Humanisme 2014/4 N° 305

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Article de revue

Le populisme dans les médias

Pages 49 à 54

1En Amérique latine, le populisme caractérisera, tant au XXe siècle que très récemment, au Venezuela par exemple, des régimes personnels certes très contestables sur le plan de l’orthodoxie démocratique, mais dont la politique en faveur des plus défavorisés est indéniable.

2Depuis la fin du XXe siècle, le populisme est sorti du champ lexical savant de la sociologie ou de la littérature pour entrer dans celui de la polémique politique, pour ne pas dire politicienne. Le vide créé par la disparition de toute idéologie sociale, après l’effondrement du modèle marxiste et des pays européens du bloc de l’Est s’en réclamant, a conduit à un rapprochement entre populisme et démagogie, entre populiste et démagogue.

3Être taxé de « populiste » ou qualifier une démarche, un comportement de « populisme » est devenu une injure dans la bouche des hommes politiques de droite comme de gauche. Elle est dirigée contre tous ceux qui sortent du champ politiquement correct. Elle vise toute disparition des clivages politiques traditionnels, et essentiellement du clivage « droite gauche ».

4Les leaders de ce qu’il est convenu d’appeler l’extrême gauche et l’extrême droite qui, pour des raisons idéologiques ou opportunistes maintiennent une frontière entre les classes ou catégories populaires et le reste de la population, sont irrévocablement qualifiés de « populistes ». Si Jean-Luc Mélenchon ou Marine Le Pen sont devenus les modèles du genre, et les cibles ostensibles de ce genre de critique, François Bayrou lui-même n’y échappe pas et se voit traité de « populiste » en 2009 par Xavier Bertrand et Patrick Devedjian…

5Toute référence au « peuple », devient pratiquement suspect, dans la bouche d’un homme politique, de droite comme de gauche, d’extrême droite comme d’extrême gauche. Le mot disparaît même du discours politique au profit des « classes défavorisées », des « gens en grande difficulté », comme s’il n’englobait plus l’ensemble des citoyens à même d’exercer leurs droits politiques et sociaux. Un glissement s’opère entre « peuple » et « masses populaires ».

6Les politiques (au pouvoir ou en attente de le reconquérir), ceux qui appartiennent aux partis dits « de gouvernement », se considèrent désormais en droit, pour ne pas dire en devoir, de jeter la pierre à tous ceux qui pourraient être considérés comme des « populistes ». Derrière ce qualificatif, se trouveraient désormais tous ceux qui défendraient ou simplement dénonceraient les injustices sociales, au premier rang desquelles le chômage et la précarité qui affectent ou menacent en priorité les « masses populaires » identifiées comme le « peuple » : un peuple qui, comme autrefois, aurait de quoi faire peur.

Des gants de boxe

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Face-à-face entre Jean-Marie Le Pen et Bernard Tapie, voulu par Jean-Pierre Elkabbach et animé, contre son gré, par Paul Amar qui, pour en dénoncer la trivialité, offrit des gants de boxe aux débatteurs. C’est le début de la « télé poubelle »,

7En fait, une nouvelle répartition socio-économique, moins brutale, se fait désormais jour entre les actifs, les chômeurs et les retraités. Au-delà se trouverait la masse « dangereuse » des exclus : SDF, cohorte désœuvrée des « racailles » de banlieue. Parmi les premiers, en revanche, se dégage une élite hyper-privilégiée : dirigeants de grandes entreprises, cadres supérieurs, avocats, membres de professions libérales, associés, pour beaucoup, au monde de la finance ou des nouvelles technologies. Cette répartition socio-politique est celle des États-Unis depuis la fin des années 1960.

8Les médias, en priorité audio-visuels, et plus spécifiquement radiophoniques, se trouvent confrontés à la même dérive que celle du politique, dont ils sont naturellement le reflet, parfois les instigateurs. Donner la parole aux gens « ordinaires » sur des sujets réservés normalement à l’élite politique ou économique, aux experts patentés, leur laisser la possibilité de donner leur avis, pire de faire une analyse qui leur serait propre, politiquement non correcte, est irrémédiablement taxé de « populisme ».

9Le mot « média » recouvre aujourd’hui des réalités très différentes. La distance s’accroît chaque jour davantage entre une presse écrite en voie de disparition et la presse audio-visuelle qui évolue considérablement sous la pression de ce nouveau vecteur d’information qu’est internet.

10Jusqu’à une époque relativement récente, un journal imprimé relatait des faits ou, quand il était dit « d’opinion », exprimait des idées à caractère politique. Jusqu’à une époque « que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître », la radio ou la télévision se contentaient, également, de relater des faits, de façon plus ou moins « objective », à travers ce qu’il était convenu d’appeler des « actualités » ou des « journaux ». Les commentaires et l’analyse étaient réservés à des « magazines » dits « de grand reportage » dont Cinq Colonnes à la Une est resté le modèle. Il faudra attendre les années 1970 pour que la politique soit abordée par l’audio-visuel autrement qu’à l’occasion des soirées électorales et des campagnes, très formatées et encadrées qui les précédaient. Alors arrivèrent les émissions de débat, des « face-à-face », dont le premier fut la confrontation entre François Mitterrand et Valéry Giscard d’Estaing, le 10 mai 1974. Dès lors les confrontations entre leaders politiques vont se multiplier, tournant souvent au pugilat médiatique. Le point d’orgue en sera certainement le face-à-face entre Jean-Marie Le Pen et Bernard Tapie, voulu par Jean-Pierre Elkabbach et animé, contre son gré, par Paul Amar qui, pour en dénoncer la trivialité, offrit des gants de boxe aux débatteurs. Il lui en coûta sa place.

11C’est le début de la « télé poubelle », avec des invités présentés comme des experts, qu’ils ne sont pas vraiment, comme des témoins, alors qu’ils n’ont souvent jamais rien vu ni vécu de l’événement, souvent « gens ordinaires » exposant à l’envi leur intimité, leurs difficultés, leurs drames, leurs faiblesses. C’est la surenchère par le bas. La télévision sombre alors dans le voyeurisme, exploitant le penchant exhibitionniste de certains, où les poussent parfois des producteurs assoiffés d’audience, contre un cachet sonnant et trébuchant. D’autres n’hésiteront pas à conduire les candidats à la confrontation moralement sanguinaire et même physique, en organisant une compétition qui les conduit à s’entre-éliminer avec une cruauté inouïe. Et bien sûr la caméra sera braquée sur le vaincu, anéanti, pour exciter chez le téléspectateur voyeuriste la joie ou la tristesse devant tant d’adversité. Rien ne les arrête, pas même la mort d’un candidat, laquelle ne parvient pas à mettre un terme à une série célèbre.

12La compassion larmoyante devient l’un des ressorts d’émissions prétendument humanitaires, où l’on offre et impose la décoration vulgaire d’une maison, voire sa restauration complète, à de pauvres gens en détresse qui ne peuvent que baiser la main ou faire l’accolade en pleurant à une animatrice ou à un animateur présentés comme un sauveur.

13C’est aussi le retour, sur certaines chaînes en mal d’audience, d’émissions de plateau où la polémique désordonnée, le chahut organisé, tiennent lieu de fil conducteur, dans une violence et une vulgarité qui touche à l’obscénité.

Internet : populaire ou populiste ?

14À la fin des années 1970, la radio a pris une voie différente, en ouvrant ses ondes à ceux qui l’écoutaient. C’est en 1978, très exactement, que commence l’émission Le téléphone sonne sur France Inter, où les auditeurs sont invités à poser leur question à un groupe de spécialistes dans un débat organisé par un journaliste. Suivra Les Auditeurs ont la parole sur RTL à partir de 1985. On parle alors d’émissions de « libre-antenne », bien que les auditeurs s’y exprimant soient soigneusement filtrés, et souvent en nombre très limité. En 2001, RMC propose un nouveau format, désormais exclusivement de libre-antenne, ou de talk, quelle que soient les émissions. Pour la première fois l’auditeur n’est plus un « écoutant » passif, le filtre est très allégé et le nombre d’interventions maximisé. Il s’exprime en direct sur les ondes, fait entendre sa voix sans être autre chose que le reflet de lui-même. Il donne une opinion parmi tant d’autres, pose des questions aux journalistes ou à des experts chargés de résoudre ses éventuels problèmes ou de le conseiller. Le média devient alors interactif. Exercice difficile et périlleux pour la station, l’animateur ou le journaliste, surtout lorsque le sujet est politique. Il devient alors, au sens propre du terme un médiateur entre les auditeurs. Il est chargé d’éviter les excès, de corriger les inexactitudes voire les mensonges, d’empêcher les injures, de déjouer les incursions de propagande sans pour autant restreindre abusivement la liberté de parole. Cette option sera rapidement dénoncée comme « populiste » par les concurrents du média, qui ne tarderont pas, cependant, à l’imiter avec plus ou moins de réussite. Les critiques viendront surtout de la presse écrite, de plus en plus déconnectée et abandonnée par ses lecteurs du fait d’une obsolescence où la plonge un nouveau média ou, pour être plus juste, un nouveau support : internet.

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Le premier débat télévisé opposa François Mitterrand et Valéry Giscard d’Estaing en 1974. Dès lors les confrontations entre leaders politiques vont se multiplier, tournant souvent au pugilat médiatique.

15La toile n’est pas en soi un média : c’est un support qui s’ouvre à tous les médias traditionnels : écrits comme audiovisuels. Elle ne devient un nouveau média qu’en tant que vecteur universel d’informations et d’échanges entre les hommes, hors du sérail de la presse. Si la presse écrite a tant de mal à y trouver sa place, c’est qu’elle doit émerger et imposer sa qualité de média dans le magma de cette « liberté de parole » que permet internet. Chacun peut prendre cette parole sur la toile et la voix de quiconque peut très bien porter plus fort que celle du journaliste, de l’expert, du sachant ou du savant et véhiculer de fausses informations, volontairement ou non. Chacun peut créer son site, donc son média, à peu de frais. La télévision et la radio s’en sortent plutôt bien parce qu’elles y trouvent un vecteur supplémentaire, qui sera peut-être demain pour elles, le principal.

16Internet est-il un vecteur médiatique « populaire » ou « populiste » au sens péjoratif du terme ? La question mérite d’être posée, puisqu’il sera demain la voie ultra-dominante de diffusion de l’information. Populaire, assurément si l’on en juge à son irrésistible succès. Populiste certainement en cela qu’il permet la diffusion de l’information sans filtre, de la façon la plus triviale voire la plus obscène qui soit, parfois par la prolifération d’images comme de textes insoutenables, sans aucun filtre ni pratiquement de contrôle juridique.

17On pourrait donc se résigner à la mort programmée de la presse « papier », à la dilution des télévisions et des radios dans la prolifération des stations, mais aussi de programmes de plus en plus abêtissants. Pourtant, près de vingt ans après le choc frontal de l’apparition d’internet, le cataclysme absolu redouté ne s’est pas produit. Au contraire, même, dans l’océan de médiocrité, la qualité a su se maintenir ou émerger. À côté de la trivialité de certains supports, de certains programmes, les émissions télévisuelles d’information, de débat, de culture (notamment sur le patrimoine) se sont développées et font de plus en plus d’audience. Aujourd’hui, toutes les grandes radios « donnent la parole » à leurs auditeurs en l’informant, en l’aidant à mieux vivre et parfois à mieux « se » vivre. Les producteurs, les réalisateurs, les journalistes découvrent une nouvelle exigence, une nouvelle fonction : celle d’informer et de former, de décaper les idées reçues, de dénoncer les monstruosités.

18Pour cela, il faut qu’ils sortent de leur tour d’ivoire sans craindre de « se frotter » au lecteur, au téléspectateur, à l’auditeur, à l’internaute, en jouant le seul rôle et en assurant la seule fonction qui leur revient : celle de médiateurs de faits et d’opinions, dans le respect des valeurs républicaines que sont la liberté d’expression, l’égalité de traitement de l’information, et la fraternité des valeurs véhiculées.


Date de mise en ligne : 01/02/2021

https://doi.org/10.3917/huma.305.0049

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