La réalité n’est que la conscience que nous avons du monde. Mais ce monde cependant s’impose à nous comme un réel sans quoi nous ne pouvons frien aire. Et ce monde devient de plus en plus factice, reconstruit, recomposé, sur la marge du réel. C’est là le monde de l’image de propagande. Certes, le virtuel qui nous est proposé nous donne le vertige, mais où est le réel pour autant ?
« Ni rire, ni pleurer, mais vouloir comprendre »
1Daech maîtrise l’image de et la mise en scène dans un décor de propagande. Une photo montre de militants de l’EI menant en file indienne des chrétiens, la tête couverte, à la décapitation le long d’une plage libyenne. Cette image est tout au aussi frappante que celles de la décapitation des otages. C’est la marque du délire dogmatique de l’islamisme radical.
Les images de la propagande made in Daech
2Voilà une manière barbare et efficace de voir pour comprendre. Une manière de semer l’effroi et de paralyser les consciences. Une brutalité non logique et purement irrationnelle. La propagande s’assume en tant que dispositif de l’émotion terrifiante et repose sur la l’appel à l’autorité suprême d’un pouvoir qui croit en Dieu, le tout puissant et paradoxalement plein de miséricorde. C’est, enfin, un discours assertif qui rejette ou supprime à la longue toute possibilité de critique ou de contestation et qui tisse un maillage d’images presque sans parole, pour stigmatiser les adversaires. Les sujets cibles (les mécréants) se trouvent ainsi dans un champ parfaitement clos, au point qu’ils ont du mal à le concevoir ainsi : c’est la volonté de l’obéissance absolue. Domenech (1950) disait que le discours de la propagande crée l’enthousiasme et la cohésion parmi ses partisans et, chez l’ennemi, la peur et le désordre. Plus précisément, la propagande n’offre pas d’espaces d’interlocution, encore moins de dialogue. C’est un discours dont l’intentionnalité persuasive est monolithique et unilatérale, afin de construire un socle solide sur lequel fonder une communauté émotionnelle et idéologique, suffisamment endoctrinée pour esquiver ou évacuer tout reproche venant non seulement d’ailleurs, mais du dedans.
3Les images que l’EI, montrent ne sont que des fragments qui apparaissent dans les JT ou sur les sites d’information. Elles sont toujours faites pour faire peur. D’habitude, ce sont des fragments d’un gigantesque corpus d’images que l’État Islamique met en scène de manière quasi quotidienne.
4Ajoutons qu’une telle propagande véhicule des attitudes binaires, c’est-à-dire celles qui opposent le bien (censé être représenté par le camp des propagandistes) et le mal (supposé être le camp des ennemis) dans une lutte totale et sans recours à un tiers exclus. Les lignes de démarcation sont fixes : « le moi et l’autre » et « le nous et eux » sont radicalisés. L’opération mentale est simple. Il y a les amis et les ennemis. Le principe de comparaison logique est classique : A ne peut pas être B. C’est une vision manichéenne qui se borne à établir des relations de ressemblances et des différences. Le but est d’opérer des classements hiérarchiques et d’établir une seule vérité possible. Cette opposition conceptuelle entre l’identique et le différent renvoie à toute pensée dogmatique, dont les religions, mais aussi le scientisme, forment les extrêmes d’un même continu d’intolérance et dogmatique.
5Le contexte fera du discours des images de masses une antenne de la propagande noire, lorsque le but est d’enfermer l’opinion dans un choix unique. C’est là que le politique se transforme en dictature. La propagande totalitaire en est le paradigme moderne. Or, ne soyons pas dupes, la propagande peut se manifester de manière déguisée au sein des régimes même démocratiques. Il suffit de donner l’illusion de la liberté de parole et la pratique de la discussion contradictoire pour que les oligarchies usurpent la volonté générale. Si la propagande totalitaire est tranchante et brutale pour donner à voir, celle des démocraties s’exerce subtilement à travers des sousentendus, des insinuations. Bref : la forme la plus reconnaissable en est la langue de bois.
6Revenons à la guerre visuelle. Le monde tentaculaire des images semble surréel et éloigné, mais il est pourtant bien réel et très accessible. Avec un malin plaisir, les islamistes radicaux renvoient à l’occident ses propres techniques : la télévision, le cinéma, l’internet et les réseaux sociaux. Ils arrivent à capturer les mass médias pour diffuser leurs images. Toutes les formes sournoises de propagande se développent par la grâce de l’emprise de masses medias sur la politique.
7Le pouvoir persuasif de l’image est aussi ancien que le pouvoir de la parole. Sauf qu’aujourd’hui l’image amplifie la puissance émotionnelle.
Le sens du monde des images et des médias
8L’art de la manipulation utilise les formes imperceptibles et inconscientes de la persuasion : nul besoin d’être un expert pour comprendre que la formation des opinions et des jugements de masse se trouve fortement influencé par les images et le pouvoir, au point que les cadres dirigeants de l’économie et de la politique posent délibérément devant les caméras ou se font inviter aux émissions de télévision afin de séduire la communauté des téléspectateurs « pipole » dont l’influence est la plus forte. Car l’influence se situe dans la sphère de l’inconscient collectif.
9La raison citoyenne est ainsi disloquée et pervertie. Les individus exposés aux médias ne savent pas qu’ils sont victimes d’une d’influence déguisée. Car la magie de l’image virtuelle a rendu possible la fausse proximité des voix, des personnages et des évènements. Ainsi, bizarrement, la démocratie cathodique transforme les sources d’information en représentations populaires : le résultat est que l’audimat choisit les images et les mises en scène. Voilà ce que les techniciens de l’image de l’ultra islamisme ont bien compris et appris dans les Universités technologiques d’Occident, à la manière des publicitaires et des conseillers en communication. C’est le monde mondialisé de la politique-spectacle où l’émotion l’emporte sur les idées.
10Corollaire : il n’y a pas de quoi s’étonner, sauf de notre propre naïveté. Toutes les époques ont utilisé les images pour faire rêver ou pour fabriquer des sentiments. Mais, la « machine médiatique » actuelle est encore plus redoutable.
11En effet, la chose qui frappe, aujourd’hui, est la différence qualitative avec le passé : le monde de l’image a déplacé le monde de l’écrit.
12Ainsi, s’il fallait choisir entre un photographe ou un écri-vain, il n’y a pas de doute qu’en matière de propagande le choix se portera surement pour le premier. L’image est devenue un vecteur majeur de communication et de persuasion. Hier, l’image accompagnait l’écrit ; actuellement, l’image s’est débarrassée de l’écrit. La raison en est simple. L’image (sous toutes ses formes) brise des barrières. Car les mots et les paroles s’envolent ou s’oublient. Ainsi, le discours politique est tellement dévalorisé qu’il a dû céder sa place à l’image parce qu’elle renvoie à une réalité immédiatement captée dans son intégralité par l’œil et non par le biais de la réflexion qui demande un effort interprétatif colossal. Face à l’image, chacun va ressentir une émotion identique (ou presque) avec ses propres mots, tandis que derrière une formule chacun donne un contenu qui peut être très différent.
Voir et comprendre, un processus inconscient
13La propagande « pipole » de l’image fait de la politique un spectacle qui transforme les politiques de plus en plus en médiocres acteurs de télévision qui sautent de plateau en plateau lors des élections. D’où la troublante ambiguïté de l’image politique actuelle : les hommes de gauche et de droite sont devenus étrangement semblables et potentiellement interchangeables. Ainsi, les médias fabriquent des images d’un personnel politique affamé de notoriété et disposé à tout faire pour passer à la télé. Faut-il insister sur un truisme post-moderne : la solitude des masses ? Évidemment, car les médias ciblent de manière subliminale tous-ceux qui, sans avouer un sentiment de solitude, ont l’impression de ne pas appartenir au monde réel, et ressentent le désir de se fondre dans le monde virtuel qui les met en contact avec des figures qui pourrait leur proposer leur « identité » dans l’espace médiatique. Ainsi, l’image cathodique facilite l’identification virtuelle sans avoir besoin de l’obéissance inconditionnelle d’autres. Nul besoin boucler les hommes de la société de masse avec un « cerceau de fer », pour leur donner un sentiment de structuration et d’appartenance. Le monde de l’image est une sorte de bulle anti-angoisse, un antidote contre la solitude, car il suffit de s’installer confortablement dans l’image en partageant les mêmes moments d’émotion avec tous. Formidable fabrique de mirages pétillants et de situations drôles. Voilà la puissance de la technologie au service de la propagande inconsciente : celle qui peut créer le rêve de nous délivrer d’une réalité grisâtre et nous faire participer à la fête universelle.
L’image politique éclatée par le novlangue pipole
14La vision « pipole » du gouvernement (la technocratie parle de gouvernance) est la forme la plus perverse de la ruse publicitaire. C’est là une tentative d’escamoter la réalité à coup de trucages et de paillettes, en utilisant les formes pathologiques de la persuasion, celles qui détruisent la logique et la rationalité. Le dessein de la politique n’est plus de travailler pour le perfectionnement de la société ni de l’humanité, mais simplement de séduire pour mieux réduire. Car le propre de tout machiavélisme – même au nom de la démocratie – est de détourner les moyens légitimes de l’exercice de la souveraineté. C’est ici que les médias et les politiques portent une lourde responsabilité. Les chiens de garde du cirque cathodique abaissent non seulement la fonction politique, mais contribuent à étouffer la critique de fond, non seulement de la vie politique, mais du système qui rend la citoyenneté illusoire.
15Le caractère glauque de la propagande pipole se révèle ainsi au sein de la démocratie libérale. Car, contrairement à la persuasion classique, aux temps de la démocratie républicaine ancienne, où celui qui tente de convaincre reste visible aux yeux de tout le monde, la propagande actuelle utilise les leviers de la désinformation, de l’intoxication, de l’omission et du mensonge. Persuasion fourbe, incontestablement, car la « pipolisation » de la politique produit l’effet attendu de dévalorisation de la culture républicaine et d’inoculation du conformisme au plus grand nombre – à travers les médias — au bénéfice du petit nombre. Principe oligarchique donc.
16Le modèle médiatique et le monde « pipole » imposent un effet « has been » et le renforcement de la superficialité, la perte de l’épaisseur conceptuel leet des vrais enracinements. Ainsi, la nouvelle génération de politiques n’arpente pas les étapes de l’école républicaine par tous les stades de l’ancienne carrière politique républicaine : conseiller, maire, député, ministre. La trajectoire est devenue essentiellement technicienne proche des cercles élitaires : grandes école, administration, parlement, écuries présidentielles, parachutage local, etc. Ce phénomène a créé dans l’ombre une for-tement mentalité pragmatique et une attitude opportuniste attachée à la langue-image « pipole », devenu le langage de l’idéologie qui se pose entre le vrai et le faux dans les médias et impose un vraisemblable, uniquement utile aux manipulateurs d’opinion.