InfoKara 2002/3 Vol. 17

Couverture de INKA_023

Article de revue

La sédation en phase terminale: une expérience à domicile

Pages 86 à 92

Introduction

1La sédation pharmacologique en soins palliatifs est un sujet de controverse et discutée sous de nombreux points de vue tels que sa définition, différente selon les auteurs, ses applications cliniques, ses indications et ses implications éthiques.

2Le sujet de ce travail est la sédation en soins palliatifs des patients atteints de cancer à domicile. Nous avons étudié les patients atteints de cancer en phase terminale à domicile pris en charge pendant une année par la Fondation FARO – ONLUS de Turin (Italie). Son objectif est d’identifier les facteurs prédictifs de la décision de sédation, permettant aux intervenants de disposer d’instruments plus efficaces dans la prévention et le traitement des symptômes potentiellement « réfractaires » [11], particulièrement à domicile.

3La définition « sommeil pharmacologiquement induit », c’est à dire l’induction volontaire d’un sommeil artificiel permettant au malade de perdre la conscience de sa souffrance [25], délimite précisément le champ de cette étude. En d’autres termes, il s’agit d’une procédure utilisée pour soulager les symptômes réfractaires aux traitements traditionnels en réduisant le niveau de conscience chez un patient proche de la mort [42]. La distinction entre symptômes « rebelles ou difficiles » et symptômes « réfractaires » s’avère donc fondamentale. Un symptôme réfractaire peut se définir comme un symptôme ne pouvant être contrôlé adéquatement en dépit d’efforts actifs pour identifier une thérapeutique tolérable, qui ne compromet pas la fonction de relation du patient » [11, 13, 32, 33]. Il s’agit donc non pas d’un symptôme « incontrôlé » mais « incontrôlable ». De façon schématique, la sédation peut être subdivisée selon trois paramètres, la profondeur, la durée et l’intention [35, 36, 37].

Matériel et méthode

4Notre travail porte sur les cas de sédation intentionnelle partielle ou profonde, discontinue ou continue chez des patients atteints de cancer en phase terminale avec symptômes réfractaires physiques ou psychiques suivis par la Fondation FARO – ONLUS.

5Cette Fondation, constituée de médecins, d’infirmiers, de psychologues, de kinésithérapeutes et de volontaires, tous formés aux soins palliatifs, offre au patient atteint d’un cancer, dont les conditions d’habitation et d’environnement le permettent, la possibilité d’être assisté gratuitement chez lui par une « mini-équipe » composée d’un médecin et d’un infirmier; les autres professionnels interviennent selon les besoins. Le service, de 8 heures à 20 heures les jours ouvrables, met à disposition des familles les numéros de téléphone portable des intervenants impliqués également les jours de fête grâce à la garde médicale assumée à tour de rôle par les intervenants eux même. Durant la nuit fonctionne un service d’urgences territorial qui agit sur convention avec la Fondation. Le pivot de la prise en charge est le (ou les) « care giver » qui, formé par les intervenants et en intime collaboration avec eux, est présent de façon continue auprès du malade. Ils sont toujours des personnes vivant auprès du patient et, dans la majeure partie des cas, des membres de la famille.

6Il a été demandé aux médecins de la Fondation de signaler tous les patients intentionnellement soumis à sédation avec les caractéristiques exposées ci-dessus parmi ceux suivis à domicile dans la période qui va du 1er janvier 2001 au 10 janvier 2002.

7Sont considérés comme atteints d’un cancer en phase terminale, les patients qui avaient au moment de la prise en charge un Karnofsky’s Performance Status égal ou inférieur à 40% et un pronostic égal ou inférieur à 4 mois. Pour chaque patient sédaté les données suivantes ont été recueillies: sexe, âge, type de tumeur, présence ou non de métastases et leur nombre (0, 1, 2 ou plus), conscience de la maladie (complète, partielle ou nulle; on entend par « conscience partielle » la conscience du diagnostic mais pas du pronostic funeste), composition de la famille, type de « care giver » (par exemple degré de parenté si membre de la famille), positivité ou non à l’anamnèse à des pathologies psychiatriques, éthylisme ou toxicomanie; du point de vue symptomatologique, les symptômes présents en début d’assistance ont été évalués en en quantifiant l’entité avec le questionnaire « TIQ » (Therapy Impact Questionaire), présenté au patient quand c’est possible: 0: pas de symptôme; 1: léger; 2: fort; 3: très fort

8Durant l’assistance, la mise en route d’un support psychologique, kinésithérapique ou d’une assistance privée, la présence d’une voie veineuse centrale, d’une trachéostomie, d’une sonde urinaire, de drains thoraciques, biliaires ou d’un autre genre, l’éventuelle nutrition parentérale ou entérale, la présence ou non de lésions à risque de saignement sont pris en considération.

9On a pu ensuite enregistrer: la ou les causes qui ont amené à la sédation, le consensus du patient (toujours demandé si possible et toujours obtenu si demandé), de qui est partie la demande ou la proposition de sédation pharmacologique.

10Du point de vue pharmacologique, on a réuni des données sur le/les médicament(s) utilisé(s) pour obtenir la sédation en soulignant d’éventuelles associations, sur les voies d’administration, sur la posologie, sur le niveau de sédation obtenu (partielle ou profonde par rapport à la réponse ou non à des stimulus douloureux).

11Enfin il a été évalué l’intervalle de temps entre le début de la sédation et la mort et le nombre total de jours d’assistance.

Résultats

12Sur les 726 patients suivis, 41 (5,6%) ont reçu une sédation, parmi lesquels 26 (63%) étaient de sexe masculin et 15 (37%) de sexe féminin. L’âge moyen est de 65 ans (28 à 83 ans). Les diagnostics sont présentés dans le tableau I.

Tableau I

DiagnosticNombre de patients (%)
Ca digestif13 (31,7)
Ca pulmonaire10 (24,4)
Hémopathie4 (9,8)
Ca du sein3 (7,3)
Ca ORL2 (4,9)
Autre9 (22%)
TOTAL41

Tableau I

13Le cancer était plurimétastatique au début de la prise en charge chez 43% des patients. 39% d’entre eux étaient porteurs d’un seul siège métastasique, tandis que seuls 15% étaient exempts de métastases. La conscience de la maladie était complète chez 18 patients sur 41 (44%), partielle chez 11 patients (27%), nulle ou douteuse dans le restant des cas. Comme le démontre la figure 1, le « care giver » se trouvait être dans la majeure partie des cas être le conjoint.
Figure 1
Figure 1
9 patients sur 41 (22%) étaient atteints d’un état dépressif et un présentait un passé d’éthylisme. Tous les patients étaient multisymptomatiques. Les symptômes, dont l’intensité est supérieure ou égale à 2 selon l’échelle de TIQ, sont détaillés dans le tableau II.

Tableau II

SymptômeNombre de patients
Asthénie25
Agitation24
Douleur13
Dyspnée12
Constipation11
Insomnie10
Dysphagie10
Vomissements8
Toux5
Hoquet2
Diarrhée2

Tableau II

14Un support psychologique a été mis en place pour 3 patients (7%) tandis que le kinésithérapeute a assisté 5 patients (12%).

15Une voie veineuse centrale a été placée chez 19 patients (46%), une trachéostomie dans un cas, une sonde urinaire dans 18 cas (44%); 8 patients présentaient d’autres types de drains (thoraciques, biliaires, dérivation urinaire, sonde naso-gastrique ou colostomie). Un patient avait une gastrotomie. Cinq patients (12%) ont reçu une nutrition entérale ou parentérale. Chez 4 d’entre eux, après consultation de la famille, la nutrition a été maintenue jusqu’au décès. Dans un cas, elle a été suspendue en raison de la survenue de vomissements incoercibles qui ont cessé après arrêt de la nutrition par gastrotomie.

16Chez 21 patients (51%), la sédation avait une cause unique et chez les 20 cas restants (49%) les motifs étaient multiples. Dans la totalité des cas, la/les cause(s) de sédation sont à relier aux symptômes réfractaires physiques ou psychiques. Ils sont présentés de façon détaillée dans le tableau III. Dans la très grande majorité des cas, la sédation a été proposée par le médecin. Seuls 4 patients ont fait la demande sans que cela eût été proposé (10%). Le consensus du patient, toujours demandé quand c’est possible et toujours obtenu quand il est demandé, a été obtenu pour 15 cas (37%).

Tableau III

SymptômesPatients (%)Patients avec un TIQ ? 2 au début de la prise en charge (%)
Agitation24 (37,5)5 (21)
Douleur13 (20)10 (77)
Dyspnée12 (19)4 (33)
Vomissements8 (12,5)5 (63)
Dépression3 (5)
Autres symptômes4 (6)

Tableau III

17Du point de vue pharmacologique, la sédation a été obtenue à partir d’un seul médicament dans 7 cas (4 avec la morphine et un avec le midazolam, l’halopéridol et la chlorpromazine) et deux ou plus de médicaments dans les 34 autres situations. Le tableau IV détaille les médicaments utilisés.

Tableau IV

MédicamentCasVoie s.c.Voie i.v.
Morphine34/41 (82,93%)23/24 (67,65%)11/34 (32,35%)
Clordemetildiazepam17/41 (41,46%)14/17 (82,35%)3/17 (17,65%)
Halopéridol16/41 (39,02%)15/16 (93,75%)1/16 (6,25%)
Chlorpromazine13/41 (31,71%)/13/13 (100,00%)
Diazépam6/41 (14,63%)/6/6 (100,00%)
Midazolam4/41 (9,76%)/ 3/4 (75,00%)1/4 (25,00%)
Promazine1/41 (2,44%)/ 1/1 (100,00%)

Tableau IV

18En Italie, le midazolam est un médicament réservé à l’usage hospitalier. Dans les cas où il a été utilisé, il a été fourni par un service hospitalier. Les doses utilisées étaient les doses minimales nécessaires à l’obtention de l’effet recherché. Par exemple, la dose utilisée de midazolam n’a jamais été supérieure à la dose moyenne citée dans la littérature: 25 mg/24 heures ou 0,20 à 0,40 mg/kg/jour; dans le cas du delorazépam, la dose moyenne était de 20 mg/24 heures [35].

19La profondeur de la sédation était profonde chez 21 patients (50%) et partielle chez les autres. La sédation a été discontinue dans 17 cas (41%), parmi lesquels 12 ont été une nouvelle fois sédatés profondément sur décision médicale vu la réapparition des symptômes réfractaires. Dans 24 cas (59%), la sédation a été maintenue sans interruption jusqu’au décès.

20La durée moyenne des prises en charge était de 55 jours (2 à 330 jours). La durée moyenne des sédations était de 69 heures (20 minutes à 30 jours).

Discussion

21Dans une revue récente [42] de la littérature des dix dernières années, Porta Sales analyse 13 études, aussi bien prospectives que rétrospectives, concernant la sédation terminale et montre que la fréquence moyenne de sédation chez les différents auteurs [16, 18, 20, 37, 40, 53, 56] est de 25% avec des pourcentages oscillant entre 1% [20] et 72% (Turner, 1996). Notre résultat, 5,65%, rentre donc dans la moyenne, se trouve même parmi les plus bas de ceux examinés.

22Comme le soulignent beaucoup d’auteurs [12, 17, 33, 35, 36, 40, 49], la grande variabilité rencontrée est à attribuer, d’un côté aux différences socioculturelles, ethniques ou religieuses qui souvent conditionnent l’approche à la sédation, de l’autre surtout à la grande variété de façons de définir exactement ce qu’on entend par sédation. Ainsi, à titre d’exemple dans une étude « pilote » comme celle de Ventafridda et coll. [56], furent dénombrés des patients soumis à sédation non intentionnelle, c’est-à-dire due à l’effet secondaire des médicaments utilisés dans le contrôle de symptômes variés: ceci explique le haut pourcentage (52,5%) des patients sédatés tant une telle étude de cas.

23Il semble intéressant, déjà à première vue, de remarquer les antécédents de dépression de 9 patients sur les 41 de notre étude (21,95%): la même donnée dans la population générale [3] se situe aux environs de 6%. Nous n’avons pas trouvé de données comparables dans la littérature.

24L’analyse des causes de sédation a mis en évidence qu’il s’agit toujours de symptômes physiques ou psychiques réfractaires, dans environ la moitié des cas d’un seul symptôme.

25Comme dans la littérature, l’agitation a été la cause qui a le plus fréquemment (37,50%) nécessité le recours à la sédation. La moyenne pour cette donnée dans certaines études [16, 18, 20, 30, 31, 37, 40, 53, 56] est 39% et donc presque parfaitement superposable à la nôtre. Suivent la douleur, la dyspnée et les vomissements. Il s’avère beaucoup plus complexe de repérer dans la littérature des données concernant les symptômes psychiques comme cause de sédation: dans notre expérience, nous avons comptabilisé seulement 3 cas (4,68%) tandis que Mo Rita (37) et Stone [53] en ont signalé respectivement 2% et 26%. Comme on peut le constater, ces résultats contradictoires, nécessitent une étude ultérieure.

26On trouve peu de cas de nutrition parentérale ou entérale (5 sur 41). Pour 4 d’entre eux, la nutrition a été de toute façon maintenue jusqu’au décès et cette donnée ne semble pas appuyer les dires de Quill [44,45] qui soutient que, souvent, la sédation conduit le patient à une mort accélérée par état de déshydratation et de dénutrition.

27En analysant les symptômes causes de sédation déjà présents au moment de la prise en charge du patient, ceux ayant une valeur < 2 à l’échelle TIQ étant exclus, émerge un élément certainement digne d’approfondissement: dans 10 cas sur 13 (76,92%) pour la douleur et dans 5 cas sur 8 (62,5%) pour les vomissements, le symptôme était déjà présent et intense au début de la prise en charge. Bien que notre nombre de patients soit limité, cette donnée est significative; encore une fois, en effet, nous n’avons pas trouvé d’éléments à confronter en littérature. Seuls Cherny, Portenoy [11] et peu d’autres [25] affirment que un symptôme réfractaire se manifeste rarement de façon totalement imprévisible: il est, généralement, la conséquence de l’aggravation progressive d’un symptôme difficile à maîtriser.

28C’est presque toujours le médecin (90% des cas) qui propose au patient et/ou aux membres de la famille la possibilité de sédation: ceci fait réfléchir sur la responsabilité médicale et sur la nécessité d’impliquer la totalité de l’équipe soignante dans une telle décision avant même de la proposer au patient et/ou aux membres de la famille.

29Du point de vue pharmacologique, il ressort clairement que le médicament plus utilisé pour induire le sommeil continue à être la morphine et le plus souvent par voie sous-cutanée. Ce fait ne s’aligne pas avec ce qui est signalé dans les autres études [15, 18, 19, 33] où il apparaît que la morphine est utilisée bien moins fréquemment dans ce but. La voie sous-cutanée est confirmée comme étant globalement la plus usitée pour effectuer la sédation pharmacologique en plein accord avec Cowan [15].

30Le midazolam, le médicament le plus utilisé dans beaucoup d’études de cas [15, 19, 39, 47, 48, 50, 55] et, ainsi l’affirment Beyeler et Rapin [5] et Filbet [21], une benzodiazépine apparemment idéale pour l’action rapide et de courte durée (demi-vie d’élimination comprise entre 1,5 et 3 heures), l’hydro solubilité permettant l’administration sous-cutanée ou intramusculaire, la parfaite compatibilité avec la morphine pour l’usage en pousse seringue, les faibles effets cardiovasculaires et l’entraînement d’une amnésie antérograde, demeure au contraire d’utilisation plutôt exceptionnelle à domicile en Italie, étant réservé au contexte hospitalier, en général à ces cas de non-réponse ou de réponse paradoxale aux neuroleptiques ou autres benzodiazépines.

31De notre étude de cas ressort le rôle important du clordemetildiazépam ou delorazépam, une benzodiazépine avec durée d’action moyenne-longue, au deuxième rang comme fréquence d’utilisation, peut-être grâce à sa bonne absorption quand elle est administrée par voie sous-cutanée.

32L’halopéridole par voie sous-cutanée et la chlopromazine par voie intraveineuse sont presque aussi fréquemment utilisés. Dans les cas que nous avons examinés, il n’a jamais été utilisé des barbituriques (par exemple amobarbital ou tiopentale) [11], ni propofol [34].

33Comme l’a souligné Pourchet [43], ils n’existent pas actuellement de critères fiables, précis et reproductibles permettant d’évaluer la profondeur de la sédation et toutes les échelles d’évaluation (Ramsay, Cambridge, Kenni et Chandri, etc.) ont des qualités et des défauts. Pour cette raison, il a été décidé de s’abstenir, comme il est expliqué dans l’introduction, à un critère simple, de retenir profonde la sédation quand le patient ne montre aucune réponse aux stimulus douloureux.

34Le pourcentage de patients sédatés de façon continue et profonde déjà « ab initio » est en somme encore plutôt élevé: c’est une donnée qui devrait faire réfléchir surtout à la lumière des affirmations de beaucoup d’auteurs comme Burucoa [7], lesquels soutiennent avec vigueur la nécessité de toujours commencer de façon discontinue et si possible partielle pour obtenir une sédation vigile.

35Parmi les cas soumis à sédation profonde et continue depuis le début de traitement, un se trouve être dû à une dépression réfractaire à n’importe quelle thérapie: dans ce cas, c’est le patient lui-même qui a demandé au médecin de « dormir profondément et de ne plus se réveiller ».

36L’intervalle de temps entre le début de la sédation et le décès s’est avéré être un peu moins de 3 jours, en accord avec les données de la littérature (16, 18, 20, 37, 40, 53, 56).

37La durée moyenne de la prise ne charge a été de 54,78. Cette donnée est supérieure à celle des 685 patients suivis dans la même période mais non datés. (43,60 jours).

Questions éthiques

38Comme l’a souligné Mauron [32], le soulagement de la souffrance est l’impératif médical et éthique qui oriente l’ensemble des soins palliatifs, tant au regard de la douleur physique que de la souffrance psychique. A ce sujet, l’AMA (American Medical Association) et l’ANA (American Nurses Association) se sont exprimées clairement, affirmant avec force leur devoir, aussi bien pour le médecin que pour l’infirmier, de parcourir toutes les chemins ayant pour but de réduire au minimum les souffrances physiques et psychiques du patient et d’en améliorer la qualité de vie, y compris la sédation pharmacologique quand il n’est plus possible de faire autrement [3, 4].

39La sédation partielle et discontinue ne semble susciter aucun questionnement éthique et peut être également appliquée pour l’exécution de gestes traumatiques ou de soins douloureux en fin de vie comme soins d’escarres, mise en place d’une sonde, évacuation d’un fécalome, etc. [1,26].

40La sédation profonde continue et intentionnelle dans notre étude comme pour beaucoup d’autres [21, 26, 33], apparaît comme une pratique à entreprendre avec beaucoup de précaution, réservée à un nombre restreint de patients soigneusement évalués pour établir le réel aspect réfractaire des symptômes présents, ceci grâce au travail d’équipe multidisciplinaire, caractéristique des soins palliatifs. Et si cela, d’un côté, est vrai pour les symptômes physiques, il l’est encore plus pour ceux psychiques, beaucoup plus difficiles à définir et à traiter de manière adéquate [49]. Dans notre études de cas, seuls 3 cas sur 41 ont été sédatés pour une dépression réfractaire et l’expérience nous a enseigné qu’il est possible de prendre en considération la voie du sommeil comme « extrema ratio » seulement après avoir impliqué les ressources psychologiques, psychiatriques, psychopharmacologiques et, plus que tout, humaines et d’accompagnement spirituel. De toute façon, en accord avec Cherny et autres [7, 35], la sédation profonde et continue devrait toujours être prise en considération seulement après trials répétitifs de sédation partielle et discontinue, à plus forte raison pour les symptômes psychiques.

41Le soulagement de l’angoisse terminale, comme reporté par Beyeler, est bien un devoir. Toutefois, chez ces cas comme pour bien d’autres patients sédatés, certaines demandes que se sont posées Beyeler et Rapin [5] n’ont pas manqué à l’appel: quelles ambiguïté se sont cachées derrière ce projet de faire dormir le malade? Quels symptômes sous-jacents sont recouverts par cette sédation?

42On est bien loin, en tout cas, d’avoir des intentions d’euthanasie quelles qu’elles soient, ce qui, entre autre, serait en contradiction avec la définition même des soins palliatifs [2] et de ce que soutiennent Billings et Block [6] et Quill [44, 45] qui affirment que la sédation devrait être considérée une forme de « slow euthanasia ». L’intention de la prescription d’un médicament hypnotique doit toujours et seulement être celle de soulager des symptômes réfractaires qui ne sont pas contrôlables différemment, et jamais celle d’abréger la vie ou d’accélérer la mort [7, 21, 24, 50]; comme ça l’est encore une fois amplement souligné en littérature [10, 11, 21, 24, 29, 32, 37, 38, 52], le principe du double effet semble être le seul en mesure d’orienter une telle décision qui s’appuie sur une justification éthique valable [8, 13, 14, 27, 28, 41, 43] et de mettre une barrière nette entre sédation terminale et euthanasie [24]: le médecin qui recourt à la sédation vise la suppression de la souffrance (good effect) tout en acceptant le risque d’une survie diminuée (bad effect); il est utile de souligner que, en plein accord avec Hardy [27], comme dans notre étude et dans beaucoup d’autres [13, 53, 54] le notion de survie diminuée non seulement ne semble pas confirmée mais est inversée. Comme le soulignent Gremaud et Beyeler [26] et d’autres auteurs [25, 33, 57], il faut se mettre attentivement en garde du risque de dérapage vers des attitudes routinières ouvrant la porte à des pratiques euthanasiques et la sédation ne doit pas représenter une solution pour se défaire d’une situation difficile.

43Afin de détruire un préjugé, contrairement à ce qu’affirme Mauron [32] et une longue liste de penseurs de toutes époques, il est important de souligner que la religion chrétienne ne pousse pas à l’acceptation passive de la souffrance qui n’est absolument pas vue comme punition de Dieu pour avoir péché mais au mieux comme une opportunité de croissance spirituelle [8, 14]. A ce sujet, il suffit de citer l’importante activité thaumaturgique de Jésus-Christ relatée dans les évangiles et la force avec laquelle, encore récemment, le Magistère de l’Eglise a affirmé et défendu le droit à la non souffrance de l’homme (cf. Jean-Paul II « Salvifici doloris » et [41]. C’est alors une autre affaire que de parler de l’acceptation de la volonté de Dieu qui rend précieuse pour le croyant l’expérience de la souffrance et c’en est encore une autre l’affirmation que douleur et mort proviennent du péché.

Conclusion

44En conclusion, il nous semble que ce travail puisse avoir éclairci certains éléments intéressants: avant tout l’importance d’une évaluation attentive au début de la prise en charge du patient aussi bien de l’anamnèse pour une éventuelle positivité à des pathologies psychiatriques, en particulier la dépression, que des symptômes présents. En effet, ces aspects peuvent être tous les deux, pas forcément des authentiques « facteurs prédictifs » d’une évolution vers des situations critiques qui nécessiteront la sédation pharmacologique, mais au moins une donnée à ne pas sous-évaluer et un motif pour suivre le patient avec extrême attention depuis le début pour mettre en jeu toutes les mesures nécessaires afin d’éviter ou de retarder le plus possible l’aspect réfractaire des symptômes physiques ou psychiques.

45L’étude, par ses limites également (par exemple nombre des cas loin de pouvoir offrir des pourcentages conséquents, arc de temps limité à un peu plus de 12 mois, insertion exclusive de patients cancéreux) fait ressortir la nécessité d’une étude avec plus de patients. Le terme de sédation pharmacologique nécessite de se mettre d’accord sur la signification exacte des termes utilisés et donc de dissiper un bon nombre de malentendus; ces derniers, en effet, provoquent de nombreux questionnements éthiques, alourdissent la question et empêchent d’identifier une ligne de conduite commune qui, dans ce cas, est plus que jamais nécessaire. Seuls d’autres études cliniques et la confrontation ouverte le permettront.

46De plus, avoir conduit une étude uniquement sur des patients suivis à domicile pourrait d’un côté apparaître comme une limitation du sujet. Mais ceci a montré les avantages et les inconvénients de l’intervention à domicile: le rapport privilégié entre intervenant et membres de la famille permet d’éclaircir de façon précise la finalité réelle d’une intervention aussi délicate que la sédation pharmacologique; parmi les inconvénients, l’implication que l’équipe entière et les « care givers » doivent démontrer pour évaluer et réévaluer situations rapidement évolutives. Face à beaucoup de fatigue et à certains échecs, il nous est rarement paru d ‘avoir atteint un tel degré de proximité et de confiance réciproque entre équipe et membres de la famille que dans certains cas de patients sédatés. Il y a grand besoin d’études qui approfondissent ultérieurement ces aspects relationnels au domicile.

47Enfin, ce travail souligne encore une fois combien la sédation pharmacologique en soins palliatifs est une attitude qui doit rester exceptionnelle.

48En tout cas, il est toujours valable de dire, comme Beyeler et Rapin, « ne nous endormons pas et restons vigilants ».

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