Le 11 avril dernier dans les locaux de la Bibliothèque nationale de France François Mitterrand, Daniel Keller, président de l’Institut d’études et de recherches maçonniques, sous la conduite de Pierre-Yves Beaurepaire, président du comité scientifique de l’IDERM, a remis ses deux premiers Prix de la recherche maçonnique aux universitaires suivants :
Simon Deschamps, maître de conférences à l’Université de Toulouse Jean-Jaurès pour sa thèse : Franc-Maçonnerie et pouvoir colonial dans l’Inde britannique de 1730 à 1921, sous la direction de Cécile Révauger, professeur des Universités ;
Loïc Montanella, professeur des écoles à Cannes pour son Master 2 : Correspondance de Jean-Baptiste Willermoz autour de l’apparition du Régime Écossais Rectifié, sous la direction de Pierre-Yves Beaurepaire, professeur des Universités.
Franc-maçonnerie et pouvoir colonial dans l’Inde britannique (1730-1921).
1La première loge maçonnique indienne vit le jour au Bengale en 1730 à l’initiative des marchands de la Compagnie des Indes orientales à laquelle la Couronne avait confié le monopole du commerce avec les Indes. De par leur composition, les loges coloniales étaient très proches des structures politiques et économiques de l’Inde britannique. De là naît la contradiction, le paradoxe s’il en est, qui constitue le fondement de mon travail de recherche. Comment les francs-maçons britanniques purent-ils soutenir la cause impériale tout en acceptant de fraterniser avec le peuple colonisé ? Comment la franc-maçonnerie parvint-elle à s’accommoder des tensions générées par cette contradiction ?
2Rares sont les monographies qui font état des liens étroits qui se tissèrent entre la franc-maçonnerie et le pouvoir colonial. Pourtant, l’étude de la franc-maçonnerie britannique en Inde permet d’explorer une facette de l’impérialisme rarement mise en lumière par les historiens de l’Empire, à savoir la dimension hautement symbolique du pouvoir colonial. Comment les 40 000 Britanniques présents en Inde parvinrent-ils à asseoir leur autorité sur 250 millions d’Indiens ? La franc-maçonnerie comportait une dimension fortement « performative » et elle contribua à mettre en scène le pouvoir colonial en Inde, notamment à l’occasion des processions et des cérémonies de pose de la première pierre des édifices publics.
3Pourtant, dès 1776, un premier Indien issu de l’aristocratie princière fut initié dans une loge militaire. Les Britanniques comptaient sur le soutien des élites locales pour renforcer leur autorité et l’appartenance maçonnique se prêtait bien à cet objectif. Dans les années 1840, les Indiens entrèrent en loge en nombre bien que leur initiation ne fasse pas l’unanimité. L’hostilité à laquelle ils se confrontèrent contribua également au renforcement des pratiques communautaires qui se concrétisa par la création de « loges indigènes » et même de « loges confessionnelles » au côté des loges pluriethniques.
4Parallèlement et alors que de plus en plus d’Indiens accédaient aux loges constituées en Inde, des liens étroits se forgèrent alors entre la franc-maçonnerie et les différentes associations politiques indiennes dans les années 1870. Bon nombre des membres fondateurs du Congrès national indien (1885) étaient également francs-maçons. Si les loges maçonniques contribuèrent dans un premier temps à renforcer l’impérialisme britannique, elles servirent par la suite à structurer le mouvement nationaliste indien.
Correspondre entre Dresde, Strasbourg, Lyon et Turin : les enjeux territoriaux d’un espace maçonnique en construction dans la correspondance de Jean-Baptiste Willermoz entre 1772 et 1775.
5Entre 1772 et 1775, à Lyon, se met en place une nouvelle expérience maçonnique. Elle est le fruit de la collaboration étroite entre Jean-Baptiste Willermoz, franc-maçon lyonnais depuis 1750, et le baron Georg August Von Weiler, Visiteur général et bras droit du baron de Hund, fondateur de la Stricte Observance allemande, appelé aussi Réforme de Dresde. Cette collaboration passe par une correspondance très active entre les deux hommes, une correspondance accessible depuis 1956 à la Bibliothèque municipale de Lyon dans le « fonds Willermoz ». Cette riche correspondance nous permet de mieux comprendre la complexité de la mise en place de ce qui a longtemps été perçu comme la branche française de la Stricte Observance. En réalité, le territoire maçonnique que dessine ce réseau de correspondants entre frères et qui se polarise sur la capitale des Gaules s’étend toujours plus loin, entre Dresde, Strasbourg et Lyon, entre Lyon et Naples, entre Dresde, Lyon et Bordeaux.
6Des axes apparaissent, des nœuds, des réseaux qui s’enrichissent tout au long de l’histoire de ce qui deviendra à terme le Régime Rectifié, un Régime en apparence lié à la territorialisation établie par la Stricte Observance mais en réalité largement indépendant sur le plan de la pratique maçonnique. Ce territoire maçonnique tissé par Willermoz a en outre l’ambition d’échapper à l’attractivité d’un troisième territoire concurrent, celui mis en place par la nouvelle Obédience parisienne, le Grand Orient de France. C’est donc en termes d’espaces concurrentiels qu’il faut envisager la relation épistolaire développée entre 1772 et 1775. Elle nous permettra aussi de mieux entrer dans la personnalité maçonnique de Jean-Baptiste Willermoz et son projet de réforme maçonnique.