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Article de revue

Quand le créateur artistique ou littéraire passe à l'acte

Pages 101 à 117

Notes

  • [1]
    Il est évident que les rencontres que j’ai faites, les propos que j’ai recueillis, sont loin d’être exhaustifs. En particulier j’aurais aimé avoir un entretien avec un jazzman, être éclairée sur ce qu’il vit lorsqu’il prend son envol dans une improvisation. Cela ne m’a pas été possible.
  • [2]
    Notamment avec Ernest Gaillard, conservateur du musée de Cambrai, ou Auguste Herbin, peintre de l’abstraction géométrique.
  • [3]
    L’île Saint-Louis où se trouvait son atelier.
  • [4]
    Très nombreuses expositions de 1959 jusqu’à sa mort en 2001.
  • [5]
    Il s’agit généralement d’objets « de récupération » : des chaussures, une petite chaise, un vieux fauteuil, une bouilloire cabossée, une baignoire en zinc, etc.
  • [6]
    Nicole Fabre. L’inconscient de Descartes, Paris, Bayard, 2003.
  • [7]
    Merci à Frédéric Hubert pour l’aide qu’il m’a apportée dans cette recherche.

Propos recueillis par Nicole Fabre

1Qu’il s’agisse d’écrire, de peindre, de sculpter, de mettre en scène, d’interpréter, d’improviser, il y a passage à l’acte de création à un moment précis du processus de création. En d’autres termes, le processus de création déborde largement l’acte qui signe la création et sans lequel nous ne saurions parler de création. Blanchot, dans son ouvrage De Kafka à Kafka, écrit que l’écrivain « n’existe qu’à partir de l’œuvre », mais alors, s’interroge-t-il : « comment l’œuvre peut-elle exister ? » D’où la nécessité absolue, la certitude qu’il faut absolument et immédiatement passer à l’acte. « C’est le mouvement parfait par lequel ce qui au-dedans n’était rien, est venu dans la réalité monumentale du dehors, comme quelque chose de nécessairement vrai, comme une traduction nécessairement fidèle, puisque celui qu’elle traduit n’existe que par elle et qu’en elle ».

2J’ai souhaité éclairer ce moment, cet instant de la mise en acte et pour cela interroger quelques créateurs qui ont accepté de m’aider dans ma réflexion [1].

3L’orientation que j’ai donnée à nos échanges concernait très précisément le moment du passage à l’acte. Mais avec chacun de mes interlocuteurs il est apparu qu’il était nécessaire d’évoquer le temps qui précède ou entoure ce passage à l’acte. Je vais donc tenter de rendre compte de ces entretiens au plus près de ce qui m’a été dit. On verra que certains de mes interlocuteurs ont été laconiques; d’autres analysent ou racontent plus longuement. Un moment bien particulier a été l’entretien que j’ai eu avec André Le Bozec, collectionneur qui m’a parlé du mode de création de Guy de Lussigny, peintre. Je lui ai également demandé, à l’occasion de l’importante donation qu’il vient de faire à plusieurs grands musées du nord de la France (Cambrai, Le Cateau-Cambrésis) comment il avait pris la décision d’offrir au regard d’un large public nécessairement inconnu une collection construite dans un projet personnel au long de trente années.

André Le Bozec parle de Guy de Lussigny

4Notre entretien débute par deux affirmations : « Le créateur nous est nécessaire », et « c’est la passion qui permet aux créateurs de créer, d’imposer pensées et actes ». Ces phrases, je pourrais les mettre en exergue à cet article.

5Pour pouvoir parler de Guy de Lussigny dans l’acte créateur, André Le Bozec le situe d’abord dans sa vie. Un homme du Nord, né à Cambrai, dans une famille de commerçants actifs, inventifs, courageux mais qui n’avaient nullement le projet d’avoir un fils artiste. Un jeune homme qui avec ses professeurs de musique ou de peinture, s’est sans cesse battu pour imposer son goût de la modernité ». Finalement, dit André Le Bozec, « il était un autodidacte. Ce n’est pas l’ambiance familiale qui l’a conduit à peindre. C’est lui, lui-même. Il voulait peindre. Il aimait peindre. Il avait une curiosité contemporaine… Ses rencontres [2] lui ont fait comprendre qu’il lui fallait travailler seul. Il avait une boulimie de voir, de connaître, d’apprendre ce qui s’était fait avant lui. »

6Ecoutant André, je vois cette activité comme autant de passages à l’acte venant nourrir le peintre qu’il est devenu. Il avait aussi une boulimie de lumière, lui, l’homme du Nord « qui a fait du Sud et plus précisément de l’Italie une deuxième patrie. »

7André poursuit : « Quand il faisait des séjours en Italie ou à Grimaud, il faisait son marché de couleurs. En Italie, il allait à San Gimignano. C’était pour y travailler la peinture. Pendant quarante ans, il y est allé. Il y faisait des gouaches. » A suivre André dans ses évocations de Guy de Lussigny, j’imagine un homme toujours jeune, même si le temps avance, un homme qui ne cesse de mettre en acte ce que lui inspirent ses observations, ses désirs, sa curiosité.

8Cependant j’interroge André plus précisément : « comment se passait le moment où il se mettait à une peinture ? » André Le Bozec raconte : « Comme les gens qui veulent faire une œuvre, il s’imposait une règle de vie. Quand il était à Paris, il partait le matin de bonne heure faire des courses alimentaires. Puis il allait à son atelier jusqu’à une heure de l’après-midi. Il déjeunait rapidement, légèrement, buvait de l’eau. C’était frugal. Il faisait la sieste, retournait à l’atelier jusqu’à cinq ou six heures, faisait une promenade autour de l’île [3], lisait le journal, écoutait de la musique… Il avait besoin de cette musique. Il avait besoin de son piano. Tout son travail de peintre, il le faisait en écoutant de la musique. Cela faisait partie de son mode de travail.

9En voyage, il pouvait ne pas travailler, mais quand il revenait d’un voyage dépaysant, il y avait une période de réadaptation ou, pendant une ou deux semaines, il cherchait. Il lui fallait du temps pour se réimprégner. »

10André Le Bozec évoque alors un aspect auquel je n’aurais pas pensé mais qui rejoint d’autres témoignages sous des aspects différents; c’est la question du vide et du plein concernant justement la nécessité du passage à l’acte comme pour emplir le vide insupportable.

11

« Lorsqu’une exposition allait se faire [4], ses œuvres sortaient. Alors c’était le vide. Il se sentait vide. Les œuvres, ce sont des garde-fous. Quand elles n’étaient plus là, arrivait une sorte d’absence d’envie de travailler. Et puis au bout de quelques jours, c’était la volonté de remplir le vide laissé par les œuvres parties. Les œuvres parties exigeaient le travail pour tout remplir à nouveau. Et quand les œuvres revenaient, c’était le trop plein. Il fallait leur retrouver de la place. Il y avait des moments de doute, de remise en question. L’œuvre qui est partie, qui a été exposée, a été vue par d’autres personnes. Alors, le créateur qui auparavant la voyait seul a un autre regard… C’est dangereux de sortir l’œuvre, de la sortir, de la montrer. Mais c’est absolument nécessaire pour pouvoir à nouveau créer. »

12C’est alors que le collectionneur va parler de lui, de ses propres étapes de vie face aux œuvres, de ses propres passages à l’acte.

André Le Bozec, collectionneur

13L’exposition faite au musée de Cambrai (du 6 décembre 2004 au 31 mars 2004) de ce qui allait devenir la donation d’André Le Bozec a été présentée sous le titre : L’abstraction géométrique vécue : rencontre entre un peintre et un collectionneur.

14Un fragment du texte de présentation est éclairant et marque le lien entre la présentation faite par André Le Bozec de Guy de Lussigny et la présentation d’Alain Le Bozec tel que je le perçois, ayant fait et continuant de faire œuvre, avec la scansion des passages à l’acte.

15

« Certaines œuvres de l’artiste Guy de Lussigny (Cambrai 1929-Paris 2001) ont toujours été gardées secrètes. Elles alimentaient une réflexion créatrice, ponctuée de repères et de jalons. Elles étaient le témoignage d’une évolution. Le choix opéré parmi elles cherche à mettre en évidence les liens entretenus par le peintre avec la grande famille du courant d’Abstraction Géométrique.
Dès 1970 et jusqu’en 2003, André Le Bozec rassemble des œuvres d’Abstraction Géométrique qui vont être acquises au fur et à mesure de l’évolution de ce mouvement. Sa sensibilité se nourrit au quotidien d’échanges et d’émotions avec l’œuvre de l’artiste Guy de Lussigny. Elle l’a entraîné dans l’aventure de cette collection d’envergure européenne. »

16André dit la force de sa rencontre avec Guy de Lussigny. « J’ai rencontré quelqu’un qui était un artiste, un créateur. Il m’a appris à voir. J’ai pu acheter les œuvres. Je les montrais à Guy, je tenais compte de ses avis. »

17Puis André évoque le premier accrochage qu’il a fait de quelques œuvres de sa collection dans la maison qu’il venait d’acquérir. Il dit son émotion d’alors : « C’était l’accrochage d’un collectionneur, je ne m’étais pas trompé ! »

18Cette émotion très largement renouvelée, amplifiée, il dit l’avoir éprouvée lorsqu’ayant décidé de faire don au musée de Cambrai d’une grande partie de sa collection (nouveau passage à l’acte) il installe lui-même la salle qu’il appellera la Salle silencieuse. « Ma grande émotion, ma grande joie, c’est quand j’ai vu toute ma collection alignée. C’était la première fois de ma vie que je voyais toute ma collection accrochée ! Tous mes amis, et aussi les visiteurs, ce qui les a touchés, ce qui leur a donné le choc révélateur, c’était de rencontrer une collection qui avait le mérite d’être très personnelle… Une collection de plus de trente ans. Et je montrais l’abstraction géométrique dans sa partie la moins violente, la plus sereine possible. La Salle silencieuse, je l’ai appelée comme ça parce que les gens qui y entraient, spontanément parlaient tout doucement. »

19Il poursuit : « j’ai acheté des œuvres pour les avoir pour moi. Quand j’achetais c’était parce que, à ce moment-là, l’œuvre me plaisait. Je n’ai jamais acheté un nom. Et toutes ces œuvres, il fallait que ça rentre dans la maison sans se disputer. C’est ce qui explique la ligne, ce chemin dans la même direction. Et c’est là mon œuvre. Quand j’ai vu ça sur les murs, j’étais ému, j’ai pleuré. C’était une grande part de moi-même, là ! toute une partie de ma vie qui était là sur les murs. J’ai décidé que c’était donné. Il fallait que ça reste. »

20Comme je lui demande comment on peut tout donner, se séparer de ce qu’on a ainsi collectionné, il dit qu’il avait l’intention de faire cette donation. Mais que c’est la conscience de la fragilité de la vie qui lui a fait prendre sa décision maintenant : « il vaut mieux faire les choses de son vivant. On ne doit pas laisser passer cette chance de faire une chose forte… Mais si on n’a pas des gens de qualité pour recevoir, alors on ne peut pas donner. C’est la rencontre avec un homme désireux d’assurer à un moment où la ville était prête à recevoir un don, à le développer, qui m’a permis de décider.[…] J’avais, avant la mort de Guy, préparé avec lui une exposition qui était prévue et qui était encore accrochée quand il est mort. Dans les mois qui ont précédé sa mort, il a fait vingt tableaux. Ce sont des œuvres de joie. Sa dernière toile est jaune, comme un soleil. Quand on crée une œuvre, jusqu’à la fin on est au travail. Les mauvaises conditions physiques, c’est une chose, la création, c’est autre chose.[…] Parlant de sa mort qui venait, Guy m’a dit : « c’est dommage ! J’ai tellement d’œuvres dans la tête ! »

21L’entretien avec André Le Bozec m’a beaucoup émue, beaucoup appris. J’achèverai cette évocation en citant Frédéric Vitoux, académicien, qui lui a rendu hommage avec grande amitié lorsque lui était remise la médaille de Chevalier des Arts et des Lettres le 4 décembre 2004, au Musée de Cambrai :

22

« Faut-il décorer, honorer en général les artistes ? dit F. Vitoux. Sans doute. Mais après tout, ils ne s’adonnent j’allais dire égoïstement qu’à leur passion, qu’à leur exigence, leur vocation. Je crois beaucoup plus nécessaire de rendre solennellement hommage à des êtres comme André Le Bozec qui, avec un altruisme, un dévouement, une générosité peu commune, se mettent au service de la culture, font connaître des œuvres, des artistes, des sensibilités nouvelles, se font pédagogues, mécènes et passeurs, se dépensent sans compter, vont jusqu’à faire don de leurs collections à des musées, à des communautés comme ici, à Cambrai. »

Julius Baltazar, peintre

23Je demande à Julius Baltazar de me parler de « comment il crée. Comment se passe le moment où il passe à l’acte de réalisation. » Et bien sûr, il commence par parler du moment où il ne peint pas. Tout son discours va être une navigation entre les moments sans réalisation et ces moments heureux du passage à l’acte créateur. A la jouissance de la création. Il parle, et son discours s’écoule comme un fleuve :
« Tu accumules des choses sans t’en rendre compte. Tu sais pas quoi… Je peins quelques mois dans l’année. Un jour, tu prends ton pinceau et puis ça sort. C’est comme un état de grâce. T’as un besoin; ça sort !

24Avant, tu fais des choses et ça sort pas. Dans ce temps-là, je ne fais rien. Il y a un côté tactile. J’ai besoin de tourner dans l’atelier, de toucher. T’écoutes de la musique… Tu te dis : je suis pas prêt. Je suis comme les Taoïstes… C’est comme une accumulation de sensations. Les Taoïstes prennent l’encre dans la bouche, la gardent longtemps et puis, tout d’un coup, ils la crachent sur la toile. Là, y a un besoin, une frénésie et tu t’arrêtes plus !… C’est comme un truc qui ne s’arrêterait plus…

25A un moment, tu t’arrêtes, il faut bien. Et après, tu as du mal à reprendre. En musique on fait des gammes. Là, les gammes sont dans la tête. C’est accumuler des choses, des sensations. C’est difficile ! Si je savais dire ça, je l’écrirais. Mais tu peux pas décrire ça.

26Un peintre figuratif, peut-être il sait. Mais moi, là, tu vois, tu es guidé par des choses de l’inconscient… Quand tu as fini de tourner en rond, subitement y a une porte de sortie… Finalement voilà, tu peux t’échapper !

27Tu vis un moment de folie; ça n’a rien de cohérent, rien d’explicable. Je ne peux pas plus expliquer les moments où je ne peins pas que les moments où je peins. Quand je ne peins pas, je suis un peu dépressif. Quand je peins, je suis dans un état d’être peintre. Avant, je suis dans un état où je me prépare à être peintre.

28On me dit : fais quelque chose ! Alors je lis. J’ai cinq ou six livres en route. J’arrive pas à me fixer. J’essaie de peindre : y a rien qui sort. Je parle à mon chien. Je lui demande ce qu’il en pense… Ce qui t’entoure, c’est très important… Je tourne. […] Par moments, je me dis : « Oh la la ! Là, j’ai un truc formidable ! » Hop, c’est bon. C’est dans un état divin, un état de grâce. Hop ! ça y est ! Et là, tu sais quand t’arrêter… Tu as de grands vides. Tu remplis pas l’espace. C’est bien comme ça. C’est comme le souffle. Un geste, seulement un geste. C’est ça. Européen, par culture tu as tendance à remplir la toile; les Asiatiques non.

29Tu as des moments comme ça : il faut pas t’arrêter, surtout pas, sauf t’arrêter jusque quand il faut.

30Dans la création on est des gens paresseux et on est dans l’urgence. Il y a un moment où il faut que tu la fasses, la chose ! Absolument.

31La création ça a à voir avec le désir et avec la sexualité. On peut désirer et ne pas concrétiser. Dans la sexualité tu as le désir et quelquefois tu peux pas… L’acte de peindre c’est très sexuel, et c’est un plaisir aussi grand que le plaisir sexuel.

32La création c’est mystérieux. Moi, c’est l’acte qui m’importe, l’acte de peindre. Je suis content quand je crée. Alors je peux pas être déçu !

Michel Massé, auteur-metteur en scène et acteur

33J’interroge Michel Massé : « Pour toi, ta création, ça se passe comment ? » et je n’ai plus besoin d’intervenir. Je l’écoute :
« Depuis trente ans, il y a ce qui m’anime chaque fois : après la Première (c’est-à-dire quand le spectacle est fait) je pleure. Parce que je suis dans l’impossibilité totale de savoir, d’analyser ce qui s’est passé, comment je l’ai fait.

34Chaque fois qu’on me demande comment je crée le spectacle, je dis que je ne peux pas répondre. D’où le sentiment que je ne serai plus capable de le faire parce que je ne sais pas comment je l’ai fait.

35Si je pense à « l’action », c’est un état de peur, de brouillard, d’angoisse. Le sentiment d’être plein de quelque chose que je ne connais pas; ça fait peur parce que je ne connais pas. J’ai dans la tête des images, des objets, des costumes, des idées, dont je suis sûr que ça fera partie de la création mais sans savoir comment, de quelle façon.

36D’où insomnies. Nécessité de me lever pour aller écrire une chose qui me paraît essentielle et qui peut-être semblera anodine. J’ai des portes dans la tête, et des clés, mais je ne sais pas lesquelles ouvrent quoi.

37Je ne travaille pas seul quand je crée un spectacle. Le passage à l’acte, c’est quand je sais dire oui ou non à l’acteur, à la proposition d’un acteur, quand j’ai la certitude devant un mouvement d’acteur que ça, je vais le garder. Sans savoir pourquoi. Mais c’est sûr.

38Il y a des moments, devant un geste, une attitude, des mots, une phrase, je dis oui. Oui à un acteur. Et c’est pareil pour les objets [5]. On sort des objets, des tas d’objets. Celui-là, oui, celui-là, non. Et je ne sais pas pourquoi. Pareil avec des propositions de voix, de musique. Il y a une musique, tout d’un coup je dis non. Et je ne sais pas pourquoi. C’est une certitude, et je ne sais pas pourquoi.

39Il y a une proposition, elle est bonne, elle est juste, mais celle-là je n’en veux pas. Je n’en veux pas, mais je suis toujours dans l’inconnu.

40Ce n’est pas un passage à l’acte mais plusieurs passages à l’acte successifs. Il me faut des temps de latence entre des moments forts.

41Il y a un moment fort. Tout d’un coup, ça s’arrête. Je patauge, ça va mûrir. On termine, on passe, ça reviendra plus tard. Ce n’est pas jeté, mais c’est un virage. Ces virages me permettent d’aller jusqu’au bout de l’acte, c’est-à-dire de l’œuvre.

42Le moment de « patauge » est un moment où je me trouve comme devant les pièces d’un immense puzzle dont je n’ai aucune idée du résultat. C’est comme si je faisais un puzzle dont j’ai les pièces mais pas le modèle. Ça ressemble parfois à une enquête policière où j’aurais une somme d’indices. Je sais que la solution est cachée derrière.

43Les passages à l’acte viennent peut-être quand deux ou trois pièces s’emboîtent sans logique apparente mais où je sens, je sais qu’il s’agit d’une chose juste.

44Puis le brouillard se réinstalle. Et c’est très douloureux.

45Après avoir travaillé une semaine avec les acteurs, la vision d’un tableau, d’une image, un film, un spectacle qui n’a apparemment aucun rapport avec ce que je cherche ou fais m’éclaire tout à coup sur l’autre monde où je suis perdu. C’est comme si une abeille, de l’extérieur, déposait un pollen nécessaire à l’éclosion de la graine. Ça, cette chose, ça déclenche le passage à l’acte. Quelque chose qui n’a rien à voir apparemment avec le désir de réveiller en moi quelque chose. Vite, je sors, je vais écrire, dans un coin.

46Il faut que j’oublie mes savoirs dans les périodes fécondes. La culture théâtrale au moment où je passe à l’acte, il faut que je l’oublie. Il y a une amnésie nécessaire pour pouvoir passer à l’acte. Le vrai créateur peut croire ne rien savoir et peut-être ne doit rien savoir au moment où il crée. Le savoir est important. Mais au moment de l’acte, il faut que je retombe dans l’amnésie.

47Quand j’entre sur scène en tant qu’acteur, j’ai besoin d’être seul dans ma loge. L’échauffement pendant quelques heures, c’est faire le vide. Il faut que je sois vide pour entrer en scène. Pour être totalement plein juste avant d’entrer sur scène, il faut avoir fait le vide. »

Suzanne Prou, écrivain

48Comment ne pas évoquer les conversations fréquentes que j’ai eues avec ma sœur Suzanne Prou ? Dès qu’elle avait achevé un roman, qu’elle l’avait remis à son éditeur, elle plongeait dans un sentiment de vide et d’inutilité.
« C’est peut-être le dernier ». Je lui disais : « c’est la dépression post partum! » Elle répondait que c’était un sentiment profond. « Peut-être je ne pourrai plus écrire. » Cela durait quelques semaines. Puis cela s’apaisait. Elle jouissait du succès des livres. Au bout de quelque temps, elle avait envie d’écrire, mais c’était toujours le même vide, angoissant. La machine à écrire, une vieille petite Hermès, restait dans son placard. « Je tourne, je vire, je fais n’importe quoi. » Cela durait parfois longtemps. « Et puis à un moment il y a une phrase. Une phrase me tourne dans la tête. Ça tourne. Ça se répète. Je sors la machine… ça y est. » Elle écrivait chaque matin, « mais il me faut cette phrase qui vient, qui reste, qui tourne, la première phrase. »

Marie Nimier, écrivain

49C’est très brièvement que Marie Nimier répondra à mes questions. Elle dit que dans le temps qui précède immédiatement la réalisation, elle prend beaucoup de notes : « Je prends des notes, beaucoup, je les relis, je les découpe, je les classe, je les déclasse, je les recopie…

50Le moment du passage à l’écriture est souvent précédé d’une sensation de grand vide, d’impuissance (« je n’y arriverai jamais »). Il y a cette idée (qui n’est pas seulement une idée) que les premiers mots, les premières pages d’un texte lui donnent sa couleur, et qu’il ne faut pas rater ce rendez-vous là. »

51Comme je lui demande s’il y a, pour elle, des conditions déclenchantes de ce passage à l’acte d’écriture elle dit sa nécessité : « il faut du vide, du silence, du temps devant soi ». Et elle décrit ce qui suit : « Soulagement et déception (ce n’est que ça), déception qui se dissoudra un peu dans le travail des mots, jour après jour. »

Odile Massé, écrivain et actrice

52J’interroge Odile Massé sur ce qui se passe pour elle dans le temps qui précède le passage à la réalisation, le passage à l’acte d’écriture :

53

« Avant le passage à l’acte, c’est très vide. Et plein de la nécessité de combler ce vide, c’est-à-dire de la nécessité d’occuper le temps : je m’affaire à des choses sans intérêt, je prends des notes, j’écris des débuts qui, je le sais (et c’est généralement confirmé plus tard), n’auront pas de suite…
C’est comme s’il y avait une nécessité qui n’a pas encore d’objet : nécessité d’écrire, nécessité de se mettre à sa table de travail, nécessité de regarder le ciel, d’écouter des oiseaux, d’être au silence… mais pour quoi ? ça, je ne le sais pas encore.
Ces moments de vide sont affreusement inconfortables. Angoissants (« Ai-je encore quelque chose à dire ? »). C’est pour ça que je les comble avec des leurres : s’asseoir à une table de travail, même si c’est pour ne rien faire (mais quand on se lève de là, on n’est pas très fière de soi), faire de la cuisine, voir des gens, réorganiser la bibliothèque, déménager des meubles, réparer des machins qui traînent, essuyer la poussière là où ce n’est jamais fait…
Tout ça est très bête, parfois satisfaisant, ça peut être, et c’est paradoxal, une manière de faire le vide pour combler le vide, on ne sait jamais quand ça va s’arrêter, c’est douloureux, je n’aime pas ça du tout.
Il y a l’envie, aussi, de tout laisser tomber : d’aller me promener, de ne plus penser à rien. Et alors, ce qui a été fait avant paraît à la fois inaccessible (« Comment ai-je pu y arriver ? ») et parfaitement vain (« Est-ce vraiment utile de se donner tant de mal ? A quoi ça sert, tout ça ? Est-ce que ce que j’ai fait avant a une quelconque valeur ? »).
Bref, ce n’est pas très agréable.
Il n’y a plus aucune certitude de rien, rien à quoi s’accrocher, si ce n’est au concret le plus banal, dont on se lasse vite, mais c’est comme si on cherchait une sorte d’anesthésie à cette douleur du vide : ne pas penser, ne pas savoir, ne pas sentir, ne plus rien savoir de soi ni de ce qui se passe dans ce fond qu’on n’arrive pas à atteindre ni à faire émerger. Une part de soi pratique la plongée en apnée sans savoir si elle remontera, ni quand, et l’autre part ne supporte plus cette attente et se distrait comme elle peut en tournant le dos. »

54Je lui demande alors s’il y a des facteurs, des conditions de déclenchement du passage à l’acte, de quelle façon cela advient :

55

« Le passage est toujours brutal, inattendu, et on ne sait même pas le reconnaître quand il arrive, parce qu’il est souvent très petit et discret : ce n’est qu’après qu’on peut se dire que c’était le passage qu’on vient de traverser. C’est un peu dommage, on n’a même pas le temps de s’en réjouir…
C’est une phrase, un rythme, un mot qui tourne, un petit moment de vie qui tout d’un coup nécessite d’être raconté. Ça devient urgent, le mot entraîne la phrase qui en entraîne une autre, ça fabrique des images qui prennent corps, qui deviennent évidentes. Mais on ne sait pas encore si ça va durer, ni que ça va durer. Ce n’est que lorsqu’on est dedans qu’on sait, qu’on croit savoir que c’est là.
C’est comme si, dans cette plongée en apnée, soudain on s’apercevait qu’on peut se mouvoir aisément, respirer, remonter, redescendre – être libre. Et on oublie vite comme c’était douloureux avant; c’est pour ça que le moment précis du passage est très difficile à repérer : on ne le voit pas venir, on ne l’identifie qu’après coup, et il n’est jamais le même.
C’est aussi comme si, avant, quelque chose tournait sans avoir de forme, quelque chose dont on ne sait pas que ça tourne. Et quand ça prend forme, hop ! on est emporté dedans, ça devient un mouvement dont on fait partie tout en le créant, qui ne doit pas s’interrompre et qui doit aller au bout de lui-même. »

56Je lui demande ce qu’elle ressent à ce moment-là :

57

« Au moment précis du passage à l’acte, il n’y a rien : c’est une tentative de plus. Ce n’est qu’après que tout d’un coup tout change. Ou plutôt, que tout est changé, ou a changé.
Soudain, cette nécessité de faire des choses, d’écrire des choses apparemment inutiles et insignifiantes prend sens : des choses éparses semblent s’organiser, avoir une parenté, pouvoir être rapprochées les unes des autres, le sens (un sens) apparaît – et alors on entre dans une autre phase, où la certitude mène le jeu. J’appellerais ça la phase positive, quand on a la sensation de savoir où l’on va, ou plutôt quand on a enfin choisi (quand s’est choisi ?) le chemin à explorer.
Après le vide, il y a une espèce de plein d’excitation créative dont on est tant rempli qu’on l’emporte avec soi partout, même hors du lieu de travail. Ça mange le temps, ça mange la vie, il y a des mots qui tournent dans la tête, il faut toujours avoir papier et crayon à portée de main; c’est un monde qui émane de moi, mais qui aussi m’englobe et se transporte avec moi quoi que je fasse.
C’est très excitant et d’autant plus excitant que c’est secret : trop fragile pour en parler à qui que ce soit.
Tout d’un coup, les choses deviennent vivantes, l’univers écrit devient réel, se superpose au vécu quotidien qui ne se lit plus qu’à travers ce que je suis en train d’écrire (ou à travers le personnage que je construis, ceux que je rencontre sur le plateau). Ça change le regard sur le monde, en quelque sorte. Et ça fait du bien (ça fait peur aussi : « Quoi ? c’est ça que je suis en train de dire ? »), après tout le temps vide qu’on ne savait pas occuper. »

58Ces entretiens auraient pu couvrir un champ plus large. Nous y aurions certainement décelé d’autres ouvertures, d’autres pistes. Je suis cependant frappée par un trait qui, sous des formes différentes, reparaît partout : la tension entre le plein et le vide qui semble se résoudre dans le passage à l’acte de création.

59Faire le plein de sons, de lumière, d’objets, d’impressions, de mots. Et pendant ce temps, vivre pourtant le vide et le désordre (désordre qui semble étranger au monde d’André Le Bozec et Guy de Lussigny). Le vide, lui, apparaît partout comme moteur; le sentiment d’un vide qui, de même que la frustration féconde l’analyse, ici impulse l’acte. Comme si, à un moment, il fallait emplir l’atelier, ou la scène de théâtre, ou la feuille qui attend, ou la salle d’exposition. L’acte créateur pour qu’un sens apparaisse, pour que là où il n’y avait rien quelque chose advienne. Ce qui expliquerait peut-être que le créateur soit fréquemment aux prises avec les fantasmes archaïques d’impuissance et de toute-puissance, régressant vers la position schizo-paranoïde s’en arrachant dans un mouvement qu’on dira parfois mégalomaniaque.

60Faust pourrait-on dire malicieusement n’a finalement eu affaire dans sa dramatique qu’à Méphistophélès. Le créateur, lui, a à faire à un Dieu [6] qui à la fois se dérobe et se réalise en lui, se l’approprie tout en proposant un terrible et magnifique jeu identificatoire.

Eléments de biographie

61Julius Baltazar est peintre. Il est né à Paris en 1949. Il vit à Paris. Depuis 1967 il a fait de très nombreuses expositions en France et à l’étranger. Plusieurs de ses toiles ont été acquises par des musées en France et à l’étranger.

62André Le Bozec, né à Paris en 1934, où il vit toujours à la recherche des œuvres et des artistes.

63Guy de Lussigny est peintre. Il est né à Cambrai en 1929, mort à Paris en 2001. Les musées du nord de la France (Cambrai, Valenciennes, Le Cateau-Cambrésis) ont une importante collection de ses œuvres. Une exposition a été réalisée au musée de Cambrai en 2003-2004 qui a mis en évidence « les liens entretenus par le peintre avec la grande famille du courant d’abstraction géométrique ».

64Michel Massé est né en 1947 à Mézidon. Il vit à Nancy où il a créé la compagnie théâtrale 4 Litres 12. De son travail, Gilles Losseroy écrit qu’il est « le fruit des amours incestueuses de Kantor et des Marx Brothers » (dictionnaire encyclopédique du théâtre de Michel Corvin). Depuis sa création, la compagnie a tourné à l’étranger et en France, notamment à Paris à Beaubourg, à la Tempête et au Rond-Point des Champs-Elysées.

65Odile Massé est née en 1950. Elle vit à Nancy. Elle est co-créatrice avec Michel Massé de la compagnie 4 Litres 12 où elle est également actrice. Elle a publié plusieurs livres, dont les deux derniers, Manger la terre et La vie des ogres au Mercure de France. C’est de son activité d’écrivain qu’elle parle dans cet entretien.

66Marie Nimier est née en 1957 à Paris et vit en Normandie. Elle a publié une dizaine de romans dont les deux derniers, La nouvelle pornographie et La Reine du Silence (prix Médicis 2004) aux Editions Gallimard.

67Suzanne Prou est née à Grimaud en 1920. Elle est morte à Paris en 1995. Son œuvre compte de très nombreux romans parmi lesquels La Terrasse des Bernardini (prix Renaudot). L’album de famille et un recueil posthume de textes Dernières feuilles ont été publiés aux éditions Grasset.

Fragments[7] Quelques peintres

68

« J’éprouve de plus en plus que l’on peut exprimer avec le plus simple découpage ce qu’on peut vouloir exprimer en tant que dessinateur ou peintre… C’est en rentrant dans l’objet qu’on rentre dans sa propre peau. J’avais à faire cette perruche avec du papier de couleur. Et bien ! Je suis devenu perruche. Et je me suis retrouvé dans l’œuvre. »
Henri Matisse

69

« Le paysage se pense en moi et je suis sa conscience. »
Paul Cézanne

70

« Le cyprès est incroyablement caractéristique du paysage de la Provence… Jusqu’ici, je n’ai pas pu le faire comme je le ressens; l’excitation qui me prend à la vue de la nature s’accroît chez moi jusqu’à la syncope, après quoi suivent une quinzaine de jours pendant lesquels je suis incapable de travailler. »
Vincent Van Gogh, 1890

71

« Je ne sens la vie que quand je travaille comme un possédé. En société, j’éprouverais moins intensément ce besoin, ou je ferais peut-être des choses plus compliquées. Mais livré à moi-même, je m’abandonne à l’ivresse du travail qui s’empare quelquefois de moi, puis je me laisse aller à l’infini. »
Vincent Van Gogh, 1888

72

« L’immobilité me frappe. Cette bouteille, ce verre, un gros galet sur une plage déserte, ce sont des choses immobiles, mais elles déclenchent dans mon esprit des grands mouvements. »
Miró

73

« Je travaille dans un état de passion et d’emportement. Quand je commence une toile, j’obéis à une impulsion physique, au besoin de me lancer; c’est comme une décharge physique. »
Miró

74

« C’est une lutte entre moi et ce que je fais, entre moi et la toile, entre moi et mon malaise. Cette lutte m’excite et me passionne. Je travaille jusqu’à ce que le malaise cesse. »
Miró

75

« Je commence mes tableaux sous l’effet d’un choc que je ressens et qui me fait échapper à la réalité. La cause de ce choc peut être un petit fil qui se détache de la toile, une goutte d’eau qui tombe, cette empreinte que laisse mon doigt sur la surface brillante de cette table. De toute façon, il me faut un point de départ, ne serait-ce qu’un point de poussière ou un éclat de lumière. Cette forme procrée une série de choses, une chose faisant naître une autre chose. Ainsi un bout de fil peut-il me déclencher un monde. »
Joan Miró, propos recueillis par Yvon Taillandier, le 15 février 1959

76

« II ne faut jamais qu’on sache d’où cela vient, où cela va. Les larmes sont un matériau aussi bien qu’autre chose. »
Nicolas de Staël, à Pierre Lecuire, décembre 1954

77

« L’obsession, j’y tiens parce que sans obsession je ne ferais rien […] Le contact avec la toile, je le perds à chaque instant et le retrouve et le perds…»
Nicolas de Staël, lettre à Douglas Cooper, janvier 1955

78

« Le plus difficile, c’est de ne pas vouloir. »
« Le grand risque, c’est la fabrication. Ne jamais forcer les choses. On ne peut qu’attendre. »
« Toutes les toiles que j’ai peintes m’ont été imposées. II ne faut jamais s’efforcer. »
« La plupart vivent sous le règne du vouloir. L’artiste est celui qui est sans vouloir. »
« La toile est liée a un drame fondamental. »
« Chaque toile représente un moment où on a pu, ou on a eu la force. »
« II faut se laisser traverser. »
« Je peins l’impossibilité de peindre. »
Bram Van Velde

79

« […] les ateliers que j’ai pu choisir sont par leur situation, leur conception, des lieux de calme. Seul, pour être tout entier tourné vers ce qui se passe entre moi et la toile, entre la toile et moi. »
Pierre Soulages

80

« […] je suis trop pris par la toile en cours, il faut que j’en vienne à bout. Que cela se termine par un échec ou par quelque chose qui, je pense, pourra vivre.
La toile une fois terminée, je la tourne contre le mur, et j’attends longtemps pour la regarder à nouveau. J’attends d’ailleurs plus longtemps quand je la crois désastreuse. Et lorsque je la revois, si je dois admettre qu’elle l’est vraiment, je la détache de son châssis et je la détruis. »
Pierre Soulages

81

« […] la peinture se fait avec la lumière au moment ou on la regarde. Plus que jamais cette peinture se vit au présent. […] Elle s’invente au fur et à mesure, mais il n’y a pas une progression régulière; à un moment impossible à prévoir l’inattendu surgit. […] On pourrait même dire qu’il y a une fulgurance originelle. Après, c’est plus un enchaînement… le déroulement d’une sorte de fatalité. »
Pierre Soulages

82

« Peindre, c’est d’abord agir spontanément. C’est une suite de décisions qui s’imposent, s’enchaînent, venues du plus profond de soi, mais c’est aussi une interrogation sur les ressources et les pouvoirs de tout ce qui advient sur la toile. »
Pierre Soulages
Entretiens avec Pierre Soulages par Charles Juliet, éd. L’échoppe.

83Andrew Wilton, conservateur de la Collection Turner a la Tate Gallery de Londres, parle de Turner :

84

« On sait, par une rare description d’un témoin oculaire lors de la création d’une marine pour un ami, qu’il « commençait par verser de la peinture fraîche sur le papier jusqu’à ce qu’il soit saturé, puis il le griffait, l’égratignait, le grattait dans une sorte de frénésie jusqu’à ce que tout ne soit plus que chaos – mais petit à petit et comme par magie le ravissant bateau, avec toutes ses exquises minuties, prenait forme et un peu avant l’heure du déjeuner le dessin était décroché en triomphe ». »

85Marc Le Bot parle de Rembrandt, Rembrandt, éd. Flammarion :

86

« Mais il advient ceci, dans l’œuvre de Rembrandt, qui est bouleversant : tout au long de sa vie, le peintre a vu son propre corps comme s’il était une chose détachée de lui, comme s’il était, lui aussi, un autre. De 1620 à 1669, année de sa mort, Rembrandt aura peint quatre-vingt-dix autoportraits […]. Le peintre s’observe plus patiemment qu’il n’a jamais observé personne. Il se déguise. Il grimace devant le miroir. Il prend des poses. Ses visages de jeunesse, souvent, sont marqués par une sorte d’insolence, de défi. Dans sa vieillesse, on y lit cette autre sorte d’insolence qu’est l’ironie à l’égard de soi-même et des autres. Mais que cherche réellement le peintre quand il passe tant d’heures et de jours, chaque année, à s’observer dans le miroir et à se peindre ?
L’œuvre de Rembrandt, dans la longue suite de ses autoportraits, révèle avec encore plus d’évidence, peut-être, que dans ses autres tableaux, ce qu’est le but ultime de tout art. La pensée de l’art est celle qui s’étonne de ce que le réel soit alors qu’il pourrait ne pas être; et qui, surtout, s’étonne de ce qu’il soit toujours autre encore que tout ce qu’on peut en savoir même si, pour le peintre, il s’agit de son propre visage. »

Quelques écrivains

87

« Je peux dire ce que je veux, je ne trouverai jamais pourquoi on écrit et comment on n’écrit pas. »
Marguerite Duras
« Se trouver dans un trou, au fond d’un trou, dans une solitude quasi totale et découvrir que seule l’écriture vous sauvera. Etre sans sujet aucun de livre, sans aucune idée de livre, c’est se trouver, se retrouver, devant un livre. Une immensité vide. Un livre éventuel; devant rien. »
Marguerite Duras
« L’écriture c’est l’inconnu; avant d’écrire on ne sait rien de ce qu’on va écrire. Et en toute lucidité. »
Marguerite Duras
« L’écrit ça arrive comme le vent, c’est nu, c’est de l’encre, c’est l’écrit, et ça passe comme rien d’autre ne passe dans la vie, rien de plus, sauf elle, la vie. »
Marguerite Duras
« J’ai écrit un roman parce que l’envie m’en est venue. Je pense que c’est une raison suffisante pour se mettre à raconter. L’homme est un animal fabulateur par nature. J’ai commencé à écrire en mars 1978, mu par une idée séminale. J’avais envie d’empoisonner un moine. »
Umberto Eco

Bibliographie

BIBLIOGRAPHIE

  • Van VELDE B., Extraits de Charles Juliet. Rencontres avec Bram Van Velde, Fata Morgana, 1978.
  • DURAS M., Ecrire, Gallimard, 1993.
  • ECO U. Apostille au Nom de la Rose, Grasset, 1985.
  • MIRÓ J., Propos recueillis par Yvon Taillandier, XXe siècle, volume 1,15 février 1959. Tous ces propos sont repris dans Miró, Collection « Voyages », Maeght editeur.
  • SOULAGES P., Extraits de Charles Juliet. Entretiens avec Pierre Soulages, L’Echoppe. de STAËL N., extraits du catalogue Nicolas de Staël, peintures et dessins,

Notes

  • [1]
    Il est évident que les rencontres que j’ai faites, les propos que j’ai recueillis, sont loin d’être exhaustifs. En particulier j’aurais aimé avoir un entretien avec un jazzman, être éclairée sur ce qu’il vit lorsqu’il prend son envol dans une improvisation. Cela ne m’a pas été possible.
  • [2]
    Notamment avec Ernest Gaillard, conservateur du musée de Cambrai, ou Auguste Herbin, peintre de l’abstraction géométrique.
  • [3]
    L’île Saint-Louis où se trouvait son atelier.
  • [4]
    Très nombreuses expositions de 1959 jusqu’à sa mort en 2001.
  • [5]
    Il s’agit généralement d’objets « de récupération » : des chaussures, une petite chaise, un vieux fauteuil, une bouilloire cabossée, une baignoire en zinc, etc.
  • [6]
    Nicole Fabre. L’inconscient de Descartes, Paris, Bayard, 2003.
  • [7]
    Merci à Frédéric Hubert pour l’aide qu’il m’a apportée dans cette recherche.
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