1 Les Troubles de la Personnalité (Am. Psych. Ass. 1996), dans le cadre d’un continuum qui va du normal au pathologique, engendrent de l’inadaptation et une altération du fonctionnement social qui peut parfois porter à des actes qui dépassent les limites du code pénal. Ils peuvent s’insérer dans un cadre évolutif en continuum : par exemple, en partant d’un trouble de l’activité et de l’attention négligé pendant l’enfance (où les signes ne sont visibles que dans les résultats scolaires), ils peuvent donner lieu à un Trouble de la Conduite lors de l’adolescence (petits vols, destruction d’objets, non respect des règles, agressivité envers les personnes et les animaux) qui, sur la base de différents facteurs, peut évoluer à son tour en comportements antisociaux ou même en délinquance à l’âge adulte (Troubles de la Personnalité Antisociaux).
2 Nous nous focaliserons sur un cas qui fut catalogué comme un « abus sexuel » sur mineur par un mineur, un jeune garçon de 14 ans envers un autre de six ans, au cours duquel on a émis l’hypothèse que l’abuseur présumé était affecté d’un comportement déviant avec certaines des caractéristiques présentées ci-dessus.
3 Ce cas, que nous avons observé à travers la Consultation Technique et que nous raconterons à présent, montre de façon significative en quoi l’expertise, si elle est conduite avec humanité et sagesse, peut permettre d’éviter des séquelles dévastatrices pour toutes les parties impliquées, tant pour la victime que pour l’agresseur. Un trouble de la Personnalité peut être la cause de comportements sexuels déviants mais peut également en être la conséquence, non seulement sur celui qui le subit mais aussi sur celui qui l’effectue.
4 Il est difficile de trouver des données statistiques fiables sur le phénomène de l’abus en général et en particulier sur sa corrélation avec les Troubles de la Personnalité puisqu’il s’agit vraisemblablement d’un phénomène en grande partie souterrain. Depuis quelques années, on en entend parler beaucoup plus que par le passé, lorsque le sujet était tabou, et on peut se demander si c’est le nombre des crimes qui a effectivement augmenté ou bien seulement les plaintes et leur divulgation.
5 Nous devons être sensibles et attentifs à ne pas créer, à travers une criminalisation aveugle et un dévoilement médiatique qui confinerait au tapage, un ultérieur abus sur l’enfance qui serait de ce fait privée de son insouciance et de la période du jeu, ce qui serait à la base de troubles de la personnalité ultérieurs. Selon notre expérience, celui qui commet des abus est souvent un malade qui doit être soigné plutôt qu’être puni.
6 Remo est un jeune garçon de 17 ans à l’époque de l’observation, avec de bons résultats scolaires et un réseau d’amis solide, une famille appartenant à la classe moyenne/basse qui s’occupe bien de lui, sans précédents psychopathologiques connus ni déviances à son actif. Il fut accusé de « comportement impulsif non contrôlé » par Simone, un camarade de huit ans plus jeune que lui, qui passait souvent l’après-midi chez lui pour des raisons d’ordre familial. La plainte a été déposée après que Simone ait été pris en charge par un service spécialisé. L’accusation fut de lui avoir cassé plusieurs jeux de façon intentionnelle et répétée, d’avoir utilisé la violence verbale à son égard et de l’avoir contraint à des « jeux » sous la table au cours desquels il aurait subi une pénétration anale et aurait dû pratiquer une fellation. Cette situation aurait duré plusieurs mois, mais sans que l’on sache combien exactement.
7 Le tribunal avait ordonné une première Consultation Technique qui fut effectuée au moyen d’entretiens et de tests graphiques, où il est apparu que :
8 « Dans le monde interne [de Simone], le vécu psychique qui a émergé et qui peut se rapporter à des résultats traumatiques, est compatible avec une situation d’abus sexuel sur le mineur de la part de son camarade plus âgé ».
9 « La crédibilité de l’enfant a été […] ultérieurement démontrée par l’apparition d’angoisses spécifiques qui ont émergé dans le tissu narratif, au cours de la consultation ».
10 « Selon les récits des parents, la relation de Remo envers Simone se caractérisait par de l’agressivité, des impulsions destructrices et dépravées, ayant pour but d’atteindre l’enfant dans sa fragilité et par une volonté de bafouer verbalement. »
11 Au cours de la consultation, l’enfant a réélaboré le vécu du discrédit, insinué par son compagnon […] l’enfant a continué le récit, graphique et verbal, de ce qui lui était arrivé.
12 [Nous retenons] « donc que le vécu traumatique exprimé par l’enfant est compatible avec les faits d’abus qu’il rapporte. »
13 Une grande partie des déductions qui ont amené à cette conclusion ont été obtenues par l’interprétation de symboles apparus de façon plus ou moins rapprochée dans les tests graphiques. Si nous repensons au débat lancé au cours des conférences récentes tenues par Glen O. Gabbard à Milan et à Rome (Gabbard 2007), on peut se demander quel est le modèle théorique de référence qui a été pris comme base pour interpréter, par exemple, qu’« une arme destructrice » définie par Simone sur le dessin comme « un fusil » ait en réalité « la forme d’un pénis » et que celui qui la tienne soit l’agresseur (Remo). On peut aussi se demander à quelles procédures de contrôle, comme par exemple la supervision, la réponse contre-transférentielle de l’examinateur a été soumise, dans un contexte aussi riche de signifiés, de valeurs personnelles et collectives. De même, dans quelle mesure les questions de celui qui enquête ont-elles pu influencer les réponses de l’enfant ?
14 Les évaluations psychologiques et judiciaires de ce genre ont continué pendant plusieurs mois et même plusieurs années. Entre-temps, Remo, qui indique qu’il « essaie d’y penser le moins possible parce que ça lui gâche la vie », quitte sa petite amie à cause des émotions contradictoires causées par les événements, tente d’autres expériences sentimentales qui finissent avant d’avoir commencé, échoue à ses examens à l’école, arrête ses études et se trouve un petit travail très simple. Avec un énorme trop-plein d’angoisse pesant sur son Moi d’adolescent, mais en s’efforçant toujours de garder une vision du futur basée sur l’espérance. Simone ne s’en sort pas mieux, et les deux familles, en pleine crise d’identité, de confiance et de solidarité internes non plus ; sur les suggestions de ceux qui ont effectué les entretiens et les évaluations, Remo et sa famille, avec certes des dynamiques de désaccord, commencent à penser qu’une confession serait perçue lors du procès avec bienveillance, bien plus qu’une négation continue des faits, dans le cas où ceux-ci correspondraient à la vérité. Simone, lors des auditions protégées, se contredit plusieurs fois lorsqu’on lui demande de répéter ce qui est arrivé.
15 On arrive à une seconde Consultation Technique et à une évaluation d’experts qui, en approfondissant ultérieurement l’observation des phénomènes et en appliquant un ensemble de tests (Rorschach, TAT, CAT, Patte Noire, etc.) arrivent aux conclusions, toutes convergentes, que même si on ne peut exclure, dans l’absolu, que quelque chose puisse s’être passé, il est cependant impensable d’affirmer quoi que ce soit si on ne retrouve pas dans la personnalité de Remo des éléments probants, et pas seulement des traits génériques compatibles avec un abus. Dans l’enquête, on part donc à la recherche des circonstances, des caractéristiques de la personnalité de l’abuseur, et de ses motivations.
16 Les circonstances : selon les témoignages, il semble que Remo et Simone n’aient jamais été laissés seuls dans l’appartement. De plus, Simone a continué à vouloir fréquenter la maison de Remo, même après le début hypothétique de l’abus ; Simone ne présente pas les lésions que l’on pourrait s’attendre à trouver sur un enfant de six ans révolus dans le cas d’une pénétration anale et montre qu’il ne connaît pas les caractéristiques anatomiques du pénis de son camarade, comme cela devrait être le cas s’il avait pratiqué la fellation.
17 Les caractéristiques de la personnalité de Remo : sur la base de l’ensemble des tests effectués, il n’apparaît pas de signes de graves troubles du fonctionnement comme par exemple des conduites de type psychotique, le contact avec la réalité est intact, l’intelligence dans la norme. Il a eu un développement pubertaire normal avec des intérêts constants et exclusivement hétérosexuels réalisés de façon harmonieuse avec des jeunes filles du même âge (premier rapport sexuel à 14 ans, puis une autre expérience à 15 ans, toujours de façon satisfaisante, suivie par une relation stable) ; on peut observer, sur la base des tests effectués, qu’il a toujours manifesté et objectivé sa libido en l’orientant hétérosexuellement ; on peut alors se demander pourquoi il aurait recherché un enfant. Pourquoi de six ans ? Et pourquoi un petit garçon ? Si cela était effectivement arrivé, l’aurait-t-il fait une fois ou bien plusieurs fois ? Aurait-il eu un orgasme ? La composante homosexuelle aurait dû apparaître dans les tests, et si l’autre n’a pas participé ou n’a pas éprouvé de plaisir, il s’agirait d’un érotisme individualiste au cours duquel Remo n’aurait pensé qu’à lui. Rien de tout cela n’a été confirmé. En effet, la réponse obtenue grâce aux tests effectués n’a fait apparaître aucun élément fondamental qui permettrait de considérer comme vraisemblable l’accusation dont il a été l’objet : désirs pédophiles, tendance à comportements homosexuels, au niveau profond menaces de castration associées à des angoisses archaïques du registre oral, qui devraient représenter la pression pulsionnelle qui canalise la sexualité vers un être humain avec les caractéristiques de Simone. Mais si Remo n’a pas commis l’abus, comment expliquer les affirmations de Simone ? En considérant son très jeune âge, au moment ou les faits se seraient déroulés, et donc sa grande suggestibilité, on peut se demander dans quelle mesure il a pu être influencé par des éléments comme les questions posées lors de l’enquête (les réponses auraient pu être suggérées indirectement), des messages passés au niveau subliminal par les mass média, ses propres fantasmes conscients et inconscients.
18 Remo, au cours de ces événements, a consulté une psychologue pendant une période de quelques mois, en se soumettant, de plein gré et en collaborant activement, à la Consultation par le Rêve Éveillé (Passerini 2009) dans un objectif de soutien ; ses parents y ont également participé. Pendant cette brève expérience, au cours de la régression imaginaire induite par le Stimulus Perceptif (Image de départ), des contenus inconscients relatifs à la problématique réelle du moment ont apparu, et ce qui a émergé est compatible avec le fait d’avoir été victime d’une situation d’injustice.
19 À la suite de la manifestation d’un Rêve nocturne : « … J’avais une mobylette trafiquée », la thérapeute a proposé le :
20 S.P. « Un match truqué » :
21 « L’arbitre a été acheté… Les autres joueurs font une faute contre nous… L’arbitre l’annule par hors-jeu… et donne un pénalty à l’autre équipe… Quand on réussit à bloquer, il fait tout recommencer… (comment tu te sens)… en colère… (et toi, comment est-ce que tu joues ?)… Je suis le goal… –Il tourne la tête à droite et à gauche, il change de position, il se couvre les yeux avec le bras–… On se dispute, notre équipe se dispute avec l’autre équipe… La partie est suspendue… Je vais dans les vestiaires (comment tu te sens)… Maintenant je suis plus calme…. (qui a triché et pourquoi)… les autres, pour gagner… Je suis en colère… (qu’est-ce que tu veux faire)… avoir une mobylette et aller au pré et puis dans la forêt… Une voix d’homme me dit la route… à la montagne… (comment tu te sens)… Je suis heureux… Je passe le village, je monte… ».
22 État d’esprit : « d’abord en colère… ensuite plus calme ».
23 Observations : À partir d’une image extraite d’un rêve nocturne, on a proposé l’espace imaginaire créatif du Rêve-Éveillé dans lequel est apparu le conflit réel que Remo était en train de vivre mais où il pouvait y avoir condensation de phantasmes du passé. Les interventions de la thérapeute, entre parenthèses, ont pour but de soutenir l’expression, pour permettre à la tension excessive de s’objectiver. L’apparition du mouvement imaginatif spontané de montée « … […] pré… […] forêt… […] montagne… […] je suis heureux… je passe le village, je monte… » et l’état d’esprit « d’abord en colère… ensuite plus calme » sont l’effet du pouvoir de sublimation du Rêve-Éveillé (Desoille 1973) dans le franchissement d’un problème par une élévation du niveau de conscience (Jung, Wilhelm 1981).
24 En revenant sur l’accusation portée contre Remo, nous désirons conclure par une considération qui pourrait être une sorte de ligne de conduite lors de l’évaluation : quel type de sexualité peut-on lui attribuer, ou bien est-ce qu’il s’agit d’un épisode unique ? Vaut-il la peine de punir ou bien de venir en aide, dans l’hypothèse que ce dont il a été accusé soit réellement arrivé ?
25 Remo a été acquitté.
Bibliographie
BIBLIOGRAPHIE
- Am. Psych. Ass. (1996) DSM IV, Milano, Paris, Barcelone Masson
- Desoille R. (1973) Entretien sur le Rêve-Éveillé Dirigé en Psychothérapie, Paris, Payot
- Gabbard G.O. (2007) Vivere chiusi nel guscio di una noce, Int. J. Psychoanal., 88 : 559-74
- Jung C.G., Wilhelm R. (1981) Il segreto del fiore d’oro, Boringhieri, Torino
- Passerini A. (a cura di) (2009) Immaginario : cura e creatività. L’esperienza immaginativa dal neurone alla psicoterapia, Roma, Alpes
Mots-clés éditeurs : Expertise, Contre-transfert, Abus sexuel, Thérapie/punition, Trouble de la Personnalité, Rêve-Éveillé
Mise en ligne 01/04/2010
https://doi.org/10.3917/imin.024.0039