InfoKara 2004/4 Vol. 19

Couverture de INKA_044

Article de revue

Sophrologie et accompagnement des personnes en fin de vie

Pages 135 à 142

Notes

  • [*]
    Correspondance : Dominique Ducloux, Equipe Mobile Antalgie et Soins Palliatifs (EMASP).
    Département de Réhabilitation et Gériatrie/CESCO, 11, ch. de la Savonnière, CH-12 45 Collonge-Bellerive.
    Courriel : mobile. equipe@ hcuge. ch
  • [1]
    Buckmann R., 1994, S’asseoir pour Parler, l’art de communiquer de mauvaises nouvelles aux malades, page 15.
  • [2]
    Dr Chneiweiss L., Dr Albert E., 1990, L’anxiété au quotidien, page 17.
  • [3]
    Pichot P., 1987, L’anxiété, page 8.
  • [4]
    Dr Chneiweiss L., Dr Albert E., 1990, L’anxiété au quotidien, page 20.
  • [5]
    Dr Chneiweiss L., Dr Albert E., 2003, L’anxiété, page 20.
  • [6]
    Goleman D., L’intelligence émotionnelle, 1997, page 106.
  • [7]
    Dr Chêne P.-A., 2001, Sophrologie, fondements et méthodologie, page 18.
  • [8]
    Les éléments ont été modifiés pour renforcer l’anonymat.
  • [9]
    Dr Abrezol R., Cerveau et Conscience, 1999, page 144.
  • [10]
    Dr Abrezol R., ibidem, page 157.
  • [11]
    Dr Abrezol R., ibidem, page 156.
  • [12]
    Dr Abrezol R., ibidem, page 161.
  • [13]
    Dr Abrezol R., ibidem, page 161.
  • [14]
    Dr Abrezol R., ibidem, page 145.

Introduction

1Le Centre de Soins Continus (CESCO), à Collonge-Bellerive, accueille des adultes âgés. Toutefois, la spécificité en Soins Palliatifs développée par les professionnels depuis 1984 a permis à des patients plus jeunes de bénéficier de ces soins. Ce centre peut accueillir 104 personnes dont 30% viennent pour mourir, leur âge varie de 25 à 107 ans. Le nombre moyen de ces décès a augmenté d’année en année, passant de 251 en 1992 à 296 en 2003. A ce jour, 23 lits sont consacrés aux soins palliatifs et 10 à l’onco-gériatrie.

2Les soins palliatifs consistent, entre autres, à soulager des symptômes dont l’anxiété. Celle-ci est souvent présente au cours de la fin de vie. Elle peut être gérée par divers moyens thérapeutiques comme les anxiolytiques, des entretiens de soutien psychologique, la relation d’aide et des approches complémentaires telles que les massages, la relaxation et la sophrologie.

3C’est ce dernier point qui nous intéresse plus particulièrement. En effet, la sophrologie est une discipline non thérapeutique qui favorise chez la personne soignée une détente physique, émotionnelle et cognitive par des techniques appropriées. Les patients peuvent ou non utiliser cette méthode de manière autonome et acquérir ainsi une nouvelle ressource. Elle permet également le développement de capacités personnelles et l’amélioration de son existence quotidienne.

4Pour illustrer les points ci-dessus, j’ai choisi de vous présenter la situation de Mme M. qui a bénéficié d’un suivi sophrologique d’avril à septembre 2003. Et c’est l’anxiété, symptôme dominant, qui a été privilégiée dans cette analyse.

Problématique

5Le bilan 2001 de notre activité EMASP (Equipe Mobile Antalgie et Soins Palliatifs) a montré que les symptômes dominants en soins palliatifs, pour des patients cancéreux, sont la douleur et l’anxiété.

6Effectivement, les soignés sont hospitalisés en raison d’une pathologie oncologique avancée qui génère de l’anxiété. De plus, les actions de soins mises en place, indispensables, ne font que renvoyer la personne à son statut de malade et ainsi renforcer ce symptôme. Il se mesure par l’utilisation de l’outil d’évaluation ESAS (Edmonton Symptom Assessment Score) et ceci donne souvent suite à des échanges soignant/soigné.

7Les entretiens ont montré que l’anxiété est essentiellement en lien avec la maladie et son évolution, les traitements et les examens complémentaires, la famille et l’avenir. Elle se manifeste par des sensations physiques, émotionnelles et cognitives et comme nous le dit R. Buckmann : « une maladie peut éveiller une infinité de craintes chez le patient, et chaque individu réagit par un mélange de peurs et d’inquiétudes. »[1]

8Nous pouvons rajouter que les discours de ces personnes sont très souvent en lien avec la maladie et ceci donne l’impression qu’elles n’existent que par celle-ci. Ainsi, la conscience du corps se limite, par exemple, à la tumeur et à ses répercussions physiques.

9D’un point de vue comportemental, elles ont beaucoup de demandes, sonnent très souvent, nécessitent d’être écoutées et rassurées et souhaiteraient parfois avoir un soignant près d’elles en continu. Selon l’intensité de la situation, le recours reste l’administration d’anxiolytiques sur prescription médicale.

10Questions :

  • Comment permettre à ces personnes de diminuer le seuil de leur anxiété ?
  • Est-il possible de leur apprendre l’utilisation de moyens simples pour une meilleure gestion de cette anxiété ?
  • Est-ce qu’une action de soins, telle que la sophrologie, permettrait au patient de se décentrer de sa maladie et de diminuer les manifestations symptomatiques, émotionnelles et/ou cognitives de l’anxiété ?
Ces questions m’ont motivée à entreprendre une approche complémentaire comme la sophrologie pour mesurer son impact sur l’anxiété.

Hypothèse

11La sophrologie permet au patient de gérer l’anxiété, d’éprouver une sensation de détente corporelle, émotionnelle et de lâcher prise par rapport aux différentes pensées qui entretiennent ce symptôme.

Objectifs

12

  • Diminuer les différentes tensions du corps.
  • Diminuer le seuil de l’anxiété.
  • Offrir et proposer cette méthode comme ressource.
  • Rendre le patient autonome dans l’utilisation de cette méthode.

Concepts

L’anxiété

13L’anxiété est une émotion qui se manifeste par des phénomènes physiques et psychiques. Elle est souvent associée à d’autres émotions comme la peur, le trac et le stress.

14Phénoménologues et psychanalystes se sont intéressés au phénomène de l’angoisse et de l’anxiété (Kierkegaard, Heidegger, Freud, etc.).

15Tout d’abord le dictionnaire Robert définit l’angoisse « (latin Angustia, « étroitesse, lieu resserré ») comme un malaise psychique et physique, né du sentiment de l’imminence d’un danger, caractérisé par une crainte diffuse pouvant aller de l’inquiétude à la panique et par des sensations pénibles de constriction épigastrique ou laryngée. L’anxiété est un état d’angoisse considéré surtout dans son aspect psychique.[2]

16Dans le DSM III, les troubles anxieux recouvrent aussi bien les états compulsifs ou névrose d’angoisse que les troubles phobiques, obsessionnels-compulsifs et les états de stress post-traumatiques. Les états anxieux sont subdivisés en troubles paniques et anxiété généralisée. L’anxiété en tant que symptôme fondant une catégorie diagnostique apparaît ailleurs, dans les troubles de l’enfance et de l’adolescence sous le label trouble « hyperanxiété »[3].

17

« L’anxiété est souvent une peur sans objet. C’est une forme d’inquiétude permanente, flottante qui ne porte sur rien de précis ou sur tout à la fois : une anxiété qui ne s’accroche à rien et que tout provoque. L’anxiété est aussi une peur sans issu. »[4]
« Les dimensions physiques et psychiques de l’anxiété sont indissociables. Il s’agit d’un phénomène dont l’expression revêt des formes psychiques et physiques qui interagissent. »[5]
« Les anxieux suivent un certain schéma de pensées : ils se racontent à eux-mêmes une histoire en sautant d’une préoccupation à l’autre, en imaginant le plus souvent quelque terrible catastrophe ou tragédie. Mentalement les soucis s’expriment presque toujours de manière auditive plutôt que visuelle, c’est-à-dire, en paroles et non en images, fait qui a son importance pour la maîtrise de l’anxiété. »[6]

La sophrologie

18C’est « une science de la conscience humaine et des valeurs de l’être. Elle a été créée par le Professeur Alfonso CAYCEDO, né en Colombie en 1932. Il a fait ses études de médecine à Madrid, a été nommé Docteur en médecine et en chirurgie et s’est spécialisé en neurologie et en psychiatrie. »[7]

19C’est en 1960 qu’il fonde le premier département de Sophrologie Clinique à Madrid, à l’ancien hôpital « Santa Isabel ».

20L’étymologie de ce terme vient du grec ancien :

  • SOS signifie Paix, Harmonie et Sérénité ;
  • PHREN signifie Esprit, Conscience et cerveau ;
  • LOGOS signifie Discours, Sciences, Etude.
Les buts de la sophrologie sont l’harmonisation du corps et de l’esprit ainsi que la recherche d’un équilibre. L’individu arrive, progressivement, à une meilleure connaissance de soi. La compréhension d’autrui et le développement des relations interhumaines lui sont facilités.

21Elle permet à chacun de retrouver confiance en soi, de remporter des victoires sur soi-même en faisant disparaître ses peurs.

22Elle se pratique en groupe ou individuellement. Toute une série d’exercices font découvrir graduellement des sensations corporelles. On utilise la respiration et la concentration pour obtenir une détente et, en quelque sorte, réconcilier le corps et l’esprit.

23Complètement relaxé, au bord du sommeil, le participant est prêt pour la visualisation positive des événements à venir.

24La sophrologie est un outil qui permet aux professionnels de soigner les maladies de civilisation (angoisses et névroses) en portant l’attention sur le malade et non plus uniquement sur la maladie.

25La prévention par la sophrologie consiste à maintenir l’équilibre et la santé, et à s’assumer soi-même.

26Elle convient plus spécialement comme approche prophylactique lors de :

  • maladie fonctionnelle ;
  • préparation psychologique.
Les exercices pratiqués consistent à faire prendre conscience du corps physique, lâcher prise avec les cogitations, modifier le mode de pensée, éprouver une sensation de bien-être et abaisser par conséquence le niveau d’anxiété de la personne. Il s’agira aussi pour la personne de s’approprier la méthode.

Méthode

27Ce projet de soins infirmiers, dans le cadre de l’EMASP, a été accepté par la Responsable des Soins Infirmiers du Département de Réhabilitation et Gériatrie.

28Puis, il a été présenté à l’Infirmière Responsable d’Unité (IRU) de l’unité 20 du Cesco (unité rattachée à un programme Onco-Gériatrique depuis 2001). Avec son accord, une rencontre a été organisée avec l’équipe soignante (infirmiers (ère) s, aide-soignant(e) s, médecin-interne et médecin chef de clinique) pour l’expliquer et mettre en place le mode de collaboration.

29Les demandes de ce type d’approche complémentaire s’effectuent soit par demande écrite ou soit par téléphone auprès de l’EMASP et elles doivent être validées par les patients et accordées par le médecin.

30La réponse à la demande est effectuée entre 24 et 48 h au plus tard.

Déroulement et organisation des séances

31• Les séances sont individuelles.

Au cours de la première séance

32La première étape a été de rencontrer les personnes soignées pour faire une anamnèse précise du symptôme de l’anxiété selon un schéma établi par mes soins (cf. annexe 1).

33La deuxième étape a consisté à expliquer les techniques de relaxation, comment se déroulent les séances, qu’est-ce que la personne doit faire et ce à quoi, elle doit être attentive au cours de la séance ainsi qu’à fixer les objectifs (cf. objectifs pour le patient).

34Ensuite, nous avons procédé à l’évaluation de l’anxiété sur une Echelle Visuelle Analogique (EVA) de 0 à 10 (0/10 : symptôme absent et 10/10 symptôme maximal).

35La séance dure une heure :

  • 15 mn qui comprennent un entretien et l’évaluation du symptôme ;
  • 25 mn pour la séance de sophronisation ;
  • et 20 mn pour l’évaluation du symptôme et dialogue post-sophronique.
La fréquence des séances est d’une ou deux par semaine.

36Le nombre de séances est adapté selon les besoins de la personne et selon sa durée de séjour.

37Par la pratique de la sophrologie, nous amenons les soignés à porter leur attention sur les sensations corporelles de manière globale et nous leur permettons de prendre conscience que leur corps vit et qu’il ne vit pas que par le biais de la maladie.

38Après la séance, un dialogue s’installe entre le patient et le soignant durant lequel non seulement, nous répétons une EVA de l’anxiété pour comparer les scores, mais également un échange sur le vécu comme :

  • les sensations corporelles et émotionnelles ressenties ;
  • les points positifs ou négatifs de la séance ;
  • la formulation des besoins de la personne (type de séance, rythme, etc.).

Au cours des séances suivantes

39La rencontre commence par un échange autour de l’anxiété et les difficultés rencontrées par la personne soignée, les ressources qu’elle a pu mettre en place pour y remédier et l’évaluation du symptôme (EVA).

40Puis, déroulement de la séance de sophrologie adaptée au patient.

41Par exemple, les personnes âgées éprouvant beaucoup de difficultés à sentir les sensations physiques du corps, finissent par se lasser des techniques en lien avec le vécu corporel.

42Effectivement, de par leur pathologie et le vieillissement des différentes fonctions diminuant la sensibilité périphérique et la concentration, les techniques de visualisation sont plus appropriées. Elles sont essentiellement en lien avec un événement agréable de leur vie passée, plutôt qu’avec la projection d’un événement futur ; et d’axer le travail sur les perceptions et les émotions. En effet, la conscience étant toujours au présent, le fait de se remémorer une situation agréable, est vécu par la conscience comme si cela se passait dans « l’ici et maintenant » permettant ainsi à la personne de vivre un moment agréable qui l’amène à se sentir plus détendue, sereine, moins angoissée et plus positive par rapport aux événements de sa vie quotidienne.

43Et bien sûr, la séance se termine à nouveau par un dialogue tel qu’il est décrit plus haut.

Descriptions et résultats

44Pour mieux expliciter ce processus, la situation suivante illustre bien les indications et l’usage de la sophrologie au cours de la prise en charge de patients en fin de vie.

45Le motif de la demande de consultation était : « aide à la gestion de l’anxiété ».

46Nous verrons par la suite, comment cette approche complémentaire permet à la personne soignée de cheminer par rapport à sa fin de vie, de désamorcer certains points douloureux de l’existence pour aboutir à plus de sérénité.

Présentation des situations

471. Madame M. [8] âgée de 72 ans, veuve, un fils et une fille décédée, est hospitalisée pour suite de soins et éventuel retour à domicile dans un contexte de soins palliatifs.

48Mme M. a un cancer du côlon métastatique et présente, d’autre part, d’importants troubles de la vue. C’est ce dernier point qui la dérange le plus dans son quotidien, d’autant plus qu’après un parcours de vie très difficile, Mme M. avait retrouvé un certain équilibre en s’adonnant à la peinture.

49La tristesse, l’anxiété, la colère et la révolte contre la maladie et la cécité sont les principales émotions éprouvées au moment de la première rencontre.

50Les besoins exprimés par Mme M. correspondaient aux objectifs cités précédemment.

51Selon la méthode citée plus haut, nous avons procédé à l’anamnèse de l’anxiété (causes, manifestations, facteurs aggravants, améliorants et l’influence des traitements).

52Puis, nous avons identifié les pertes, les activités actuelles, les besoins, les ressources, les plaisirs et les points positifs de sa vie dans l’ici et maintenant.

  • Les causes étaient liées au parcours de vie, à la maladie et à la famille.
  • Les manifestations étaient physiques comme des « douleurs » (qui pouvaient aussi être liées au cancer) et des tensions au niveau du corps, émotionnelles, telles la tristesse, la colère et cognitives qui montraient des sentiments d’injustice et persécution (« la vie ne veut pas que je sois heureuse »).
  • Les facteurs aggravants : la chimiothérapie et la peur de la douleur.
  • L’identification des pertes : la vue et la peinture.

Tableau I

Les activités actuellesLes besoinsLes ressources
L’indépendance pour les activités de la vie quotidienne
Les sorties avec sa famille
Ecouter des livres en cassettes
Retrouver la vue
Détendre le corps
Diminuer l’anxiété
Bénéficier de massages au niveau des jambes et des pieds
Son amour pour la vie
Son fils et ses petits-enfants
Son courage
Sa force
Ecouter la TV et des cassettes audio
Ses facultés intellectuelles
Oser exprimer ses émotions et son vécu de la situation, mais cela lui donne l’impression « d’être quelqu’un de faible »

Tableau I

53Puis, nous nous sommes rencontrées vingt-quatre fois, une à deux fois par semaine, pour la pratique de séances de sophrologie durant le temps de son hospitalisation d’avril à septembre 2003.

Evaluation de l’anxiété au cours des séances (figure 1)

Figure 1

Anxiété de Mme M.

Figure 1

Anxiété de Mme M.

54

  • Anxiété 1 signifie que l’évaluation a été faite avant la séance.
  • Anxiété 2 signifie que l’évaluation a été faite après la séance.

Commentaires des évaluations

55Le nombre de séances était important à la fois par le nombre et par la qualité des apports. A noter que la dernière séance ne figure pas sur le tableau, parce que c’était deux jours avant le décès de Mme M.

  • Aux 5e et 8e séances, Mme M. chiffrait son anxiété à 0/10 avant et après la séance.
  • Aux 2e, 14e et 16e séances, le niveau d’anxiété est resté le même après la séance.
  • Et pour les autres séances, nous assistons à une diminution du niveau de l’anxiété qui peut être minime ou significative.
La variabilité des scores dépendait aussi de la capacité de Mme M. à rentrer dans la démarche de détente guidée. En effet, cette approche complémentaire nécessite une certaine concentration qui peut être parasitée par des pensées, ou la manifestation de symptômes comme la douleur, des nausées ou des difficultés respiratoires, selon l’évolution de la maladie.

56Puis, les rencontres étaient toujours suivies d’une réflexion sur le sens de la vie, de la maladie et de la cécité de Mme.

57Au cours de notre première entrevue, Mme M. était très angoissée car elle allait subir une chimiothérapie quelques heures plus tard. Dans ce contexte, j’ai choisi de pratiquer, avec elle, une technique de visualisation (annexe 2) dont le résultat s’est soldé par une diminution de son niveau d’anxiété.

58Le lendemain, Mme M. me disait qu’elle a été calme et détendue pendant l’administration du traitement. Parallèlement, les soignants me donnaient les mêmes informations.

59Après chaque séance de sophrologie, nous procédions à un échange (dialogue post-sophronique) dont l’ensemble des données, telles que Mme les a nommées, se trouve dans le tableau II. Il décrit quelques sensations physiques, mais surtout des sensations émotionnelles et l’expression de besoins et de pensées positives.

Tableau II

Sensations physiquesSensations émotionnellesCognitif
Majoration des douleurs au niveau des épaules, puis diminution
La sensation de lourdeur dans les jambes s’est améliorée
Sensation de lourdeur dans le bras droit
Détente au niveau de la mâchoire, du dos
Des nausées à la respiration
Envie de dormir, sensation de détente, sensation cotonneuse
Mme M. se sent légère, comme « si j’avais posé un poids »
Des frissons, des sensations au niveau du ventre
L’envie de respirer profondément
Tensions à différents endroits du corps qui disparaissent et réapparaissent.
Diminution de l’anxiété, se sent calme
Mme M. se sentait à la fois heureuse dans ce paysage qu’elle avait choisi et triste parce qu’elle prenait conscience qu’elle n’y retournerait plus.
Elle a ressenti une grande paix, une délivrance, une libération de la souffrance, se sent libre de tout obstacle et se sent sereine
Elle dit : « je suis heureuse, je me sens protégée, rien de fâcheux ne peut m’arriver. Je suis comme au paradis, en paix, dans les bras de Dieu. Il y a une enveloppe d’amour. »
Elle a plus de courage pour les activités de la vie quotidienne
Elle se sent plus volontaire, a plus confiance en elle.
Mme M. se sent lasse, mais sereine. Parle d’une lassitude qu’elle ne s’est jamais permise d’avoir et sereine quelle que soit la tournure des événements : la vie ou la mort.
Elle lâche prise avec les événements de la vie
Elle se sent au bord du quai et attend le bateau, elle ne sait pas où il la mènera.
Elle a besoin de se trouver dans la nature, besoin de sentir ses parfums.
Elle accepte mieux la situation et se sent apaisée
Elle observe un changement dans sa manière de considérer ce qu’elle vit et voit des aspects positifs dans les événements négatifs. Elle parle de vision plus positive des événements
Elle arrive à ne plus penser à sa maladie, se sent plus stable psychiquement
Mme M. dit avoir fait un tableau, impression d’avoir peint un bouquet de fleurs. Eprouve une grande satisfaction, a eu la sensation d’avoir manié la peinture avec une autre touche, s’est laissée aller dans cet art, a mis beaucoup de couleurs, d’épaisseur et de valeur
Dit avoir peint en état de lâcher prise

Tableau II

Commentaires et analyse

60A) Le sophrologue recherche dans le dialogue post-sophronique, la mise en évidence des capacités de la conscience que la personne mobilise, comme les décrit le Professeur A. Caycédo.

61Effectivement, chaque individu les utilise de manière quotidienne, sans forcément y prêter attention. Un des buts du travail sophronique est justement de les conscientiser. Voici quelques exemples de capacités de la conscience utilisées par Mme M. au cours des séances :

62• Les sensations physiques décrites entrent dans le cadre de la cénesthésie. Il s’agit « d’une donnée globale traduisant en sensation consciente, le fonctionnement végétatif (automatique) de l’organisme… C’est le sentiment que nous avons de notre existence indépendante et qui provient de la sensibilité diffuse des organes et des tissus du corps. Qualitativement, la cénesthésie comporte des sensations diverses : bien-être, malaise, fatigue, faiblesse, faim, froid, chaud, etc. ». [9]

63• Les sensations émotionnelles et cognitives sont liées. Le Dr Abrezol dit que « l’émotion est la capacité de réaction affective à des événements extérieurs »[10]. En effet, les techniques de sophrologie utilisées ont permis l’utilisation de souvenirs agréables pour ensuite induire des « émotions » positives comme la joie, le plaisir, la paix, le lâcher–prise, etc.

64• La dimension cognitive montre les capacités :

  • d’imagination qui est « la capacité que possède l’esprit d’évoquer des images, de créer, de concevoir, de combiner[11] » ;
  • d’entendement en tant que « capacité de connaître, de comprendre[12] » ;
  • de la réflexion qui correspond à « la concentration de l’esprit sur lui-même, sur ses représentations, ses sentiments, ses idées. Par la réflexion, nous rendons claires nos idées ; nous pouvons aussi les comparer et par la suite, les unir dans des jugements et des raisonnements[13] » ;
  • et des sensations qui se traduisent par « l’impression reçue par l’intermédiaire des sens. Les sensations, capacités de sentir sont la nourriture de base de la conscience.[14] » Ceci s’illustre par ce que disait Mme M. : « J’ai eu la sensation d’avoir manié la peinture avec une autre touche ».
B) Mme M. pratiquait par elle-même les techniques, mais elle n’arrivait pas toujours à atteindre l’effet voulu. Si son anxiété était trop importante, elle avait besoin d’aide et de soutien.

65Les exercices pratiqués lui permettaient d’atteindre un niveau de détente qui favorisait ensuite la réflexion sur le sens de sa vie (la maladie, son évolution, la vie familiale et la mort).

66Elle a également pu évaluer ses capacités à faire face à ce que la fin de vie lui imposait et à reconnaître ses ressources pour améliorer son quotidien. Elle prenait de plus en plus conscience de l’importance de rester dans l’ici et maintenant et malgré sa baisse de l’état général, elle y trouvait toujours un élément positif.

67L’ensemble du travail que nous avons fait ensemble a amené Mme M., petit à petit, à lâcher prise avec son passé, la manière dont elle avait mené sa vie, les relations tendues qu’elle avait avec son fils et sa belle-fille, la maladie et la vue.

68Au cours de la séance « 24 », Mme M. exprime sa peur de mourir en étouffant, car non seulement, elle avait été asthmatique par le passé, mais aussi par rapport à l’évolution de la maladie (épanchement pleural). Puis, elle rajoute qu’elle souhaite vraiment mourir chez elle parce que dit-elle : « c’est beau chez moi ».

69Et intuitivement, je lui propose une technique de visualisation au cours de laquelle, elle se retrouve chez elle et peint un tableau. L’échange qui suivait fut très positif. En effet, Mme M. raconte « avoir peint un bouquet de fleurs, qu’elle éprouvait une grande satisfaction, qu’elle a eu la sensation d’avoir manié la peinture avec une autre touche, qu’elle s’est laissée aller à cet art et qu’elle a mis beaucoup de couleurs, d’épaisseurs et de valeurs. » Elle dit « avoir peint en lâcher-prise total. » Elle se sentait paisible.

70Mme M. a trouvé la paix et est décédée le lendemain dans la sérénité en présence de son fils et de son frère.

71En conclusion, nous pouvons dire qu’il est intéressant de voir que, même en fin de vie, Mme M. a continué à mobiliser ses capacités de la conscience et que celles-ci lui permettaient de poser un nouveau regard sur sa vie.

72Les objectifs fixés étaient partiellement atteints, mais au vu de la complexité de la situation, les résultats restent plus que satisfaisants.

73Toute cette prise en charge, qui s’est effectuée au cours de la fin de vie de Mme M., lui a permis de cheminer par rapport à sa maladie, sa cécité, son parcours de vie et d’atteindre la sérénité pour mourir en présence de ses proches.

Conclusion

74La sophrologie est un outil adapté pour les personnes âgées en fin de vie. Son utilisation de manière autonome dépend du niveau d’anxiété de la personne, et selon, nécessite ponctuellement un soutien du professionnel.

75Elle répond non seulement au besoin de diminuer l’anxiété mais permet également à la personne soignée de cheminer durant ce temps qui reste à vivre.

76La situation décrite montre que la personne a pu mobiliser des ressources jusqu’au bout de sa vie et réussi à se décentrer de sa maladie.

77La pratique régulière de cette approche complémentaire, l’a conduite à porter un nouveau regard sur sa vie, sur les personnes qui l’entouraient, sur ses émotions et ses capacités à faire face à la maladie et aux événements en cours.

78En lien avec les objectifs de la sophrologie, nous pouvons dire que le vécu de la personne soignée montre le développement de la pensée positive, l’apprentissage à vivre dans l’ici et maintenant et une harmonisation de l’Etre au niveau physique, émotionnel et cognitif ; donc, plus de sérénité et plus d’apaisement.

Remerciements

A Mme Mireille Balahoczky, infirmière coordinatrice du Département Réhabilitation et Gériatrie et à Mme Huguette Guisado, assistante de l’infirmière coordinatrice et Mme Anne-Marie Krummenacker, responsable d’unité pour leur soutien.

Annexe 1
figure im2
Annexe 2

79Technique utilisée : SOPHRO-MNESIE SENSO-PERCEPTIVE (S.MN.S.P.)

80Il s’agit d’une technique qui consiste à revivre un événement positif passé. On va le revivre à travers les sensations qu’il génère au niveau de la vision (images), de l’odorat et du goût, de l’ouïe, des sens somesthésiques (cutanés, kinesthésiques et vestibulaires) et intéroceptifs (viscères).

81Senso-perceptif signifie : que la force de la mobilisation des sensations par la sophrologie est utilisée pour activer le cerveau.

82Nous allons vivre dans notre corps (moi corporel) des sensations agréables de son enfance que l’esprit se remémore à différents niveaux :

  • intellectuel, re-perception des formes, des couleurs, de l’environnement… ;
  • physique, sensations, température, mouvements,… ;
  • affectifs, sentiments et émotions agréables, plaisir, joie, amour…
C’est une re-perception, dans l’ici et maintenant des sensations vécues par le passé.

83Il s’agit d’une technique simple, facile, rapide et profonde.

Références bibliographiques

  • 1
    Abrezol R. Cerveau et Conscience. Editions Bernet-Danilo, Meschers, 1999.
  • 2
    Albert E, Chneiweiss L. L’anxiété au quotidien, Editions Odile Jacob, Paris, 1990.
  • 3
    Albert E., Chneiweiss L. L’anxiété, Editions Odile Jacob, Paris, 2003.
  • 4
    Buckmann R. S’asseoir pour Parler, l’art de communiquer de mauvaises nouvelles aux malades. InterEditions, Paris, 1994.
  • 5
    Chêne P.A., Sophrologie, fondements et méthodologie. Edition Ellébore, Paris, 2001.
  • 6
    Goleman D. L’intelligence émotionnelle, Editions J’ai Lu, Paris, 1997.
  • 7
    Pichot P. L’anxiété, Editions Masson, Paris, 1987.
    • The Edmonton symptom assessment (ESAS) : Bruera E, Kuehn N, Miller MJ, Selmser P, Macmillan K : Journal of Palliative Care 1991, 7 (2) : 6-9.
    • Traduction proposée par Bréchet JP sous le titre : ESAS, une méthode simple pour l’évaluation des symptômes chez les patients d’un service de soins palliatifs.

Mots-clés éditeurs : anxiété, fin de vie, sophrologie

Date de mise en ligne : 01/11/2006

https://doi.org/10.3917/inka.044.0135

Notes

  • [*]
    Correspondance : Dominique Ducloux, Equipe Mobile Antalgie et Soins Palliatifs (EMASP).
    Département de Réhabilitation et Gériatrie/CESCO, 11, ch. de la Savonnière, CH-12 45 Collonge-Bellerive.
    Courriel : mobile. equipe@ hcuge. ch
  • [1]
    Buckmann R., 1994, S’asseoir pour Parler, l’art de communiquer de mauvaises nouvelles aux malades, page 15.
  • [2]
    Dr Chneiweiss L., Dr Albert E., 1990, L’anxiété au quotidien, page 17.
  • [3]
    Pichot P., 1987, L’anxiété, page 8.
  • [4]
    Dr Chneiweiss L., Dr Albert E., 1990, L’anxiété au quotidien, page 20.
  • [5]
    Dr Chneiweiss L., Dr Albert E., 2003, L’anxiété, page 20.
  • [6]
    Goleman D., L’intelligence émotionnelle, 1997, page 106.
  • [7]
    Dr Chêne P.-A., 2001, Sophrologie, fondements et méthodologie, page 18.
  • [8]
    Les éléments ont été modifiés pour renforcer l’anonymat.
  • [9]
    Dr Abrezol R., Cerveau et Conscience, 1999, page 144.
  • [10]
    Dr Abrezol R., ibidem, page 157.
  • [11]
    Dr Abrezol R., ibidem, page 156.
  • [12]
    Dr Abrezol R., ibidem, page 161.
  • [13]
    Dr Abrezol R., ibidem, page 161.
  • [14]
    Dr Abrezol R., ibidem, page 145.

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