Couverture de I2D_172

Article de revue

La négociation, une arme pour réussir

Pages 51 à 52

Notes

  • [1]
    M. Mery. Vous mentez ! Détecter le mensonge, démasquer les menteurs. Eyrolles, 2014
  • [2]
    Pour se tenir informé des pratiques pseudoscientifiques, voir le site www.pseudo-sciences.org
  • [3]
    H. Delmas et al. « Évaluation de la crédibilité des témoins : l’influence des croyances ». In : C. Tijus, C. Puigelier (dir). L’esprit au-delà du droit. Pour un dialogue entre les sciences cognitives et le droit. Éditions Mare et Martin, 2016
  • [4]
    J. A. Forrest, R. S. Feldman, J. M. Tyler. « When Accurate Beliefs Lead to Better Lie Detection ». Journal of Applied Social Psychology, 2004, n° 4, p. 764-780
  • [5]
    P. Ekman, M. O’Sullivan. « From flawed self-assessment to blatant whoppers: the utility of voluntary and involuntary behavior in detecting deception ». Behavioral Sciences & the Law, 2006, n° 5, p. 673-686
  • [6]
    D. Matsumoto, H. C. Hwang, L. G. Skinner, M. G. Frank. « Positive effects in detecting lies from training to recognize behavioral anomalies ». Journal of Police and Criminal Psychology, 2014, n° 1, p. 28-35
  • [7]
    S. Porter, L. Ten Brinke, B. Wallace. « Secrets and Lies: Involuntary Leakage in Deceptive Facial Expressions as a Function of Emotional Intensity ». Journal of Nonverbal Behavior, 2012, n° 1, p. 23-37

1Nous vivons dans un monde de plus en plus complexe. Chaque jour, nous devons interagir avec de multiples acteurs et faire face à de grandes incertitudes. Certaines de ces interactions, comme les échanges commerciaux, les litiges ou des crises sociales pouvant mettre en péril les organisations, ont de forts enjeux professionnels. Dans ces situations, la négociation est l’une des réponses les plus adaptées mais pour laquelle il faut être préparé et formé. Négocier fait, en effet, appel à de multiples compétences et à de nombreux savoir-faire tels que notre capacité à gérer les facteurs relationnels et émotionnels. Afin de s’entraîner, s’évaluer et les maîtriser, il faut comprendre les principaux mécanismes régissant les comportements humains qui sont susceptibles de perturber la relation interpersonnelle. L’un d’eux est le mensonge.

Des croyances et des mythes

2Nous sommes tous de mauvais détecteurs de mensonge. Dans ce domaine, notre performance est d’environ 50 %, soit le même résultat que le hasard [1] lorsque nous tirons à pile ou face avec une pièce de monnaie. Ce pourcentage est identique quelle que soit la profession, des policiers aux managers. Cette faible performance s’explique notamment par le fait que les personnes utilisent de mauvais indicateurs pour évaluer la crédibilité de leurs interlocuteurs. Ainsi, par exemple, lorsque l’on évoque le mensonge, nous sommes presque tous persuadés que le menteur montre davantage de signes de nervosité et de stress qu’une personne qui dit la vérité. Or, ce n’est de loin pas toujours le cas. En conséquence, nous tendons à évaluer le comportement d’autrui à travers une grille de lecture erronée, nous conduisant à obtenir une faible performance en matière de détection du mensonge.

3Ces croyances peuvent être issues du sens commun ou issues de pseudosciences [2] qui diffusent des indicateurs non pertinents pour détecter le mensonge [3]. Donc, si l’on souhaite améliorer sa performance à détecter la tromperie, il faut tout d’abord prendre conscience des croyances et des mythes liés au mensonge. Une étude montre que, si les personnes disposent davantage de connaissances exactes à cet égard, elles seront mieux à même d’identifier correctement les mensonges [4].

Adopter de bons réflexes

4Après s’être débarrassé des croyances entravant la compréhension du comportement mensonger, il s’agit d’adopter de bons réflexes. On distinguera alors deux grandes méthodes : la détection des anomalies comportementales et l’augmentation de la charge cognitive.

  • Détecter les anomalies comportementales. Cette méthode repose sur le principe que toute incohérence ou tout écart par rapport à un comportement de référence est une potentielle source de tromperie [5]. Après avoir repéré une anomalie comportementale, il ne s’agit pas de statuer directement sur la véracité des propos tenus par son interlocuteur mais de le questionner en recoupant les informations disponibles. Le but est d’approfondir l’incohérence observée et d’identifier si l’anomalie comportementale est due au mensonge ou non. Apprendre à identifier les anomalies comportementales a permis d’augmenter les performances de détection du mensonge chez des agents du FBI [6]. Cette amélioration concerne notamment les mensonges émotionnels, comme le fait de masquer une émotion que l’on ressent par une autre émotion. Ainsi, par exemple, dire que tout va bien en arborant un large sourire alors que nous sommes stressés [7]. Le jeu Face Me développé par les équipes d’ADN Research repose sur ce principe. Le serious game se déroule lors d’une fête dans un manoir où vous êtes le détective chargé d’une enquête pour le meurtre d’un Lord. En interrogeant les convives, vous devrez détecter les anomalies comportementales pour mener à bien votre enquête et identifier le meurtrier.
  • L’augmentation de la charge cognitive. Cette méthode se base sur un constat très simple : mentir demande plus d’effort mental que dire la vérité. Cette méthode consiste à compliquer la production du mensonge afin de mettre le menteur en échec. En effet, notre mémoire de travail qui stocke et manipule les informations dont nous avons besoin pour répondre à une question est limitée en capacité. Dire la vérité demande peu d’effort mental alors que raconter un mensonge mobilise de nombreuses ressources cognitives et consomme beaucoup d’espace dans notre mémoire de travail. Si l’on ajoute la difficulté dans la narration du mensonge, le menteur devra faire appel à davantage de ressources cognitives alors qu’il en a peu à sa disposition. Ainsi, elles seront plus vites saturées et le menteur ne sera pas à même de gérer les efforts additionnels, ce qui aura pour conséquence de faire apparaître des erreurs dans son discours ou de le mettre en échec.

5Pour augmenter volontairement la charge cognitive chez l’interlocuteur, trois techniques peuvent être utilisées :

  • encourager la personne à en dire davantage (ce qui représente une écoute active) ;
  • poser des questions inattendues ;
  • imposer une charge cognitive en faisant des demandes spéciales comme, par exemple, inciter la personne à reprendre son histoire en sens inverse, de la fin vers le début, ce qui va à l’encontre de l’encodage de nos informations en mémoire qui se fait de manière chronologique et contraint celle-ci à narrer son histoire au travers d’un canevas peu ordinaire. Ceci augmente l’effort mental et permet de mieux distinguer la vérité du mensonge. Mais cette technique, qui sera tout à fait utile dans certains contextes comme dans le cadre d’auditions, le sera beaucoup moins dans le cadre d’une négociation où les rapports de force entre les acteurs sociaux sont bien différents.

Les clés à appliquer pour bien commencer une négociation (ADN Group, agence de négociateurs)

> Se souvenir que le négociateur ne décide pas et que le décideur n’a pas nécessairement les compétences adéquates. En revanche, le négociateur n’a pas le recul nécessaire pour prendre une décision dénuée de toute émotion.
> Ne jamais céder sans contreparties ! Les pressions ne suffisent pas pour obtenir satisfaction mais c’est un rempart face à de potentielles nouvelles revendications. Par ailleurs, le négociateur posera des questions plutôt que d’argumenter ou de s’enfermer dans un monologue. C’est celui qui interroge qui mène la négociation.
> L’écoute doit être active, ce qui demande de reformuler les propos, de manifester son intérêt (hochements de tête) ou d’expliciter les émotions de son interlocuteur. Autant de bonnes pratiques à adopter pour encourager ce dernier à parler. Le négociateur obtiendra un maximum d’informations lorsque la personne est sincère et la mettra en difficulté lorsqu’elle le sera moins. Elle hésitera ainsi à ajouter de nouvelles informations pouvant la trahir.
> Quant au négociateur, il ne doit en aucun cas présenter de fausses informations, mais exposer des informations fiables et authentiques. Si l’on découvrait, en effet, qu’une information était volontairement erronée, le négociateur perdrait toute légitimité et le dossier serait miné.
> Préparer sa négociation. Pour ceci, on prendra connaissance de l’environnement, du contexte, des acteurs et on établira une stratégie. Il s’agit notamment d’identifier les éléments négociables et ceux qui ne le sont pas.

Le nez ne s’allonge pas !

6Appliquées à la négociation, il faut davantage considérer les techniques que nous venons de décrire comme une boîte à outils à la disposition du professionnel. Il n’y a pas, en effet, une seule manière de faire ou une technique clé à employer telle quelle, quelle que soit la situation. Lorsque le cas le permet, le négociateur pourra les utiliser quand cela lui semble pertinent en accordant une place privilégiée au questionnement. En effet, c’est poser des questions qui doit être favorisé et non se focaliser sur la recherche d’indicateurs de mensonge. Il n’y a pas de signes traduisant de manière certaine un mensonge : aucun nez ne s’allongera !

7Ces méthodes offrent des opportunités intéressantes aux acteurs de l’économie française qui parviennent à augmenter leurs capacités à évaluer les propos d’autrui. Toutefois, déceler la tromperie est une tâche très complexe à réaliser et jonchée d’obstacles. Il faut donc toujours rester humble face à nos jugements, particulièrement lorsqu’il s’agit de détecter des mensonges.

Notes

  • [1]
    M. Mery. Vous mentez ! Détecter le mensonge, démasquer les menteurs. Eyrolles, 2014
  • [2]
    Pour se tenir informé des pratiques pseudoscientifiques, voir le site www.pseudo-sciences.org
  • [3]
    H. Delmas et al. « Évaluation de la crédibilité des témoins : l’influence des croyances ». In : C. Tijus, C. Puigelier (dir). L’esprit au-delà du droit. Pour un dialogue entre les sciences cognitives et le droit. Éditions Mare et Martin, 2016
  • [4]
    J. A. Forrest, R. S. Feldman, J. M. Tyler. « When Accurate Beliefs Lead to Better Lie Detection ». Journal of Applied Social Psychology, 2004, n° 4, p. 764-780
  • [5]
    P. Ekman, M. O’Sullivan. « From flawed self-assessment to blatant whoppers: the utility of voluntary and involuntary behavior in detecting deception ». Behavioral Sciences & the Law, 2006, n° 5, p. 673-686
  • [6]
    D. Matsumoto, H. C. Hwang, L. G. Skinner, M. G. Frank. « Positive effects in detecting lies from training to recognize behavioral anomalies ». Journal of Police and Criminal Psychology, 2014, n° 1, p. 28-35
  • [7]
    S. Porter, L. Ten Brinke, B. Wallace. « Secrets and Lies: Involuntary Leakage in Deceptive Facial Expressions as a Function of Emotional Intensity ». Journal of Nonverbal Behavior, 2012, n° 1, p. 23-37
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