Paul-Louis Courier (1772-1825) est tour à tour militaire, helléniste et pamphlétaire. Gœthe le décrit comme « un grand talent naturel, qui a des traits de Byron, et aussi de Beaumarchais et de Diderot ». Stendhal voit en lui de « l’esprit à la Voltaire ». Pour Balzac, c’est un « homme remarquable » et ses « délicieux pamphlets […] ressemblent à des carcasses de feu d’artifice ». Il prolonge au temps de la Restauration les idées de Rousseau et de Voltaire, les lumières. Son amour de la liberté et du travail, sa défiance à l’égard de la noblesse, des courtisans oisifs, inspirent les libelles de 1830
1Paul-Louis est un enfant naturel, né d’un père, Jean-Paul Courier, bourgeois parisien qui possède des terres en Touraine et fait affaire avec des nobles : lieutenant des chasses du duc d’Olonne, il est l’administrateur de ses biens, son créancier et l’amant de sa femme ; le duc tente de le faire assassiner. Paul-Louis, naît peut-être de cette relation adultérine. Il passe son enfance en Touraine, puis étudie à Paris, a la passion du grec. À l’École d’artillerie en 1791, il fait campagne dans les armées de la Révolution, en Italie à partir de 1798.
2Ses lettres permettent de suivre dix-sept ans de carrière militaire. Le genre épistolier convient à son style brillant, aiguë, sarcastique. Lors du plébiscite impérial, en 1804, il écrit « Nous venons de faire un Empereur, et pour ma part je n’y ai pas nui. » Le chef de corps dit à ses officiers rassemblés « bonnement, sans préambule ni péroraison. Un Empereur ou la République, lequel est le plus de votre goût ? Comme on dit rôti ou bouilli, potage ou soupe, que voulez-vous ? Sa harangue finie, nous voilà tous à nous regarder, assis en rond. Messieurs, qu’opinez-vous ? Pas le mot. Personne n’ouvre la bouche. […] Nous y serions encore si je n’eusse pris la parole. Messieurs, dis-je, il me semble, sauf correction, que ceci ne nous regarde pas. La Nation veut un Empereur, est-ce à nous d’en délibérer ? » Ce raisonnement entraîne l’assemblée : “On se lève, on signe, on s’en va jouer au billard.” Et de commenter : « Que signifie […] un homme comme lui, Bonaparte, soldat, chef d’armée, le premier capitaine du monde, vouloir qu’on l’appelle majesté. Etre Bonaparte, et se faire Sire ! Il aspire à descendre. Mais non, il croit monter en s’égalant aux rois. Il aime mieux un titre qu’un nom. Pauvre homme. Ses idées sont au-dessous de sa fortune. »
3Son célèbre récit, en 1807, d’un voyage à travers la Calabre où l’on ne sait qui est ennemi, reflète avec humour l’angoisse face à des insurgés mi-patriotes, mi-bandits. Il les comprend, réprouve une répression barbare, mais combat pour la France. Prolongeant les délais de routes par des arrêts dans les bibliothèque, il est plusieurs fois à la limite de la désertion. Pendant ses loisirs, il s’entretient avec des érudits, traduit Du commandement de la cavalerie de Xénophon ou Sur le mérite des orateurs comparé à celui des athlètes d’Isocrate. Parmi les premiers chevaliers de la légion d’honneur, il conserve de solides amitiés avec ses camarades devenus généraux, mais commence à prendre l’opinion à témoin des injustices qu’on lui fait. En 1809, après avoir rejoins la Grande Armée en Autriche, il démissionne et regagne l’Italie.
4Après cette vie d’errance militaire et savante, à la chute de l’Empire, en 1814, Courier se marie à Paris. Confiant dans la charte octroyée par Louis XVIII, il se décide à administrer ses biens de Touraine, à y résider. C’est le début des déboires ménagers, des soucis d’argent et par-dessus tout des chicanes avec des fermiers, des marchands de bois, des maires, des hobereaux, des curés, des dévotes, des puissants… Vite, il s’irrite des prétentions des ultras revanchards. Voyant partout « le crime triomphant, et l’innocence opprimée » Courier réclame justice. Feignant de croire au droit de pétition accordé par la Charte, il devient le grand pamphlétaire de la Restauration. Le 1er janvier 1816, le maire de Luynes fait brûler en place publique le drapeau tricolore ; suivent les condamnations aux assises de « mauvais sujets » dont un homme pour ne pas s’être arrêté et découvert au passage du curé menant un mort au cimetière. Courier publie en décembre une Pétition aux deux chambres. Puis, il est accaparé par ses affaires, ses publication du grec, sa candidature à l’Institut…
5En 1819, il raille l’Académie qui n’a pas voulu de lui, puis dans le journal libéral le Censeur européen, défie le pouvoir dont le ministre favori du roi, Decazes : « Il ne nous méprise pas, à proprement parler, il nous ignore ». En 1821, il publie le Simple discours de Paul- Louis, Vigneron de La Chavonnière, aux membres du Conseil de la commune de Véretz, Département d’Indre-et-Loire, à l’occasion d’une souscription proposée par S. E. Le Ministre de l’Intérieur pour l’acquisition de Chambord. Il s’agit d’offrir ce château au duc de Bordeaux, « l’enfant du miracle », héritier posthume du duc de Berry assassiné en 1820. Courier dénonce une contribution étrangère aux compétences de voirie ou d’assistance publique des communes, pour « récompenser l’enfant d’être venu au monde », donner Chambord « au prince pour sa layette ». Ce « prince à la bavette » n’aurait nul usage de terres qui raviraient un laboureur. Courier accuse les légitimistes de vouloir « recomposer l’Ancien régime » : le jeune Henri y vivrait avec la cour et le souvenir de ses aïeux : « Pour cela précisément je ne l’y trouve pas bien, et j’aimerais mieux qu’il vécût avec nous qu’avec ses ancêtres » et leurs confesseurs, mignons, moines et maîtresses. Il n’y a de famille de grande noblesse qui ne doive sa fortune à la « la faveur d’un grand, obtenue par quelque femme ». Pour les vilains, le travail est le seul moyen de faire fortune ; « pour la noblesse […] il n’y en a qu’un, et c’est… c’est la prostitution ». La cour est « centre de corruption ». L’opuscule est saisi ; la condamnation de Courier à deux mois de prison assure sa renommée dans le royaume entier.
6Libéré le 9 décembre 1821, il conforte sa posture : bûcheron, laboureur, vigneron, paysan, Tourangeau… À l’été 1822, il brocarde le jeune curé d’Azay-sur-Cher qui a obtenu du préfet l’interdiction aux habitants de la commune de danser les dimanches et jours de fêtes religieuses. Courier ne peut admettre la prétention du clergé, appuyé par la maréchaussée, à régir la vie du peuple. Dans sa Pétion pour des villageois qu’on empêche de danser, il ironise : « Les gendarmes se sont multipliés en France ; bien plus encore que les violons, quoique moins nécessaires pour la danse. » Bien que relaxé, il devient prudent et publie clandestinement. En 1823, dans sa Deuxième réponse aux anonymes qui lui envoient des lettres, il s’en prend à l’église qui prétend après « la corruption de la révolution » rétablir «- la pureté de l’Ancien régime », à un abbé auquel les paysannes au bras découvert paraissent un « scandale affreux » et qui « entreprend de réformer l’habillement des femmes », ne pouvant « sans horreur dans les vêtements d’une femme, soupçonner la forme du corps ». À travers un fait divers, un jeune curé ayant assassiné sa maîtresse enceinte, il remet en cause le célibat des prêtres : « quelle condition que celle de nos prêtres ! on leur défendl’amour, et le mariage surtout ; on leur livre les femmes. Ils n’en peuvent avoir une, et vivent avec toutes familièrement » car la confession les met « dans la confidence, l’intimité, le secret de leurs actions cachées, de toutes leurs pensées ». Il est vrai que : « Quand un prêtre a donné du scandale, on l’envoie ailleurs »
7En 1824, se targuant du titre de « Vil pamphlétaire » il publie le Pamphlet des pamphlets. Le 10 avril 1825, sur un chemin sa forêt de Larçay, il est tué par balle, à bout portant. Son garde chasse et cinq autres hommes qui auraient tendu un guet-apens sont acquittés. L’opinion libérale soupçonne la police secrète d’avoir manigancé ou au-moins laissé faire cet assassinat.
8Paul-Louis Courier se rattache aux Lumières, tout en annonçant les idées du XIXe siècle. Sa lutte contre l’injustice, la politique réactionnaire et un clergé obscurantiste, ses intonations résonnent encore aujourd’hui : « J’aime la liberté par instinct, par nature ».