1Comme chaque année, les jeunes chercheur(e)s de l’École doctorale d’histoire de Paris 1 – École nationale des chartes ont, collectivement, retenu quatre thématiques transversales et organisé les quatre séminaires qui alimentent la présente livraison. L’exercice, rodé depuis longtemps, est exigeant et formateur. Il suppose la mise en œuvre d’une problématique historique solide, capable de donner prise à une réflexion historiographique transpériode (c’est la force et la singularité de notre école) ainsi qu’à des études de cas originales, empiriquement fondées sur un ample matériau documentaire. Les débats et discussions auxquels donnent lieu les rencontres, les échanges avec les professeurs de l’École et les collègues qui acceptent de venir modérer et conclure les séminaires, nourrissent la réflexion et aboutissent à ces « dossiers » qu’Hypothèses publie maintenant depuis presque deux décennies avec le succès que l’on sait. Comme toutes les écoles doctorales, la nôtre a multiplié et diversifié ses formations, notamment en direction des ressources numériques et des langues, anciennes ou modernes, mais nos séminaires, où les étudiants croisent l’apprentissage de la problématisation, analytique autant que synthétique, de la confrontation et, au bout du compte, de la publication, demeure à nos yeux le cœur de ce que l’École peut offrir.
2Les quatre thèmes retenus cette année fournissent un assez bon panorama des recherches en cours à l’université Paris 1. Issu d’une proposition portée par deux jeunes historiens de la Grèce ancienne, Nicolas Siron et Romain Guicharrousse, « L’Invitation au voyage » s’attache à poser quelques jalons dans une historiographie en plein renouvellement et que les travaux de notre collègue, Sylvain Venayre, désormais professeur à l’université de Grenoble, ont largement contribué à repenser. Les diverses fonctions du voyage sont au centre de cette problématique. Qu’on en attende une récompense matérielle ou symbolique, les moyens de l’édification, des gains politiques, diplomatiques ou idéologiques, le voyage est ici pensé comme une modalité qui lie l’individu à une collectivité dont il espère un retour substantiel. Voyage pour soi et voyage pour les autres s’articulent dans une série de dispositifs dont les quatre communications présentent les constantes. Elles n’en épuisent évidemment pas les possibilités, mais offrent des mobilités et des « humeurs vagabondes » un utile vademecum. C’est d’un autre type de mobilités, moins plaisantes, que traite le dossier construit par Clélia Coret, Delphine Diaz et Romy Sánchez, trois jeunes chercheuses de l’École. Éloigner les indésirables est un très vieux réflexe que la plupart des sociétés pratiquent de longue date. Bannis, relégués, ostracisés, déportés, déplacés ou exilés dessinent d’interminables théories tout au long de l’histoire. Ce sont quelques-unes de ces situations qu’explore ce séminaire, soucieux avant tout de cerner les raisons qui poussent à se débarrasser de ceux qui gênent et de comprendre comment se reconstruisent les identités au cœur de ces expériences contraintes. On suivra ainsi les proscrits romains envoyés de l’autre côté du Danube, les usuriers lombards expulsés du royaume de France par Saint Louis, les protestants français aux Provinces-Unies, les Cubains séditieux hostiles à la nouvelle « loi des Indes » promulguée en 1837 par la couronne d’Espagne, exilés et esclaves dans la cité État de Witu. Comment reconstruire vies, identités, société, en situation de déplacement contraint ? Telle est sans doute le fil rouge qui relie ces cinq contributions.
3Les deux autres dossiers relèvent d’une approche différente, et partent d’un questionnement plus théorique. Le concept de « stigmate », tel qu’il a été élaboré le sociologue américain Erving Goffman en 1963 et utilisé depuis par les sciences sociales, sert de base au dossier coordonné par Clyde Plumauzille et Mathilde Rossigneux-Meheust. On sait combien la sociologie interactionniste s’est emparée de cette notion pour penser les catégories et les identités sociales, les normes et les déviances, les processus d’étiquetage et de mise en scène de soi ou des autres. Mais comment les sources de l’historien(ne) lui permettent-ils(elles) d’inscrire de telles problématiques dans l’épaisseur du temps ? Quatre études de cas s’efforcent de contourner ces difficultés. L’étiquetage par le nom, l’âge, l’indignité, la « mauvaise vie » ou à l’inverse par la grâce et la vertu d’humilité, construit le stigmate qui est ensuite négocié et mis en jeu dans les interactions sociales. Le questionnement est plus historiographique dans le dernier panel, organisé par Marguerite Martin, Zacharie Mochtari de Pierrepont, Céline Paillette et Philippe Pétriat, il s’efforce en effet de mettre à l’épreuve de recherches en cours les notions aujourd’hui très discutées de world, global et connected histories. Comment, par-delà les effets de mode, l’élargissement de l’échelle d’observation et l’accent porté sur les contacts et les circulations permettent-ils d’augmenter la capacité compréhensive du questionnement historique ? Les quatre études qui composent le dossier partent d’objets très différents : les contacts savants dans le Yémen des vii-xiiie siècle, le marché des couleurs à la fin de l’Ancien Régime, une émeute dans la ville de Djedda au xixe siècle, la mondialisation des enjeux sanitaires telle qu’elle fut envisagée au début du xxe siècle par le diplomate français Camille Barrière. Mais tous s’interrogent sur les gains heuristiques qu’autorise le passage à une plus ample échelle, attentive aux phénomènes d’hybridation et de transfert.
4C’est évidemment dans la confrontation des perspectives nationales que de telles questions peuvent s’exprimer au mieux. C’est pourquoi l’École doctorale d’histoire de l’université Paris 1 poursuit et élargit ses coopérations internationales. On trouvera également dans cette livraison les « actes » de notre troisième atelier doctoral franco-allemand consacré cette année à la communication politique. Les jeunes historien(ne)s abattent les frontières. Peut-on espérer un meilleur signe ?