Humanisme 2014/2 N° 303

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Article de revue

L’anti Festival des guerres

Pages 95 à 99

Notes

  • [1]
    Les archives de cette expérience sont consultables à la bibliothèque du Grand Oriant de France.

1En 1980, José Pérez, Grand-Maître adjoint, chargé par Roger Leray, Grand-Maître, réunissait chaque mois une commission culturelle composée d’une vingtaine de personnes, écrivains, peintres, musiciens et même verriers.

2À la place du Musée actuel, se trouvait une salle dénommée Salle Cadet, de plus de 400 places. S’y étaient déroulés de nombreux convents, colloques et conférences. Elle n’était équipée d’aucun matériel d’éclairage de scène et rien n’était prévu pour y accrocher quelque projecteur que ce soit.

3José Pérez convainquit le Grand-Maître qu’il était possible d’utiliser la Salle Cadet et d’en faire un lieu de création travail artistique favorisant l’extériorisation de l’obédience en y traitant des sujets propres à l’univers maçonnique et en y réunissant maçons et profanes pour l’élaboration d’une œuvre commune, ici, contre la guerre.

4Une fraternelle inter obédientielle – Les Trois Clés – présidée par Raymond Pierre, regroupait une centaine d’artistes interprètes ayant des activités musicales. Cette fraternelle fut sollicitée pour résoudre les problèmes de copie musicale et de composition des orchestres, ce qu’elle accomplit pour une bonne part. Ainsi Gisèle Coste, secrétaire de la Fraternelle, professeur de solfège et d’accordéon prêta son concours pour l’une des œuvres : ADI.

5Nous pensions pouvoir compter sur des amis journalistes pour donner du relief à l’évènement. Le Grand Orient de France vota une avance sur recettes et le prêt gratuit de la salle. Ce fut Jean Kriff qui couvrit en argent personnel les frais que cette activité ne manqua pas d’occasionner à hauteur de sept fois la subvention du Grand Orient. En décembre 80, le projet fut baptisé, « Anti festival des Guerres ».

6Il fallait d’abord trouver des auteurs puis convaincre des compositeurs admettant de ne composer qu’en tenant compte de leurs futurs interprètes, non encore désignés, ce qui n’allait pas sans compliquer l’ensemble des choses.

7Les répétitions commencèrent effectivement en l’Hôtel du Grand Orient un mois avant le premier spectacle. L’activité se déploya partout : dans le couloir de l’ancien Musée, dans le grand hall, dans la partie accueil de l’entrée rue Cadet et évidemment dans la Salle Cadet.

Les auteurs, les compositeurs, les sujets

8

  • - Le Cercle ou la prise d’Alesia fut composé par Françoise Salez texte et musique. La Gaule, 52 avant notre ère, Vercingétorix est nommé chef suprême des Gaulois. Héros romantique, probablement mais reste que la France d’aujourd’hui est aussi un ossuaire sur lequel s’est bâtie la Nation. Françoise Salez s’appliqua à donner une couleur résolument moderne aux récitatifs et désuète aux « morceaux de bravoure » destinés à évoquer les opéras héroïques français du XIXe siècle.
  • - 14 fut traité par Denise Aignerelle en une habile utilisation de textes de soldats et de déclarations de Barrès, Déroulède, Jaurès etc. Jacques Longchampt, l’éminent critique musical au Monde, écrivit le 14 mai 1981 : « Curieuse et courageuse entreprise. Le Groupe Associatif d’Interprètes lyriques, présidé par Jean Kriff, offre, dans la belle salle moderne du Grand Orient de France un festival consacré à sept guerres en musique, composé de sept créations lyriques, jouées chacune une seule fois. Mardi soir, c’était 14. Cet essai de café-théâtre chanté a fait revivre de façon assez efficace, en un style anti images d’Epinal, le climat de cette époque effroyable. La musique de Denise Aignerelle donne une saveur amère et touchante à cet ex-voto. »
  • - La Guerre d’Espagne qui devait être évoquée par L’Ogre et les Taupes, dut, au dernier moment, être remplacée par Terre sans pain de Luis Bunuel et à des danses et des chants andalous accompagnés de guitares.
  • - Pour ADI ou les derniers jours du Bunker, Denise Aignerelle se remit au travail et sur un texte de Jaromir Knittl écrivit une partition musicale qui ne fut pas sans évoquer Kurt Weil. D’ailleurs, voici ce qu’écrivit Clym, musicologue et critique musical à la Nouvelle République, le 9 juillet 1981 : « J’ai assisté à une représentation de ADI, évocation du nazisme, de la fin d’Hitler et d’Eva Braun dans le bunker. Le texte de Jaromir Knitll traite le sujet comme une sorte de revue de music-hall, lui enlevant son impact monstrueux, grâce à des flashback caricaturaux. La musique de Denise Aignerelle, acide, aux réminiscences de Kurt Weil possède un certain piment permettant aux interprètes de jouer leurs rôles avec brio. Parmi de bons comédienschanteurs, dont Caroline Dumas, Jean Kriff se tailla la part du lion, faisant une composition remarquée avec le personnage d’Adi, de sinistre mémoire ».
  • - Le livret de L’Homme Oublié et la prise d’otages fut traité par Charles Gilbert, écrivain et journaliste, auteur de pièces radiophoniques. Marcel Shuh en écrivit la partition musicale.
  • - La guerre des 6 jours : Yom Hashabat, le 7e Jour fut composé par Maurice Benhamou mêlant musique électro-acoustique et musique instrumentale sur un livret d’Oderic Delfosse. Jean Pierre Antébi, l’animateur du débat, se présenta comme ce que l’on appelle un juif arabe. Il précisa d’abord qu’il fallait voir la pièce comme une métaphore de toutes les guerres, le problème supplémentaire soulevé par l’ouvrage était l’amour croisé d’une israélienne pour un palestinien et d’un israélien pour une palestinienne.
  • - Enfin, le 21 mai, le festival se conclut par une évocation de la guerre atomique avec 8h16 Hiroshima composée par Serge Marion, sur un texte du romancier Martin Rolland. Sujet : le Monde de l’Angélus de Millet s’est arrêté à Hiroshima, un matin, à 8h16. Alors que des explosions nucléaires se déchaînent, des morts viennent dialoguer avec des vivants et un enfant apparaît, porteur d’espérance.

Les écritures musicales

9Françoise Salez : 1er prix de philosophie musicale dit Prix Messiaen, compositrice de pièces pour piano et de mélodies sur des textes de Maurice Carême.

10Denise Aignerelle : Prix de Conservatoire National de piano, assistante de Pierre Duclos et de Patrice Sciortino.

Jean Kriff dans le rôle d’ADI.

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Jean Kriff dans le rôle d’ADI.

11Marcel Schuh, pianiste : 1er prix de Piano du Conservatoire National, formé pour la composition à la Schola Cantorum.

12Maurice Benhamou : élève de Stockausen et d’Henri Pousseur, compositeur de nombreuses pièces d’orchestre et chœurs inspirés de culture juive, Prix international de la Fondation Royaumont et de la Fondation Gaudeamus. Adolphe Attia, le « Hazan » attitré de la Grande Synagogue de la rue de la Victoire eut la gentillesse de venir prêter son concours pour cette création.

13Serge Marion lui, avait été formé dans l’esprit de l’Ècole de Vienne mais s’était détaché du courant dodécaphoniste. Il avait été membre du Groupe de recherche musicales de l’ORTF animé par Pierre Schaeffer, le père de la musique concrète. Serge Marion était l’auteur, au moment de son concours pour le festival anti-guerres, de plusieurs pièces pour orchestre, d’un Te Deum et d’un Dies Irae ainsi que d’ouvrages : L’Oiseau Bleu à partir de l’œuvre de Madame d’Aulnoy, Don Perlimplin ou Belise dans son jardin, sur un texte de Federico Garcia Lorca.

Les interprètes

14Citons pour le chant : Mesdames Dany Barraud de l’Opéra, Caroline Dumas, de l’Opéra-comique, Christine Cadol, Sylvie Oussenko, Messieurs Bernard Angot, Jean Chesnel de l’Opéra-comique, Jean-Philippe Doubrère, Philippe Kahn, Bernard Muracciole, Jacques Villa pour les principaux et pour la danse Laurence Fanon, Mahia Maïdzé et Sarah Rayna.

15Ce fut une partie de la chorale Elisabeth Brasseur qui prêta son concours pour les prestations de chœurs. Les orchestres constitués en partie d’instrumentistes de la fraternelle des Trois Clés, le furent davantage grâce aux relations personnelles des compositeurs.

Coupure de presse annonçant le Festival l’année suivante, en 1982.

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Coupure de presse annonçant le Festival l’année suivante, en 1982.

16La plupart des personnes citées, acceptèrent de participer amicalement à cette aventure qui devait ouvrir une activité pérenne.

17Les orateurs invités chargés des débats furent Jacqueline Nebout, adjointe à l’environnement de la Ville de Paris, Sarah Puiro, avocate, Jean-Pierre Antébi, grand reporter pendant la guerre des six-ours, José Nunès, Lélé de Triana, Louis La Fourcade, historien et Jacques Normand ingénieur au CEA. Jacques Longchampt, dans Le Monde, souligna l’intérêt d’avoir créé un nouveau lieu théâtral et musical.

18Clym dans La Nouvelle République avait écrit que l’initiative, courageuse, donnait l’espoir que les organisateurs disposeraient, à l’avenir, de moyens plus importants.

Directions artistiques

19L’artiste-peintre Sylviane Sarrau, décoratrice de ballets à l’opéra de Lyon, aidée ici par le savoir-faire de Rose-Marie Fanon, modéliste chez Saint-Laurent et Lola Ascor, imagina et coréalisa des costumes ainsi que des plantations de décors, simples et efficaces.

20La partie technique, électrique surtout, fut prise en charge par Charles Sebagh, qui construisit de toutes pièces un dispositif d’éclairage, travaillant dangereusement parfois jusqu’à ramper sur les faux plafonds de la salle afin d’y installer les barres de métal capables de supporter de lourds projecteurs.

21Les deux chefs d’orchestre qui prirent en main le difficile travail musical furent Henri Gayral, chef d’orchestre connu de toute la France lyrique et Jacques Marichal, organiste à Notre-Dame.

22Les mises en scène furent signées par Jaromir Knittl Rodolphe Deshayes, bien connu des scènes dramatiques, Marcel Féru, directeur du théâtre de Tourcoing, Jean Kriff et Bernard Muracciole, ces trois dernières personnes étant, par ailleurs, interprètes dans les œuvres présentées.

8h16 Hiroshima, avec Laurence Fanon et Robin Muracciole.

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8h16 Hiroshima, avec Laurence Fanon et Robin Muracciole.

23Hélas, le calendrier des spectacles, du 10 au 21 mai 1981, se télescopa avec l’élection présidentielles. L’actualité électorale, jointe à la fin de mandat de Roger Leray paralysa les amis journalistes.

24Mais la mission était accomplie puisque l’année suivante le GODF et l’Association GAIL, grâce, cette fois, à une belle subvention de l’état assortie d’une commande officielle à compositeur, purent créer trois œuvres nouvelles.

25Et puis, faute d’argent, les projecteurs s’éteignirent, mais se rallumèrent pour éclairer le berceau du grand musée d’aujourd’hui.


Date de mise en ligne : 01/02/2021

https://doi.org/10.3917/huma.303.0095

Notes

  • [1]
    Les archives de cette expérience sont consultables à la bibliothèque du Grand Oriant de France.

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