1La rencontre de nouvelles personnes est parfois le point de départ d’événements ou d’engagements. Cette expérience m’est arrivée à un moment de ma vie où je n’étais pas au mieux de ma vitalité et j’étais partie me ressourcer en Bretagne, dans ma famille.
2Là-bas, j’ai fait la connaissance de Jean-Pierre Habold, chef de projet site événementiel de course à la voile. Il assurait le suivi des bateaux, effectuait les classements, les contacts radio mais surtout il veillait de façon permanente sur les participants, prêt à mobiliser les secours en cas de problèmes en mer.
3Jean-Pierre s’était engagé à couvrir « Rames Guyane 2006 » un nouvel événement sportif. Cette course consistait à traverser l’Océan Atlantique à la rame, en solitaire, dans un bateau identique pour tous les participants.
4Une 1ère édition, un voyage sportif en solitaire, …ma curiosité a été aiguillonnée, cet ensemble d’éléments m’a attirée. J’ai décidé de participer à la 1ère course de « Rames Guyane 2006 », départ le 19 novembre 2006.
5Depuis quelque temps, j’étais en dépression nerveuse à cause de problèmes rencontrés dans mon travail et j’avais un accompagnement thérapeutique qui m’aidait beaucoup à les surmonter.
6Mon suivi et mon engagement dans la préparation de cette traversée ont redonné du sens à ma vie. Cela peu paraître insensé par rapport aux dangers auxquels j’allais m’exposer.
7Je voudrais tout d’abord expliquer quelles ont été mes motivations à vouloir m’inscrire dans cette course, puis comment j’ai progressé et quel bénéfice j’en tire aujourd’hui.
8Ce challenge m’a tout de suite attiré pour plusieurs raisons :
9Tout d’abord, j’allais être seule avec moi-même pendant ce voyage. Cette parenthèse avec le quotidien me permettrait de faire le point sur ma vie professionnelle à l’origine de ma dépression, et de mes choix de vie d’une façon plus générale.
10Puis cela allait me demander des efforts et j’espérais que cela m’aiderait à prendre confiance en moi. De nature assez réservée, ce serait l’occasion de me dépasser en osant solliciter des partenaires, sponsors, aides diverses. La réussite de ce projet pharaonique était un travail d’équipe et je devais sortir de ma carapace en allant vers les autres.
11Je ressentais également le besoin d’être reconnue, d’avoir ma place. Il y avait 14 concurrents dont 1 féminine et nous serions classés par ordre d’arrivée. J’ai eu l’occasion de découvrir l’ambiance des compétitions assez tardivement, en faisant du VTT et des marathons en rollers. L’ambiance m’avait plu. Cette compétition aux avirons serait un nouveau défi.
12Et enfin, il y avait le voyage, avec la traversée de la mer pour rallier deux continents. La traversée risquait d’être très éprouvante.
13Mon 1er grand voyage, je l’avais fait à l’âge de 4 ans. Ma mère m’avait envoyée par le train, vivre à la montagne chez une fermière. Je me suis alors retrouvée séparée de ma famille, seule et sans explication.
14Ce voyage-ci serait volontaire et la difficulté de l’épreuve risquait d’être aussi violente que mon 1er départ, lorsque j’étais petite fille. Il y a peut être là, une similitude.
15Lorsque j’ai expliqué mon projet à mes amis et à mes enfants, certains, comme mon fils, ont essayé de me convaincre de ne pas le faire… Ma fille était enthousiaste.
16Toutes ces personnes me connaissaient bien et savaient que j’irai jusqu’au bout. J’avais confiance et malgré leurs réticences, j’espérais pouvoir compter sur eux, en cas de besoin. Les difficultés qu’ils énuméraient, je ne les avais pas toutes envisagées et je les intégrais au fur et à mesure dans mon cahier des charges. Je serais très seule sur mon bateau, le lien amical et affectif me rattacherait à la terre.
17Ma démarche fut d’abord théorique. J’ai été prise de boulimie « livresque ». J’ai acheté et lu tous les récits des skippers ayant traversé l’Atlantique à la rame en solitaire : Anne Quéméré, Gérard D’Aboville, Maud Fontenoy, Peggy Bouchet. Je me suis imprégnée de leurs expériences, ils livraient de précieux conseils techniques. Maud Fontenoy avait fait construire son bateau dans le Val d’Oise tout prêt de chez moi, c’était encourageant, tout était possible.
18Enrichie de l’expérience de ces skippers, je me suis alors consacrée à la navigation.
19Je devais trouver un club d’aviron voulant bien inscrire une débutante en cours d’année, les équipes étant déjà constituées. Le Président du club d’aviron de Beaumont sur Oise a accepté, mais pas sans mal pour moi. En effet, j’ai passé des tests. Le mot « test » prend toute sa valeur. Visage fermé de l’entraîneur, épreuves physiques de « force », pas encourageant dans son discours : « il y a une chance sur deux que nous tombions à l’eau », indifférence après la séance… J’ai réussi ! Ce fut en quelque sorte, mon 1er coup d’aviron dans cette traversée. Je considère avoir atteint ce jour là, un de mes objectifs, « avoir ma place ». Cette étape a contribué à me donner confiance en moi.
20J’ai toujours fait du sport, c’est mon père qui m’a initié et m’a donné envie de pratiquer. Il avait fait beaucoup de vélo. Il a su, dans les quelques moments où nous étions ensemble, éveiller ma curiosité et me transmettre des valeurs comme l’honnêteté mais surtout le courage.
21Je faisais de l’aviron le week-end, un coach s’occupait de ma préparation physique générale les autres jours. Nous étions deux skippers à suivre cet entraînement, j’ai pu bénéficier de l’expérience de ce navigateur qui avait déjà fait plusieurs régates.
22J’ai également suivi des stages de formations à l’Ecole des Glénans pour être au point avec la navigation hauturière.
23Michel Horeau, l’organisateur de « Rames Guyane 2006 » m’a invitée à faire un essai sur le prototype. J’ai ramé plusieurs milles à la Trinité sur mer. Je craignais de ne pas avoir la force de faire sortir le bateau (400 kg) du port, d’être ballottée comme un bouchon sur les vagues. Toutes mes appréhensions se sont dissipées, j’ai été enchantée de ces premières sensations. Le bateau se manœuvrait facilement.
24Le seul aspect qui me déplaisait dans cette préparation c’était mes transformations corporelles. J’étais obligée de développer ma masse musculaire.
25La préparation physique étant en bonne voie, il me restait à trouver rapidement des fonds pour m’inscrire définitivement, faire fabriquer mon bateau et l’équiper. La recherche de sponsors a été particulièrement difficile.
26J’avais fait imprimer une plaquette publicitaire à l’intention des sponsors. Un ami chargé de communication et ma fille m’ont donné des conseils pour la mise en page. Mon 1er sponsor a été l’imprimeur, qui m’a fait une grosse remise sur les tirages.
27J’ai rencontré des skippers de la « Course du Rhum » ou « l’AG2R » qui m’ont expliqué comment « vendre mon projet ! ». Je n’avais pas d’expérience en marketing, l’entreprise n’était pas simple.
28Je m’étais fixée 2 limites qui pouvaient me faire renoncer à participer à la course « Rames Guyane 2006 », c’était le manque de sponsors ou les capacités physiques qui pouvaient me faire défaut. Le physique allait vraiment bien, j’avais une « pêche d’enfer » et le moral suivait. J’ai pris de l’assurance. Un exemple concret : dans le cadre de mon travail, je me suis inscrite à un concours et je l’ai réussi. Alors que les examens scolaires avaient toujours été des épreuves terribles, souvent suivies d’échecs.
29Plus jeune, on a mis en doute mes capacités à réussir ma scolarité. Cette blessure n’est pas apaisée, j’ai eu un parcours difficile mais lorsque je dois obtenir un diplôme ou passer un concours j’y vais. Je doute, il y a des actes manqués et pour finir ma persévérance paie, je réussis.
30Ces échecs et des souvenirs douloureux ont émergé pendant mon accompagnement psychologique.
31Cinq mois avant la date fixée pour le départ de la course, j’ai arrêté la thérapie, je n’en ressentais plus le besoin.
32Aujourd’hui je suis vraiment contente de l’avoir suivie. Je ne me sens plus la même.
33Cela m’a appris à me comprendre. J’étais réservée car j’étais obligée de garder le silence afin ne pas trahir ma mère, elle me disait « tu ne dois pas le dire à ton père » et moi j’avais peur de perdre l’amour de mon père. Maintenant, je ne me laisse plus enfermer dans les non-dits. J’ai parlé très pudiquement de cette course à un petit nombre de personnes, je ne voulais pas que l’on pense que je recherchais la médiatisation, le feu des projecteurs, car ce n’était vraiment pas mon but. Ou au contraire que je me préparais à une opération suicide.
34Le souvenir du voyage en train lorsque j’avais 4 ans, vers la montagne était plaisant dans mes souvenirs. Mais, la séparation d’avec ma famille, a été traumatisante. Je n’avais plus près de moi, du jour au lendemain, ni ma mère, ni mon père, ni ma sœur. J’étais confiée à une femme que je n’avais jamais vue, pour de longs mois. Ma mère avait décidé de ce départ : j’avais une petite santé et l’air pur me ferait du bien ! …
35Par la suite, j’ai fait de nombreux voyages avec mon père, nous avons sillonné la France pendant nos vacances. Partir ou voyager m’est toujours plaisant.
36Cette traversée était peut être inconsciemment un défiavec ma propre mère. J’allais affronter un océan, une mer, avec tous ses dangers pour rallier deux continents. L’entreprise n’était-elle pas à la dimension du traumatisme ? L’acte à réaliser était peut être fonction du dommage psychologique causé.
37En faisant cette traversée, je voulais être moi-même c’est-à-dire, Claude Dupuy-Hucherot, porter les noms de mes deux parents et les inscrire sur mon bateau. A ma naissance, ma mère m’avait reconnu avant mon père et je n’ai donc jamais porté le nom de mon père.
38J’ai aimé découvrir les réactions des gens. Des liens se tissaient au fur et à mesure comme le filet de sécurité pour le funambule. L’empressement à vouloir m’aider, a été une expérience fantastique. Il y avait tout de suite une petite lueur dans les regards lorsque j’expliquais aux gens ce que j’allais faire. Ils voulaient m’apporter leur savoir-faire.
39L’aventure est avant tout humaine dans ce genre de défi. C’est génial ! C’est vraiment fédérateur et très positif psychologiquement. Pour les gens, le rêve se concrétise, « ce n’est pas à la TV ». Tout cet allant autour de moi, contribuait à me faire prendre confiance en moi et me portait. Il y avait un effet boule de neige, je rencontrais une personne qui m’en faisait rencontrer cinq etc. Cela allait crescendo.
40Le cercle des personnes qui pensaient me connaître était curieux, intéressé et surpris. Quelqu’un m’a dit : « tu parais réservée, mais le choix de tes engagements est grand ».
41Les grandes aventures font rêver beaucoup de gens. Certaines personnes sont freinées par la peur. Peur de l’inconnu, peur de la solitude, je ne connais pas ces peurs, mais je ne m’engage pas de façon irréfléchie.
42Je suis très attirée par l’aventure, le défisportif et le voyage. Les 1ères éditions du « Paris Dakar » m’ont fait rêver. Je suis allée voir les prologues. Les exploits sportifs en mer dans lesquels des femmes participent, m’intéressent et me font vibrer (Florence Arthaud, Ellen MacArthur, Maud Fontenoy). J’ai aimé lire, Jean-Louis Etienne « le pôle intérieur » ou Mike Horne « Conquérant de l’impossible ». Je les envie, ils sont seuls face à l’adversité du milieu naturel.
43Je ne sais pas si c’est de l’inconscience de se lancer dans ces aventures, si cela à une origine inconsciente ? Y aurait-il quelque chose à « régler », un défi à relever ?
44Je ne ferai jamais cette traversée, l’aventure s’est arrêtée porte de Versailles le 6 juillet 2006 à 12 h 00. J’étais partie en vélo pour rejoindre Toulouse où habitait ma fille. Cela faisait partie de ma préparation physique.
45Je m’apprêtais à monter le boulevard Lefèvre, lorsque la chaîne de mon vélo a déraillé. Mon vélo est équipé de cales-pédales et je n’ai pas eu le temps de dégager mon pied droit, je suis tombée. Mon épaule a heurté une barrière de chantier. J’ai eu un très important traumatisme de l’épaule, les nerfs ont été touchés et ma main droite a été paralysée.
46Etait-ce un acte manqué ?!
47Aujourd’hui je sais que j’ai eu beaucoup de chance. J’ai retrouvé en 3 mois la capacité de ma main droite grâce à un ami kiné très compétant et grâce aussi à ma détermination. Je persévère pour récupérer la mobilité de mon épaule. Je suis restée en arrêt de travail pendant 6 mois.
48C’est ma « traversée… » et j’ai bon moral.
49A l’avenir !
50Je vais garder l’assurance acquise au cours des épreuves de cette aventure. Et j’espère avoir donner l’envie d’entreprendre à mes enfants.
51Je pars vers une autre aventure, celle-ci est professionnelle… C’est le choix du moment.