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Article de revue

Le domicile face à ses réalités… ou comment rendre le domicile plus hospitalier ?

Pages 48 à 50

1La définition des soins palliatifs [1], si elle est mise en face des réalités du domicile, est une suite de défis à relever. Et en la reprenant point par point, on peut en mesurer l’ampleur. Des soins actifs… comme à l’hôpital ? Des soins continus… même la nuit ? Des soins évolutifs… réévalués par qui ? Des soins coordonnés… pour faire travailler ensemble une équipe ? Une équipe pluriprofessionnelle… réunissant donc les compétences à domicile pour prendre en compte les aspects physiques, psychologiques, sociaux, spirituels ? Et enfin qui s’occupe de la famille ?

2À première vue, l’organisation des soins à domicile paraît mal structurée pour faire face à tous ces défis. L’instabilité clinique des patients et la réactivité nécessaire pour y apporter une réponse pertinente, la compétence requise ou les moyens nécessaires pour traiter certains symptômes d’inconfort sont autant de difficultés pour une prise en charge qualitative à domicile.

Premier défi : travailler ensemble

3Le premier défi à relever est sans doute celui de faire travailler ensemble les différents acteurs du domicile dans l’objectif de constituer une équipe de soins. Les intervenants du domicile sont nombreux : le médecin traitant, les infirmiers libéraux, le kinésithérapeute libéral, parfois le Service de Soins Infirmiers à Domicile (SSIAD), l’Hospitalisation à Domicile (HAD), éventuellement un réseau de soins, les sociétés ou associations d’aides à la personne…

4Ces intervenants sont priés de former une équipe éphémère, le temps de la prise en charge du patient. Mais elle est initialement éclatée. Les différents professionnels ne se connaissent pas toujours et se croisent parfois seulement sans réellement se rencontrer, d’où l’exigence de la coordination.

5Derrière ce mot souvent vidé de son sens, il me semble que la coordination a pour objectif de construire et de maintenir un lien entre les différents professionnels au profit du patient, partageant ainsi des objectifs communs. Cela nécessite que quelqu’un coordonne cette équipe, que ce soit le médecin traitant, l’HAD, un réseau, ou un médecin hospitalier. Il faut également des outils de communication et des temps de rencontre et de concertation entre les différents acteurs.

6Si la coordination est pertinente, le patient aura confiance dans ses soignants, et il aura le sentiment d’une équipe qui partage les mêmes objectifs. Cela me paraît impératif pour entretenir son sentiment de sécurité. Or, une organisation adaptée et un sentiment de sécurité entretenu sont les clefs du maintien à domicile pour ces patients relevant de soins palliatifs.

7Ce travail en équipe est un défi mais c’est surtout une des rares occasions de travailler en équipe pour les libéraux. Cela rompt le sentiment d’isolement habituel des libéraux, prévient la souffrance des soignants et améliore la qualité des soins. Elle repose surtout sur la bonne volonté des uns et des autres… Elle permet la concertation et donc l’élaboration et l’adaptation du projet avec le patient et sa famille.

Deuxième défi : lieu de vie et lieu de soins

8Un deuxième défi consiste à réaliser des soins dans un lieu de vie qui n’a pas été pensé pour cela et avec une famille embarquée pour l’occasion dans cette aventure. Comment concilier au mieux un lieu de vie qui devient à la fois un lieu de soins ? Le domicile est un lieu privé, sphère de l’intimité du patient et de sa famille, chargé d’une histoire personnelle. C’est ce qui motive le patient pour rester ou retourner à domicile. Mais l’irruption de la maladie, de la perte d’autonomie et de la mort à domicile peut considérablement en modifier la perception. Pour contenir cela, le compromis négocié avec le patient et sa famille concernant le matériel ou les passages soignants nécessaires doit rester la règle. L’illustration de cette démarche est d’éviter absolument que l’hospitalisation à domicile ne devienne l’hôpital à la maison. La maison doit rester une maison malgré les soins.

9L’acteur incontournable du domicile est la famille, en première ligne quoi qu’il arrive en raison de la présence discontinue des soignants. Il en découle toujours un glissement de tâches des soignants vers les proches, appelés pour l’occasion aidants. Ce glissement nécessite d’être encadré par les professionnels en définissant ce qui relève du soin et donc d’une compétence pouvant être déléguée à condition d’être transmise et accompagnée. Il ne s’agit pas d’être normatif dans ce lien affectif entre le malade et ses proches mais bien d’identifier ce qui relève d’une compétence spécifique afin d’éviter une perte de chance au patient. D’autant plus que le rapport de pouvoir entre le patient et sa famille d’une part et les soignants d’autre part est souvent inversé par rapport à l’hôpital : le patient et sa famille reprennent une voix prépondérante à domicile.

Troisième défi : aérer le huis clos

10Enfin, un troisième défi important est d’amener du tiers au sein du huis clos familial. Le malade et les proches livrés à eux-mêmes, dans un certain confinement, risquent de cuire à la vapeur des affects ! Attention alors à l’effet cocotte-minute…

11L’angoisse de mort du patient et de son entourage va souvent s’amplifier à domicile.

12Le confinement dans un même lieu va en effet favoriser une certaine résonance des affects entre murs de la maison. La trop grande proximité, paradoxalement, ne favorise pas la communication intra-familiale. Les uns et les autres voulant se protéger mutuellement, les non-dits et certaines tensions auront tendance à se développer. Enfin, la vision permanente du malade et donc de la maladie et de la mort à venir ne permet pas la moindre prise de recul vis-à-vis de la maladie.

13Les soignants à domicile vont avoir un rôle crucial pour amener une médiation, jouer un rôle de tiers et permettre d’ouvrir un peu ce huis clos. Comme le dit Hélène Viennet [2] psychologue et psychanalyste, à propos du rôle des soignants à domicile : « … l’écoute des mouvements et des ressentis internes pourra ouvrir pour les patients, mais aussi pour leurs proches, l’espace des possibles alors que chacun des protagonistes bute sur l’impossible. Le répit (…) comme une rêverie encore possible alors que la vie est devenue cauchemar. (…) ». Dans cette perspective, le travail d’écoute effectué lors des visites des soignants est une forme de répit pour l’entourage.

14On retrouve plusieurs ingrédients dans la cocotte-minute.

15L’alimentation, préparée par l’entourage, est l’objet de beaucoup d’attention et d’importance. La symbolique de la nourriture porteuse de vie est bien sûr présente. L’investissement affectif est également majeur dans l’action de donner à manger des plats préparés avec amour ! Enfin l’aspect culturel peut également être très important dans ce moment de partage, de convivialité et d’échanges. N’oublions pas que le domicile, c’est le foyer, là où on fait du feu pour se réchauffer et préparer les repas.

16L’alimentation sera souvent un thème de focalisation des proches, probablement par mécanisme de défense, évitant ainsi de trop penser à la maladie…

17La perte d’autonomie est également un ingrédient de la cocotte-minute car elle est douloureuse. Elle est plus flagrante à domicile, au milieu de bien-portants : le patient et son entourage constatent les difficultés dans les activités de la vie quotidienne, dans un environnement pensé pour des non-malades. C’est une série de deuils successifs à respecter. Elle nécessite adaptation et anticipation, mais avec le plus de tact possible. Le matériel de maintien à domicile est par exemple à limiter au minimum nécessaire en fonction des risques repérés et du degré d’acceptation du patient.

18Face à ces affects sous haute pression, il n’est pas toujours facile de rester professionnel. Et les visites à domicile sont parfois l’occasion pour le soignant de se les prendre en pleine figure ! Face à l’injustice de la maladie, la famille ou le patient peuvent réagir par l’exigence de l’impossible : le souhait de faire disparaître la maladie, ou le malade ! Dans ce contexte, le soignant isolé est très exposé et vulnérable. Cela peut conduire à des mauvaises pratiques d’une part et à une souffrance au travail d’autre part. Le travail en équipe est un rempart efficace contre la souffrance au travail et les mauvaises pratiques.

19La soupape de la cocotte est indispensable au patient. Cette soupape, c’est le sentiment de sécurité du patient et de son entourage. On l’a vu, faire équipe autour du patient augmente son sentiment de sécurité. La confiance face à l’imprévu, en particulier dans l’urgence, est également un élément important de ce sentiment de sécurité. C’est, à domicile, le problème épineux de la continuité des soins.

20La nuit, les week-ends, ou tout simplement entre deux passages soignants programmés : que faire en cas de problème aigu ? Comment éviter un passage aux urgences ? Certes, la possibilité des prescriptions anticipées pour faire face aux complications est une réponse possible, mais les conditions de réalisation de celles-ci seront souvent déterminantes. La validation médicale et la mise à disposition des traitements en urgence sont des difficultés récurrentes à domicile. Cela sous-entend une grande disponibilité des intervenants ou l’aide d’une HAD.

21Enfin, le sentiment de sécurité est déterminé par un suivi médical adapté. Le patient et son entourage ont besoin de constater qu’il y a un pilote dans l’avion. C’est la place théorique du médecin traitant, en réalité une place à géométrie très variable. Dans mon expérience de médecin en hospitalisation à domicile, mais aussi dans les nombreux rapports officiels [3, 4] sur le sujet, on fait le constat que la place du médecin traitant est malheureusement trop variable. Je suis convaincu que cela est dû à un double paradoxe.

22D’abord, on demande au médecin traitant, spécialiste en soins primaires et ambulatoires, de devenir pour l’occasion spécialiste en soins de type hospitalier dans le domaine des soins palliatifs. Le problème de la compétence peut vite devenir limitant lorsque les symptômes sont difficiles à traiter.

23Ensuite, ces patients ont besoin de visites urgentes et complexes, souvent longues alors même que le mode d’exercice libéral est actuellement centré sur des consultations programmées au cabinet. L’exercice actuel des médecins généralistes est structurellement peu compatible avec la clinique de ces patients instables.

24Face à cela, il me paraît indispensable d’avoir de l’aide, soit par un réseau de soins palliatifs, soit par une hospitalisation à domicile, et dans tous les cas avec une présence médicale adaptée aux besoins du patient.

25En conclusion, si tous ces défis sont relevés au mieux et si les soins à domicile sont la préférence du patient et de son entourage, alors le domicile peut devenir plus hospitalier que l’hôpital.

Bibliographie

Références

  • 1
    Définition des soins palliatifs (ANAES), charte des soins palliatifs et de l’accompagnement, Société Française d’Accompagnement et de soins Palliatifs.
  • 2
    Hélène Viennet, Entendre « les aidants » à domicile, une proposition de répit ? Revue Jusqu’à La Mort Accompagner La Vie no 127 – Décembre 2016, Le domicile, une fin en soi ?
  • 3
    Rapport d’information de la mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale sur l’hospitalisation à domicile, présenté par Mme Joëlle Huillier, députée. Assemblée Nationale, le 19 juillet 2016.
  • 4
    Vivre la fin de sa vie chez soi, Observatoire National de la Fin de Vie, rapport de mars 2013.

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