1Pendant l’été 2004 mon épouse se sentait très fatiguée. Personne ne s’est vraiment alarmé puisqu’elle avait subit récemment des interventions chirurgicales, dont la dernière était une reprise de cicatrice suite à une éventration.
2C’était une femme toujours active, soit dans son travail comme infirmière en soins palliatifs, soit comme maîtresse de maison où elle tenait son ménage parfaitement et elle entretenait son jardin avec amour, elle disait que le jardin était son psychiatre. Elle a toujours utilisé son temps pour les autres, les seuls instants privilégiés étaient ceux que nous passions en vacances, lors de voyages dans les îles ou découverte d’une ville européenne.
3Ce n’est que lorsqu’elle s’est sentie épuisée, qu’une nuit de garde à l’hôpital devenait trop pénible, qu’elle était incapable de faire une demi-heure de route sans pause pour récupérer, qu’elle a commencé à se demander si elle ne faisait pas au « burn out » ou une dépression. Elle perdait le goût des choses, diminution de motivation et d’envie.
4C’est à ce moment qu’elle s’est rendue chez le médecin qui a immédiatement décelé un problème au niveau des tests hépatiques.
5Le 6 décembre 2004 je l’ai amenée au Centre Hospitalier Universitaire pour y subir les premiers examens afin de déterminer de quoi elle souffrait. Nous avons passé par les admissions et après analyse de l’infirmière de tri, ma femme a été accueillie dans un box. Prise de sang, premiers examens d’usage, mais une réflexion du médecin nous a interpellés pour ne pas dire inquiétés quand il a estimé que le foie était vraiment grand.
6On a transporté mon épouse en chambre, au service de chirurgie puisqu’on suspectait des « pierres au foie ». Elle a passé trois jours dans ce service où tous les examens ont donné des résultats négatifs (ultrasons, IRM, scanner, etc.)
7Elle a obtenu un autre rendez-vous pour subir une coloscopie qui a donné des résultats tout à fait satisfaisants. Quelques jours plus tard elle a subi une biopsie du foie pour déterminer l’origine des masses agglutinées autour du foie.
8Le 23 décembre nous sommes retournés à l’hôpital pour une mammographie dont le résultat n’a rien donné d’anormal. Mais mon épouse était dans un tel état de fatigue et de mal-être que j’ai fortement insisté pour qu’on la prenne en charge. Nous n’avons pas pu faire autrement que de demander une admission. Franchir toutes les étapes d’une admission dans un état de détresse avancé n’est vraiment pas une épreuve agréable à vivre. Finalement mon épouse a été admise dans un box, une infirmière a fait les contrôles et les opérations usuelles. Un médecin qu’on n’avait jamais vu l’a prise en charge, il a ordonné plusieurs examens. En fin de journée il est revenu nous voir pour nous donner certains résultats. La première question qu’il a posée a été la suivante : » Au juste qu’est-ce qu’on vous a déjà dit ? »
9Nous savions que les médecins cherchaient une tumeur car j’avais lu le dossier, mais nous n’avions aucune piste puisque tous les examens ont été négatifs. Là le médecin nous a appris que la biopsie avait confirmé une tumeur maligne dont on ignorait toujours l’origine.
10Ma femme a passé la nuit à l’hôpital de nuit parce qu’il était trop tard pour ouvrir un lit à l’étage.
11Je suis rentré à la maison pour annoncer la nouvelle à ma fille…
12Le lendemain 24 décembre on a fait un scanner pour déterminer la source du cancer et on nous a dit que l’origine était certainement ovarienne. Ma femme a passé la soirée du 24 décembre dans les couloirs de la maternité pour qu’on lui fasse un curetage, mais après plusieurs heures on l’a ramenée en chambre, aucune salle n’étant libre. D’ailleurs cet examen n’a jamais été fait.
13Le 25 décembre elle a reçu sa première chimio. Après une dizaine de jours d’hôpital elle a pu rentrer à la maison.
14Nous savions que la vie allait désormais être différente et nous ignorions bien évidemment ce qui nous attendait. Mais lorsque les médecins nous présentent un programme de chimiothérapie nous sommes en droit de penser et d’espérer une guérison. Dès cet instant nous vivions dans une atmosphère où se mélangeaient l’inquiétude, l’espoir, la souffrance et la colère. Lors de notre premier rendez-vous au service ambulatoire d’oncologie, le médecin nous a annoncé fièrement que les tests hépatiques avaient donné des résultats prometteurs et que la première chimio avait eu, semblait-il, des effets positifs. En sortant de cette consultation nous étions à nouveau plein d’espoirs quant à l’issue de cette maladie. Certes mon épouse semblait très fatiguée et éprouvée par les effets terribles de la chimio. Il n’est évidemment pas facile de s’alimenter correctement quand on souffre de nausées, vomissements, ce qui se traduit bien naturellement par une perte d’appétit. Quand je pense que la diététicienne du CHUV menaçait de la perfuser si elle ne mangeait pas mieux ses repas, c’est vraiment faire preuve d’un manque de compréhension et de compassion. De surcroît la nourriture dans cet hôpital n’est pas digne de ce qu’on pourrait attendre. Au début j’ai pensé que la médication pouvait changer les goûts et rendre les aliments mauvais. Mais j’ai moi-même testé les repas et je peux affirmer que ce n’est vraiment pas délicieux. Quand des patients souffrent dans leur être et leur corps, ne pourrait-on pas faire un effort en offrant des repas agréables. J’ai vécu 30 ans avec mon épouse et je sais bien qu’elle n’était pas difficile au niveau des repas. Est-ce si compliqué et cher de cuisiner une bonne soupe chaude ?
15Chaque semaine ma femme devait se rendre en consultation oncologique du CHU. Il était prévu que la suite du traitement de chimiothérapie se fasse de manière ambulatoire. Trois semaines après le premier traitement, on lui a fait la deuxième injection. Malheureusement elle a fait un « choc » et il a fallu prendre des précautions supplémentaires. Les médecins ont alors décidé que pour la suite du traitement, les chimio seraient administrées en chambre.
16Mon épouse fut donc hospitalisée pour recevoir le troisième traitement qui s’est passé encore plus difficilement que le précédent. Les effets secondaires qui en ont découlés ont été catastrophiques. (Fatigue extrême, nausées, perte d’appétit et de moral).
17Après trois séances de chimio, les médecins ont décidé d’arrêter ce traitement puisqu’ils ne voyaient aucune amélioration dans les tests sanguins et les effets étant très désagréables, il est devenu inutile de la faire souffrir davantage. Les oncologues ont décidé de proposer un traitement de chimio palliatif au Gemsar, destiné à bloquer l’évolution de la maladie.
18Alors que ce nouveau traitement aurait dû être un remède plus « doux » que le précédent, les effets secondaires ont été tout autant pénibles.
19A chaque consultation mon épouse était plus faible, les jambes lourdes et un état général de plus en plus fragile. Les médecins nous disaient que madame était trop fatiguée et faire une chimio dans son état l’affaiblirait encore davantage. Ce discours nous a été tenu pendant plusieurs semaines de suite.
20Mon épouse exerçait la profession d’infirmière. Elle travaillait dans un service de soins palliatifs. Elle savait vraisemblablement mieux que quiconque ce qui se préparait dans son corps et que la vie sur terre allait bientôt se terminer pour elle. Chaque jour il y avait quelque chose qu’elle n’arrivait plus à faire. Elle qui a été une femme si active, toujours au service des autres, jamais une minute à elle. Elle a abandonné les petits travaux qu’elle n’arrivait plus à faire. Elle ne pouvait plus se « voir » dans le miroir, elle qui a toujours eu de si beaux cheveux blonds. Trois ans auparavant elle avait rédigé un mémoire sur « L’AU REVOIR » dans le cadre de sa formation en soins palliatifs. Elle vivait ce qu’elle avait écrit, mais disait qu’elle changerait complètement son texte si elle pouvait l’écrire à nouveau. Lorsqu’on est de l’autre côté de la barrière, on vit les choses différemment.
21L’état physique de mon épouse s’affaiblissait et puis un jour, alors qu’elle avait de plus en plus de peine à respirer, nous sommes allés au CHU et avons dû faire la queue aux admissions.
22Je me souviens c’était un vendredi, c’est bizarre d’avoir toujours besoin du médecin le vendredi. (Les enfants tombent toujours malades en fin de semaine, comme s’ils sentaient que c’est beaucoup plus compliqué le week-end, font-ils exprès ?)
23On lui a fait plein d’examens, elle a été prise en charge par une gentille infirmière (je me souviens très bien, c’est elle qui avait accueilli ma femme lors de son premier séjour).
24Finalement, après avoir passé les trois quarts de la journée derrière les rideaux ou dans les couloirs, on nous a annoncé qu’elle avait un œdème aux poumons, ce qui expliquait la peine à respirer.
25A 19 h elle fut transportée en chambre où elle a pu profiter d’un environnement plus confortable. Un médecin assistant est venu la consulter, une personne qu’elle n’avait encore jamais vue. Pendant la consultation nous avons dû quitter la chambre, coutume fréquente au CHU. Ne serait-il pas plus humain de laisser la famille (au moins le conjoint) participer à l’entretien. Ensuite je me suis entretenu avec le médecin qui ne m’a rien appris de plus que ce que je savais déjà. (Ce qui est normal, ce n’est pas en dix minutes d’entretien avec une malade exténuée qu’il est possible de comprendre la situation).
26J’ai eu le sentiment qu’on voulait me cacher des informations. La seule personne parfaitement au courant de l’évolution de la maladie était l’assistante qu’on rencontrait chaque semaine en consultation d’oncologie. J’ai alors provoqué une réunion avec ce médecin, celui de l’étage et l’équipe mobile d’oncologie. C’est lors de cette séance qu’on nous a annoncé que les médecins avaient décidé d’arrêter tous les traitements puisqu’ils étaient sans effet sur ma femme. Nous nous imaginions qu’une guérison serait impossible et cette annonce a eu un effet terrible, mais mon épouse a dit qu’elle s’y attendait.
27Pourquoi ce manque de transparence du corps médical. Je suis bien conscient qu’un diagnostic dans cette maladie est très difficile, mais que les médecins appellent les choses par leur nom. Effectivement, c’est une grosse responsabilité qu’on donne aux assistants. Je pense quand même que certaines informations devraient être données par les « médecins chefs ».
28Pendant toute la maladie de mon épouse, je n’ai jamais vu l’oncologue responsable, à chaque fois on me répondait qu’on allait le faire venir. Ces gens-là ont-ils tellement d’importance pour qu’ils soient si peu accessibles, où sommes-nous face à des médecines à plusieurs vitesses ?
29Mon épouse aurait directement désiré se rendre dans un centre de soins palliatifs pour y terminer ses jours.
30Mais les enfants et moi-même avons insisté pour la prendre quelques instants encore à la maison. Nous avons fait intervenir le centre médico-social et une infirmière venait tous les matins pour faire sa toilette et les injections. Mais la fatigue, les nausées, les crises d’angoisse se sont rapprochées. Deux semaines plus tard elle a pris la décision de partir dans une maison de soins palliatifs.
31L’ambulance, son dernier regard dans le jardin, l’au revoir à la maison sont des instants de telles émotions qu’ils sont gravés dans ma mémoire à tout jamais.
32Mon épouse a vécu encore deux semaines dans cette maison. Elle savait qu’elle serait bien prise en charge, elle y avait fait un stage pendant ses études. Je connaissais l’endroit pour y avoir accompagné un ami quelques années auparavant.
33La maison est un lieu de vie où les patients se sentent rassurés par un personnel à l’écoute.
34Tout est fait pour le confort du patient et pour que les familles se sentent à l’aise. Les familles sont les bienvenues, elles peuvent participer aux soins si elles le désirent. Tout le personnel fait partie de l’accompagnement, y compris cuisiniers, bénévoles, etc.
35Il y a toujours une personne disponible pour boire un café, passer un instant avec un membre de la famille. Ma femme a été très bien entourée jusqu’à ces derniers instants. Elle est partie paisiblement dans la dignité.