Elsa DREVON
Elsa DREVON
Vous avez choisi une carrière au Québec dans le milieu des bibliothèques spécialisées de santé. Pourquoi avez-vous opté pour la veille ?
1J’ai découvert la veille à l’École nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques (ENSSIB), au cours du Master Sciences de l’Information et des Bibliothèques, puis, en 2008, lors d’un échange universitaire avec l’École de bibliothéconomie et des sciences de l’information (EBSI) à l’Université de Montréal. À ce moment-là, j’ai aussi eu un vrai coup de cœur pour le Québec ! Deux ans plus tard, j’ai quitté la France pour m’installer ici.
2C’était en 2010 et on parlait beaucoup de fils RSS, Google Reader, Yahoo Pipes, Netvibes. Avec les équipes documentaires de l’Institut national de santé publique du Québec puis du CHU Sainte-Justine, où je travaillais comme bibliothécaire, nous avons conçu et développé des systèmes de veille scientifique pour des chercheurs, des médecins et des professionnels de la santé (psychologues, orthophonistes, etc.). Nous offrions un service de veille scientifique qui répondait à un besoin chez nos usagers.
Vous poursuivez un doctorat sur la veille stratégique dans le secteur public de la santé. En quoi ont consisté vos travaux ? Quelle pourrait être leur portée dans l’exercice de la profession ?
3Au sein de la Communauté de pratique de veille en santé et services sociaux du Québec (voir aussi l’article d’Audrey Attia dans ce numéro spécial d’I2D), s’est rapidement posée la question d’aller au-delà de la veille scientifique. On souhaitait développer des systèmes de veille stratégique pour rejoindre d’autres usagers : soutenir les gestionnaires dans une perspective d’aide à la décision. Mais que signifie veille stratégique dans un secteur public ? Et comment la veille stratégique aide-t-elle vraiment à prendre des décisions ? N’ayant pas trouvé de réponse précise dans la pratique, j’ai entrepris un doctorat à l’Université de Montréal en 2014 que j’achève actuellement.
4Pour comprendre ce qui fait d’une veille une veille stratégique dans un secteur public, j’ai mené une étude de cas multiples autour de trois projets de veille : une veille scientifique, une veille médiatique et une veille réputation, trois projets développés pour des gestionnaires du secteur public de la santé.
5Dans cette étude, j’ai interrogé cinq veilleurs, cinq cadres intermédiaires et onze cadres supérieurs. D’après les résultats, au-delà de ses finalités (prise de décision, stratégie), c’est l’utilisation qu’en fait le client qui donne à ces projets de veille un caractère stratégique.
6Aussi, plutôt que de parler uniquement de ses finalités, il est intéressant d’aborder les fonctions de la veille. Par exemple, une veille peut servir à mettre à jour ses connaissances, à s’inspirer des meilleures pratiques, à se comparer entre organisations publiques, à améliorer sa réflexion, à mieux comprendre l’environnement, et même parfois à légitimer des décisions déjà prises ou sur le point d’être prises.
Quels constats avez-vous tirés de vos travaux ?
7La veille stratégique ne fait pas la décision ; elle la soutient. De plus, la décision est prise par le client et non par le veilleur. Par conséquent, la veille n’est pas stratégique en soi, ce serait l’utilisation que le client en fait qui rend la veille stratégique.
Il existe une mosaïque de formations sur la veille au Québec qui ne sont pas reliées au diplôme en sciences de l’information alors que c’est le cas à l’EBSI. Qu’en pensez-vous ?
8J’ai enseigné le cours de veille stratégique à l’EBSI à cinq reprises. En France, je remarque qu’il existe des Masters sur la veille d’une durée de deux ans, tandis qu’au Québec, la veille stratégique est enseignée dans des cours de 45 heures (3 crédits) en sciences de l’information, mais aussi dans différents domaines. Je vois cette mosaïque de formations comme une richesse, pour que la veille se développe davantage au Québec. Car ce que je constate également c’est qu’à l’exception de quelques grandes organisations, un poste est rarement dédié à 100 % à une fonction de veille. Souvent rattachée à un mandat plus large, la veille est souvent une tâche parmi d’autres dans les descriptions de poste.
9Et pourquoi enseigner la veille stratégique en sciences de l’information ? Les spécialistes de l’information disposent de compétences indispensables dans une fonction de veille. Par exemple, ils connaissent les sources d’informations et comprennent les besoins informationnels qu’ils savent ensuite traduire dans des stratégies de recherche avancée.
La revue Documentation et Bibliothèques a publié un numéro spécial sur les pratiques de veille au Québec (vol. 65, n° 4). Selon vous, quels sont les points forts et les atouts du Québec ?
10Il est intéressant de remarquer que dans ce numéro, trois des quatre articles publiés sont reliés au domaine de la santé et des services sociaux. Que faut-il en conclure ? Les besoins pour une information fiable, récente et pertinente sont là, autant chez les chercheurs, les médecins et les professionnels de la santé que chez les gestionnaires et les décideurs.
Votre mot préféré ?
11De plus, il faut noter la forte présence de bibliothécaires de santé (medical/health librarian) qui ont une culture de la veille ancrée depuis les années trente. À cette époque, ils diffusaient les tables de matières des revues médicales aux médecins. Aujourd’hui, on parle de données probantes, de meilleures pratiques, de pratiques exemplaires nécessaires aux professionnels de la santé, aux gestionnaires clinico-administratifs et aux décideurs. Le milieu de la santé et des services sociaux est par conséquent propice à l’émergence de la veille en santé et en services sociaux au Québec.
Mots-clés éditeurs : veille stratégique, Québec, prise de décision, veille scientifique
Date de mise en ligne : 13/05/2020
https://doi.org/10.3917/i2d.201.0093