Notes
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Article 1424-4 du code général des collectivités territoriales.
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Article L 121-3 du code pénal : « Il n’y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre. Toutefois, lorsque la loi le prévoit, il y a délit en cas de mise en danger délibérée de la personne d’autrui. Il y a également délit, lorsque la loi le prévoit, en cas de faute d’imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, s’il est établi que l’auteur des faits n’a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait. Dans le cas prévu par l’alinéa qui précède, les personnes physiques qui n’ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n’ont pas pris les mesures permettant de l’éviter, sont responsables pénalement s’il est établi qu’elles ont, soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité qu’elles ne pouvaient ignorer. Il n’y a point de contravention en cas de force majeure. »
Article L 4123-11 du code de la défense : « Sous réserve des dispositions du quatrième alinéa de l’article 121-3 du code pénal, les militaires ne peuvent être condamnés sur le fondement du troisième alinéa de ce même article pour des faits non intentionnels commis dans l’exercice de leurs fonctions que s’il est établi qu’ils n’ont pas accompli les diligences normales compte tenu de leurs compétences, du pouvoir et des moyens dont ils disposaient ainsi que des difficultés propres aux missions que la loi leur confie. » -
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Article 121-3 du code pénal dans sa version originale : « Il n’y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre. Toutefois, lorsque la loi le prévoit, il y a délit en cas d’imprudence, de négligence ou de mise en danger délibérée de la personne d’autrui. Il n’y a point de contravention en cas de force majeure. »
Article 121-3 du code pénal dans sa version actuelle (loi n° 96-393 du 13 mai 1996 art. 1 Journal officiel du 14 mai 1996) : « Il n’y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre. Toutefois, lorsque la loi le prévoit, il y a délit en cas de mise en danger délibérée de la personne d’autrui. Il y a également délit, lorsque la loi le prévoit, en cas d’imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou les règlements sauf si l’auteur des faits a accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait. Il n’y a point de contravention en cas de force majeure. »
1Dans le vieux Paris, le préfet de police est témoin par hasard d’un incendie qui vient juste d’éclater. Il s’agit d’un feu violent, mais d’importance relative, un « feu de capitaine ». Prévenu de sa présence, le général commandant la brigade se déplace et profite de la situation pour commenter l’engagement des secours au préfet, qui est aussi son chef, et répondre à ses questions.
« Mon général, pourquoi vos hommes cherchent-ils absolument à entrer dans l’immeuble avant que l’incendie ne soit éteint ?
« Parce que notre premier souci est de sauver les personnes bloquées à l’intérieur, et nous ne pouvons pas attendre d’avoir abattu les flammes pour cela, monsieur le préfet.
« Mais cette équipe en haut de la grande échelle, qui cherche à rentrer dans l’étage en feu, ne prend-elle pas de risques ?
« Cet abordage est en effet délicat, monsieur le préfet, mais l’escalier est effondré et cette manœuvre est le choix du capitaine. Si nous différons trop l’attaque du foyer, c’est l’immeuble entier qui va rapidement y passer, et probablement les immeubles voisins.
« Certes, mon général, mais cette équipe court-elle à votre avis un danger ?
« Sans aucun doute, monsieur le préfet, mais si nous ne consentons pas à cette prise de risque, quid des équipes de recherche et de sauvetage qui agissent au-dessus ? Quid des éventuels occupants bloqués dans leur chambre ?
« Vous avez raison, prions que tout se passe bien… »
3Cette anecdote, parfaitement authentique, a permis de mettre en lumière auprès d’un des principaux magistrats de la capitale un élément important, incontournable et dérangeant, et qui constitue la marque du commandement de terrain. Ce capitaine « au feu » de la Brigade de sapeurs pompiers de Paris (bspp), tout comme son camarade qui commande une unité d’infanterie engagée en opération de combat, est responsable de l’exposition de ses hommes à la mort. Tous deux sont soumis à l’incertitude d’une décision prise dans l’urgence. Ils ont en commun de décider sans connaître a priori tous les facteurs internes ou externes de l’action, que l’historien ou le juge s’emploiera, a posteriori, à rechercher et à décortiquer alors que, par définition, ces mêmes éléments restent parfois ignorés des acteurs.
4Dans un contexte croissant de sur médiatisation et de refus de l’inéluctable, les interventions des sapeurs-pompiers, tout comme celles des militaires sur les théâtres d’opérations extérieures, font invariablement suspecter une faute dès lors que les victimes n’ont pu être secourues, indemnes, d’un sinistre, ou qu’elles se soldent tragiquement dans les rangs des intervenants (dix militaires de la bspp sont « morts au feu » au cours des dix dernières années). Cette probabilité de mise en cause judiciaire génère le plus souvent interrogation et incompréhension de la part du commandement des opérations de secours, soumis à forte pression. La raison principale de ces réactions réside dans un sentiment qui s’assimile au ressenti d’une « double peine » : le chagrin lié à la perte de l’un des siens (ou d’une victime) ; le sentiment de se voir opposer la présomption de faute pour les choix effectués.
5Ce constat quelque peu polémique tient probablement à une évolution déterministe de nos sociétés, qui pourrait se résumer en une contractualisation du risque et de ses dommages. Il entraîne en outre un sentiment d’injustice chez le chef, qu’il soit, comme le pompier, contraint de choisir un chemin d’accès aux secours dans l’urgence d’un péril immédiat, ou, comme le fantassin, amené à ordonner la manœuvre dans un contexte aussi confus que celui de la guerre. Ce sentiment est par ailleurs renforcé par la difficile acculturation des professionnels de la loi pénale, peu familiarisés aux terribles incertitudes du commandement opérationnel.
6Toutefois, cet état de fait ne doit pas être vécu comme la fin d’un mythe d’irresponsabilité au même titre qu’il ne doit pas induire chez les intervenants des prises de décision timorées ou, à plus forte raison, une fuite des responsabilités. Or ces deux derniers points constituent indéniablement des risques majeurs pour les chefs militaires comme pour les pompiers. Pour autant, et que l’on ne s’y méprenne pas, cette réflexion n’a pas pour objet de susciter ce que d’aucuns appelleraient une recherche d’irresponsabilité pénale de principe des commandants d’opérations de secours (cos) ou des chefs militaires au combat, responsabilité à laquelle tous se soumettent humblement et sans se défausser. Il s’agit simplement de dresser un tableau succinct de cette évolution, sans la juger, ni commenter les décisions souveraines de nos juridictions.
La quête de la faute
7Si les missions propres aux militaires, telles que définies par le code de la défense, et celles des sapeurs-pompiers, telles que définies par le code général des collectivités territoriales, sont intrinsèquement différentes, il n’en demeure pas moins que, sur le terrain, elles se retrouvent dans la notion de commandement des opérations. Chez les sapeurs-pompiers, qu’ils soient civils ou militaires, l’organisation du commandement des opérations de secours (cos) est déterminée par un règlement : « Le commandant des opérations de secours désigné est chargé, sous l’autorité du directeur des opérations de secours (dos), de la mise en œuvre de tous les moyens publics et privés mobilisés pour l’accomplissement des opérations de secours. En cas de péril imminent, le commandant des opérations de secours prend les mesures nécessaires à la protection de la population et à la sécurité des personnels engagés. Il en rend compte au directeur des opérations de secours [1]. » Dans l’exemple cité précédemment, le capitaine était le cos et le préfet le dos.
8Si la population s’accorde à reconnaître la difficulté des missions effectuées quasi systématiquement dans l’urgence, il n’en demeure pas moins que les sapeurs-pompiers, qu’ils soient militaires, fonctionnaires ou volontaires, restent soumis, en cas de blessure ou de décès, aux règles de droit commun en matière d’engagement de la responsabilité pénale.
9Une notion juridique majeure est notamment susceptible d’engager la responsabilité pénale des intervenants : il s’agit de celle relative aux infractions non-intentionnelles pour homicides ou blessures involontaires [2]. Or cette notion a souvent été méconnue par les acteurs des secours. La raison tenait essentiellement au faible nombre des actions contentieuses menées à leur encontre, qu’il s’agisse des instructions pénales ou des constitutions de partie civile des victimes ou de leurs ayants droit, alors que, dans un même temps, la pénalisation des décisions des dirigeants publics et privés était largement amorcée.
10Ce décalage a été comblé par l’ouverture d’informations judiciaires à l’encontre de cadres de sapeurs-pompiers. La procédure est calquée sur celles relatives aux actes médicaux et aux décisions de dirigeants publics ou d’élus locaux. Les premières actions pénales ont été engagées à la suite de l’incendie d’une salle de danse à Saint-Laurent-du-Pont en 1970, au cours duquel cent quarante-six personnes trouvèrent la mort, des incendies des thermes de Barbotan en 1991, des inondations de Vaison-la-Romaine en 1992, de l’effondrement de la tribune du stade de Furiani en Haute-Corse en 1992, ou bien encore lors des noyades de la rivière du Drac en 1994.
11Des informations judiciaires se sont concrétisées lors de la condamnation en première instance pour homicide involontaire du cos lors de l’incendie de la raffinerie de Feyzin survenu le 4 janvier 1966, où dix-huit personnes périrent, puis lors de la condamnation sur le même motif avec circonstance atténuante de trois sapeurs-pompiers en 1972. Dans ce dernier cas, les secours étaient initialement intervenus pour une manœuvre de désincarcération d’un véhicule qui s’embrasa consécutivement à la mauvaise manipulation d’un outil de découpe par ces mêmes sapeurs-pompiers, peu aguerris à son utilisation. L’incendie entraîna le décès du conducteur, déjà grièvement blessé (jugement du tribunal de grande instance de Bar-le-Duc en date du 2 février 1972).
12Une autre décision, suivie d’un arrêt de la Cour de cassation, est venue confirmer la condamnation de deux cos au titre d’une infraction non-intentionnelle : le 26 février 2002, la chambre criminelle entérine la condamnation pour homicide involontaire d’un commandant de sapeurs-pompiers, ainsi que de l’un de ses sous-officiers, à respectivement vingt-quatre mois et quinze mois de prison assortis d’un sursis simple, au titre de l’homicide involontaire. Dans ce dossier, la condamnation fait suite à une intervention pour feu dans des pavillons de la commune de Basse-Terre en Guadeloupe. Les secours se sont vus reprocher d’avoir omis la reconnaissance de l’un des pavillons non touché par le feu, mais où la propagation des fumées toxiques s’est soldée par le décès de sept personnes.
13Néanmoins, ces exemples liés à la composante incendie du catalogue professionnel ne doivent pas occulter les autres cas possibles de mise en cause des sapeurs-pompiers. Ceux-ci impliquent tout autant les cas du secours à victime ou les avis formulés lors des commissions communales de sécurité que les décisions de l’autorité organisant le service, ainsi que les accidents corporels de la circulation liés à l’utilisation des véhicules de secours.
14Certains cos, conscients d’avoir rejoint le cortège infamant des chefs déchus, considèrent que la notion de prise de responsabilité dans l’urgence ne constitue plus un parapet face aux poursuites judiciaires dès lors que surviennent des conséquences tragiques. Force est de constater que ce raisonnement, heureusement souvent infirmé par une analyse approfondie de la jurisprudence, n’en demeure pas moins révélateur d’un cruel dilemme pour les secours. Banalisé, le cos est désormais susceptible de voir sa responsabilité engagée pour des décisions prises par action ou par omission, comme tout autre décideur de la société civile. Toutefois, à la différence de ces derniers, ses actions sont effectuées dans un contexte où les délais sont contraints et les circonstances ne sont connues que de manière partielle et souvent a posteriori. Il est difficile d’y parer de manière certaine par la seule expérience opérationnelle ou par la stricte application des règlements. C’est sur les conséquences qui résultent de cette subtile alchimie, celle de la prise de décision dans un contexte dégradé et bien peu propice à l’analyse rationnelle, que le juge pénal doit statuer, tout en respectant les éléments constitutifs des infractions.
15Dans un autre registre, la perte de dix camarades militaires le 18 août 2008 lors d’une embuscade dans la vallée d’Uzbeen, en Afghanistan, a été suivie d’une plainte contre X déposée devant le tribunal aux armées de Paris pour « mise en danger délibérée de la vie d’autrui » et orientée vers la contestation de l’organisation de la mission au cours de laquelle est survenu l’accrochage meurtrier. Cette procédure démontre, s’il était encore nécessaire de le souligner, qu’un pas de plus a été franchi dans la « judiciarisation » du théâtre des opérations, phénomène que les sapeurs-pompiers connaissent depuis longtemps. Une approche pragmatique de ce phénomène conduit tout naturellement à s’interroger sur les fondements de l’accroissement de ces mises en cause.
Le législateur face au refus croissant de nos sociétés à accepter la fatalité
16À l’évidence, la pénalisation croissante de notre société induit une augmentation du nombre d’auteurs de délits non-intentionnels, ce qui constitue aujourd’hui l’une des questions les plus prépondérantes de notre droit pénal. Dans nos sociétés, le fait que la mort dans des circonstances autres que naturelles ne puisse pas être rattachée à une faute, et par là même à une personne physique ou morale, semble ne plus pouvoir être envisageable. Le besoin légitime des familles de compréhension et de compassion, et parfois leurs réactions de révolte génèrent mécaniquement l’ouverture d’une information judiciaire en vue d’un procès et, in fine, l’identification d’un responsable condamné. Cette mise en cause est vécue comme une catharsis pour les proches du ou de la disparu(e) et permet d’amorcer le processus de deuil. Lors de la perte d’un être cher, l’idée même de fatalité ne peut plus être entendue, elle demeure insupportable, et la nécessité de comprendre ce qui s’est passé induit inconsciemment la notion de faute. Dès lors, lorsque les faits ne sont pas manichéens, la mécanique de la faute non-intentionnelle directe ou indirecte devient une solution. C’est également dans cet environnement passionnel et délicat que le juge pénal est chargé de statuer.
17L’infraction de délit non-intentionnel, communément appelée infraction involontaire, telle que définie à l’article 121-3 du code pénal, a fait l’objet de pas moins de trois modifications en dix ans, dont la dernière faisait suite à la réforme issue de la loi n° 2000-647 du 10 juillet 2000. Cette énième réforme traduit le caractère particulièrement délicat de la mise en œuvre de ces infractions. Les raisons de ces nécessaires modifications résidaient dans l’accroissement des mises en cause des élus locaux qui pouvaient être sanctionnés avec facilité sous l’emprise de la rédaction initiale [3], entraînant ainsi découragement et démobilisation.
18Cette nouvelle modification a rationalisé les conditions de mise en cause en raison d’un renforcement attendu des conditions d’engagement de la responsabilité pour faute non-intentionnelle, notamment en recentrant le manquement sur la notion de règlement. De plus, en cas de causalité directe entre la faute et le dommage, le juge est obligé de statuer au regard « des difficultés propres aux missions que la loi leur confie ». En encadrant la notion de causalité indirecte, le législateur mène le juge à une analyse complémentaire. Ainsi, en cas de causalité indirecte, la responsabilité ne pourra être engagée que si la faute présente un certain degré de gravité, c’est-à-dire « soit en cas de violation manifestement délibérée d’une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit une faute caractérisée, exposant autrui à un risque d’une particulière gravité, que l’auteur ne pouvait ignorer ». Cette dernière modification ne s’applique qu’aux personnes physiques et non aux personnes morales, qui restent pénalement responsables même si une faute simple a causé indirectement un dommage. Rappelons au passage que la réglementation française en matière de sécurité civile, réfractaire à toute approche « matricielle » des responsabilités, concentre le processus décisionnel sur deux personnes : le cos et le dos.
19Dans ce contexte, le juge répressif a eu à se prononcer sur la responsabilité pénale d’une personne morale, en l’occurrence un service départemental d’incendie et de secours, pour des faits remontant au 1er janvier 2002 : l’embrasement d’un sapin de Noël avait provoqué un incendie au deuxième étage d’un immeuble à Chambéry et le décès par asphyxie de deux occupants de l’appartement du troisième étage. La juridiction qui était amenée à s’interroger sur l’incidence négative du déroulement de l’intervention prononça finalement une relaxe de ce service, mais tous les cos de France ont senti le vent du boulet.
20Au même titre, le tribunal correctionnel de Tarascon se détermina en faveur d’une relaxe des sapeurs-pompiers poursuivis pour homicide et blessures involontaires dans le cadre du feu de la maternité de l’hôpital d’Arles. Dans les faits, une jeune femme âgée de vingt et un ans était décédée et son bébé de trois jours avait été grièvement blessé dans l’incendie survenu le 20 février 2003 dans l’enceinte de la maternité. Dans le cadre de cette affaire, seize personnes assurant diverses fonctions au sein de l’établissement hospitalier le jour du sinistre avaient été mises en examen, parmi lesquelles les trois sapeurs-pompiers ayant participé ce jour-là aux opérations de secours.
21A contrario, il serait fallacieux de considérer que l’issue heureuse de ces cas est synonyme d’amnistie. La condamnation précitée par la Cour de cassation suffit à en faire la preuve. À la bspp, depuis une dizaine d’années, trois militaires du corps ont été mis en examen pour des cas liés au secours à victime dans deux dossiers différents. L’un a été relaxé, alors que les deux autres sont toujours en attente de la clôture de l’instruction. Pour les cos, cette épée de Damoclès devient inéluctablement une autre variable d’appréciation de situation, au risque de démotiver l’engagement personnel dans une profession où la noblesse de cœur n’est pourtant pas sujette à caution.
La pénalisation de la mission : un risque à surmonter
22Comme le démontrent ces exemples, la « judiciarisation » de la société et de l’activité des secours s’intensifie. Cependant, la mise en accusation d’un cos nécessite la réunion de facteurs cumulatifs qui constituent des garde-fous à toute condamnation hâtive, sans pour autant nous épargner l’issue d’une sanction pénale.
23La recherche de responsabilité des acteurs publics n’est pas nouvelle et les secours se voient également attraits au titre de la responsabilité administrative pour faute. Toutefois, la mise en cause pénale reste vécue, de par sa portée dommageable, comme un sentiment inique d’opprobre pour qui s’engage avec abnégation dans des professions dont l’essence même est d’être au service d’autrui (80 % des pompiers de France sont des volontaires, cadres compris). Ceci, dans un contexte sociétal où le pompier tend à apparaître de plus en plus comme l’ultime recours, celui que l’on appelle pour tout et souvent n’importe quoi.
24La responsabilité à laquelle nous nous soumettons humblement, sans faillir à nos obligations, suscite néanmoins la hantise certaine de voir une action qualifiée de faute et déboucher sur une mise en examen. Cette perspective risque de se traduire par une certaine inhibition de l’action des chefs lors des interventions et, in fine, de provoquer une crise des vocations pour les fonctions de commandement, et ce dès les premiers échelons, tel celui de chef d’agrès (caporal-chef ou sergent). Or nos détracteurs zélés doivent convenir que l’exercice timoré des responsabilités de cos serait plus dommageable encore pour l’ensemble de la société que l’impossibilité, pour le requérant, d’obtenir une obligation de résultat à chaque intervention.
25Plutôt que de verser dans un pessimisme exagéré, il convient donc d’analyser avec recul ces procédures pénales à l’aune des dernières jurisprudences, pour s’apercevoir que mise en examen ne signifie pas immanquablement culpabilité. Ce constat n’enlève rien, cependant, au côté traumatisant d’une mise en examen, surtout lorsque celle-ci est vécue par un sous-officier subalterne souvent peu au fait des nuances et arguties juridiques.
26La messe est donc dite, il n’y aura pas d’impunité pour le cos. À partir de ce constat, notre profession, qui doit sans cesse s’adapter à toutes formes de risques, est-elle capable d’intégrer cette variable supplémentaire ? La réponse est oui, mais pas à n’importe quel prix.
27Tout d’abord, il nous appartient de faire l’analyse de ce nouveau risque, comme tout autre, en tâchant d’en connaître les tenants et les aboutissants, et surtout les modes de fonctionnement pour finalement en limiter les conséquences. C’est ainsi, tant pour les victimes que pour les biens, que le maintien obstiné de la formation professionnelle permanente (fpp) reste à la fois une vertu et la meilleure prévention qui soit contre le risque juridique. Toutefois, la fpp, pour nécessaire qu’elle soit, ne cesse d’élever le niveau d’exigence et devient paradoxalement un problème crucial pour les volontaires ou les réservistes, ces deux catégories n’étant pas objectivement disponibles pour une formation contraignante. De même, il faut veiller désormais à ce que nos règlements ne deviennent pas, à l’extrême, des guides du « tout rédigé tout paramétré », au risque de s’enfermer dans un carcan de règlements abscons, pléthoriques à force d’exhaustivité, voire contradictoires entre eux. Ce serait ainsi le meilleur chemin pour prêter le flanc à une critique certaine en cas de mise en cause par un juge friand de textes et de normes.
28Notons au passage que la première victime de la « judiciarisation » des faits et gestes des cos sera, à n’en pas douter, le très utile et estimable « retour d’expérience » (retex), dont on devine, en la déplorant, l’inévitable mise en danger. Néanmoins, a contrario, dans certains domaines comme l’organisation du service intérieur, les règlements d’emploi et de conduite des engins, la normalisation demeure salutaire, le véritable risque restant, dans ces cas, la méconnaissance des consignes par les agents.
29Au même titre, n’occultons pas le problème majeur de la prise d’appels par le centre de traitement des appels (cta 18) en matière de risque pénal, qui n’en est certainement qu’à son début. La fonction de « stationnaire » au cta doit impliquer un choix d’opérateurs formés, disposant d’outils d’aide à la décision adéquats, entérinés par une direction soucieuse de limiter au maximum le risque juridique encouru par les preneurs d’appels. Dans tous ces domaines, cités de manière non-exhaustive, le rôle du directeur des services d’incendie et de secours est prépondérant, car en cas de carence constatée sur intervention et imputable à un défaut d’organisation du service, son rôle ne serait pas plus enviable que celui d’un cos « cloué au pilori » des chefs défaits.
30L’environnement juridique omniprésent au quotidien entraîne donc des risques accrus pour les décideurs engagés dans l’action et soumis à l’incertitude sous la pression de l’urgence, qu’ils soient caporal preneur d’appel, capitaine cos ou général directeur des services d’incendie et de secours d’une mégapole urbaine. Tous sont sous la menace de la possible ouverture d’une information judiciaire, mais dont les issues sont heureusement, et la plupart du temps, souvent suivies d’un non-lieu ou d’une relaxe (mais jusqu’à quand ?). Le risque est là, les condamnations aussi, mais la jurisprudence rassure les cos. La mise en cause pénale de ces derniers n’en laisse pas moins un goût d’amertume à tous, y compris aux familles de victimes, sauf à espérer que le procès pénal une fois terminé, le temps aide à leur apaisement.
31Gageons que les cos sauront affronter les juges autrement que par la psychose, et qu’ils sauront s’adapter aux défis futurs de la « judiciarisation », et que nos contemporains entendront leurs interrogations. Dans l’attente, qu’ils soient convaincus que deux mots guident leurs actes : « courage » et « dévouement ».
Notes
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Article 1424-4 du code général des collectivités territoriales.
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Article L 121-3 du code pénal : « Il n’y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre. Toutefois, lorsque la loi le prévoit, il y a délit en cas de mise en danger délibérée de la personne d’autrui. Il y a également délit, lorsque la loi le prévoit, en cas de faute d’imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, s’il est établi que l’auteur des faits n’a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait. Dans le cas prévu par l’alinéa qui précède, les personnes physiques qui n’ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n’ont pas pris les mesures permettant de l’éviter, sont responsables pénalement s’il est établi qu’elles ont, soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité qu’elles ne pouvaient ignorer. Il n’y a point de contravention en cas de force majeure. »
Article L 4123-11 du code de la défense : « Sous réserve des dispositions du quatrième alinéa de l’article 121-3 du code pénal, les militaires ne peuvent être condamnés sur le fondement du troisième alinéa de ce même article pour des faits non intentionnels commis dans l’exercice de leurs fonctions que s’il est établi qu’ils n’ont pas accompli les diligences normales compte tenu de leurs compétences, du pouvoir et des moyens dont ils disposaient ainsi que des difficultés propres aux missions que la loi leur confie. » -
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Article 121-3 du code pénal dans sa version originale : « Il n’y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre. Toutefois, lorsque la loi le prévoit, il y a délit en cas d’imprudence, de négligence ou de mise en danger délibérée de la personne d’autrui. Il n’y a point de contravention en cas de force majeure. »
Article 121-3 du code pénal dans sa version actuelle (loi n° 96-393 du 13 mai 1996 art. 1 Journal officiel du 14 mai 1996) : « Il n’y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre. Toutefois, lorsque la loi le prévoit, il y a délit en cas de mise en danger délibérée de la personne d’autrui. Il y a également délit, lorsque la loi le prévoit, en cas d’imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou les règlements sauf si l’auteur des faits a accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait. Il n’y a point de contravention en cas de force majeure. »