Partout et toujours, Jules Vallès, pour reprendre une de ses expressions, a tenu à la « liberté sans rivages ». Ecrivain, journaliste, communard, militant, agitateur d’idées, il n’a jamais été l’homme des accommodements. Sa vie et son œuvre ont été marquées par la révolte, dont il a assumé toutes les conséquences, lançant en 1885 à son amie Sévérine, avant de mourir : « J’ai bien souffert ».
1Il naît au Puy en 1832, fils d’un pion devenu enseignant dans un collège de Saint-Etienne, personnage terne et besogneux semble-t-il. Il connaît une enfance difficile. sa mère le fouettait chaque jour, pour qu’on ne puisse pas dire qu’il était un enfant gâté… Vallès dira plus tard à un de ses amis : « Je n’ai pas eu d’enfance, et je n’ai pas eu de famille. »
21850 : il arrive à Paris, pour faire son droit. Mais il se passionne surtout pour le débat d’idées, proche de Proudhon. Il exècre Napoléon III, goûte un peu à la prison, abandonne ses études, devient pion à Caen, puis revient à Paris, travaille à la mairie de Vaugirard, comme expéditionnaire, après d’autres activités obscures, souvent tenaillé par la faim. Surtout, il écrit. Il publie en 1857, sans nom d’auteur, un essai qui fait scandale, L’Argent : il y fustige l’idolâtrie effrénée de l’argent. Le voici bientôt « journaliste », sans qu’il puisse vraiment en vivre. Il multiplie les articles dans des feuilles républicaines de l’époque, qu’il réunit parfois en ouvrages, salués par certains de ses contemporains. L’un d’entre eux écrit : « Il y a du sang et de la bile dans la colère de M. Vallès (…) Mais le cœur n’est pas absent de ses récits sardoniques. » Tous de relever ses qualités littéraires indéniables. Il publie bientôt un journal au titre symbolique : La Rue… vite interdit ! De nouveau prison, amendes, mais il ne baisse pas les bras, lance une autre publication, Le Peuple. Il y réclame des droits sociaux pour les travailleurs, revendique la liberté, la justice… Le Peuple disparaît après son n° 14, faute d’argent.
Un communicant dans l’âme
3Il est alors proche du révolutionnaire Blanqui, et participe aux luttes de la fin de l’Empire et des débuts de la République après la proclamation du 4 septembre 1870. Communicant dans l’âme, il est le principal rédacteur de la fameuse « Affiche rouge » de janvier 1871, qui se termine ainsi : « Place au peuple, place à la Commune. » La Commune de Paris, bien sûr !
5Les textes et manifestes se succèdent dans cette période, tous plus enflammés les uns que les autres. Ainsi, le 5 janvier 1871, il rédige avec Edouard Vaillant une proclamation au nom des 20 arrondissements de Paris : « Réquisition générale – Rationnement gratuit – Attaque en masse. Place au peuple ! Place à la Commune ! » Février 1871, il lance un nouveau titre, Le Cri du Peuple, qui proclame : « La sociale arrive, entendez-vous ! Elle arrive à pas de géant. » Vallès connaît le poids des mots et des slogans mobilisateurs.
6Jusqu’à la fin, jusqu’aux ultimes barricades, il est de la Commune de Paris. C’est aussi en franc-maçon qu’il apparaît dans cette période. Initié en 1869 à la loge L’Ecossaise, affiliée à la Grande Loge, il est l’un des organisateurs de la manifestation maçonnique du 29 avril 1871, regroupant les frères favorables à la Commune. Le 1er mai, il se félicite de « la franc-maçonnerie qui a réuni au nom de la fraternité la bourgeoisie laborieuse et le prolétariat héroïque. Merci à elle, elle a bien mérité de la République et de la Révolution. »
7Après l’écrasement de la Commune, il réussit à s’enfuir, gagne la Suisse, puis Londres, où il reprend l’écriture, faisant paraître sous pseudonyme des articles dans des journaux parisiens : des chroniques, mais aussi, en feuilleton, son roman L’Enfant, première partie de sa trilogie de Jacques Vingtras, son double littéraire. Il y déroule la fresque de ses premières années, entre désespoir et rage. Suivront Le Bachelier et L’Insurgé, publiés respectivement en 1881 et 1886, un an après sa mort. Trois livres haletants, poignants, terribles.
8De retour d’exil en 1880, il écrit de nouveau des articles, relançant même pour un temps son Cri du Peuple. Il y proclame dès le premier numéro : « Au Cri du peuple ; on est socialiste révolutionnaire : on n’est ni anarchiste, ni blanquiste, ni possibiliste, ni guesdiste »… il refuse l’esprit de chapelle, il rejette toute école socialiste. On le voit ainsi écrire, dans une préface à un livre du frère Benoît Malon, Le Nouveau Parti : « libre je resterai aujourd’hui comme autrefois. (…) Je ne vais pas m’enfermer dans un bivouac, quand j’ai devant moi tout le champ de bataille révolutionnaire. »
Le fond et la forme
9Un homme entier, à n’en pas douter, qui vit surtout pour l’écriture, au-delà du combat politique. Mais son écriture n’est jamais neutre : il est un bretteur de presse, un spadassin de la plume, par le fond de ce qu’il écrit, les descriptions et coups de sang qu’il offre à ses lecteurs, mais aussi par le style qu’il emploie, alternant les ruptures de ton, les images choc, les tournures familières. Un style qui emporte, à n’en pas douter. mais ce n’est pas l’essentiel pour Vallès, qui entend privilégier le contenu. Ainsi, quand il écrit : « J’ai plutôt honte de moi, par moments, quand c’est seulement le styliste que la critique signale et louange, quand on ne démasque pas l’arme cachée sous les dentelles noires de ma phrase comme l’épée d’Achille à Scyros. » Il aurait sans doute peu apprécié ce qu’ont écrit de lui dans leur Journal les Goncourt, à la date du 10 septembre 1870 : « Vallès, un homme de talent. Il possède l’épithète du grand écrivain et la vie du style. »
10Il souhaitait qu’on ne retienne de lui que ses coups de colère, ses dénonciations, mais on conviendra cependant que son style n’a pas pris une ride, et qu’on le lit aujourd’hui encore avec le plus grand plaisir. Vallès nous emporte toujours…