Notes
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[*]
Professeur émérite de l’Université de Pérouse. Cet article est la version annotée de la présentation orale de Salvatore Bono. Nous avons fait le choix éditorial de laisser le texte en l’état, afin de rester au plus proche du discours de l’auteur.
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[1]
S. Bono, Storiografia e fonti occidentali sulla Libia (1510-1911), Rome, 1982.
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[2]
D. Panzac, « Une activité en trompe-l’œil : la guerre de course à Tripoli de Barbarie dans la seconde moitié du xviiie siècle », Revue du monde musulman et de la Méditerranée, 47 (1988), p. 126-141 ; id., « Le commerce maritime de Tripoli de Barbarie dans la seconde moitié du xviiie siècle », Revue d’histoire maghrébine, 65/66 (1992), p. 141-167 ; id., Les Corsaires barbaresques. La fin d’une épopée 1800-1820, Paris, 1999 ; C. R. Pennell, « Tripoli, in the late seventeenth century : the economics of corsairing in a “Sterril Country” », Libyan studies, 16 (1985), p. 101-112 ; id., Piracy and Diplomacy in Seventeenth-Century North Africa. The Journal of Thomas Baker, English Consul in Tripoli, 1677-1685, Londres, 1989 ; J. B. Vilar, Mapas, planos y fortificaciones hispanicos de Libia (1515-1911), Madrid, 1997 ; id., « Los judíos de Tripoli de Libia en el siglo xix, a través de los informes consulares espa?oles », Africa, 61 (2006), p. 483-496 ; M. J. Vilar, « Un diario espa?ol inédito sobre la expedición de la Real Armada de las Dos Sicilias contra Tripoli en 1828 », Africa, 58 (2003), p. 67-88 ; id., « El nacimiento de la prensa en Libia », Africa, 59 (2002), p. 221-230 ; J.-C. Zeltner, Tripoli carrefour de l’Europe et des pays du Tchad (1500-1795), Paris, 1992.
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[3]
R. B. Parker, Uncle Sam in Barbary. A Diplomatic History, Gainesville, 2004 ; P. Soave, La « Rivoluzione americana » nel Mediterraneo : prove di politica di potenza e declino delle reggenze di Barberia (1795-1816), Milan, 2004 ; G. Restifo, Quando gli americani scelsero la Libia come « nemico », Messine, 2007.
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[4]
P. Toschi, Le Fonti inedite della storia della Tripolitania, Intra,1934.
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[5]
Sur l’ouvrage de Laurent Charles Féraud, lire l’introduction de Nora Lafi dans la nouvelle édition de l’ouvrage : L. C. Féraud, Annales tripolitaines, N. Lafi éd., Paris, 2005, p. 7-17 (1re éd.,Tunis/Paris, 1927).
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[6]
A. Duprat et S. Bono, « Répertoire Nominatif des Récits de Captivité en Méditerranée (xvie-xviiie) », Programme ANR CORSO (2007-2010), sur le site du Groupe de Recherches Orient/Occident. [En ligne], consulté le 20 février 2013. http://www.oroc-crlc.paris-sorbonne.fr/index.php?/visiteur/Projet-CORSO/Ressources/R.N.R.C.
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[7]
Pour une introduction au phénomène, S. Bono, « Récits d’esclaves au Maghreb. Considérations générales », dans Récits d’Orient dans la littérature d’Europe (xvie-xviie siècles), A. Duprat et É. Picherot dir., Paris, 2008, p. 115-122.
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[8]
T. Sanders, « The voyage made to Tripolis in Barbarie, in the yeere 1583. With a ship called the Jesus, wherein the adventures and distresses of some Englishmen are truly reported, and other necessary circumstances observed », dans Voyager’s Tales, R. Hakluyt, Teddington, 2006, p. 14-27 ; voir S. Bono, Storiografia…, op. cit., p. 73 ; Juan de el Santissimo Sacramento (OSB), Viaje y peregrinación de Jerusalem, Lisbonne, 1844 ; G. B. Natali, Notizia che dà l’Arciconfraternita di S. Maria della Neve, detta del Gonfalone di Bologna, per lo riscatto dalle mani de’ turchi di Gio. Battista Natali cittadino bolognese già schiavo in Tunesi di Barberia. Avutosi nell’Anno 1722, Bologne, 1722 ; M. Velnet, An Affecting History of the Captivity & Sufferings of Mrs. Mary Velnet : An Italian Lady. Who was Seven Years a Slave in Tripoli, Three of which She was Confined in a Dungeon, Loaded with Irons, and Four Times Put to the Most Cruel Tortures Ever Invented by Man, Boston 1800 ; S. Daldini, Viaggio di Terra Santa, Milan, 1829.
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[9]
S. Bono, « La pirateria nel Mediterraneo. Bolognesi schiavi a Tripoli nei sec. xvii e xviii », Libia, 2/3 (1954), p. 25-37 ; id., « Slave histories and memoirs in the Mediterranean world. A study of the sources (sixteenth-eighteenth centuries) », dans Trade and Cultural Exchange in the Early Modern Mediterranean, M. Fusaro, C. Heywood et M. S. Omri dir., Londres/New-York, 2010, p. 97-115 ; id., « Il parroco Santino Daldini schiavo a Tripoli nell’estate del 1815 », Oriente Moderno, 91 (2011) (sous presse).
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[10]
J. Wright, The Trans-saharan Slave Trade, Londres/New York, 2007.
-
[11]
N. Lafi, Une ville du Maghreb entre ancien régime et réformes ottomanes, Paris, 2002.
-
[12]
S. Bono, « La vie intellectuelle européenne en Libye (1881-1911) », Revue d’histoire maghrébine, 59/60 (1990), p. 48-56.
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[13]
N. Labanca et P. L. Venuta, Bibliografia della Libia coloniale 1911-2000, Florence, 2004.
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[14]
S. Bono, « La Libia vista da un arciduca d’Austria. La crociera della “Nixe” (1873) », Islam. Storia e civiltà, 2 (1983), p. 178-185 ; id., « Corrispondenze dalla Cirenaica del capitano Giovanni Bottiglia (1881-1882) », dans Colonie africane e cultura italiana fra Ottocento e Novecento. Le esplorazioni e la geografia, Rome, 1995, p. 181-187.
-
[15]
G. Thompson, Life in Tripoli, Liverpool, 1894.
-
[16]
P. Bettoli, « Tripoli artistica e commerciale (1882) », dans Pionieri italiani in Libia, Milan, 1912, p. 127-156
-
[17]
S. Sallusti, « Bettoli Parmenio », dans Dizionario biografico degli italiani. IX, Rome, 1967, p. 766-768.
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[18]
P. Radiot, Tripoli d’Occident et Tunis. Notes et croquis, Paris, 1894.
-
[19]
J. Lorrain (pseud. de M. A. Duval), Heures d’Afrique, Paris, 1899, p. 319-335 ; nos citations suivent le texte, modifié dans une seconde édition, reproduit dans l’anthologie posthume, éditée par les soins de Georges Normandy et rehaussée de trente-trois gravures en bois par André Deslignères (Voyages, Paris, 1921, p. 141-152) ; S. Bono, « L’image de Tripoli à la fin du xixe siècle dans les écrits de Jean Lorrain », The Maghreb Review, 12/1-2 (1987), p. 38-42.
-
[20]
M. Harry, « Tripoli di Barberia », Rivista d’Africa, 1 (1911), p. 273-281.
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[21]
Sur la traite transsaharienne durant la deuxième période turque, S. Bono, « Le dernier siècle des commerces transsahariens à travers la Libye (1800-1911) », dans Actes du IVe colloque euro-africain sur « L’Histoire du Sahara et des relations transsahariennes entre le Maghreb et l’Ouest africain du Moyen-Âge à la fin de l’époque coloniale » (Erfoud, Maroc, 20-25 octobre 1985), Bergame, 1986, p. 173-180.
-
[22]
S. Bono, « Un periodico siculo-tripolino dell’ultimo decennio dell’Ottocento », Alifba, 3 (1984), p. 31-33.
-
[23]
Les « Vingt mille » furent les colons italiens qui débarquèrent en Libye dans le cadre de la campagne de peuplement organisée par le gouvernement fasciste italien en 1938.
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[24]
M. Berenson, A Vicarious Trip to the Barbary Coast, Londres, 1938.
1Je voudrais avant tout remercier les organisateurs et aussi vous donner quelques explications sur le titre, très ample et très générique, que j’ai choisi pour mon intervention ; je n’entends pas répéter ce que j’ai écrit, il y a de cela trente ans dans le volume du même titre : Storiografia e fonti occidentali sulla Libia (1510-1911) [1], auquel j’aurai l’occasion de me référer ; mais les passages que je vais exposer concernent plusieurs points et il m’aurait été difficile d’indiquer un titre précis ; somme toute, j’espère pouvoir apporter à notre débat une contribution utile.
2Dans mon travail cité, j’ai d’abord procédé à un exposé de l’historiographie sur la Libye de la conquête espagnole de Tripoli en 1510 à la veille de l’occupation coloniale italienne de 1911. Il pourrait s’avérer intéressant d’ajourner cet exposé sur ces trente dernières années, jusqu’à aujourd’hui, avec d’utiles évaluations globales sur les thèmes qui ont été sélectionnés par les chercheurs et de dire pourquoi d’autres sujets d’études, en revanche, n’ont pas retenu leur attention. Je n’ai pas l’intention de procéder maintenant à cette mise au point, d’ailleurs cela me serait impossible dans une si brève intervention ; je me limiterai donc à quelques observations générales.
3Les chercheurs libyens ont concentré leurs études sur la période coloniale et en particulier sur la phase initiale (1911-1928), et cette approche a été suivie par la plupart des auteurs d’autres pays, sauf peu de chercheurs qui se sont penchés sur l’histoire moderne comme, entre autres, Daniel Panzac, Zeltner, Pennel, Juan Bautista Vilar, Maria José Vilar, sa fille [2] ; plus récemment, des chercheurs se sont intéressés à la guerre entre Tripoli et les États-Unis, dans le cadre maghrébin [3] ; parmi les chercheurs libyens on peut citer le nom de Mohammed Said at-Tawil. Pour ce qui concerne la période « barbaresque » ou « ottomane », un beau sujet à traiter pourrait être, entre autres, celui de l’histoire de la marine de Tripoli, dès la régence jusqu’à la période des Qaramanli (1551-1835).
4Quant aux sources inédites, c’est à Paolo Toschi, avec son ouvrage intitulé Le fonti inedite della storia della Tripolitania que nous devons la première illustration, en 1934, des sources présentes à Paris et à Londres [4] ; parmi les sources françaises, il a signalé les dix-neuf premiers volumes de la Correspondance Consulaire (Tripoli de Barbarie) ; un espace est également consacré aux sources du Public Record Office et à d’autres archives conservées à Londres. Paolo Toschi a travaillé dans ces deux capitales pour le compte du Ministère italien des colonies, entre 1919 et 1920, mais les informations recueillies n’ont été publiées que plus tard.
5Dans son ouvrage, Toschi consacre une dizaine de pages à une source inédite assez importante, l’anonyme Histoire chronologique du Royaume de Tripoli, que l’on attribue à un médecin français esclave à Tripoli de 1668 à 1676 ; cet ouvrage, même s’il a déjà été utilisé par Laurent Charles Féraud et plus tard par d’autres chercheurs français et italiens, mériterait de faire l’objet d’une édition intégrale [5]. Dans le premier numéro de la revue Libia, publiée à Tripoli en 1953, je signalais déjà l’Histoire Chronologique et les informations recueillies par Toschi, en en souhaitant l’édition.
6L’auteur de l’Histoire était un esclave « européen » : je pense qu’il est préférable de ne pas toujours parler d’esclaves « chrétiens » ou d’esclaves « musulmans » puisqu’il semblerait que la diversité religieuse soit la cause principale du phénomène de l’esclavage et de tout ce qu’il y a derrière : les captures, la guerre corsaire, tous les conflits de la Méditerranée. Depuis la deuxième moitié du siècle dernier, grâce à l’ouvrage de Braudel (1949) en effet, les recherches sur la guerre corsaire et l’esclavage se sont amplifiées et même dans des pays non méditerranéens, tels que l’Allemagne et l’Angleterre. Ainsi en septembre 2012 à l’université de Zurich, un important congrès sur l’esclavage fut organisé (Transcultural Perspectives on Late Medieval and Early Modern Slavery in the Mediterranean). Un an plus tôt, au printemps 2011, on a parlé de corsaires et d’esclaves à l’université de la Ruhr à Bochum dans le cadre d’un colloque intitulé Endangered Connectivity. Piracy in the Mediterranean.
7Il faut dire aussi que nous nous sommes rendus compte que les esclaves européens n’étaient pas seulement espagnols, français et italiens, ou d’autres pays riverains de la Méditerranée, mais également allemands, anglais (nous sommes en train d’en rédiger un « Dictionnaire » [6]), en réalité ils pouvaient aussi être originaires des pays scandinaves et d’autres nations encore [7]. Certains de ces esclaves, et d’autres probablement encore à découvrir, se retrouvèrent à Tripoli qui était pourtant la ville la moins peuplée et la moins puissante des trois Régences barbaresques. Parmi eux, certains ont écrit ou dicté des lettres depuis leur lieu de détention ou bien, une fois rentrés dans leur pays, ont rédigé un récit de leur vie en esclavage. Ces textes peuvent se révéler intéressants pour nous, non seulement pour connaitre la vie de leurs auteurs ou l’histoire générale de l’esclavage, mais aussi du point de vue de l’histoire de Tripoli, de la ville, de ses édifices, de la marine, du port, des commerces et aussi de la population, de son mode de vie, et ainsi de suite. Voilà donc une autre source sur l’histoire de Tripoli digne d’attention. Citons notamment les textes, plutôt inconnus, de Thomas Saunders, Juan del Santisimo Sacramento, Giovan Battista Natali, Mary Velnet, Santino Daldini [8]. L’histoire des esclaves européens à Tripoli fait partie, par ailleurs, de l’histoire de la ville, mais les études dédiées à ce thème ne sont pas nombreuses [9].
8À Tripoli, il n’y avait pas que des esclaves européens : beaucoup étaient africains, venant des pays au sud du Sahara ; de même, il y en avait dans tous les pays arabes de l’Afrique méditerranéenne et dans tout l’Empire Ottoman ainsi que, bien entendu, dans les pays européens et particulièrement ceux du bord de la Méditerranée. Pour les autres pays du Maghreb de nombreuses études sont disponibles sur le thème de l’esclavage des noirs ; sur Tripoli par contre il n’existe, si je ne me trompe, aucune étude spécifique. Ces esclaves noirs étaient amenés à Tripoli – ça on le sait – par l’intermédiaire de la traite transsaharienne, sur laquelle on dispose d’un volume récent, très valable, de John Wright [10].
9En outre, nous savons désormais qu’il y avait là non seulement des esclaves, captifs, prisonniers européens aux pays arabo-islamiques mais qu’il y avait également au moins autant – et peut-être même davantage – d’esclaves arabo-berbères, turcs, noirs africains et autres dans les pays européens, du Portugal à l’Autriche, de l’Allemagne à Malte : parmi ces esclaves, des « Libyens », de Tripoli ou d’autres villes. De ces « Libyens » nous ne savons, je crois, que ce que nous avons pu glaner dans les études et les recherches occidentales ; à ma connaissance, jusqu’à présent, aucun document « local » n’a été trouvé.
10À propos de l’esclavage, les historiens libyens devront dépasser des réticences et un désintérêt pour ce thème, obstacles qu’ont déjà rencontré la plupart de nos collègues des autres pays maghrébins. Le phénomène de la servitude est empreint de honte et de mépris ; souvent les termes utilisés pour en parler ont tendance à minimiser la dureté de la réalité : au lieu de parler d’esclaves, on parle de captifs, de prisonniers, et même d’immigrés. Il faut certes préciser les différences du phénomène de l’esclavage, selon les personnes qui étaient concernées, les lieux et les époques diverses où on l’observe. Et surtout il est essentiel d’insister sur la contemporanéité du phénomène servile dans un vaste ensemble de pays autour de la Méditerranée, même dans les pays non côtiers. Européens, Maghrébins, Turcs, Juifs et d’autres encore ont été tout à la fois victimes et acteurs de ce phénomène.
11Je passe maintenant à un autre sujet, en me référant à Tripoli pendant la période appelée « deuxième période turque » et en particulier aux dernières décennies. Comme on le sait, nous disposons pour cette période d’un volume fondamental, celui de Nora Lafi [11] : Tripoli, malgré ses dimensions modestes, était une ville cosmopolite, et la présence de petites communautés européennes créait une certaine animation dans la vie de la cité et dans ses faits quotidiens. Parmi les sources qui narrent ces aspects et nous suggèrent des pistes pour nos recherches dans les archives locales et étrangères, il y a les reportages des journalistes et les récits des voyageurs [12].
12En procédant à des recherches ou en nous laissant porter par des guides et des répertoires bibliographiques [13], il faut prendre garde aux limites de chacun de ces ouvrages : par exemple, dans le guide des archives italiennes sur le Maghreb, élaboré par l’université de Pavie, pour le début de la période coloniale en Libye (1911-1912), des documents émanant du Ministère des affaires étrangères italien ont été évidemment répertoriés, sans toutefois qu’il soit tenu compte du fait que la principale documentation était la correspondance avec l’ambassade italienne à Istanbul et qu’elle se trouvait donc sous le nom Turquie et non celui de Tripoli ou de Tripolitaine.
13Revenons aux journalistes et aux voyageurs [14] : outre les informations concrètes qu’ils peuvent nous fournir, ces auteurs nous donnent l’image qu’ils gardent de la ville de Tripoli et la comparaison de ces images entre elles met en évidence des motifs communs, des différences et des contrastes. Dans le volume Storiografia e fonti, déjà cité, j’ai consacré un chapitre à des témoignages italiens sur la Libye du xixe siècle, en m’arrêtant sur quelques voyageurs et journalistes, tous toutefois italiens.
14Parmi ceux originaires d’autres pays européens, je vous signale, par exemple, le reportage du touriste anglais George Thompson (1894), l’un des premiers du genre, qui inclut des photos, très nettes, de ce même auteur [15]. Il fait, entre autres, allusion à des représentations théâtrales alors en cours à Tripoli : cette nouvelle n’est pas surprenante. Une décennie plus tôt déjà, en mars 1881, se trouvait à Tripoli un théâtre, le théâtre Goldoni ; ce nom solennel ne doit pas nous leurrer, il est probable qu’il s’agissait d’une simple salle en rez-de-chaussée pouvant accueillir quelques dizaines de personnes, peut-être une centaine. On ne sait rien du théâtre, me semble-t-il, mais nous connaissons Parmenio Bettoli, auteur de quelques pièces mises en scène dans ces années-là (1881-1882), parmi lesquelles La reine Esther et Le triomphe de Mardocheo, sujets bibliques susceptibles de capter l’attention de l’élite juive de Tripoli [16]. Bettoli est un écrivain et journaliste d’importance mineure mais pourtant connu (il a écrit sur Tripoli également), et l’on trouve une note à son sujet dans le Dizionario biografico degli Italiani [17]. J’ai trouvé sur son activité à Tripoli beaucoup de documents, du côté italien mais également dans les actes du Consulat général de France à Tripoli ; j’ai l’intention de rédiger quelques pages à propos de son activité dans la ville maghrébine.
15Dans ces mêmes années un voyageur français, Paul Radiot, se rendit à Tripoli puis à Tunis. Le volume qu’il rédigea s’intitule Tripoli d’Occident et Tunis (1894) ; une cinquantaine de pages évoquent Tripoli, de façon plutôt prosaïque, mais elles regorgent de faits précis sur les militaires turcs, les souks, le grand marché, les boutiques et les vêtements de la population [18].
16L’écrivain français Jean Lorrain, pseudonyme de Martial Alexandre Duval, est peut-être davantage connu ; les pages sur Tripoli se trouvent dans le volume Heures d’Afrique (1899) [19]. Le texte de Jean Lorrain est très emphatique et rhétorique, et on y sent une déception de ne pas avoir trouvé à Tripoli tout l’Orient qu’il espérait. L’auteur confond d’ailleurs, la Tripoli de Barbarie ou d’Occident avec la Tripoli libanaise, avec ses souvenirs littéraires, de la comtesse Mélisande et de son admirateur Jaufré Rudel.
17Bien plus tard, dans les mois qui précédèrent l’occupation italienne, l’écrivaine juive française Myriam Harry (en réalité Émilie Perrault) visita Tripoli [20]. La description qu’elle donne de la ville contraste avec celle qu’elle imaginait étant enfant et qui lui avait été suggérée par les récits d’un vieil esclave africain, transporté à travers le désert jusqu’à Tripoli et, de là, placé dans une famille juive de la Jérusalem turque [21]. Le vieil homme rappelait comment lui et ses camarades de malheur avaient vu des palmeraies fraîches et de douces marines à leur arrivée, alors qu’ils étaient épuisés par la longue traversée du Sahara. L’image que nous livre l’écrivaine est par contre désenchantée et amère, reflétant le sentiment d’hostilité dont elle se sent entourée et qu’elle éprouve elle-même, mêlée à un mépris qui présage d’une future confrontation sanguinaire.
18Les périodiques auraient pu faire la joie des historiens, mais ils ont pour la plupart disparu. Dans les dernières années de la période turque, il en fut publié quelques-uns à Tripoli, certains même avant encore, mais sans aucune régularité. On apprend l’existence de tels journaux par quelques numéros épars qui ont été sauvés pour le simple fait qu’ils se sont « cachés » dans les dossiers d’un bureau quelconque dont les archives ont été conservées. Malheureusement, on trouve rarement les numéros de ces publications. Je me suis notamment intéressé dans un article à l’Eco del deserto, qui était imprimé à Syracuse et, chaque semaine, distribué à Tripoli [22].
19Je voudrais vous signaler un dernier texte : il concerne les années de l’arrivée des Vingt mille [23], les dernières années du gouvernement italien, et l’auteur est Mary Berenson, l’épouse du célèbre critique d’art, Bernard, qui fit le voyage avec trois autres personnes [24] : dans ce texte, elle écrit en se basant sur le contenu de lettres reçues de ces personnes et également, vraisemblablement, sur les récits oraux de son époux.
20Je vais conclure ici, en exprimant le souhait d’une collaboration internationale avec les chercheurs libyens. Une exigence fondamentale à satisfaire à travers cette collaboration serait de faire connaître aux chercheurs en langues occidentales la production historiographique en langue arabe ; en commençant par rédiger des comptes rendus de cette production et en décidant ensuite, dans le cadre de cette collaboration, lesquels de ces textes seraient les plus intéressants pour l’ensemble des chercheurs, pour en publier ensuite la traduction, en anglais et en français.
21Entre l’annonce de cette présente rencontre et son déroulement, l’histoire de la Libye a pris un tournant décisif. Espérons que le cheminement vers le recouvrement par le peuple libyen de ses libertés fondamentales et la mise en place de mécanismes démocratiques se dérouleront dans la sagesse. Nous, historiens, ne pouvons qu’espérer que nos collègues libyens pourront effectuer leurs recherches et en publier les résultats librement ; cette liberté facilitera les possibilités de collaboration entre nos collègues libyens et ceux de tous les autres pays.
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Professeur émérite de l’Université de Pérouse. Cet article est la version annotée de la présentation orale de Salvatore Bono. Nous avons fait le choix éditorial de laisser le texte en l’état, afin de rester au plus proche du discours de l’auteur.
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[1]
S. Bono, Storiografia e fonti occidentali sulla Libia (1510-1911), Rome, 1982.
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[2]
D. Panzac, « Une activité en trompe-l’œil : la guerre de course à Tripoli de Barbarie dans la seconde moitié du xviiie siècle », Revue du monde musulman et de la Méditerranée, 47 (1988), p. 126-141 ; id., « Le commerce maritime de Tripoli de Barbarie dans la seconde moitié du xviiie siècle », Revue d’histoire maghrébine, 65/66 (1992), p. 141-167 ; id., Les Corsaires barbaresques. La fin d’une épopée 1800-1820, Paris, 1999 ; C. R. Pennell, « Tripoli, in the late seventeenth century : the economics of corsairing in a “Sterril Country” », Libyan studies, 16 (1985), p. 101-112 ; id., Piracy and Diplomacy in Seventeenth-Century North Africa. The Journal of Thomas Baker, English Consul in Tripoli, 1677-1685, Londres, 1989 ; J. B. Vilar, Mapas, planos y fortificaciones hispanicos de Libia (1515-1911), Madrid, 1997 ; id., « Los judíos de Tripoli de Libia en el siglo xix, a través de los informes consulares espa?oles », Africa, 61 (2006), p. 483-496 ; M. J. Vilar, « Un diario espa?ol inédito sobre la expedición de la Real Armada de las Dos Sicilias contra Tripoli en 1828 », Africa, 58 (2003), p. 67-88 ; id., « El nacimiento de la prensa en Libia », Africa, 59 (2002), p. 221-230 ; J.-C. Zeltner, Tripoli carrefour de l’Europe et des pays du Tchad (1500-1795), Paris, 1992.
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[3]
R. B. Parker, Uncle Sam in Barbary. A Diplomatic History, Gainesville, 2004 ; P. Soave, La « Rivoluzione americana » nel Mediterraneo : prove di politica di potenza e declino delle reggenze di Barberia (1795-1816), Milan, 2004 ; G. Restifo, Quando gli americani scelsero la Libia come « nemico », Messine, 2007.
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[4]
P. Toschi, Le Fonti inedite della storia della Tripolitania, Intra,1934.
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[5]
Sur l’ouvrage de Laurent Charles Féraud, lire l’introduction de Nora Lafi dans la nouvelle édition de l’ouvrage : L. C. Féraud, Annales tripolitaines, N. Lafi éd., Paris, 2005, p. 7-17 (1re éd.,Tunis/Paris, 1927).
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[6]
A. Duprat et S. Bono, « Répertoire Nominatif des Récits de Captivité en Méditerranée (xvie-xviiie) », Programme ANR CORSO (2007-2010), sur le site du Groupe de Recherches Orient/Occident. [En ligne], consulté le 20 février 2013. http://www.oroc-crlc.paris-sorbonne.fr/index.php?/visiteur/Projet-CORSO/Ressources/R.N.R.C.
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[7]
Pour une introduction au phénomène, S. Bono, « Récits d’esclaves au Maghreb. Considérations générales », dans Récits d’Orient dans la littérature d’Europe (xvie-xviie siècles), A. Duprat et É. Picherot dir., Paris, 2008, p. 115-122.
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[8]
T. Sanders, « The voyage made to Tripolis in Barbarie, in the yeere 1583. With a ship called the Jesus, wherein the adventures and distresses of some Englishmen are truly reported, and other necessary circumstances observed », dans Voyager’s Tales, R. Hakluyt, Teddington, 2006, p. 14-27 ; voir S. Bono, Storiografia…, op. cit., p. 73 ; Juan de el Santissimo Sacramento (OSB), Viaje y peregrinación de Jerusalem, Lisbonne, 1844 ; G. B. Natali, Notizia che dà l’Arciconfraternita di S. Maria della Neve, detta del Gonfalone di Bologna, per lo riscatto dalle mani de’ turchi di Gio. Battista Natali cittadino bolognese già schiavo in Tunesi di Barberia. Avutosi nell’Anno 1722, Bologne, 1722 ; M. Velnet, An Affecting History of the Captivity & Sufferings of Mrs. Mary Velnet : An Italian Lady. Who was Seven Years a Slave in Tripoli, Three of which She was Confined in a Dungeon, Loaded with Irons, and Four Times Put to the Most Cruel Tortures Ever Invented by Man, Boston 1800 ; S. Daldini, Viaggio di Terra Santa, Milan, 1829.
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[9]
S. Bono, « La pirateria nel Mediterraneo. Bolognesi schiavi a Tripoli nei sec. xvii e xviii », Libia, 2/3 (1954), p. 25-37 ; id., « Slave histories and memoirs in the Mediterranean world. A study of the sources (sixteenth-eighteenth centuries) », dans Trade and Cultural Exchange in the Early Modern Mediterranean, M. Fusaro, C. Heywood et M. S. Omri dir., Londres/New-York, 2010, p. 97-115 ; id., « Il parroco Santino Daldini schiavo a Tripoli nell’estate del 1815 », Oriente Moderno, 91 (2011) (sous presse).
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[10]
J. Wright, The Trans-saharan Slave Trade, Londres/New York, 2007.
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[11]
N. Lafi, Une ville du Maghreb entre ancien régime et réformes ottomanes, Paris, 2002.
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[12]
S. Bono, « La vie intellectuelle européenne en Libye (1881-1911) », Revue d’histoire maghrébine, 59/60 (1990), p. 48-56.
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[13]
N. Labanca et P. L. Venuta, Bibliografia della Libia coloniale 1911-2000, Florence, 2004.
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[14]
S. Bono, « La Libia vista da un arciduca d’Austria. La crociera della “Nixe” (1873) », Islam. Storia e civiltà, 2 (1983), p. 178-185 ; id., « Corrispondenze dalla Cirenaica del capitano Giovanni Bottiglia (1881-1882) », dans Colonie africane e cultura italiana fra Ottocento e Novecento. Le esplorazioni e la geografia, Rome, 1995, p. 181-187.
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[15]
G. Thompson, Life in Tripoli, Liverpool, 1894.
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[16]
P. Bettoli, « Tripoli artistica e commerciale (1882) », dans Pionieri italiani in Libia, Milan, 1912, p. 127-156
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[17]
S. Sallusti, « Bettoli Parmenio », dans Dizionario biografico degli italiani. IX, Rome, 1967, p. 766-768.
-
[18]
P. Radiot, Tripoli d’Occident et Tunis. Notes et croquis, Paris, 1894.
-
[19]
J. Lorrain (pseud. de M. A. Duval), Heures d’Afrique, Paris, 1899, p. 319-335 ; nos citations suivent le texte, modifié dans une seconde édition, reproduit dans l’anthologie posthume, éditée par les soins de Georges Normandy et rehaussée de trente-trois gravures en bois par André Deslignères (Voyages, Paris, 1921, p. 141-152) ; S. Bono, « L’image de Tripoli à la fin du xixe siècle dans les écrits de Jean Lorrain », The Maghreb Review, 12/1-2 (1987), p. 38-42.
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[20]
M. Harry, « Tripoli di Barberia », Rivista d’Africa, 1 (1911), p. 273-281.
-
[21]
Sur la traite transsaharienne durant la deuxième période turque, S. Bono, « Le dernier siècle des commerces transsahariens à travers la Libye (1800-1911) », dans Actes du IVe colloque euro-africain sur « L’Histoire du Sahara et des relations transsahariennes entre le Maghreb et l’Ouest africain du Moyen-Âge à la fin de l’époque coloniale » (Erfoud, Maroc, 20-25 octobre 1985), Bergame, 1986, p. 173-180.
-
[22]
S. Bono, « Un periodico siculo-tripolino dell’ultimo decennio dell’Ottocento », Alifba, 3 (1984), p. 31-33.
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[23]
Les « Vingt mille » furent les colons italiens qui débarquèrent en Libye dans le cadre de la campagne de peuplement organisée par le gouvernement fasciste italien en 1938.
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[24]
M. Berenson, A Vicarious Trip to the Barbary Coast, Londres, 1938.