Introduction
1L’accompagnement des personnes en fin de vie dans les services de soins palliatifs pose de façon prépondérante la difficulté de mettre en mots « l’expérience » de la mort à venir. L’interpellation des équipes soignantes par les patients en fin de vie ou gravement malades sur l’issue fatale de leur pathologie (sa probabilité et/ou ses conditions) n’est pas rare. [1,2] Cette interpellation peut d’ailleurs être à la source d’un certain malaise chez les soignants les moins formés ou préparés. [2] Au-delà d’une mise en question « probabiliste » de l’événement mort, un enjeu demeure autour de la possibilité de mettre en parole cette expérience à venir. En effet, quel espace et quelles modalités créer pour « parler » cette mort à venir avec les patients en fin de vie ? Cette question doit nous conduire à réfléchir aux conditions qui pourraient permettre de se « saisir de l’insaisissable » tant la mort en tant qu’expérience vécue demeure un mystère pour chacun. Cette question met également l’accent sur le « devenir » qui constitue un enjeu majeur en situation de fin de vie. [3] Plus précisément, pour les patients, il s’agit d’appréhender et de circonscrire ce que leur « je » va advenir. [3] Ce questionnement est source d’angoisse pour les patients et doit conduire les équipes soignantes à créer les conditions nécessaires pouvant l’accompagner.
2Fort de ce constat et de réflexions issues de notre pratique, nous avons souhaité développer un dispositif pour favoriser les échanges et le travail d’accompagnement des patients en fin de vie. Ce dispositif repose sur l’utilisation de croyances populaires sur la mort comme médiateurs possibles dans ce travail d’accompagnement. L’idée générale est d’utiliser ces croyances et/ou mythes pour faciliter la mise en mot du devenir des patients. Notre choix s’est porté sur les récits concernant les expériences de mort imminente (EMI) comme mythe contemporain associé à la question de la fin de vie et à la mort. L’EMI renvoie à l’expérience de personnes qui ont échappé à la mort et qui rapportent des souvenirs de cette expérience. Après avoir repris conscience, les personnes font un récit de ce qu’elles ont « vécu » lorsqu’elles étaient proches de la mort. Ce récit présente souvent de nombreuses similitudes : impression de décorporation, conviction d’être mort mais conscient dans un corps immatériel, déplacement le long d’un tunnel, lumière intense, rencontre avec des personnes décédées ou des « êtres de lumière », remémoration en accéléré de sa propre existence ou encore prises de conscience sur le sens de la vie.
3L’idée générale est de proposer aux patients des informations au sujet des recherches sur les EMI et de créer, à partir de ces informations, un espace de discussion (de mise en mots) et de travail personnel. En préalable, il nous faut dire que ce type de démarche ne peut s’envisager de façon systématique et indifférenciée. La proposition d’une réflexion sur la mort, quel que soit le média utilisé, ne peut s’opérer que dans un cadre strict d’un point de vue déontologique et dans un climat de confiance entre le thérapeute et le patient. Cette confiance nécessite un travail préalable d’accompagnement qui vise à en construire les contours et à légitimer in fine la proposition qui sera faite.
4Le principe de base de notre intervention consiste à mettre en relation des patients avec la conception de la mort et de l’après-vie telle qu’elle est décrite au sein de documents écrits et filmés sur les EMI. Plus précisément, nous proposons aux patients de leur faire découvrir ce qui est dit au sujet des EMI en prenant comme précaution de dire que scientifiquement nous ne savons pas si la conscience est délocalisée ou localisée dans le cerveau. Nous disons à ces patients que c’est une information qui peut-être leur fera du bien. Nous avons utilisé divers supports informationnels : le film Faux départ de Sonia Barkallah [1], le livre de Jean-Pierre Jourdan Dead line et celui de Danielle Vermeulen NDE, expériences mystiques d’hier et d’aujourd’hui. Nous avons également donné quelques informations aux patients en leur présentant un « résumé » des travaux de Greyson et Moody [4,5] accompagnés des thèses des détracteurs des EMI.
Cas cliniques
5Le premier patient qui a bénéficié de ce dispositif était un jeune homme de 24 ans suivi depuis sept ans pour un sarcome d’Ewing. Adrien [2], comme tout adolescent, fuyait toute discussion au sujet de la maladie et (ou) de sa mort possible. Pour Adrien, l’hôpital était un lieu rassurant lorsque tout allait mal et un lieu à fuir au plus vite lorsque les symptômes faisaient silence. Jusqu’au jour où il surprit une conversation entre deux infirmières dans le couloir, l’une disant à l’autre : « Adrien, il ne passera pas l’année ». Cette simple petite phrase le plongea dans une grande torpeur. A partir de ce jour, Adrien devint très pressant pour évoquer la mort et la vie avec son psychologue mais il n’osait pas encore en parler avec son oncologue. Il aimait les séances de sophrologie qui lui permettaient de se relaxer et de retrouver de l’énergie psychique pour vivre. Nous avions déjà proposé le DVD Faux départ plusieurs mois auparavant, il nous l’avait rendu en nous disant qu’il ne l’avait pas vu jusqu’au bout parce qu’il s’était endormi. Adrien n’avait fait aucun commentaire sur ce film. Toutefois, une semaine après la « petite phrase » de l’infirmière, il redemanda à voir ce film. Il ne pourra voir ce film que trois semaines après sa demande car entre-temps son état général s’était dégradé avec plusieurs infections pulmonaires et de terribles douleurs osseuses. Nous avons pris le parti de ne pas lui parler de ce film s’il ne nous en parlait pas. Adrien commença une « enquête personnelle » en questionnant chacun sur ce que le DVD évoquait chez lui. Par la suite, Adrien entama une réelle quête existentielle au sujet de la mort et « obligea » les membres de sa famille à le suivre dans cette quête. Ceux-ci s’y prêtèrent d’ailleurs avec bienveillance à l’exception de son père pour qui l’évocation même d’un possible décès d’Adrien était impossible. Adrien continua le travail tant avec la sophrologue qu’avec le psychologue. Lentement il évoqua les destinations possibles pour son « âme ». Le travail entrepris via les EMI lui permit de parler de cet après avec sa compagne et ses parents et d’échanger sur un possible futur post mortem. Adrien s’en est allé sans toutefois avoir accepté dans le sens plein du terme la condition de sa finitude.
6Alphonse est un homme d’âge mûr. Il est depuis quelques semaines hospitalisé en soins palliatifs. Alphonse est au courant de son « état » et sait que vraisemblablement il ne ressortira pas vivant de son hospitalisation. Il en a longuement discuté avec le médecin et semble se résigner à cette nouvelle condition. L’équipe de soins s’inquiète pour lui car Alphonse parle peu, par contre son épouse Georgette demande, à grand renfort de paroles, de l’aide tant pour elle que pour lui. De plus, cette aide, lorsqu’elle advient ne convient pas. Rien ne semble pouvoir combler son appétence à ce qu’on s’occupe d’Alphonse et d’elle. C’est la sophrologue qui établira un pont de communication avec Alphonse en lui proposant un massage. A cette occasion, elle découvrit qu’Alphonse aimait bavarder. Il acceptera une fois de rencontrer un autre psychologue du bout des lèvres et très certainement pour faire plaisir à la sophrologue. Néanmoins, Alphonse aimait ces rencontres autour du massage (de ses jambes et de ses pieds) et s’ouvrait peu à peu à une discussion psychothérapeutique de soutien avec la sophrologue. C’est au cours de ces échanges qu’elle lui proposa de « penser sa mort » via le récit de témoignages d’EMI et éventuellement de regarder un film concernant ces expériences. Toutefois, Alphonse se décrivant athée ne voyait aucune raison de parler plus avant des EMI. Pour lui, comme il nous l’indiqua, la mort était simplement la cessation de toutes choses et cela lui convenait parfaitement. Après cette proposition qui ne rencontra pas l’adhésion d’Alphonse, son accompagnement et celui de Georgette continuèrent dans le respect de son choix.
7Mehdi a 55 ans. Il est venu en France pour le traitement d’un carcinome urotérial infiltrant le muscle vésical. Mehdi vit en Algérie dans un petit village au bord du désert. Il a cinq enfants et travaille pour une compagnie d’électricité. Il est triste car sa famille lui manque mais pour des raisons administratives, il lui est impossible de retourner en Algérie avant la fin de son traitement. A la première rencontre c’est un homme discret en djellaba assis au bord de son lit dont le regard triste se perd dans le lointain. Mehdi évoque sa solitude assez facilement, il se laisse aller à pleurer lorsqu’il se rappelle certains pans de sa vie familiale. Le psychologue échange avec lui au sujet du désert liant les trois grandes traditions monothéistes à cette rencontre que l’homme de foi fait au désert. Mehdi témoigne alors de sa profonde foi en l’islam. Les rencontres se succédèrent dans le partage de cette foi et dans la narration de ce qui fait sa vie en Algérie. Une fois alors que Mehdi était particulièrement fatigué fut évoquée la possibilité d’une mort prochaine. Alors que nous lui demandions comment il voyait l’après-vie, il nous renvoya avec un immense sourire à ce qui est dit dans le Coran. Lorsque nous lui avons parlé des témoignages d’EMI, il se montra intéressé jusqu’à lire certaines expériences. Par la suite, lorsque nous lui avons demandé ce qu’il en pensait, il nous dit simplement que c’était quelque chose de connu pour lui et que quand l’homme mourait, s’il avait été bon et juste, il se retrouvait auprès d’Allah.
Discussion
8Dans un contexte social ou « l’événement » mort est tabou et dans un contexte spécifique – celui de la prise en charge des patients en fin de vie – où son appréhension revêt des enjeux professionnels, émotionnels et psychiques importants, l’utilisation d’un mythe comme celui des EMI peut s’avérer utile. C’est le potentiel thérapeutique de ce mythe contemporain, dans le contexte de l’accompagnement de patients en soins palliatifs, qui a retenu notre attention. Plus spécifiquement, à notre sens, il peut constituer un « outil » de l’accompagnement des personnes en fin de vie pour les soignants en soins palliatifs.
9Ce dispositif n’a pas été proposé à tous les patients. Plusieurs conditions s’avèrent nécessaires pour le mettre en œuvre : respect inconditionnel du code de déontologie des psychologues, respect absolu de la laïcité, recueil de l’acceptation du patient dans le cadre d’un consentement éclairé. Il faut également veiller à ne pas rendre le dispositif « intrusif ». Le mythe comme toute représentation de la maladie ne doit pas s’imposer aux malades. [6] Bien entendu, il est également nécessaire d’écarter du dispositif les personnalités psychotiques et/ou en situation d’état limite.
10Dans notre perspective, nous envisageons le mythe à travers sa « potentialité adaptative », mais aussi son caractère contextualisé. Autrement dit, d’une part, le recours au mythe peut permettre l’élaboration de réponses qui peuvent s’avérer nécessaires (composante adaptative), d’autre part, certaines réponses n’étant pas ou plus disponibles directement (à un niveau idéologique ou religieux) elles peuvent être appréhendées à travers les croyances et représentations populaires que véhicule le mythe. [7,8] Ainsi, les EMI sont traitées comme une fiction qui s’appuie sur des fondements collectifs. L’expérience menée ne vise pas à créer de la croyance mais à communiquer par et sur un système de représentations. Autrement dit, il s’agit de s’appuyer sur le mythe des EMI uniquement pour son caractère général de représentation et pour sa capacité à pouvoir créer un espace d’échanges sur la mort : à « parler la mort ». Ce support mythologique permet, dans son articulation avec l’expérience personnelle (lors de la confrontation aux contenus proposés), d’élaborer potentiellement une « fiction » personnelle qui devient le support à une démarche réflexive pour le patient. Nous nous servons de ce mythe seulement comme d’un « pousse » à rêver ou à symboliser, qui permet d’appréhender d’une façon singulière ce qu’est le réel.
11Nos observations se sont déroulées sur plusieurs mois et nous amènent à penser qu’un travail à partir de croyances sociales peut faciliter la mise en œuvre d’une parole et d’échanges sur cet événement « à venir », désamorcer certaines situations particulièrement anxiogènes, contribuer à la diminution des syndromes anxio-dépressifs et augmenter la capacité des patients à retrouver une certaine sérénité. Il nous faudra à l’avenir étudier ce lien de façon plus systématique à travers la réalisation d’études quantitatives ou qualitatives proposant des mesures validées des concepts mobilisés. De même, il est nécessaire d’explorer plus finement les processus en jeu pour les patients et comprendre les mécanismes d’adhésion (ou de non-adhésion) à une idéologie ou à une croyance dans ces moments si particuliers.
Conclusion
12Notre dispositif qui ne constitue pas en l’état une étude scientifique, nous a amenés à constater son caractère bénéfique dans l’accompagnement des patients et des familles en soins palliatifs. Nous ne postulons aucune croyance religieuse ou idéologique pour entreprendre ce projet d’intervention. Il nous importe simplement de travailler les syndromes anxio-dépressifs dus au voisinage de la mort réelle ou fantasmée en soins palliatifs. Il ne s’agit pas non plus de se raconter des « fables » pour alléger les difficiles moments que compose la mort imminente mais de construire un espace pour un échange potentiel sur l’expérience qui se noue et qui peut nécessiter l’intervention d’un support à la communicabilité de cette expérience.
Bibliographie
Bibliographie
- 1Salas S, Dany L, Michel R, Cannone P, Dudoit E, Duffaud F, Favre R. Représentations, attitudes et pratiques associées aux soins palliatifs : une enquête auprès des responsables d’unités et d’équipes de soins palliatifs en France. Médecine Palliative 2008 ;7 :130-139.
- 2Dany L, Rousset MC, Salas S, Duffaud F, Favre R. Les internes et les soins palliatifs : attitudes, représentations et pratiques. Médecine Palliative 2009 ;8 :238-250.
- 3Dudoit E. Est-ce que je vais mourir ? In : Ben Soussan P, Dudoit E, eds. Les souffrances psychologiques des malades du cancer. Paris : Springer, 2009 ;77-82.
- 4Greyson B. A typology of Near-Death Experiences. Am J Psychiatry 1985 ;142 :967-969.
- 5Moody R. La vie après la vie. Paris : Robert Laffont, 1977.
- 6Dany L, Dudoit E. Représentations et mythes associés au cancer. Onko+ 2009 ;1 :212-215.
- 7Diel P. Ce que nous disent les mythes. Paris : Payot, 2012.
- 8Eliade M. Aspects du mythe. Paris : Gallimard, 1963.