein faussées, et faussent la concurrence.
14De façon plus générale, les « vébléniens » partent du présupposé idéologique selon lequel le système capitaliste, fondé sur un droit de propriété considéré comme un « Droit naturel », est par définition immoral, constituant une forme « hobbésienne » du Léviathan. A l’instar de Schumpeter, ils flirteront avec le marxisme dans l’Entre-deux-guerres (on songe à Burnham) dans leur critique de la Société américaine libérale, puis avec les divers mouvements contestataires et radicaux au cours de l’Après-guerre et de l’Affluent Society (on songe à Packard, Nader, voire Illich, et, de nos jours, Michael Moore [10], etc.).
15Il vaut d’être rappelé que cette représentation anti-apologé-tique, négative, pessimiste, immorale du capitalisme aurait, selon Galbraith, conduit ses prosélytes à lui préférer le terme d’« économie de marché ». A ses yeux, cette dernière expression ne signifie rien, ou tout, dans la mesure où, dès l’instant que l’Humanité a commencé à avoir une histoire, des marchés se sont constitués, notamment autour de la Méditerranée, en sorte que le marché n’est pas spécifique au capitalisme. On sait que Coase va lui préférer le terme encore plus universel de transaction.
16Une conséquence serait d’ailleurs que le modèle walrasien est susceptible de s’appliquer à n’importe quel système éco-nomique- y compris l’économie collectiviste ou sociale (Walras n’était-il pas socialiste ?). Une des conséquences est que la suprématie du système de libre entreprise, a fortiori libertarien et anti-étatique (« anarchiste ») ne saurait a priori être conçu comme optimal – ce que cherche à montrer l’approche d’histoire institutionnelle coasienne de North et Fogel. Galbraith, pour sa part, milite pour un welfare capitalism, d’inspiration typiquement keynésienne, où l’Etat apporte sa contribution au « Bien Commun », en assurant l’intérêt public et le bonheur individuel par la protection sociale, l’emploi, l’éducation et la santé.
LE DEUXIEME THEME EST CELUI DE L’IMPERFECTION DE LA CONCURRENCE
17Fort logiquement, les vébléniens étant portés à penser que « la concurrence tue la concurrence », Cambridge (Massachusetts) rejoint sur ce point Cambridge (Angleterre), sur le fond, sinon sur la méthode. En effet, l’approche véblénienne reste fortement inductive, d’inspiration pragmatique [11], voire polémique, sans réel appareillage méthodologique, et a fortiori conceptuel – ce qui apparaît encore dans les propos de Galbraith, quelque cent ans après la Theory of Business Enterprise de Veblen.
18L’idée majeure est celle de la « filière inversée », du « roi détrôné », de la « persuasion clandestine » : les trusts, les big (giant) corporations, les megacorps, etc., dépensent des sommes colossales, non pour améliorer effectivement les produits (et accroître le Bonheur, le bien-être, l’intérêt public, etc.), mais pour s’approprier des rentes de situation (chamberliniennes) plutôt que d’innovation (schumpétériennes). Le consommateur se voit dicter ses choix, ses modes de consommation et ses valeurs culturelles. A l’appui de cette thèse, il suffit de se pencher un tant soit peu sur les pseudo « innovations », comme les rasoirs à quatre lames, ou les « nouveaux » produits pharmaceutiques. Il va de soi que les manifestations et mouvements écologistes, mettant en cause l’impérialisme des marques (on pense au No Logo de Naomi Klein) relèvent de cette source d’inspiration anticapitaliste, voire antimonopoliste pour les marxisants. Dans sa volonté de synthèse, Galbraith n’y fait qu’une brève allusion. On aurait aimé par exemple voir développé son sentiment sur les mouvements altermondialistes, sur le « développement soutenable ». [12]
19Dans cet esprit, les institutionnalistes vébléniens ont de tout temps prôné une action corrective de l’Etat, par la création d’institutions chargées de réfréner les atteintes excessives à l’esprit de libre compétition – sachant que, fondamentalement, ces auteurs pensent que la tendance inéluctable est au monopole et à la grande entreprise – thème longuement développé par Galbraith dans Le nouvel état industriel (paru aux Etats-Unis en 1967). Certains auteurs iront plus loin, jusqu’à prôner une planification étatique, comme Burnham [13]. Et il faut se souvenir de la thèse de Capitalisme, Socialisme et Démocratie : le capitalisme est condamné par ses excès, et sera remplacé par un système social-démocrate, impliquant une planification étatique et une politique industrielle volontariste.
20Cependant, les institutionnalistes se sont attachés à bien scinder les fondements respectifs de la légitimité des institutions publiques et privées : les premières doivent satisfaire l’intérêt général et les secondes les intérêts particuliers (notamment des actionnaires). C’est pourquoi Galbraith vilipende les collusions et interpénétrations de ces deux sphères, au travers de l’appareil militaro-industriel, dénoncé dès la fin de la Première Guerre Mondiale, dénonciation qui n’a cessé de s’exacerber jusqu’à nos jours, Galbraith citant à satiété le Vietnam, l’Afghanistan, et, bien entendu, l’Irak.
21La continuité (la fidélité) de Galbraith sur cette question du rôle de la Puissance Publique est impressionnante, peut-être inquiétante. Comme la majeure partie, sans doute, des « vieux démocrates » (quelque peu lâchés par les nouvelles générations), Galbraith croit au rôle régulateur de l’Etat Providence, comme aux meilleurs du temps du New Deal ou de l’Affluent Society. Face aux inégalités criantes, au chômage et aux poor workers, à la réduction des dépenses sociales et d’éducation, aux désastres écologiques actuels et à venir, on imagine aisément les propos (implicites, hélas) de Galbraith.
22De même, à l’instar d’un Stiglitz et des courants post-keyné-siens, il adopte une démarche résolument macroéconomique, keynésienne, opposée à la fois à l’individualisme méthodologique et au primat des préférences individuelles. Dans cette veine, il présente une critique plus vigoureuse que rigoureuse des thèses monétaristes de l’Ecole friedmanienne, dans un style polémique qui n’appartient qu’à lui. Ainsi, à ses yeux, certes, les décisions de la Federal Reserve Bank et les prévisions de Mr Greenspan n’ont aucun effet réel sur les décisions des agents économiques, mais « si (comme) ça ne sert à rien, ça ne fait pas de mal ».
23Il réserve ses flèches à la sphère financière du capitalisme – thème qu’on retrouve chez les professeurs de la Harvard Business School, comme Porter. Il dénonce les excès du courtermisme, sans toutefois évoquer un « retour des actionnaires », peut-être parce que cette évolution vers ce que d’aucuns appellent, selon une expression malheureuse, le « capitalisme patrimonial », irait à l’encontre de la thèse du pouvoir incontesté des managers, que l’on va maintenant évoquer.
LE TROISIEME THEME EST CELUI DU CAPITALISME MANAGERIAL
24La seconde révolution industrielle du capitalisme démarre aux Etats-Unis et en Allemagne dans les années 1870 pour s’achever cent ans plus tard (entendons : comme aile motrice du capitalisme), débouchant, dans les années 1970, selon les auteurs, soit vers une « Société post-industrielle (ou tertiarisée) », soit vers la « Troisième Génération industrielle ».
25Pour Galbraith, et plus généralement les vébléniens, la caractéristique majeure reste l’avènement d’organisations aux dimensions toujours croissantes [14]. Dans le droit fil de Max Weber, mais aussi de Taylor et Fayol, la bureaucratie apparaît, aux yeux de Veblen, comme une voie de rationalisation susceptible de contribuer de façon décisive à un « Mieux Commun », en augmentant les performances individuelles et collectives.
26Mais Veblen en déduit la conséquence logique, selon laquelle la « guerre concurrentielle est une chose trop sérieuse pour la laisser à des non spécialistes » – entendons les seuls actionnaires, surtout s’il s’agit d’affairistes [15]. Dès le début du vingtième siècle, il annonce le développement de ce qu’il appelle la « classe des ingénieurs », c’est-à-dire de professionnels dûment formés au management de ces organisations, préfigurant ainsi la notion galbraithienne de technostructure.
27Tout au long de cet essai, Galbraith s’attache à montrer que les managers ont conservé un pouvoir total dans les groupes. S’appuyant sur l’étude de Berle et Means (ce qui ne rajeunit personne…), il estime que les conseils d’administration (ou de surveillance) ne sont que de simples chambres d’enregistrement des décisions et des politiques du PDG (CEO), dans la mesure où ces conseils sont en fait composés de managers d’autres groupes (ou de leurs représentants). La thèse repose sur le fait que, d’une part, le capital est dilué, réparti dans le public, qui envoie les pouvoirs en blanc à l’équipe en place, et que, d’autre part, il existe des noyaux durs, des pactes d’actionnaires qui verrouillent le système de décision, de telle sorte que, sauf « stupeur et tremblement », les managers sont quasi inamovibles.
28Cette thèse de la suprématie managériale est vivement défendue, avec une verve très polémique, par Galbraith – sans doute, avec d’autant plus de vivacité qu’elle est sérieusement mise à mal par le courant dit « de la gouvernance par les actionnaires » [16].
29Il faudrait d’abord rappeler que les résultats de Berle et Means se sont avérés très discutables, puisque Jean-Marie Chevalier, dans sa thèse publiée en 1970, montrait que les grandes familles américaines exerçaient en réalité une « gouvernance » très forte, et ce, d’autant plus que le capital était dilué dans le public. On pourrait citer, plus récemment, entre bien d’autres « mésaventures », le cas de Nasser, « dégagé » du groupe Ford, suite à des erreurs stratégiques, et remplacé par l’héritier Henri Ford. [17]
30Mais, au-delà de la permanence d’un capitalisme familial, parfois enokien, Galbraith persiste à penser que les managers ont conservé leur suprématie, en dépit du « retour de l’actionnaire ». Dans le jargon de la NEI, on dira que les organisations (financières, notamment les fonds de pension américains comme les zinzins hexagonaux) promeuvent de nouvelles normes institutionnelles, débouchant sur des stratégies de rentabilisation, au demeurant à court comme à long termes.
31Il ne serait pas utile d’insister sur cette évolution du capitalisme, si les propos de Galbraith ne laissaient transparaître un parti-pris, non seulement anti-monétariste (ce qui relève de l’orthodoxie keynésienne, on allait dire : « de papa »), mais aussi anti-financière (Galbraith n’a-t-il pas écrit un ouvrage sur les grands krachs dus à la spéculation financière ?).
32En revanche, il manifeste en filigrane un souci quasi nostalgique d’industrialisme, finalement puritain, dans la mesure où il échoit à l’entrepreneur d’assurer son salut en offrant des produits « loyaux », conformes à l’intérêt du consommateur, de qualité, mais sans ostentation inutile : il va de soi que l’on est loin du compte… Dans cet esprit, les services ne sont pas loin d’apparaître comme « improductifs », non créateurs de valeur, voire sources de gaspillage, de rentes, et destinés à tromper le public [18]. On est donc en droit de se demander si Galbraith n’a pas la nostalgie de la Seconde Révolution Industrielle et de l’Etat Providence sur lesquels s’est assise la prospérité américaine (notamment à la sortie des deux guerres mondiales), à l’instar d’un Michael Moore qui regrette la désindustrialisation du site de Flint de la G.M., où travaillait son père…
33Il est frappant de constater, dans son essai, l’absence de référence aux nouvelles technologies (sauf pour incriminer la bulle spéculative). Il est loisible de penser que, dans l’esprit de Galbraith, les activités de la Troisième Génération sont appelées à se « managérialiser », à s’inscrire dans le giron des grandes firmes mondiales (et principalement américaines) dominées par leurs managers.
34Il est vrai que l’attitude des institutionnalistes vébléniens à l’égard de la doxa managériale est finalement ambiguë. D’un côté, les avantages, autant économiques que sociaux, liés à l’instauration de la bureaucratie sont largement reconnus (ce que ne manque pas de souligner Galbraith), conformément aux thèses de Weber. Mais, en revanche, si les dérives inhérentes au management bureaucratique sont dénoncées, c’est avant tout sur le plan moral, en ce sens que, si les managers adoptent une éthique non fondée sur des préceptes moraux (entendus comme impératif catégorique), leur stratégie ne peut qu’aller à l’encontre de l’intérêt public et du Bien Commun.
35Se cantonnant ainsi à une critique essentiellement morale, Galbraith se dispense de mettre le doigt sur l’une des plaies du capitalisme managérial, à savoir la disparition des « bienfaits » économiques et sociaux de la bureaucratie des firmes géantes, la chute de leurs performances économiques, techniques et sociales. S’il évoque les effets néfastes du phénomène bureaucratique, bien connus depuis les travaux de March, Simon et Cyert, puis de Baumol, Marris… et Williamson, c’est avant tout sur le plan moral : ainsi, la « discrétionarité managériale », pour reprendre l’expression popularisée par Williamson, se traduit par une politique de communication, non seulement destinée à tromper sciemment le public (Galbraith cite évidemment Enron), mais reposant sur des informations inévitablement faussées par leur caractère procédural. Ceci vaut également pour les organisations publiques et les données macroéconomiques.
36Mais, en tout état de cause, la course au gigantisme semble constituer encore, pour Galbraith, un impératif de compétitivité, conformément aux thèses classiques des théories de la firme managériale. Les allusions aux restructurations actuelles, visant à des stratégies de recentrage, d’allègement des structures bureaucratiques, de désengagement de la chaîne industrielle pour se recentrer sur les services et l’immatériel, restent fort brèves, allusives, voire elliptiques, faut-il dire : traduisant la nostalgie d’un âge révolu ?
37Ainsi, brièvement résumé, ce court essai de John Kenneth Galbraith constitue un bon moyen d’approcher les thèmes so-cio-démocrates qui ont dominé les campagnes présidentielles du siècle dernier. Ces thèmes sont l’expression de la domination de la pensée démocrate de la Côte Est, plus exactement de la Nouvelle-Angleterre, et s’il faut être plus précis, des Bostoniens. Face aux ruptures qui s’affirment dès la Crise de 1975, on peut se demander s’ils sont encore bien appropriés à la résolution des problèmes économiques et sociaux, donc faisant partie du Politique, selon Aristote, de l’heure. Comme on l’a dit, avec une efficacité certaine de sa rhétorique, notamment de son humour et de sa verve, Galbraith défend encore des po-sitions industrialistes, keynésiennes, tout en manifestant des convictions moralisatrices. Il est clair que des thèmes tels que la défense du rôle tutélaire de l’Etat (en matière d’éducation, de santé, de services publics, etc.), le refus de la pauvreté et des excès de l’enrichissement spéculatif, la défense du citoyen consommateur gavé de produits de marque, la condamnation de la croyance aux vertus du marché et de la libre concurrence (notamment pour les pays pauvres), etc., tous ces thèmes, donc, ne peuvent que bénéficier d’un écho favorable dans une certaine frange du public américain. [19]
38Les limites de la démarche institutionnaliste ont été dénoncées depuis belle lurette, et ce, à trois niveaux :
- Au niveau descriptif, les représentations de la réalité américaine sont tronquées, partielles et partiales. On a donné l’exemple du rôle des managers et de la grande entreprise, il en va ainsi du rôle de la Société de consommation, etc. Ce manichéisme est apparu clairement dans les imprécations d’un Michael Moore, ou d’une Naomi Klein. Or, Galbraith est loin d’en être exempt.
- Au niveau explicatif, il est fortement reproché l’absence d’appareillage théorique aussi convaincant et rigoureux que le corpus néoclassique axé sur la libre concurrence de marché. Cette propension à remplacer la théorie par la rhétorique a pu conduire à justifier le remplacement de l’institutionnalisme par la NEI, comme on va le voir.
- Enfin, au niveau prescriptif, les imprécations contre l’idéologie libérale, souvent empreintes de moralisme, ne sauraient remplacer des propositions politiques cohérentes et faisables, notamment dans les phases critiques d’anomie, au cours desquelles ne s’exprime aucun consensus sur des valeurs dominantes – ainsi qu’on le constate dans les économies capitalistes en voie d’accéder à la troisième génération. [20]
39Dès lors, on est en droit de s’interroger sur l’opportunité offerte par la proposition d’une « Nouvelle Economie Institutionnelle », inspirée de Coase, qui viendrait faire pièce à la « vieille » Economie Institutionnelle, héritée de Veblen, dont Galbraith aura été l’héritier le plus représentatif.
GALBRAITH FACE A LA « NOUVELLE ECONOMIE INSTITUTIONNELLE »
40Par souci de simplicité, rappelons que nous avons convenu de parler d’institutionnalismes « véblénien » et « coasien ». L’article de Coase de 1937 a été publié dans une atmosphère « post-marshallienne », « néo-cambridgienne », dans laquelle il s’agissait de justifier l’existence de la firme, en tant qu’unité de décision autonome (François Perroux parlera d’« unité active ») dans un système walrasien de marché, qui l’excluait a priori. Coase a le génie de se glisser dans l’individualisme méthodologique, et de présenter le système concurrentiel comme constitué d’échanges interindividuels, de transactions. Partant de la petite entreprise, qui devrait être logiquement plus performante [21], il montre que la croissance va se justifier par des coûts de transaction internes (CTI) inférieurs à ceux du marché.
41Ce faisant, il justifie la performance de ces CTI par leur double efficacité bureaucratique et managériale (efficacité - efficience). On voit ainsi que, partant de prémisses semblables à celles de l’univers véblénien, Coase a le mérite – ambigu – de se rattacher à l’orthodoxie néoclassique, en recourant à un concept purement logique – celui de coût de transaction (CT). En d’autres termes, le CT découle, au sens de Kant, d’un jugement analytique, et non synthétique. On serait tenté de dire : c’est là tout le problème !
42L’apport de Coase sera à la base de tout un courant « paradoxal », aux confins de l’orthodoxie néoclassique, dit de « théorie de la firme », à l’issue de la Seconde Guerre Mondiale [22]. Oliver Williamson fera sa thèse dans ce domaine, au milieu des années 1960, puis proposera, au début des années 1970, un modèle logico-mathématique distinguant les formes U (ou H) et M dans la grande entreprise managériale, sachant que les managers privilégient la croissance et leurs propres avantages au détriment du profit distribué aux actionnaires. [23]
43Ainsi les bases de ce qui sera appelé en France la Théorie Standard Elargie sont fixées (coûts d’agence, droits de propriété, théorie des contrats et des conventions, etc.) et l’apport se situe désormais au stade des manuels. Le génie de Williamson va consister à reconsidérer l’existence de la firme en tant qu’institution du capitalisme – problème auquel s’était attelé le courant véblénien – mais en le situant dans une perspective propre à en faire une théorie économique formalisée, susceptible de se substituer à la notion de marché – ce qui n’est certes pas le propos des Bostoniens, de conviction pragmatiste.
44Ce faisant, les prémisses et la méthodologie vont s’écarter durablement et définitivement de la problématique véblénienne des institutions. Cet éloignement va s’accentuer au gré des courants et travaux rassemblés sous le terme générique de Nouvelle Economie Institutionnelle, notamment ceux des Prix Nobel [24] North et Fogel.
45En tout premier lieu, l’idéologie fondatrice n’est plus celle des Pélerins, des Puritains, mais celle des Pères fondateurs des Etats-Unis d’Amérique. Or, après quelques « hésitations » [25], la vision rousseauiste, axée sur l’adhésion collective, va être abandonnée au profit de la vision de Locke (soutenue par Jefferson) du primat de l’intérêt individuel. Effectivement, la notion de transaction repose sur l’idée de confrontations entre individus, supposés libres et égaux en droit. Une organisation est donc constituée de cette quasi-infinité de transactions, formelles ou non, que Williamson « décortique » au regard de divers critères.
46Une autre conséquence est que chaque individu est naturellement porté à rechercher son intérêt individuel. Dans le droit fil de Hobbes, le postulat est que chacun cherche à tromper son alter ego, pour autant qu’il y trouve son intérêt. Dans un article du Strategic Management Journal, Williamson dira, assez cyniquement, que l’on peut toujours imaginer un autre postulat (l’altruisme, la responsabilité sociale, le devoir moral, etc.) mais une telle construction théorique serait une utopie (« une pure fantaisie »). Il convient donc d’établir diverses « institutions », en fait, des réglementations, des normes éthiques, etc., qui régulent ces penchants pour en limiter les excès. En particulier, il importe de trouver des moyens de réduire le surcroît de coûts de transaction liés à cet inévitable déficit de confiance.
47En d’autres termes, on est donc très loin des attentes des institutionnalistes « pur jus », vébléniens. Pour ceux-ci, les institutions sont avant tout des organisations dont la légitimité relève du Politique, en ce sens qu’elles ont à charge de remplir certaines fonctions sociales de façon « vertueuse », au sens d’Aristote, c’est-à-dire dans le souci de leur accomplissement au mieux des intérêts communs. Certes, les Puritains sont assez lucides pour reconnaître que les individus ont une forte propension à privilégier leur intérêt propre ; mais, loin d’être une sorte de « vertu », apte à exacerber la concurrence, les vébléniens y voient une tare du système libéral : c’est à ce niveau idéologique que se trouve certainement le fossé épistémologique qui sépare un Galbraith d’un Williamson. [26]
48Or, l’apport de ce dernier se veut positiviste, « scientifique ». S’appuyant sur ce postulat, il entend développer un jugement analytique pour refonder des « lois », au sens kantien, de fonctionnement du système capitaliste (cf. le titre : The Economic Institutions of Capitalism). Il a recours à un modèle conceptualisé, reposant sur un raisonnement déductif. Dès lors, vient immédiatement à l’esprit une objection : ce modèle décrit-il empiriquement, ou décrypte-t-il logiquement la « réalité », notamment du comportement des firmes managériales ? On a dit que Galbraith s’était vu opposer l’absence de formalisation ; on reprochera à Williamson l’absence de vérification empirique. En d’autres termes, il s’agirait d’une conjecture, certes audacieuse, mais irréfutable, qui laissera Williamson aux portes de la reconnaissance par ses pairs.
49Ainsi, la vérification du « réalisme » de l’hypothèse de « calcul » du « coût » de la transaction apparaît comme une source de malentendu. Comme lors de la « querelle du marginalisme », Williamson a beau jeu de répondre que les protagonistes « font de l’analyse transactionnelle sans le savoir », il parle de « processus heuristique », de telle sorte que l’approche transactionnelle constitue un piètre outil de diagnostic stratégique ! On retrouve le même problème de fond dans le cas des « approches » en termes de ressources et de compétences : ces termes étant aussi universels que conceptuels, sans base empirique avérée, le théoricien hyper déductif est toujours assuré de retomber sur ses pieds !
50Toutefois, certains « néo-institutionnalistes » vont s’attacher à accroître le réalisme du paradigme coasien, en intégrant, si possible dans un contexte « historique », les organisations et les institutions concrètes, afin d’évaluer leur rôle dans la régulation des transactions. [27]
51Au plan épistémologique, on n’est alors pas loin d’une gageure, voire d’une aporie. En effet, la NEI postule que les relations sociales sont de nature interindividuelle (un employé est ainsi dans une relation transactionnelle avec son supérieur hiérarchique ou son employeur). Mais, si l’instauration d’une Société se fonde sur la constitution d’organisations sociales, on ne dit pas comment s’opère concrètement, historiquement cette structuration. On peut dès lors adopter, en forçant le trait, soit une approche transcendantale de « la » Société (comme le fait Kant), soit, au contraire, une approche imma-nente « des » Sociétés, depuis les individus (contrat social rous-seauiste, revisité par Norbert Elias, par exemple) : deux ap-proches opposées que l’on retrouve en sociologie des organi-sations.
52L’approche historique de la NEI, illustrée par North et Fogel, va hésiter entre ces deux conceptions. Au demeurant, ils ne sont pas les seuls, comme en témoignent les débats entre philosophes, sociologues, ethnologues, etc. Ainsi, la façon dont s’élaborent ce que l’« économie institutionnelle historique » appelle les « institutions » (les Français parleraient de conventions) constitue en soi une question d’une redoutable – et sans doute insoluble – complexité. Comme le montrent fort justement Gauthier et Gomez, le risque est alors de tomber, soit dans l’idéologie pure et simple, soit dans la sociologie, voire l’ethnologie.
CONCLUSION : POUR UNE VISION « HYPERMODERNE » DES INSTITUTIONS DU CAPITALISME
53Dit brutalement : on peut se demander si les deux versions de l’économie institutionnelle sont en mesure de fournir une explication des ruptures et des mutations actuelles du capitalisme « début de siècle », au-delà des discours, soit rhétoriques, soit théoriques, qui ne convaincront que les convaincus.
54Cette crise est avant tout celle du capitalisme managérial. Celui-ci a contribué sans conteste, jusqu’aux années 1970, au progrès économique et social – du moins dans les pays industrialisés. Sa prospérité s’est assise sur la croissance incessante de groupes à dominante industrielle, où la création de valeur reposait sur la transformation de produits « marketés », destinés à une classe moyenne largement salariale, travaillant au sein de hiérarchies fortement bureaucratisées.
55Dès la fin des années 1970, le processus de déstructuration du management « fayolien » ou « harvardien » est entamé. En conséquence, les emplois et les activités innovantes se déplacent vers les services, l’immatériel, entraînant une relocalisation des sites de création de valeur. Le capitalisme fordiste, fait de grandes firmes managériales, va se faire dès lors, soit « post », voire « ultra »-managérial, nécessitant une intensification des « performances » dans le même contexte bureaucratique, soit « post » managérial, impliquant la recherche d’autres modes organisationnels (externalisation, gestion par projets, etc.) : on parle de capitalisme résiliaire, de cyber capitalisme, de capitalisme patrimonial, etc.
56L’une des conséquences aura été une crise de légitimité des managers et plus généralement du système managérial : « le public découvre », avec indignation, que les données comptables sont trafiquées, que les dirigeants se goinfrent, que les produits sont programmés pour ne pas vieillir, que les bureaucrates harcèlent, etc. !
57L’une des conséquences de cette rupture aura été de renforcer la mondialisation du capitalisme, sous couvert, nous dirait Galbraith, de l’« économie de marché ». Le problème économique rentre alors dans le giron naturel des « sciences » morales et politiques, relève de l’ordre de l’Ethique et du Politique aristotéliciens. En d’autres termes, la mondialisation des marchés favorise-t-elle la fin hégélienne de l’Histoire, par la libération de l’individu, comme le prétend Fukuyama, ou conduit-elle à une intensification de l’exploitation du Capital, au travers, notamment, d’injonctions d’institutions financières, comme le FMI, comme le dénonce Stiglitz ? D’un côté, le retour de l’entrepreneur individuel, l’avènement du consommateur responsable ; de l’autre, une hypercompétition exacerbée, une « cyberconcurrence » sans frontières, fondées sur la recherche du profit immédiat et sans états d’âme. Tels sont les enjeux de la période hypermoderne qui se dessine, faisant suite au post modernisme d’un siècle dont Galbraith nous aura donné un nostalgique écho, à l’instar de ces émissions télévisées sur les Fifties, les Sixties, etc. On pourra appliquer ce qu’écrit Raymond Aron à propos de Veblen à Galbraith : « En transfigurant l’analyse de certaines classes, de certains aspects de la société américaine en une dénonciation radicale du monde des affaires et des moeurs bourgeoises, il a pour ainsi dire protégé ses livres contre les injures du temps ».
Bibliographie
BIBLIOGRAPHIE
- BURNHAM J., L’ère des organisateurs, Paris, Calmann-Lévy, 1969 (édition française 1947, avec préface de Léon Blum), 313 pages.
- GALBRAITH J. K., Le nouvel état industriel, Paris, Gallimard, NRF, Bibliothèque des Sciences Humaines, 1968,416 pages.
- GALBRAITH J. K., Les mensonges de l’économie, Paris, Grasset, 2004,90 pages.
- GALBRAITH J. K., La Science Economique et l’Intérêt général, Paris, Gallimard, NRF, Bibliothèque des Sciences Humaines, 1974.395 pages. (Titre original : Economics and the Public Purpose).
- GAUTHIER B., GOMEZ P.-Y., La nouvelle économie institutionnelle et la perspective de Douglass C. North, Management International, vol 9 n°3, pages X à XV.
- MARTINET A.-C., REYNAUD E., Stratégies d’Entreprise et Ecologie, Paris, Economica, 2004.165 pages.
- NING Wang, Coase on the Nature of Economics, Cambridge Journal of Economics, 2003, pages 807 à 829.
- NORTH D. C., Institutions and the Process of Economic Change, Management International, vol 9, n°3, pages 2 à 7.
- PACKARD V., A l’Assaut de la Pyramide sociale, Paris, Calmann-Lévy, 1962.334 pages. (Titre original : The Pyramid Climbers).
- VEBLEN T., The Theory of Business Enterprise, Edition originale en 1904 chez Charles Scribner’s Sons. Troisième édition chez Mentor Books, New York 223 pages.
- VEBLEN T., Théorie de la Classe de Loisir (avec préface de Raymond Aron : Avez-vous lu Veblen ?, Paris, Gallimard NRF, Bibliothèque des Sciences Humaines, 1970,280 pages. Edition originale de The Theory of the Leisure Class en 1899 chez Macmillan.
- WILLIAMSON O., Corporate Control and Business Behavior : An inquiry into the effects of organization form on enterprise behavior. Englewood Cliffs (NJ, USA), 1970.
- WILLIAMSON O., The Economic Institutions of Capitalism, New York, The Free Press, 1985.
- WILLIAMSON O., Strategy research, governance and competence perspectives, Strategic Management Journal, 20,1087-1108.
Notes
-
[1]
mmichel. marchesnay@ wanadoo. fr
-
[2]
Paris, Grasset, 2004,90 pages.
-
[3]
Fils « infidèle » de John Bates Clark, qui fut un ponte de l’Université de Chicago, adepte du positivisme logique et prosélyte du paradigme walrasien (comme en témoigne une correspondance suivie avec Alfred Marshall).
-
[4]
Ce dilemme est excellemment évoqué dans un article de Ning Wang (2003) consacré à Coase.
-
[5]
Pour ne pas alourdir le propos, les références bibliographiques seront fournies in fine. En-dehors des ouvrages de Galbraith, et des travaux d’histoire de la pensée, nous avons particulièrement apprécié le numéro spécial de Management International sur la NEI, ainsi que l’article de Nin Wang. Ces quelques pages ont donc les limites d’une approche personnelle sur la question.
-
[6]
Le MIT est plus proche des thèses positivistes.
-
[7]
Sachant que Veblen, ayant eu maille à partir avec le management des universités majeures, car jugé hétérodoxe, n’enseigna que dans des « petites » Universités (ce qui rappelle le destin d’un Walras ou d’un Norbert Elias).
-
[8]
A titre d’exemple, la phrase suivante est révélatrice du puritanisme : “In common with other men ( ? ), the business man is moved by ideals of serviceability and an aspiration to make the way of life easier for his fellows ( ?)”. Mais il ajoute : “No doubt such aspirations move the great businessman less urgently (sic) than many others, who are, on that account, less successful in business affairs ( !)”. (Theory of Business Enterprise, page 25). Sur l’humour spécial de Veblen, voir la préface de Raymond Aron à la Théorie de la Classe de Loisir.
-
[9]
Pour plus de détails, voire notre opuscule : Economie et Stratégie industrielles, Paris, Economica-Poche.
-
[10]
Le film « The Corporation » traduit parfaitement cet état d’esprit anticapitaliste.
-
[11]
Fortement revendiquée, comme conforme aux préceptes de James Dewey et William James.
-
[12]
Voir sur ce point l’ouvrage récent de Martinet et Reynaud.
-
[13]
Dans sa préface à l’édition française de Managerial Revolution (L’ère des organisateurs, Calmann-Lévy, 1947), Léon Blum est particulièrement ambigu sur la coloration socialiste des propositions de James Burnham, suscitant par la suite un débat entre Aron et Sartre… et une mise en accusation lors du maccarthysme.
-
[14]
Alfred Marshall attendra la 8° édition des Principles, en 1921, pour admettre la possibilité d’une croissance au-delà de la taille « optimale », entrant ainsi (à reculons) dans l’univers coasien, au sein duquel prédominent les transactions internes.
-
[15]
Les actionnaires retourneront la proposition, dans un sens conforme à la bouta-de de Clemenceau sur les militaires.
-
[16]
Cf. l’opuscule de Roland Pérez sur ce thème à La Découverte.
-
[17]
Il faudrait ajouter que les performances des « grands » managers ont été souvent mythifiées, sous forme de mémoires ou d’hagiographies leur attribuant tous les mérites de la réussite de leur affaire – en attendant que la suite leur apporte un démenti et déclenche un processus révisionniste (on pense ici à Jack Wel-ch)… On sait que les « managers de l’année » ont coutume de connaître par la suite des destins plus chaotiques…
-
[18]
Ce qui rejoint les anathèmes contre la « grande distribution »…
-
[19]
Encore que son électorat traditionnel – les classes moyennes salariées – tende à s’en éloigner… ou à disparaître.
-
[20]
Ces critiques valent sans doute également pour les courants sociaux-démocrates européens.
-
[21]
La firme représentative marshallienne se heurte à la « loi » des rendements décroissants.
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[22]
Cf. notre thèse : « Analyse dynamique et Théorie de la Firme », Paris, 1969.
-
[23]
Notamment les avantages en nature et les stock-options.
-
[24]
Rappelons qu’il ne s’agit pas d’un prix « Nobel », mais d’un prix décerné par la Banque de Norvège, les héritiers ayant refusé de reconnaître la légitimité des recherches en sciences économiques…
-
[25]
Que l’on retrouve chez Smith, par exemple, qui passera de la théorie rousseauiste des « sentiments moraux » à celle, héritée de Locke, de la « main invisible ».
-
[26]
On retrouve le même clivage, source d’incompréhensions, en ce qui concerne l’utilitarisme benthamien, puis millien.
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[27]
Une telle approche s’avère fort pertinente dans les milieux économiques fortement institutionnalisés, comme, en France le monde agricole ou l’artisanat.