Notes
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Selon les statistiques de L’Observatoire des polémiques digitales, en 2016, sur les sphères francophone et anglophone, 45 % des cas recensés ont concerné des groupes BtoC, 26 % des administrations, 16 % des PME, 9 % des associations, 3 % des ETI, 1 % des groupes BtoB.
1Toute polémique digitale n’est pas toujours relayée par les médias traditionnels ; en revanche, toute controverse ou crise réputationnelle possède de nos jours une dimension digitale plus ou moins forte. Avec 3,7 milliards d’internautes dans le monde, 2,2 milliards d’utilisateurs mensuels des réseaux sociaux, Internet est devenu en quelque sorte le système nerveux de nos sociétés ; espace de débat interactif et permanent où chacun est émetteur, récepteur et relais, l’information y circule sur un mode viral, favorisant l’hyper-réactivité émotionnelle. Et, dans un contexte global de défiance envers les structures et autorités traditionnelles, cet incubateur et vecteur de passions s’est érigé, aux mains du public, en outil de contre-pouvoir.
2En conséquence, la sensibilité de nombreux sujets s’est accrue et les risques réputationnels se sont élevés. Tous les types d’organisations sont visés [1], pour leur communication ou leurs pratiques. Certes, toute controverse ne dérive pas en crise, en événement disruptif dégradant les liens de l’organisation avec ses stakeholders, soit ses parties prenantes stratégiques (clients, usagers, employés, partenaires, etc.), mais leur répétition fragilise ce patrimoine immatériel qu’est sa réputation. Et, en cas de crise avérée, l’effet « caisse de résonance » du digital est considérable.
3L’impact peut être significatif, parfois lourd (baisse du chiffre d’affaires, retrait de produits, retrait de campagne publicitaire, départ de personnel, plongeon en bourse, etc.). Les organisations et notamment les entreprises – de toute taille – sont donc soumises à une pression sans précédent.
Les objectifs
4Dans ce contexte, en complément de la veille off line, la veille on line constitue un outil précieux. Mais pour qu’elle soit efficace, il faut en tirer tout enseignement stratégique utile. C’est un enjeu majeur : les technologies ne font pas tout ; il faut aussi songer à mettre en perspective les éléments remontés et partager les observations qui en résultent avec tous les cercles décisionnels. L’information est un élément fondamental de toute organisation humaine ; par sa capacité de résistance à l’entropie, elle permet de s’adapter. Encore faut-il la faire « parler », pour passer de la donnée au renseignement, du renseignement à l’analyse, et de l’analyse à la prise de décision.
5Ainsi, la veille stratégique remplit, si elle est bien calibrée et bénéficie ensuite du traitement humain adéquat, deux missions complémentaires.
La détection des signaux et leur appréciation
6Tous les messages critiques émis sur le digital à l’encontre d’une entreprise ne font pas des controverses. Mais certains d’entre eux, par leur sujet, leur contexte, leur émetteur, peuvent être identifiés comme des signes potentiellement précurseurs de polémique, et donc mériter un traitement spécifique (que ce soit pour répondre à l’émetteur ou bien amender l’initiative critiquée).
7Or, dans certains cas, le schéma polémique se déploie parce que l’entreprise n’a pas reconnu ce signe, ne l’a pas traité ou l’a traité de manière inappropriée. Par conséquent, outre repérer le message, il s’agit d’en faire rapidement une évaluation pertinente.
8La veille stratégique permet aussi de monitorer et d’évaluer une polémique déjà lancée dans le but d’élaborer une stratégie dimensionnée à l’émotion suscitée. Dans nombre de cas, une polémique s’est renforcée parce que l’entreprise n’a pas pris la mesure de sa gravité ; celle-ci s’évalue en croisant deux critères fondamentaux :
- la criticité : une polémique émerge sur un sujet sensible et est constituée de sentiments négatifs comme la colère, la déception, le dégoût, l’inquiétude, etc. Il faut évaluer la nature et la tonalité des reproches et l’éventuelle présence d’un facteur aggravant : ainsi, lorsque la victime fait partie d’une catégorie jugée par un vaste consensus comme particulièrement vulnérable (par exemple, des enfants, des personnes handicapées, des animaux), la criticité augmente ;
- l’intensité : nous considérerons qu’il s’agit d’une polémique lorsqu’une organisation est confrontée, sur le digital, à une vague soudaine de critiques portant sur un sujet donné, dont le volume apparaît plus important que celui des mentions négatives dont elle peut faire d’habitude éventuellement l’objet.
9Ausculter les réactions des internautes permet, en outre, d’affiner l’appréciation en prenant en compte le critère de la représentativité des détracteurs qui conditionnera la stratégie de défense. D’abord au niveau de leur poids relatif par rapport aux internautes qui s’exprimeraient pour soutenir l’organisation, puis du point de vue de leur représentativité par rapport à l’organisation : se définissent-ils comme des stakeholders ? Ou bien les stakeholders sont-ils du côté des soutiens ? Ou bien détracteurs et soutiens sont-ils indistinctement des stakeholders ?
10La veille doit aussi être utilisée pour le retour d’expérience afin d’évaluer comment la stratégie de défense, avec sa communication et ses éventuelles actions correctrices, a été reçue par le public internaute, sans compter les médias : a-t-elle ou non permis de circonscrire ou du moins de réduire la polémique (dans ses deux dimensions, criticité et intensité) ? Ces analyses peuvent enfin constituer une mémoire des polémiques afin que l’entreprise consolide la connaissance de son propre passif réputationnel dans le but d’éviter d’autres prises de risques.
La prospective
11L’anticipation est un fondamental de l’intelligence stratégique. La veille doit donc nourrir des analyses prospectives afin de réduire significativement – penser les éliminer totalement serait chimérique – les risques réputationnels. En effet, des initiatives peuvent susciter des controverses par méconnaissance de certains éléments clefs :
- le passif réputationnel du domaine d’activité. De nombreuses polémiques présentent de grandes similitudes, frappant pour les mêmes causes des entreprises aux mêmes activités. Les mésaventures des uns doivent servir à la prévention des autres…
- le suivi de l’évolution des opinions et des sensibilités. Dans de nombreux cas, l’entreprise suscite une polémique par méconnaissance de certaines caractéristiques de ses stakeholders ou du contexte où s’inscrit une initiative. Il faut donc surveiller sa sphère d’origine et ses sphères d’implantation, voire au-delà, pour anticiper la montée en puissance de certaines tendances, en particulier dans le champ sociétal d’où surgissent les polémiques les plus clivantes, souvent difficiles à apaiser ; pour les organisations, prises entre des injonctions contradictoires, la ligne de crête est en effet devenue étroite.
En conclusion
12Prévenir le risque n’implique pas forcément de renoncer à un projet mais on peut étudier la possibilité de l’amender. Et si une prise de risque est assumée, l’entreprise peut se préparer en élaborant une stratégie (choix tactiques, argumentaires, modalités de publication de la communication, etc.) qu’il s’agira d’adapter en cas de polémique et non de bâtir en urgence.
13La veille stratégique alimente ainsi le volet réputationnel des knowledge et risk managements. Même les petites structures, en fonction de leurs moyens, ont intérêt à y recourir, dans le but de réduire les risques et d’économiser ainsi les coûts économiques et réputationnels causés par l’irruption de polémiques ; une entreprise affectée qui ne plie pas face à la majorité du public réactif voit en effet sa réputation écornée et non seulement son « e-réputation ».
14De nos jours, tant le digital joue un rôle important dans la construction de la réputation, cette distinction apparaît obsolète. Observons d’ailleurs qu’opposer « virtuel » et « réel » n’est guère opérant : disqualifier ce qui se déroule sur le digital comme étant moins important, n’occupant qu’une dimension accessoire voire imaginaire découplée de la réalité, peut conduire à minimiser les risques.
15Beaucoup d’entreprises ont pris conscience de l’empreinte du digital dans le champ réputationnel, mais sans forcément se doter des outils nécessaires ni de la culture adaptée : au-delà des dispositifs et process, il faut pouvoir compter sur l’intelligence des situations de managers et exécutants sensibilisés à ces phénomènes et agissant en cohérence, parce qu’ils auront construit en amont un cadre de réflexion commun.
Notes
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Selon les statistiques de L’Observatoire des polémiques digitales, en 2016, sur les sphères francophone et anglophone, 45 % des cas recensés ont concerné des groupes BtoC, 26 % des administrations, 16 % des PME, 9 % des associations, 3 % des ETI, 1 % des groupes BtoB.