Introduction
1Les soins palliatifs sont souvent considérés comme les soins spécialisés de fin de vie. Des recommandations pour soignants et hôpitaux ont été développées afin de transférer les patients au moment adéquat [1]. Ces recommandations se basent en général non seulement sur des symptômes difficiles à contrôler, mais également sur une espérance de vie restante d’au moins quelques jours afin de permettre au patient hospitalisé de bénéficier des soins spécifiques [2]. Si le patient décède deux ou trois jours après l’admission, l’adaptation au nouveau lieu de soins peut contrebalancer les bénéfices attendus du transfert. D’autre part, un patient dont les symptômes ont été stabilisés peut occuper un lit trop longtemps alors que sa mise à disposition pourrait aider un malade ayant besoin de soins spécialisés.
2Peu de données existent sur les facteurs associés avec la durée de séjour en institution de soins palliatifs. On sait toutefois que les patients d’un niveau socio-économique élevé accèdent plus facilement aux soins palliatifs et que les facteurs associés avec la durée d’hospitalisation diffèrent d’une communauté à l’autre [3, 4].
3L’étude ici présentée vise à trouver un lien entre des facteurs socio-démographiques et médicaux et la durée de séjour en soins palliatifs. Elle essaie également de repérer des aspects d’organisation des soins qui seraient associés à une durée extrême d’hospitalisation [5].
Patients et méthodes
Situation
4Le service de médecine palliative des Hôpitaux universitaires de Genève [6] propose 32 lits à disposition de tous les patients ayant besoin de soins palliatifs spécialisés. Les patients, souffrant d’une maladie grave dans un stade avancé, sont en principe admis pour des symptômes physiques ou psychiques difficiles à contrôler et proviennent d’autres services des HUG, de cliniques privées ou directement du domicile.
Recueil des données
5Tous les patients admis au service de médecine palliative entre le 1er décembre 2011 et le 31 mai 2012 ont été inclus. Leur âge, sexe, nationalité actuelle, diagnostic principal, profession et provenance ont été extraits des dossiers médicaux électroniques d’une façon prospective. A la fin de l’hospitalisation, l’issue et la durée du séjour ont été ajoutées à la banque de données. Des patients admis à plusieurs reprises n’ont été pris en compte que pendant leur première hospitalisation.
6Le diagnostic principal a été codé selon la Classification internationale des maladies, dixième version (CIM-10). [7] En l’absence de consensus suisse sur la classification du niveau socio-économique en fonction de l’activité professionnelle, un système britannique a été utilisé (National Statistics Socio-Economic Classification (NS-SEC) [8]). La classification simplifiée à trois niveaux a été choisie dans le calcul du modèle à risque proportionnel de Cox. La nationalité européenne a été définie comme toute nationalité des pays formant l’Union européenne au 1er janvier 2012.
Analyses
7Pour les variables démographiques, des mesures statistiques descriptives ont été calculées : moyenne, médiane et écart. Un modèle à risque proportionnel de Cox pour la durée de séjour en fonction du sexe, de l’âge, de la nationalité, du niveau socioprofessionnel, de la présence de cancer et d’un transfert depuis un milieu dit de soins aigus a été développé. Les variables continues ont été comparées en utilisant le test de Wilcoxon. Tous les calculs ont été effectués à l’aide du programme Stata™ (StataCorp, College Station, Texas, Etats-Unis).
Résultats
Patients
8Pendant la période d’observation, soit du 1er décembre 2011 au 31 mai 2012, 181 patients ont été admis. Il y avait 101 (56%) femmes et 80 (44%) hommes. L’âge médian était de 78 ans, avec des extrêmes de 34 à 99 ans. Il y avait 140 suisses (77%), 33 (18%) patients étaient de nationalité européenne et huit originaires d’autres pays (Bosnie-Herzégovine, Canada, Chili, Kosovo, Nigeria, Russie).
9Le tableau 1 résume les catégories professionnelles des patients. La distribution est asymétrique en faveur des catégories inférieures, en raison du nombre des patients « d’occupation inférieure et technique » (classe 5) et de presque un sixième des patients sans activité professionnelle. La figure 1 liste les catégories diagnostiques. La majorité des patients (75%) souffraient de cancer, d’autres de maladies neurologiques (8%) et respiratoires (6%).
Niveau socioprofessionnel (National Statistics Socio-economic Classification (NS-SEC)) des 181 patients
Niveau socioprofessionnel (National Statistics Socio-economic Classification (NS-SEC)) des 181 patients
Maladies selon CIM parmi les patients hospitalisés
Maladies selon CIM parmi les patients hospitalisés
10Dans le tableau 2 figurent la provenance et l’issue des patients. La moitié venait du service des urgences des HUG ou directement du domicile. La majorité (75%) est décédée dans le service de médecine palliative, d’autres l’ont quitté pour des établissements médico-sociaux, un retour à domicile ou un transfert dans une unité de soins de réadaptation.
Provenance et issue des patients
Provenance et issue des patients
Durée du séjour
11La durée médiane du séjour était de quatorze jours. L’écart des valeurs allait quelques heures à 185 jours (figure 2). Vingt-sept patients (15%) sont restés moins de trois jours, 105 (58%) de 3 à 30 jours, et 49 (27%) plus de 30 jours.
Distribution de la durée de séjour en soins palliatifs des 181 patients
Distribution de la durée de séjour en soins palliatifs des 181 patients
12Le modèle de Cox (tableau 3) met en évidence que les patients de plus de 65 ans ont séjourné pour une durée plus courte que les patients moins âgés. La durée de séjour des patients suisses était plus longue que celle des patients d’autres nationalités. Les hommes avaient tendance à rester plus longtemps que les femmes. D’autres facteurs n’étaient pas associés avec la durée du séjour.
Facteurs associés à la durée de séjour en unité de soins palliatifs, modèle à risque proportionnel de Cox*
Facteurs associés à la durée de séjour en unité de soins palliatifs, modèle à risque proportionnel de Cox*
* Classe comme référence.Discussion
13Cette étude d’observation réalisée dans un service de médecine palliative cherchait un lien entre des facteurs socio-économiques et une durée extrême de séjour. Les patients y sont restés en moyenne 23 jours soit un peu moins longtemps que ceux d’un hospice à Zürich où 40% des patients ont pu regagner leur domicile [9] alors que seuls 10% des patients ont pu le faire à Genève.
14L’étude n’a pas confirmé l’hypothèse d’un lien entre la situation socio-économique et la durée de séjour. Ceci n’est pas dû à une puissance statistique insuffisante avec le taux de défaillance de 1,02 (intervalle de confiance (IC) de 95% 0,84-1,25) très proche de l’équivalence. Il était impossible de vérifier si la distribution des niveaux socio-économiques parmi les patients correspondait à celle de la population générale de Genève car de telles statistiques ne sont pas disponibles. L’accès aux soins palliatifs semble être lié au niveau socio-économique [10], mais il est clair que le canton de Genève facilite l’accès à tous les groupes de populations [11].
15Les patients âgés de plus de 65 ans ont séjourné moins longtemps que les plus jeunes. Cette différence n’était pas due à une mortalité plus élevée (rapport des cotes/odds ratio 1,35 (IC de 95% 0,64- 2,85)). On peut imaginer que l’entourage des patients âgés disposait de plus de temps et d’une motivation supérieure pour accompagner leur parent à domicile. En l’absence de données comparables provenant du milieu des soins palliatifs, on peut signaler une analyse populationnelle des décès en Belgique relevant que les patients âgés de plus de 90 ans passaient moins de temps à l’hôpital avant leur décès que les patients moins âgés [12]. Dans notre étude, seulement 8% des patients avaient plus de 90 ans, une proportion trop faible pour permettre des conclusions.
16Le séjour des patients suisses était plus long que celui des patients d’autres nationalités. Bien que les patients suisses fussent un peu plus âgés (différence moyenne de 4,7 (IC de 95%-0,2-9,7) ans), l’âge n’était probablement pas un facteur de confusion. Des pratiques culturelles pourraient influencer le moment de l’hospitalisation, mais la banque de données ne contient pas d’information spécifique. Aux Etats-Unis, des patients d’origine caucasienne semblent accéder plus facilement aux soins palliatifs [13], mais on ne sait rien sur des phénomènes comparables en Europe ou en Suisse.
17Le diagnostic de cancer n’était pas associé à la durée de séjour. Bien que la CIM classifie toutes les tumeurs en catégorie C, ces maladies sont hétérogènes. Le pronostic et les hospitalisations diffèrent pour des patients souffrant de tumeurs a priori comparables du poumon, du côlon, du sein ou de la prostate [14]. La CIM n’est de loin pas un outil de pronostic, d’autres scores ont été développés à cet effet [15].
18Parmi les 27 patients ayant séjourné moins de trois jours, six provenaient du service des urgences et deux sont décédés dans les heures qui ont suivi leur arrivée au service de médecine palliative. Bien que les décès suite aux maladies chroniques doivent être évités au service des urgences [16], des solutions plus appropriées auraient pu être utilisées plutôt que de transférer des patients moribonds dans une unité spécialisée de soins palliatifs [17]. Certaines organisations sanitaires ont en effet développé avec succès une unité spécialisée au sein du service des urgences destinée aux patients mourants qui n’ont pu être admis à temps en unité de soins palliatifs. Alternativement, l’admission directement du domicile en unité de soins palliatifs permettrait aussi d’éviter une hospitalisation inadéquate dans un centre d’urgence.
Points faibles
19L’étude n’est pas dépourvue de faiblesses. D’abord, le nombre de patients est relativement limité bien que le service de médecine palliative admette près de 300 patients chaque année. Des associations supplémentaires, possiblement non identifiées, n’ont peut-être pas atteint la signification statistique. De même, le niveau socioprofessionnel ne reflète que partiellement le niveau socio-économique. Cette mesure approximative peut être encore moins précise pour des personnes à la retraite pour lesquelles le réseau social privé est devenu plus important, le système suisse de rentes permettant un niveau de vie satisfaisant à la plupart des retraités [18]. Cependant, les données médicales recueillies de routine ne contenaient pas d’indicateur utilisable pour cette étude. Le réseau social joue vraisemblablement bien son rôle en fin de vie, mais il est difficile à mesurer de façon quantitative. Enfin, la catégorie déterminée de soins aigus était peut-être trop hétérogène, contenant à la fois des services médicaux et chirurgicaux. L’étude n’a peut-être pas réussi à identifier des services ou des spécialités médicales qui auraient transféré leurs patients de façon tardive [19].
Points forts
20L’étude a inclus tous les patients admis pendant la période d’observation. Les données recueillies étaient ainsi très complètes (100% pour les variables démographiques et la durée du séjour, 98% pour le niveau socioprofessionnel). Le service de médecine palliative des HUG est le seul à offrir des soins palliatifs du niveau tertiaire aux patients hospitalisés dans le canton de Genève. L’étude est donc bien représentative pour la situation de ce canton.
Conclusion
21Cette étude a analysé des facteurs associés avec la durée de séjour en service de médecine palliative et mis en évidence des séjours plus longs pour les patients âgés de moins de 65 ans et pour les patients de nationalité suisse. Elle a également mis en évidence qu’un sixième des patients avait séjourné pendant moins de 3 jours, indication de transferts probablement effectués trop tardivement. L’étude souligne l’importance que les soins palliatifs et leurs bénéfices soient connus parmi les soignants. Tous rencontreront des patients qui bénéficieront du milieu de soins palliatifs avec des transferts adéquats et à temps et c’est bien ce que souhaitent les patients et leurs proches [20].
Bibliographie
- 1Weissman DE, Meier DE. Identifying patients in need of a palliative care assessment in the hospital setting : A consensus report from the Center to Advance Palliative Care. J Palliat Med 2011 ;14 (1) :17-23.
- 2Philip JA, Le BH, Whittall D, Kearney J. The development and evaluation of an inpatient palliative care admission triage tool. J Palliat Med 2010 ;13(8) :965-72.
- 3Kessler D, Peters TJ, Lee L, Parr S. Social class and access to specialist palliative care services. Palliat Med 2005 ;19(2) :105-10.
- 4Somova MJ, Somov PG, Lawrence JC, Frantz TT. Factors associated with length of stay in a mid-sized, urban hospice. Am J Hosp Palliat Care 2000 ;17(2) :99-105.
- 5Jennings AL, Naysmith A. An audit of long-stay patients in an inner city palliative care centre. Palliat Med 1999 ;13(4) :349-52.
- 6Soins palliatifs, http://soinspalliatifs.hug-ge.ch/, consulté le 1er septembre 2012.
- 7International statistical classification of diseases and related health problems. Geneva : WHO, 2010.
- 8The National Statistics Socio-economic Classification (NS-SEC). London : Office for National Statistics, 2010.
- 9Wirth G, Gudat H, Henke H. Palliative care in a small medical clinic in Zurich, Switzerland. Support Care Cancer 2000 ;8(1) :5-9.
- 10Ward E, Jemal A, Cokkinides V, et al. Cancer disparities by race/ethnicity and socio-economic status. CA Cancer J Clin 2004 ;54(2) :78-93.
- 11Wolff H, Besson M, Holst M, Induni E, Stalder H. Inégalités sociales et santé : l’expérience de l’unité mobile de soins communautaires à Genève. Rev Med Suisse 2005 ;1(34) :2218-22.
- 12Gielen B, Remacle A, Mertens R. Patterns of health care use and expenditure during the last 6 months of life in Belgium : Differences between age categories in cancer and non-cancer patients. Health Policy 2010 ; 97(1) :53-61.
- 13Crawley LM. Racial, cultural, and ethnic factors influencing end-of-life care. J Palliat Med 2005 ;8(Suppl.1) :S58-69.
- 14Schneider N, Dreier M, Amelung VE, Buser K. Hospital stay frequency and duration of patients with advanced cancer diseases – differences between the most frequent tumour diagnoses : A secondary data analysis. Eur J Cancer Care (Engl) 2007 ;16(2) :172-7.
- 15Gwilliam B, Keeley V, Todd C, et al. Development of Prognosis in Palliative care Study (PiPS) predictor models to improve prognostication in advanced cancer : Prospective cohort study. BMJ 2011 ; 343 : d4920.
- 16Beynon T, Gomes B, Murtagh FEM, et al. How common are palliative care needs among older people who die in the emergency department ? Emergency Medicine Journal 2011 ;28(6) :491-5.
- 17Bailey CJ, Murphy R, Porock D. Dying cases in emergency places : Caring for the dying in emergency departments. Soc Sci Med 2011 ;73 (9) :1371-7.
- 18Sinn und Zweck der AHV. In : Bundesamt für Sozialversicherungen, ed. Bern : Bundesamt für Sozialversicherungen (BSV), 2010.
- 19Klaristenfeld DD, Harrington DT, Miner TJ. Teaching palliative care and end-of-life issues : A core curriculum for surgical residents. Ann Surg Oncol 2007 ;14(6) :1801-6.
- 20Teno JM, Shu JE, Casarett D, Spence C, Rhodes R, Connor S. Timing of referral to hospice and quality of care : Length of stay and bereaved family members’ perceptions of the timing of hospice referral. J Pain Symptom Manage 2007 ;34(2) :120-5.