Avocat de formation, Henri Caillavet a une longue carrière politique derrière lui : élu député de 1946 à 1958, il devient ministre dans le gouvernement Pierre Mendès France en 1954. Il est sénateur 1967 à 1983, et enfin, député européen de 1979 à 1984.
Il fut à l’initiative de projets de loi concernant l’interruption volontaire de grossesse (IVG), les greffes d’organes, l’euthanasie, ou l’acharnement thérapeutique.
Plusieurs fois président de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD), il contribue à lancer de nombreuses initiatives, comme la création de la commission nationale informatique et liberté (CNIL). Ajoutons que cet homme de fidélité et de convictions a été initié au Grand Orient de France en… 1935 !
Alain Simon a sélectionné pour Humanisme des extraits de son dernier ouvrage Libres paroles maçonniques, Paris, Vega, 2008.
1« Assez souvent en sciences, pour une idée juste, il y a une foule d’idées fausses, voire des reculs, des ressacs, des abandons.
2Par exemple, et sans même évoquer les paradoxes de la Flèche du temps des jumeaux de Langevin et tant d’autres, que reste-t-il de l’explication de la création du monde dans la version hellénique du siècle de Périclès ? Simplement sa mythologie enchanteresse, alors que nous n’avons pas oublié Ératosthène qui fut le premier savant ayant convenablement évalué la circonférence de la terre ? Ou bien encore, qu’avons-nous conservé des propositions de Ptolémée ou des formulations de l’illustre Galilée dans la théorie moderne du Big Bang ?
3Rien, absolument rien. En cela, la raison qui néanmoins justifie la science apparaît changeante par essence et inachevée par vocation. »
4« Aujourd’hui, nous savons grâce à l’accumulation séculaire des connaissances humaines que la nature, par un long cheminement de dizaines de millions d’années, a façonné l’homme actuel. Dès lors, celui-ci est l’aboutissement de mutations géantes, de fractures biologiques, d’évolutions hésitantes. À ce sujet, Jean Rostand que j’ai eu le privilège de fréquenter parlait des “ hoquets de la création ”.
5D’un être unicellulaire, d’une amibe, d’une algue bleue progressant dans la “ soupe originelle ”, nous sommes parvenus à des individus milliardaires en cellules ! Cependant cette avancée vers la « complexité », qui, pour moi, rationaliste et athée, n’obéit à aucun plan préétabli, à aucune finalité, s’est-elle achevée avec l’apparition de l’homme ? La spirale qu’évoquait, dans ses Méditations, Teilhard de Chardin estelle définitivement bouclée ?
6Sommes-nous certains d’être à l’abri des pandémies foudroyantes et dévastatrices, qui contraindraient notre espèce à des adaptations imprévisibles ?
7Nul ne saurait répondre. La seule certitude que nous pouvons oser avancer à l’aube du troisième millénaire est que, dans 4 à 4,5 milliards d’années, notre minuscule terre, lovée au fond du disque de la petite voie lactée, elle-même encerclée par des milliers et des milliers de galaxies, se sera embrasée dans le four solaire, lequel à son tour est promis à une inexorable destruction.
8Oui, tout meurt dans l’univers, même les étoiles. Les étoiles ? Ces fleurs palpitantes à l’infini que chantait Jasmin, le poète de la Gascogne !
9Rien, par conséquent, n’attestera jamais notre brève existence humaine. Aucune dépouille ne reposera dans un quelconque musée comme c’est actuellement le cas de Lucie ou des ossements de l’homme de Cro-Magnon. Il ne restera plus aucun témoignage de notre conscience ni de l’histoire falote de l’humanité parce que l’anéantissement est la loi de toute chose ! »
10« À l’évidence, les francs-maçons, qu’ils soient déistes, agnostiques, athées, s’interrogent, questionnent, s’inquiètent, se rassurent. Laborieusement, sans trêve, ils cherchent, rejetant les dogmes desséchants et aliénants. Ils tentent à tous les plans de comprendre « le pourquoi et le comment des choses », en accordant à la raison la première place, celle qui, au demeurant, lui revient. Parfois, le franc-maçon s’aventure dans l’imaginaire. Il cultive alors furtivement l’utopie, sans laquelle l’avenir ne revêtirait pas son habit d’Arlequin. »
11« En ce début de millénaire, les sciences et les technologies ont chaussé les bottes de sept lieues ! Elles apportent à l’évidence d’immenses progrès. Mais elles provoquent également des soubresauts, des convulsions, des révolutions aussi d’ordre social et économique que d’ordre moral et culturel. Les mœurs, hélas, sont rarement les compagnes fidèles des avancées scientifiques.
12De la caméra à positons à l’IRM, de l’ordinateur et du laser aux manipulations génétiques, du clonage au décryptage du génome, aux balbutiements des tentatives de greffes dans le cerveau, l’homme s’étonne de ses découvertes sinon s’en affole ! En présence de ces novations, il perd assez souvent jusqu’à certains de ses repères immémoriaux !
13De fait aujourd’hui plus qu’hier et à une autre échelle de valeurs, l’humanité est engagée dans un prodigieux débat contradictoire, celui de l’intelligence et du cœur et celui de la science et de l’éthique.
14Or ce débat contradictoire est au centre même de la nature humaine. Il a été initié par les sapiens sapiens, et cela, dès l’ébauche, dès l’éveil de la spiritualité. En cassant des silex de leurs mains noueuses, ces hommes ont irréversiblement façonné “ notre espace culturel ”, en sorte que la pierre taillée puis la pierre polie et le jaillissement du fer les ont dignement arrachés à l’animalité primitive. Ils leur ont même permis, par ce long cheminement vers la plénitude humaine, de sélectionner les instincts sociaux et de moduler ainsi des pans entiers de leurs relations collectives, soubassements lointains de nos morales dites traditionnelles.
15C’est pourquoi, me semble-t-il, dans la confluence des lois de l’évolution, de la sélection naturelle, de la génétique, des neurosciences par exemple, se sont forgés des mouvements idéologiques dont la modernité rassure notre raison et notre cœur.
16En effet, face à certaines théories nauséabondes, telle celle du racisme, de l’eugénisme, il nous est maintenant plus aisé, grâce à nos recherches, de réfuter scientifiquement ces odieuses prétentions, toujours, hélas, récurrentes. Les sciences mettent enfin à notre disposition des instruments rigoureux qui nous permettent de nous opposer à ces thèmes monstrueux, d’une part, et de justifier l’humanisme auquel nous sommes attachés, d’autre part.
17Précisément, les francs-maçons considèrent que les hommes de progrès devraient sans désemparer, avec le concours des philosophes, des politiques, des démocrates, des artistes du monde entier, tracer, grâce « aux nouvelles semences culturelles » que nous offrent notamment la biochimie moléculaire, les « neurosciences », le génie génétique, la frontière morale au-delà de laquelle les hommes ne devraient plus s’aventurer, sous peine de provoquer un anéantissement collectif. »