Notes
-
[1]
J. A. Brillat-Savarin, Physiologie du goût, J.-F. Revel préf., Paris, 1982 (1re éd., 1825).
-
[2]
Ibid., p. 15
-
[3]
J.-L. Flandrin, « De la diététique à la gastronomie ou la libération de la gourmandise », dans Histoire de l’alimentation, J.-L. Flandrin et M. Montanari dir., Paris, 1996, p. 683-704 ; B. Laurioux, Gastronomie, Humanisme et Société à Rome au milieu du xve siècle, autour du De honesta voluptate de Platina, Florence, 2006.
-
[4]
L. Messedaglia, Per la storia dell’agriculura e dell’alimentazione, Plaisance, 1932 ; L. Febvre et J.-J. Hemardinquer, « Histoire de l’alimentation », Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, 17/5 (1962), p. 913-916.
-
[5]
F. Braudel, « Alimentation et catégories de l’histoire », Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, 16/4 (1961), p. 723-728. Voir aussi R. Philippe, « Commençons par l’histoire de l’alimentation », Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, 16/3 (1961), p. 549-552.
-
[6]
A. Gottschalk, Histoire de l’alimentation et de la gastronomie, Paris, 1948 ; et M. Aymard, « Pour l’histoire de l’alimentation : quelques remarques de méthode », Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, 30/2-3 (1975), p. 431-444 ; L. Lagriffe, Le Livre des épices, des condiments et des aromates, Vauvenargues, 1968.
-
[7]
B. Laurioux, Manger au Moyen Âge. Pratiques et discours alimentaires en Europe aux xive et xve siècles, Paris, 2002.
-
[8]
P. Meyzie, L’Alimentation en Europe à l’époque moderne, Paris, 2010, p. 8.
-
[9]
J.-L. Flandrin, Chronique de Platine. Pour une gastronomie historique, Paris, 1992.
-
[10]
Anne-Marie Thiesse l’envisage comme une recension de pratiques populaires devant illustrer une identité nationale, A.-M. Thiesse, La Création des identités nationales. Europe xviiie-xxe siècle, Paris, 1999. Voir aussi J. Gottfried von Herder, Idées sur la philosophie de l’histoire de l’humanité, E. Quinet trad., Paris, t. II, 1827 (1re éd., allemande, 1784), p. 65-66 ; et sur la question des pratiques gastronomiques, dans l’école folkloriste allemande, K. Roth, « Nahrung als Gegenstand der volkskundlichen Erforschung des östlischen Europa », dans Essenkultur und Kulturelle Identität. Ethnologische Nahrungsforschung im östlischen Europa, H. M. Kalinke, K. Roth et T. Weger dir., Oldenbourg, 2010, p. 27-38.
-
[11]
C. Lévi-Stauss, Mythologiques, 4 t., Paris, 1964-1971 ; O. Redon, F. Sabban et S. Servanti, La Gastronomie au Moyen Âge, 150 recettes de France et d’Italie, Paris, 1991 ; De la cuisine à la table. Essai sur la cuisine au Moyen Âge et répertoire des manuscrits médiévaux contenant des recettes culinaires, C. Lambert dir., Paris/Montréal, 1994 ; et S. Yérasimos, À la table du Grand Turc, Arles, 2001.
-
[12]
C. Benporat, Storia della gastronomia italiana, Milan, 1990 ; La Sociabilité à la table. Commensalité et convivialité à travers les âges, M. Aurell, O. Dumoulin et F. Thelamon éd., Rouen, 1992.
-
[13]
J.-F. Revel, Un festin en paroles. Histoire littéraire de la sensibilité gastronomique de l’Antiquité à nos jours, Paris, 1978.
-
[14]
P. Ory, Le Discours gastronomique des Français. Des origines à nos jours, Paris, 1998.
-
[15]
D. Latouche, Voulez-vous manger avec moi ? Pratiques interculturelles en France et au Québec, Montréal, 2003, p. 205 et suiv.
-
[16]
J.-R. Pitte, Gastronomie française. Histoire et géographie d’une passion, Paris, 1992 ; A. Capati et M. Montanari, La Cucina italiana. Storia di une cultura, Rome/Bari, 2000 ; D. C. Kraemer, Jewish Eating and Identity Through the Ages, Londres, 2007, p. 191-209 ; et en contrepoint U. R. Orth et Z. Firbasova, « The role of consumer ethnocentrism in food product evaluation », Agribusiness, 19/2 (2003), p. 137-153.
-
[17]
Essen und kulturelle Identität. Europäische Pespective, H. J. Teuteberg, G. Neumann et A. Wielacher dir., Berlin, 1997 (Kulturthema Essen, 2) ; S. Bak-Geller Corona, « Les livres de recettes “francisés” au Mexique au xixe siècle. La construction de la nation et d’un modèle culinaire national », Anthropology of Food, 4 (2008), en ligne : http://aof.revues.org/index2992.html.
-
[18]
P. Meyzie, L’Alimentation en Europe à l’époque moderne, Paris, 2010, p. 25-26.
-
[19]
Ibid., p. 7-16 ; citons également K. Stengel, La Gastronomie. Du produit à l’assiette, Saint-Cyr-sur-Loire, 2007 ; ou encore R. Dumay, De la Gastronomie française, Paris, 2009.
-
[20]
A. Drouard, Le Mythe gastronomique français, CNRS éditions, Paris, 2010, dont le dernier chapitre traite du phénomène « Slow Food ». Citons M. Barrière, historienne de l’alimentation qui a créé, avec d’autres spécialistes, De Honesta Voluptae, association née après la mort de J.-L. Flandrin et qui hérite des idées de l’historien. Sont également membres du comité national de l’Arche du Goût de Slow Food France : D. Chabrol, chercheur au CIRAD et M. Chauvet, botaniste à l’INRA.
-
[21]
T. Zeldin, Histoire des passions françaises, t. III : Goût et Corruption, Paris, 1979 (1re éd., 1973).
-
[22]
C. Lévi-Strauss, Mythologiques, t. I : Le Cru et le Cuit, Paris, 1964.
-
[23]
S. Mintz, Sweetness and Power. The Place of Sugar in Modern History, New York, 1986. L’anthropologue élargit le champ d’application du triangle culinaire de Lévi-Strauss et analyse l’évolution de la consommation du sucre en Angleterre, du xvie au xixe siècle, vers une consommation de masse.
-
[24]
Gastronomy. The Anthropology of Food and Food Habits, M. L. Arnott éd., La Haye/ Paris, 1976 ; M. D. Sahlins, La Découverte du vrai sauvage et autres essais, C. Voisenat trad., Paris, 2008, p. 260-263 (1re éd., anglaise, 2000).
-
[25]
J. Goody, Cooking, Cuisine and Class : a Study in Comparative Sociology, Cambridge, 1982 ; L. Kolmer et C. Rohr, Mahl und Repräsentation. Der Kult ums Essen, Paderborn, 2000.
-
[26]
M. Onfray, La Raison gourmande, Paris, 1995 : B. Laurioux, Manger au Moyen Âge…, op. cit., Paris, 2002.
-
[27]
The Emergence of the Gastrosexual, Londres, 2008. Ce rapport édité par la Future Fondation a été commandé par le consortium agroalimentaire PurAsia.
-
[28]
M. Chebel, Dictionnaire des symboles musulmans, Paris, 2001, p. 169-170 (1re éd., 1995).
-
[29]
Respectivement Cantique des cantiques, chapitre 7 et 13 ; G. Moustaki, « Ce soir mon amour », Moustaki, Paris, 1974, piste 6 ; Mémoires de Lorenzo Da Ponte. Librettiste de Mozart, D. Fernandez éd., Paris, 1988, p. 153-154.
-
[30]
P. Schmitt Pantel, « Banquet et cité grecque », Mélanges de l’École française de Rome. Antiquité, 97/1 (1985), p. 287-312 ; et C. Gauvard, « Cuisine et paix en France à la fin du Moyen Âge », dans La Sociabilité à la table…, op. cit, p. 325-334.
-
[31]
Gastronomy. The Anthropology of Food…, op. cit. ; N. Offenstadt, Faire la paix au Moyen Âge, Paris, 2007.
-
[32]
H. d’Almeida-Topor, Le Goût de l’étranger. Les saveurs venues d’ailleurs depuis la fin du xviiie siècle, Paris, 2008.
-
[33]
Cette distinction volontairement estompée en France dans la médiatisation du classement est pourtant fondamentale. Voir « Le repas gastronomique des Français », bien inscrit en 2010 sur la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité, Décision 5.COM 6.14. En ligne : http://www.unesco.org/culture/ich/index.php?RL=00437.
-
[34]
S. Mullot, « Chabines et métisses dans l’univers antillais. Entre assignations et négociations identitaires », Clio, 27 (2008), p. 115-134.
-
[35]
O. Assouly, Les Nourritures nostalgiques. Essai sur le mythe du terroir, Arles, 2004 ; C. Petrini, Bon, Propre et Juste. Éthique de la gastronomie et sauvegarde alimentaire, Paris, 2006.
-
[36]
D. Fournier, « Deux ou trois choses que nous offre le soleil… Le repas au Mexique », dans Tables d’hier, Tables d’ailleurs, J.-L. Flandrin et J. Cobbi éd., Paris, 1999, p. 459 ; F. Régnier, L’Exotisme culinaire : essai sur les saveurs de l’autre, Paris, 2004 ; H. Balfet, « Fabounade ou cassoulet. Variation sur un mets traditionnel du Haut-Languedoc », dans Cuisines. Reflets des sociétés, M.-C. Bataille-Benguigui et F. Cousin éd., Saint-Maur, 1996, p. 145-151.
-
[37]
R. Bonnain-Dulon et A. Brochot, « De l’authenticité des produits alimentaires », Ruralia, 14 (2004). En ligne : http://ruralia.revues.org/969.
-
[38]
J.-P. Poulain, Sociologies de l’alimentation. Les mangeurs et l’espace social alimentaire, Paris, 2002, p. 33.
-
[39]
S. Gruzinsky, La Pensée métisse, Paris, 1999.
-
[40]
I. Abou Sall, « Les céréales et le lait au Fuuta Tooro (Mauritanie, Sénégal) : un métissage culinaire », dans Cuisine et Société en Afrique. Histoire, saveurs et savoir-faire, M. Chastanet, F.-X. Fauvel-Aymar et D. Juhé-Beaulaton éd., Paris, 2002, p. 191-204.
-
[41]
N. Wachtel, La Vision des vaincus, Paris, 1971.
-
[42]
D.-C. Martin, « Le poids du nom. Culture populaire et construction identitaire chez les “Métis” du Cap », Critique internationale, 1 (1998), p. 73-100 ; et pour l’exemple du bobotie, p. 92.
-
[43]
D. Roche, Le Peuple de Paris : essai sur la culture populaire au xviiie siècle, Paris, 1981, p. 58.
-
[44]
G. Ritzer, The McDonaldization of Society, Los Angeles, 2008 ; R. Matta, « “L’indien” à table dans les grands restaurants de Lima (Pérou). Cuisiniers d’élite et naissance d’une “cuisine fusion” à base autochtone », Anthropology of Food, 7 (2010), en ligne : http://aof.revues.org/index6592.html.
-
[45]
M. Dedeire et S. Tozanli, « Les paradoxes des distances dans la construction des identités alimentaires par acculturation », Anthropology of Food, 3 (2007). En ligne : http://aof.revues.org/index2582.html.
-
[46]
J.-L. Amselle, Logiques métisses, Anthropologie de l’identité en Afrique et ailleurs, Paris, 1990, p. 248.
-
[47]
M. D. Sahlins, La Découverte du vrai Sauvage…, op. cit. ; F. Barth, Ethnic Groups and Cultural Boundaries. The Social Organization of Culture Difference, Oslo, 1969.
-
[48]
« Le concept linguistique de créolisation permet à la fois d’intégrer une dimension dynamique dans la compréhension des mécanismes de métissage et de poser comme un tout organisé faisant système les formes qui en sont issues ». J.-P. Poulain, Sociologies de l’alimentation…, op. cit., p. 34.
-
[49]
M. D. Sahlins, Au cœur des sociétés. Raison utilitaire et raison culturelle, S. Fainzang trad., Paris, 1980 (1re éd., anglaise, 1976).
-
[50]
Pour une approche pluridisciplinaires ; voir Métissages, L. Ommundsen Pesoa, M. Prum et T. Vircoulon éd., Paris, 2011 ; S. Gruzinski, La Pensée métisse, op. cit. ; J. Dakhlia, Lingua franca. Histoire d’une langue métisse en Méditerranée, Arles, 2008. Pour l’emploi de la notion de « fusion » voir R. Matta, « “L’indien” à table… », art. cité ; A Whittaker, « L’endogène. Pour le dépassement des limites du métissage et de la créolité », Socio-anthropologie, 11 (2002), en ligne : http://socio-anthropologie.revues.org/index143.html.
-
[51]
H. d’Almeida-Topor, Le Goût de l’étranger…, op.cit. L’historienne a par ailleurs présenté ses idées à propos des métissages culinaires lors d’une conférence donnée au Musée du quai Branly, le 10 mars 2009.
-
[52]
J. Goody, Cooking, Cuisine…, op. cit. ; voir également P. Bourdieu, La Distinction. Critique sociale du jugement, Paris, 1979.
-
[53]
J. Guilhaumou, « L’historien du discours et la lexicométrie », Histoire et Mesure, 1/3-4 (1986), p. 27-46.
-
[54]
G. Lenclud, « Quand voir c’est reconnaître. Les récits de voyage et le regard anthropologique », Enquête. Anthropologie, histoire, sociologie, 1 (1995), p. 113-129 ; et pour un contrepoint D. Roche, Humeurs vagabondes. De la circulation des hommes et de l’utilité des voyages, Paris, 2003.
-
[55]
G. Shubert, « Deutschprachige Reisebericht zu Eßgewohnheiten und Tischsitten der Muslime auf dem osmanisch besetzten Balkanr », dans Körper, Essen und Trinken im Kulturverständnis der Balkanvölkern, D. Burkhart dir., Wiesbaden, 1991, p.r107-116.
-
[56]
Voir la méthode utilisée par C. Ginzburg, Le Fromage et les Vers, histoire d’un meunier au xvie siècle, Paris, 1989 ; et plus récemment C. Madeira Santos, « Les savoirs africains au cœur des savoirs missionnaires : fragments, appropriations et porosités de Cavazzi di Montecuccoli » dans Actes du colloque « Les savoirs du missionnaire » (Madrid, janvier 2007), Madrid, à paraître.
-
[57]
Au plus près du secret des cœurs ? Nouvelles lectures historiques des écrits du for privé en Europe du Xvie au xviiie siècle, J.-P. Bardet et F.-J. Ruggiu dir., Paris, 2005.
1La gastronomie est une notion ambivalente, tantôt confisquée par un discours élitiste de l’« art de la bonne chère », tantôt assimilée par une culture du boire et du manger construite autour de ces pratiques. En 1826, Brillat-Savarin l’explicitait en « art de régler l’estomac ». Mêlant considérations médicales et recettes de cuisine, il transforme la gastronomie en Physiologie du goût ou Méditations de gastronomie transcendante [1]. Dès lors perçue comme le fait de « gastronomes », elle est « la connaissance raisonnée de tout ce qui se rapporte à l’homme en tant qu’il se nourrit » [2]. Cette conception creuse le fossé qui sépare des cuisines dites populaires de celles dites gastronomiques, que l’on retrouve à la table des grands. La gastronomie, dans cette prétention des plus élitistes, est dénoncée par Jean-Louis Flandrin comme une « pseudo-science du bien-manger » issue d’une rationalisation des pratiques et des consommations alimentaires, et remet en cause les principes d’une diététique née des Lumières [3]. Aussi, elle ne peut être comprise sans être rattachée à la construction des identités nationales tout comme elle présente des caractéristiques qui n’ont cessé d’être interrogées et mises en cause par les historiens.
2Dans les années 1930, une première histoire française et italienne de l’alimentation n’accorde qu’une place extrêmement étroite à la gastronomie. Développée par la première école des Annales, cette histoire est profondément économique et lie l’alimentation à l’étude démographique des sociétés et aux conditions de subsistance des populations observées [4]. Si, en 1961, dans son appel à un renouveau de l’histoire de l’alimentation, Fernand Braudel accorde une place au « bien manger », celui-ci reste d’ordre sanitaire et nutritif et la gastronomie semble méprisée [5]. En France et en Italie, elle ne serait en fait que le souci de ceux qui n’ont pas à se poser la question de la subsistance [6]. Il faut attendre les années 1980 et l’histoire culturelle pour que l’alimentation soit reconnue comme un objet historique autonome. La gastronomie est alors traitée de deux façons et ce parfois conjointement, comme le propose Bruno Laurioux [7]. L’une concerne sa matérialité et se concentre sur l’étude de ses pratiques : les aliments consommés, les manières de table, les modes de préparation culinaires. L’autre est davantage centrée sur les représentations qui ordonnent ces pratiques : dénommée « histoire du goût », elle porte sur l’analyse de sources littéraires (livres de cuisine, traités et récits de voyage par exemple). Le problème des terminologies à adopter se pose alors. Issue d’une histoire qui, par ses sources, « a conduit à privilégier la table des grands hommes et la cuisine de cour censées incarner la grandeur nationale », la nouvelle histoire de l’alimentation se doit de définir rigoureusement les outils conceptuels sur lesquels elle repose [8].
3Les historiens sont donc amenés à réfléchir sur ce que la notion de « gastronomie » apporte à l’étude de l’alimentation et en quoi elle peut la dépasser. Dans sa Chronique de Platine, Jean-Louis Flandrin revendique la profondeur historique de la gastronomie en exposant des équivalents de la notion apparue au xixe siècle à des périodes antérieures [9]. En 1784, Johann Gottfried von Herder liait déjà boire et manger au génie des peuples qu’il observait, posant ainsi les bases du folklorisme allemand [10]. Dans les années 1980, en France, la notion de gastronomie s’inscrit dans une histoire plus générale de la vie quotidienne influencée par l’ethnologie structuraliste et profondément liée à l’Alltagsgeschichte et à sa composante consacrée à l’Eß- und Trinkkultur [11]. Cette histoire interroge les modes de consommation, les produits, leur préparation, puis tout autant la commensalité que la convivialité, pour ne pas écrire la sociabilité de la gastronomie [12].
4Cependant, la construction de la gastronomie comme un objet autonome d’histoire pose des questions épistémologiques complexes quant aux distinctions à établir entre « gastronomie », « cuisine », « alimentation » ou encore « culture alimentaire ». En 1978, Jean-François Revel définissait la cuisine comme le perfectionnement de l’alimentation, et la gastronomie comme celui de la cuisine [13]. Cette structure hiérarchique, qui repose sur une subordination de l’alimentation et de la cuisine à la gastronomie, est démentie par Pascal Ory, notamment. En 1998, celui-ci revient sur l’essai de Revel et délimite plus clairement les frontières entre les trois notions. La gastronomie ou gastrologie serait un discours rationnel, partiel et équivoque sur la cuisine [14]. Cette définition émerge avec le linguistic turn et la disqualification des sources les plus classiques utilisées pour faire l’histoire de l’alimentation que sont les livres de cuisine, les traités et les guides [15].
5Malgré tout, le lien établi entre gastronomie et discours ne fait toujours pas l’unanimité parmi les historiens. Encore considérée comme un fait patrimonial au cours des années 1990, la gastronomie est régulièrement convoquée comme un discours et un ensemble de pratiques identitaires distinguant les cultures, les nations et les communautés religieuses, puis aussi les groupes sociaux, les genres ou les générations [16]. Les travaux sur les identités nationales ont au même moment encouragé des historiens, comme Hans-Jürgen Teuteberg, à envisager l’identité comme une construction dont on pouvait étudier le discours, le processus et les stratégies [17]. De nouveau, l’histoire de l’alimentation intervient en première ligne de l’histoire culturelle, montrant sa capacité d’évolution vers ce qui peut être aujourd’hui considéré comme une « histoire des cultures alimentaires » [18]. Celle-ci, telle que Philippe Meyzie la définit, condamne l’utilisation du terme « gastronomie », et d’autres ouvrages récents continuent d’assimiler la « gastronomie » à la « cuisine savante » [19].
6Par ailleurs, dans une mondialisation des pratiques alimentaires toujours croissante, ces enjeux révèlent parfois des positionnements plus politiques ou idéologiques que scientifiques, articulés autour des dynamiques du local et du global. Des dialectiques sont posées : identité et altérité, uniformisation des pratiques à l’échelle de la planète par les industries agroalimentaires et maintien des terroirs ne sont que les manifestations les plus caractéristiques de cette tendance. La dénonciation du « mythe gastronomique français » par Alain Drouard est l’exemple le plus criant de cette remise en question. Celle-ci peine toutefois à se faire entendre face à l’engagement d’intellectuels et de chercheurs français dans la croisade lancée par Carlo Petrini et Slow Food contre la « standardisation du goût » et sa volonté de constituer des « arches » afin de préserver des produits d’un terroir qui se veut authentique [20]. Cette manifestation de ce que Théodore Zeldin a nommé les « passions françaises » vient fausser les perspectives épistémologiques d’une histoire des gastronomies [21]. Face à ces quelques récentes tentatives de déconstruction, il est nécessaire de redonner à cet objet une dimension scientifique.
7En effet, la critique du discours gastronomique doit s’enrichir d’une définition anthropologique de la gastronomie. D’abord appliquée à la cuisine par Claude Lévi-Strauss, l’anthropologue la considère comme un système qui se situe au sein d’un champ sémantique triangulaire – le cru, le cuit et le pourri – et comme un « langage dans lequel [une société] traduit inconsciemment sa structure » [22]. Dès les années 1970, les historiographies allemande et anglo-américaine reconnaissaient ce système lévi-straussien pour la gastronomie et l’inséraient dans une perspective anthropologique plus large comme cette part de la culture consacrée au boire et au manger et au sens donné à ces pratiques [23]. En ce sens, et tout comme Margaret L. Arnott la propose ou que Marshall D. Sahlins l’utilise, la gastronomie n’est plus simplement discours mais devient plus largement langage [24]. Le terme « gastronomie » désigne des réalités qui ne peuvent être réduites à de simples faits alimentaires. Initialement cantonnée au statut de science réservée à une élite, la gastronomie est analysée ici dans des périodes plus anciennes et, ainsi que le proposait Jack Goody, elle interroge l’ensemble du champ social et des groupes qui le composent [25].
8N’en déplaise alors à Harpagon, boire ou manger ce n’est pas que s’alimenter, c’est-à-dire répondre bien ou mal, consciemment ou instinctivement, à un besoin biologique de survie ou de conservation. Boire et manger peuvent répondre à d’autres critères et envies comme en témoignent un certain nombre de comportements alimentaires actuels, dénigrés parce qu’ils refusent les cadres du nouveau diktat sanitaire et diététique de l’alimentation. Certes, ces envies, peuvent relever de troubles alimentaires, mais elles interrogent aussi le goût et le plaisir [26]. Réinvestissant la vieille domination des hommes dans la cuisine, le « gastrosexuel », actuel concept du marketing, ne fait qu’en solliciter les ressorts [27]. Plus traditionnellement, la symbolique de la figue est connue de tous les auteurs méditerranéens, qu’ils soient chrétiens, juifs ou musulmans [28]. Et que dire du vin si ce n’est qu’il occupe une place majeure dans l’imaginaire de la sexualité occidentale ? Des vignes en fleur de Salomon au vin que buvait Georges Moustaki après l’amour, en passant par l’inspiration que Lorenzo Da Ponte ne trouve que dans une bouteille de Tokaji apportée par sa jeune camériste qu’il aurait voulu n’aimer que comme un père, le vin appartient à l’univers érotique [29]. Il nous invite à dépasser le constat de l’existence d’un (ou de) discours gastronomique(s) et à ouvrir les portes d’une anthropologie de la gastronomie. Enfin, boire et manger peuvent participer à des rituels sociaux dont la finalité n’est pas alimentaire, ainsi que Pauline Schmitt Pantel et toute une historiographie des banquets antiques, mais aussi médiévaux, l’a souligné [30]. Ces pratiques témoignent d’une cosmologie qui relève d’une étude du don, du partage ou de rituel d’interaction, voire de confrontation [31].
9Par ailleurs, considérer la gastronomie comme le rhizome d’une culture nous permet de nous placer au niveau des pratiques et de leurs dynamiques. Les gastronomies ne sont pas inertes et ne constituent pas les vestiges d’un patrimoine à préserver. Bien au contraire, elles dépendent des conditions matérielles d’une société, des stratégies sociales des groupes qui les pratiquent tout comme elles accompagnent les transformations de ces sociétés et de ces groupes. Aussi, elles ne peuvent être envisagées sans considération des métissages qui les traversent, les structurent, les maintiennent et les transforment [32]. En 2010, après avoir refusé de classer la gastronomie française au Patrimoine culturel immatériel de l’humanité et proposé une révision du dossier autour du modèle du repas gastronomique, l’Unesco excluait ainsi la possibilité de faire de la gastronomie l’outil d’une politique identitaire [33]. A contrario, elle affirmait bien l’idée que la gastronomie se construit autour de pratiques, certes ritualisées mais au demeurant souples, incorporant et s’appropriant en permanence des éléments (ingrédients, plats, techniques, lieux de consommation, totems et tabous…) et des acteurs (économiques, sociaux, religieux, culturels, politique…) nouveaux. La gastronomie est alors reconnue comme traversée de métissages.
10Or, longtemps, le métissage a été perçu comme une altération biologique dénoncée dans un souci de recherche ou de préservation de pureté [34]. Et comment ne pas souligner le retour de ce présupposé dans une recherche nouvelle d’authenticité et donc du refus du métissage qu’incarnent AOC, AOP, IGP et autres labels qui la classent, la contrôlent et la protègent, et alors qu’avec Slow Food elle possède déjà ses « sentinelles » [35] ? Loin d’être considéré comme un acquis, le métissage gastronomique renvoie encore trop souvent à un phénomène exotique, si bien qu’il est plus aisé pour un Européen de le regarder dans un mole mexicain que dans un cassoulet toulousain, à l’exemple de Hélène Balfet, qui tente de revenir sur les origines américaines de ce plat bien ancré dans la culture gastronomique française. Selon elle, la fabounade, ragoût de fèves préparé dans la zone montagneuse du Haut-Languedoc dès le Moyen Âge, serait le véritable ancêtre du cassoulet [36]. Tantôt, parce qu’il est exotique et donc rare, le métissage gastronomique est perçu comme une fantaisie attractive [37] ; il devient alors un outil ludique de distinction pour ceux qui peuvent s’en approprier les codes [38]. Tantôt, parce qu’il transforme les cuisines, il est regardé avec mépris comme un manque de savoir-vivre grossier et se voit opposer la qualité de cuisines étrangères vécues, c’est-à-dire dégustées, comme plus authentiques.
11Les sciences sociales ne sont pas vraiment restées à l’écart de cette série de préjugés. Elles l’ont parfois plus accompagnée que déconstruite [39]. Rejetant le préjugé biologique, le métissage gastronomique a reposé sur une réification des cultures alimentaires. Quelle que soit l’échelle de son analyse, le métissage est d’abord étudié entre des communautés culturelles différentes ou envisagées comme telles [40]. Il fait rarement l’objet de l’étude d’une concoction égalitaire. C’est la volonté de domination d’une culture sur une autre qui l’impose [41]. Il peut alors être considéré comme une forme de résistance ou de négociation avec les pratiques et les goûts du conquérant, mis à la sauce du conquis, avant que ce dernier n’en perçoive le produit comme une niche identitaire à préserver [42]. Intégrant cette logique de domination, le métissage ne s’opère pas exclusivement entre différentes cultures, mais peut être analysé à l’intérieur d’une même société [43]. Le métissage s’objective alors comme un processus permanent d’intégration et de transformation d’éléments exogènes aux pratiques d’une société. Mais, comme outil, il peut aussi servir une volonté de domination et s’inscrire dans des stratégies économiques, en mettant ses propres plats au goût de l’autre afin de mieux les lui imposer [44].
12Le métissage se distingue encore d’autres outils constitués pour cerner les logiques d’échanges dites interculturelles et, en particulier, le transfert et l’acculturation [45]. Ces deux notions présentent deux problèmes fondamentaux. Tout d’abord, elles continuent de réifier les cultures. Toutes deux visent à distinguer les origines et à faire la part des apports respectifs dans un produit obtenu. Comme l’a souligné Jean-Loup Amselle, le métissage doit être compris comme « un mélange dont il est impossible de dissocier les parties » [46]. Il permet d’échapper au piège de la réification et de renverser le regard en observant des pratiques en permanente évolution. Et c’est bien là la seconde critique que le métissage peut opposer à l’acculturation et au transfert culturel. Ces derniers sont des outils qui ne peuvent rendre compte que d’un processus achevé, alors que le métissage est une dynamique qui ne s’arrête qu’avec la disparition de la culture qu’elle structure [47]. Le métissage gastronomique se rapprocherait donc de la créolisation, les deux étant complémentaires pour Jean-Pierre Poulain qui considère la créolisation comme un processus incluant de façon systémique de multiples métissages [48].
13Ainsi, comme l’a mis en évidence Marshall D. Sahlins, la gastronomie et, de façon plus générale, la culture, sont autant des visions du monde que des faits sociaux qui peuvent faire l’objet de tensions [49]. Cela implique de construire des objets modestes pour saisir les logiques de métissage au plus près des sociétés, soit la « fusion » permanente d’éléments exogènes [50]. Cette fusion induit à son tour une transformation tant de ce qui est intégré que des structures qui intègrent et peuvent s’infléchir en intégrant. Le métissage se décline d’une assimilation totale au rejet, selon des nécessités du contexte et les stratégies et moyens des hommes. Enfin, le métissage se situe entre et au sein de toutes les gastronomies, c’est-à-dire entre les sociétés et les groupes sociaux dans leurs diversités. Il n’y a pas de gastronomie sans métissage et, de ce fait, la gastronomie ne peut être patrimonialisée, réduite à un outil politique qui la fige et l’impose. Elle échappe à ceux qui veulent se l’approprier. En ce sens, Hélène d’Almeida-Topor revendique bien l’existence de « métissages culinaires » mais préfère s’écarter des débats théoriques qui entourent le concept, pour s’attacher au processus concret. Ainsi, elle répertorie trois moments où s’exercent les métissages : celui de la transplantation d’un produit brut, celui de la confection des plats et celui de la commensalité [51]. Nous ajoutons à ce tableau – et cela est propre à la critique de Jack Goody –, que ces métissages sont socialement et géographiquement marqués, et peuvent être autant des facteurs de cohésion ou de distinctions sociales [52].
14Les cinq contributions de ce dossier discutent du métissage gastronomique aussi bien dans ses sources que dans ses thématiques. Les auteurs se sont inscrits dans une chronologie large allant de l’Antiquité au temps présent, confrontant des espaces variés (sociétés américaines, africaines et européennes) en observant ces métissages autant entre qu’au sein de ces sociétés. Cette diversité des regards met en évidence l’objet commun sur lequel ils se portent. Analyser les métissages gastronomiques implique une approche méthodologique qui s’écarte des outils traditionnellement utilisés, à savoir l’examen des livres de recettes ou encore des traités de l’art de cuisiner. La gastronomie comme fait social est ici abordée par ses pratiques. Outre l’influence des approches socio-anthropologiques, la dimension pluridisciplinaire des études proposées apparaît également au sein de l’analyse de discours mettant en scène une dialectique du Même et de l’Autre. Satires latines des premières heures de l’Empire romain ou affiches de la propagande politique américaine lors de la première guerre mondiale et de la Prohibition nous permettent de mettre en exergue un autre aspect de ces discours. Pour les premières, ils sont la dénonciation de pratiques gastronomiques dont la diffusion ne respecte pas la ségrégation juridique et sociale de la cité et témoignent donc d’un métissage des pratiques. Pour les secondes, ils invitent à une réappropriation identitaire de cuisines dont la pratique semble déborder la communauté d’origine à laquelle on attribue leurs introductions respectives sur le sol américain, rejoignant ainsi l’enlèvement et la totémisation du café par la société viennoise du xviiie siècle.
15À ces sources internes aux sociétés peut s’ajouter le regard externe des voyageurs, contextualisé et soumis aux outils linguistiques et de l’anthropologie [53]. Dans l’Angola du xvie siècle, la Vienne du xviiie ou la Massawa du xixe siècle, peu importe la véracité du contenu de récits de voyage qui s’imitent et se répètent. Ils sont tout autant la mise en scène d’une initiation vécue par l’auteur que proposée à son lecteur, et dévoilent un monde inconnu dont l’exotisme est toujours exagéré [54]. Aussi ces textes ne nous renseignent pas tant sur la gastronomie des sociétés traversées et décrites que sur celle de l’auteur, via le sens que celui-ci confère aux pratiques de l’autre et donc aux siennes. Par ailleurs, ces sources de l’expérience gastronomique d’anthropologues en soutane ou culotte de soie ne sauraient uniquement être opposées aux sources normatives de la gastronomie. Elles peuvent, voire doivent, être replacées en amont, invitant à la construction des catégories d’analyse et des préjugés qui permettent à une société, un groupe ou un individu de cerner l’altérité [55].
16Le métissage serait-il donc autre chose qu’anodin ? Missionnaires jésuites du Portugal du xvie siècle ou franciscains de Bohême du xviiie siècle témoignent par « fragments » d’un quotidien devenu banal, mais qu’ils savent surprenant pour leurs lecteurs [56]. Dans la Rome julio-claudienne comme dans la Vienne de l’Aufklärung, fréquenter ou ne pas fréquenter les popinae et les cafés relève d’une convention pour des auteurs possédant les mêmes cadres référentiels supposés que leurs lecteurs. Les relations de voyage ne sont parfois que des écrits du for privé qui ont été soumis à une publication à laquelle ils n’avaient pas été destinés. Elles rejoignent dans leur intérêt journaux intimes et livres de raison. L’importance que ces auteurs accordent à leurs pratiques de boire et de manger nous permet d’interroger le rapport à la norme et au sens de ces pratiques, souvent liées à d’importantes considérations spirituelles [57]. Ici aussi, le quotidien nous est accessible, biaisé et exagéré certes, mais absolument pas disqualixé. Enfin, les articles de la presse américaine publiés lors de la guerre d’Irak de 2003, nous disent-ils autre chose que le poids des habitudes face à la violence du volontarisme politique, quand à la cantine du Congrès, les freedom fries ne parviennent pas à « basher » les French fries comme le frankfurter le fut par le hot dog. Cela en dit long sur ces épithètes identitaires qui sont depuis longtemps vidées de leur substance et ne constituent pas les totems qu’on avait voulu ou que l’on voudrait qu’elles soient.
17Les interventions de ce dossier montrent que le métissage gastronomique est bien celui de la commensalité à Rome, à Massawa et à Vienne, mais aussi du plat en Éthiopie, en Angola et aux États-Unis tout en s’inscrivant dans une histoire socioculturelle large. Les métissages mettent en question encore la dialectique qui oppose réification identitaire et pragmatisme des échanges et des pratiques. En replaçant ces interrogations dans des cadres sociétaux et le plus souvent urbains, nous entendons sortir de cette dialectique. De plus, ces métissages ne vont pas sans poser la question fondamentale du goût qui constitue peut-être son critère ultime que ce soit par son identification, son éducation ou sa transformation à partir d’aliments transplantés, croisés ou cuisinés.
18Nous proposons d’organiser ce cahier en suivant une approche multiscalaire. De la plus petite à la plus grande échelle, des rencontres entre grandes gastronomies régionales à la dénonciation d’un partage entre des groupes sociaux différents assis à une même table : le métissage est partout. Dans l’Éthiopie du xvie au xixe siècle, il se situe au croisement des influences africaine, indienne et ottomane, mais aussi chrétienne et musulmane et, à l’échelle plus locale, il émerge dans une société portuaire qui fait le lien entre monde littoral et monde des hauts plateaux. Dans l’Angola du xvie siècle, la découverte de certains fruits par les Portugais et le début de leur commerce transatlantique conduit à penser non seulement leur intégration dans le savoir et une représentation du monde par des Européens, mais aussi à élaborer des méthodes de conservation, une sélection et une transformation du produit et de ses modes de consommation. Depuis la première guerre mondiale, aux États-Unis, le métissage résulte d’une appropriation qui se joue des identités culinaires et des modes de consommation. Lorsque ces derniers sont d’abord reçus sur le sol américain puis de nouveau projetés dans le monde, ils révoquent la caricature de la culture fast food pour affirmer l’existence d’une vraie gastronomie américaine. Au xviiie siècle, à Vienne, c’est la réalité de la transformation de la ville et de sa composition sociale qui permet de dépasser le débat communautariste et de comprendre l’introduction et le développement du café à la fois par imitation de sa consommation à Londres, Paris ou Venise et par un commerce singulier et privilégié avec le monde ottoman. Enfin, dans la Rome antique, voilà la popina qui métisse les pratiques de groupes sociaux divisés par la naissance et le droit et qui braque les discours gastronomiques des élites, lesquelles s’engouffrent dans un déni de réalité.
Notes
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[1]
J. A. Brillat-Savarin, Physiologie du goût, J.-F. Revel préf., Paris, 1982 (1re éd., 1825).
-
[2]
Ibid., p. 15
-
[3]
J.-L. Flandrin, « De la diététique à la gastronomie ou la libération de la gourmandise », dans Histoire de l’alimentation, J.-L. Flandrin et M. Montanari dir., Paris, 1996, p. 683-704 ; B. Laurioux, Gastronomie, Humanisme et Société à Rome au milieu du xve siècle, autour du De honesta voluptate de Platina, Florence, 2006.
-
[4]
L. Messedaglia, Per la storia dell’agriculura e dell’alimentazione, Plaisance, 1932 ; L. Febvre et J.-J. Hemardinquer, « Histoire de l’alimentation », Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, 17/5 (1962), p. 913-916.
-
[5]
F. Braudel, « Alimentation et catégories de l’histoire », Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, 16/4 (1961), p. 723-728. Voir aussi R. Philippe, « Commençons par l’histoire de l’alimentation », Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, 16/3 (1961), p. 549-552.
-
[6]
A. Gottschalk, Histoire de l’alimentation et de la gastronomie, Paris, 1948 ; et M. Aymard, « Pour l’histoire de l’alimentation : quelques remarques de méthode », Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, 30/2-3 (1975), p. 431-444 ; L. Lagriffe, Le Livre des épices, des condiments et des aromates, Vauvenargues, 1968.
-
[7]
B. Laurioux, Manger au Moyen Âge. Pratiques et discours alimentaires en Europe aux xive et xve siècles, Paris, 2002.
-
[8]
P. Meyzie, L’Alimentation en Europe à l’époque moderne, Paris, 2010, p. 8.
-
[9]
J.-L. Flandrin, Chronique de Platine. Pour une gastronomie historique, Paris, 1992.
-
[10]
Anne-Marie Thiesse l’envisage comme une recension de pratiques populaires devant illustrer une identité nationale, A.-M. Thiesse, La Création des identités nationales. Europe xviiie-xxe siècle, Paris, 1999. Voir aussi J. Gottfried von Herder, Idées sur la philosophie de l’histoire de l’humanité, E. Quinet trad., Paris, t. II, 1827 (1re éd., allemande, 1784), p. 65-66 ; et sur la question des pratiques gastronomiques, dans l’école folkloriste allemande, K. Roth, « Nahrung als Gegenstand der volkskundlichen Erforschung des östlischen Europa », dans Essenkultur und Kulturelle Identität. Ethnologische Nahrungsforschung im östlischen Europa, H. M. Kalinke, K. Roth et T. Weger dir., Oldenbourg, 2010, p. 27-38.
-
[11]
C. Lévi-Stauss, Mythologiques, 4 t., Paris, 1964-1971 ; O. Redon, F. Sabban et S. Servanti, La Gastronomie au Moyen Âge, 150 recettes de France et d’Italie, Paris, 1991 ; De la cuisine à la table. Essai sur la cuisine au Moyen Âge et répertoire des manuscrits médiévaux contenant des recettes culinaires, C. Lambert dir., Paris/Montréal, 1994 ; et S. Yérasimos, À la table du Grand Turc, Arles, 2001.
-
[12]
C. Benporat, Storia della gastronomia italiana, Milan, 1990 ; La Sociabilité à la table. Commensalité et convivialité à travers les âges, M. Aurell, O. Dumoulin et F. Thelamon éd., Rouen, 1992.
-
[13]
J.-F. Revel, Un festin en paroles. Histoire littéraire de la sensibilité gastronomique de l’Antiquité à nos jours, Paris, 1978.
-
[14]
P. Ory, Le Discours gastronomique des Français. Des origines à nos jours, Paris, 1998.
-
[15]
D. Latouche, Voulez-vous manger avec moi ? Pratiques interculturelles en France et au Québec, Montréal, 2003, p. 205 et suiv.
-
[16]
J.-R. Pitte, Gastronomie française. Histoire et géographie d’une passion, Paris, 1992 ; A. Capati et M. Montanari, La Cucina italiana. Storia di une cultura, Rome/Bari, 2000 ; D. C. Kraemer, Jewish Eating and Identity Through the Ages, Londres, 2007, p. 191-209 ; et en contrepoint U. R. Orth et Z. Firbasova, « The role of consumer ethnocentrism in food product evaluation », Agribusiness, 19/2 (2003), p. 137-153.
-
[17]
Essen und kulturelle Identität. Europäische Pespective, H. J. Teuteberg, G. Neumann et A. Wielacher dir., Berlin, 1997 (Kulturthema Essen, 2) ; S. Bak-Geller Corona, « Les livres de recettes “francisés” au Mexique au xixe siècle. La construction de la nation et d’un modèle culinaire national », Anthropology of Food, 4 (2008), en ligne : http://aof.revues.org/index2992.html.
-
[18]
P. Meyzie, L’Alimentation en Europe à l’époque moderne, Paris, 2010, p. 25-26.
-
[19]
Ibid., p. 7-16 ; citons également K. Stengel, La Gastronomie. Du produit à l’assiette, Saint-Cyr-sur-Loire, 2007 ; ou encore R. Dumay, De la Gastronomie française, Paris, 2009.
-
[20]
A. Drouard, Le Mythe gastronomique français, CNRS éditions, Paris, 2010, dont le dernier chapitre traite du phénomène « Slow Food ». Citons M. Barrière, historienne de l’alimentation qui a créé, avec d’autres spécialistes, De Honesta Voluptae, association née après la mort de J.-L. Flandrin et qui hérite des idées de l’historien. Sont également membres du comité national de l’Arche du Goût de Slow Food France : D. Chabrol, chercheur au CIRAD et M. Chauvet, botaniste à l’INRA.
-
[21]
T. Zeldin, Histoire des passions françaises, t. III : Goût et Corruption, Paris, 1979 (1re éd., 1973).
-
[22]
C. Lévi-Strauss, Mythologiques, t. I : Le Cru et le Cuit, Paris, 1964.
-
[23]
S. Mintz, Sweetness and Power. The Place of Sugar in Modern History, New York, 1986. L’anthropologue élargit le champ d’application du triangle culinaire de Lévi-Strauss et analyse l’évolution de la consommation du sucre en Angleterre, du xvie au xixe siècle, vers une consommation de masse.
-
[24]
Gastronomy. The Anthropology of Food and Food Habits, M. L. Arnott éd., La Haye/ Paris, 1976 ; M. D. Sahlins, La Découverte du vrai sauvage et autres essais, C. Voisenat trad., Paris, 2008, p. 260-263 (1re éd., anglaise, 2000).
-
[25]
J. Goody, Cooking, Cuisine and Class : a Study in Comparative Sociology, Cambridge, 1982 ; L. Kolmer et C. Rohr, Mahl und Repräsentation. Der Kult ums Essen, Paderborn, 2000.
-
[26]
M. Onfray, La Raison gourmande, Paris, 1995 : B. Laurioux, Manger au Moyen Âge…, op. cit., Paris, 2002.
-
[27]
The Emergence of the Gastrosexual, Londres, 2008. Ce rapport édité par la Future Fondation a été commandé par le consortium agroalimentaire PurAsia.
-
[28]
M. Chebel, Dictionnaire des symboles musulmans, Paris, 2001, p. 169-170 (1re éd., 1995).
-
[29]
Respectivement Cantique des cantiques, chapitre 7 et 13 ; G. Moustaki, « Ce soir mon amour », Moustaki, Paris, 1974, piste 6 ; Mémoires de Lorenzo Da Ponte. Librettiste de Mozart, D. Fernandez éd., Paris, 1988, p. 153-154.
-
[30]
P. Schmitt Pantel, « Banquet et cité grecque », Mélanges de l’École française de Rome. Antiquité, 97/1 (1985), p. 287-312 ; et C. Gauvard, « Cuisine et paix en France à la fin du Moyen Âge », dans La Sociabilité à la table…, op. cit, p. 325-334.
-
[31]
Gastronomy. The Anthropology of Food…, op. cit. ; N. Offenstadt, Faire la paix au Moyen Âge, Paris, 2007.
-
[32]
H. d’Almeida-Topor, Le Goût de l’étranger. Les saveurs venues d’ailleurs depuis la fin du xviiie siècle, Paris, 2008.
-
[33]
Cette distinction volontairement estompée en France dans la médiatisation du classement est pourtant fondamentale. Voir « Le repas gastronomique des Français », bien inscrit en 2010 sur la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité, Décision 5.COM 6.14. En ligne : http://www.unesco.org/culture/ich/index.php?RL=00437.
-
[34]
S. Mullot, « Chabines et métisses dans l’univers antillais. Entre assignations et négociations identitaires », Clio, 27 (2008), p. 115-134.
-
[35]
O. Assouly, Les Nourritures nostalgiques. Essai sur le mythe du terroir, Arles, 2004 ; C. Petrini, Bon, Propre et Juste. Éthique de la gastronomie et sauvegarde alimentaire, Paris, 2006.
-
[36]
D. Fournier, « Deux ou trois choses que nous offre le soleil… Le repas au Mexique », dans Tables d’hier, Tables d’ailleurs, J.-L. Flandrin et J. Cobbi éd., Paris, 1999, p. 459 ; F. Régnier, L’Exotisme culinaire : essai sur les saveurs de l’autre, Paris, 2004 ; H. Balfet, « Fabounade ou cassoulet. Variation sur un mets traditionnel du Haut-Languedoc », dans Cuisines. Reflets des sociétés, M.-C. Bataille-Benguigui et F. Cousin éd., Saint-Maur, 1996, p. 145-151.
-
[37]
R. Bonnain-Dulon et A. Brochot, « De l’authenticité des produits alimentaires », Ruralia, 14 (2004). En ligne : http://ruralia.revues.org/969.
-
[38]
J.-P. Poulain, Sociologies de l’alimentation. Les mangeurs et l’espace social alimentaire, Paris, 2002, p. 33.
-
[39]
S. Gruzinsky, La Pensée métisse, Paris, 1999.
-
[40]
I. Abou Sall, « Les céréales et le lait au Fuuta Tooro (Mauritanie, Sénégal) : un métissage culinaire », dans Cuisine et Société en Afrique. Histoire, saveurs et savoir-faire, M. Chastanet, F.-X. Fauvel-Aymar et D. Juhé-Beaulaton éd., Paris, 2002, p. 191-204.
-
[41]
N. Wachtel, La Vision des vaincus, Paris, 1971.
-
[42]
D.-C. Martin, « Le poids du nom. Culture populaire et construction identitaire chez les “Métis” du Cap », Critique internationale, 1 (1998), p. 73-100 ; et pour l’exemple du bobotie, p. 92.
-
[43]
D. Roche, Le Peuple de Paris : essai sur la culture populaire au xviiie siècle, Paris, 1981, p. 58.
-
[44]
G. Ritzer, The McDonaldization of Society, Los Angeles, 2008 ; R. Matta, « “L’indien” à table dans les grands restaurants de Lima (Pérou). Cuisiniers d’élite et naissance d’une “cuisine fusion” à base autochtone », Anthropology of Food, 7 (2010), en ligne : http://aof.revues.org/index6592.html.
-
[45]
M. Dedeire et S. Tozanli, « Les paradoxes des distances dans la construction des identités alimentaires par acculturation », Anthropology of Food, 3 (2007). En ligne : http://aof.revues.org/index2582.html.
-
[46]
J.-L. Amselle, Logiques métisses, Anthropologie de l’identité en Afrique et ailleurs, Paris, 1990, p. 248.
-
[47]
M. D. Sahlins, La Découverte du vrai Sauvage…, op. cit. ; F. Barth, Ethnic Groups and Cultural Boundaries. The Social Organization of Culture Difference, Oslo, 1969.
-
[48]
« Le concept linguistique de créolisation permet à la fois d’intégrer une dimension dynamique dans la compréhension des mécanismes de métissage et de poser comme un tout organisé faisant système les formes qui en sont issues ». J.-P. Poulain, Sociologies de l’alimentation…, op. cit., p. 34.
-
[49]
M. D. Sahlins, Au cœur des sociétés. Raison utilitaire et raison culturelle, S. Fainzang trad., Paris, 1980 (1re éd., anglaise, 1976).
-
[50]
Pour une approche pluridisciplinaires ; voir Métissages, L. Ommundsen Pesoa, M. Prum et T. Vircoulon éd., Paris, 2011 ; S. Gruzinski, La Pensée métisse, op. cit. ; J. Dakhlia, Lingua franca. Histoire d’une langue métisse en Méditerranée, Arles, 2008. Pour l’emploi de la notion de « fusion » voir R. Matta, « “L’indien” à table… », art. cité ; A Whittaker, « L’endogène. Pour le dépassement des limites du métissage et de la créolité », Socio-anthropologie, 11 (2002), en ligne : http://socio-anthropologie.revues.org/index143.html.
-
[51]
H. d’Almeida-Topor, Le Goût de l’étranger…, op.cit. L’historienne a par ailleurs présenté ses idées à propos des métissages culinaires lors d’une conférence donnée au Musée du quai Branly, le 10 mars 2009.
-
[52]
J. Goody, Cooking, Cuisine…, op. cit. ; voir également P. Bourdieu, La Distinction. Critique sociale du jugement, Paris, 1979.
-
[53]
J. Guilhaumou, « L’historien du discours et la lexicométrie », Histoire et Mesure, 1/3-4 (1986), p. 27-46.
-
[54]
G. Lenclud, « Quand voir c’est reconnaître. Les récits de voyage et le regard anthropologique », Enquête. Anthropologie, histoire, sociologie, 1 (1995), p. 113-129 ; et pour un contrepoint D. Roche, Humeurs vagabondes. De la circulation des hommes et de l’utilité des voyages, Paris, 2003.
-
[55]
G. Shubert, « Deutschprachige Reisebericht zu Eßgewohnheiten und Tischsitten der Muslime auf dem osmanisch besetzten Balkanr », dans Körper, Essen und Trinken im Kulturverständnis der Balkanvölkern, D. Burkhart dir., Wiesbaden, 1991, p.r107-116.
-
[56]
Voir la méthode utilisée par C. Ginzburg, Le Fromage et les Vers, histoire d’un meunier au xvie siècle, Paris, 1989 ; et plus récemment C. Madeira Santos, « Les savoirs africains au cœur des savoirs missionnaires : fragments, appropriations et porosités de Cavazzi di Montecuccoli » dans Actes du colloque « Les savoirs du missionnaire » (Madrid, janvier 2007), Madrid, à paraître.
-
[57]
Au plus près du secret des cœurs ? Nouvelles lectures historiques des écrits du for privé en Europe du Xvie au xviiie siècle, J.-P. Bardet et F.-J. Ruggiu dir., Paris, 2005.