La révision des lois de bioéthique, qui devrait aboutir en 2010-2011, sera engagée par un débat public en 2009. Le GODF, en pointe sur tous les débats de société (de la dépénalisation de l’homosexualité à l’abolition de la peine de mort, du droit à l’avortement et à la contraception au droit de mourir dans la dignité), est fidèle au combat de ses précurseurs au fil du XIXe siècle et XXe siècle, en se préoccupant dès aujourd’hui de la réouverture des questions de bioéthique à l’ensemble de la société, au-delà du débat d’experts.
Le processus de révision
1Adoptées en 1994, puis révisées avec retard en 2004, les lois de bioéthique ont pour principe d’être réexaminées tous les cinq ans par le législateur, afin de prendre en compte les avancées scientifiques et sociétales. Elles fixent une série de principes (indisponibilité du corps humain, non-commercialisation du vivant, gratuité et anonymat du don), dont découlent autorisations et interdictions. Leur champ s’étend de l’assistance médicale à la procréation (AMP) à la recherche sur les cellules souches embryonnaires, en passant par le don d’organes, de cellules et de gamètes.
2Bien que techniques, ces questions véhiculent une forte symbolique et concernent un nombre croissant de Français. Aussi, le gouvernement a-t-il retenu l’idée d’états généraux, ouverts aux citoyens, afin de ne pas réserver le processus de révision aux seuls spécialistes. Il reprend en cela une initiative qu’avait lancée le gouvernement de Dominique de Villepin, en 2007, mais avec une autre méthodologie : initialement pressentie, l’Agence de la biomédecine, l’organisme indépendant chargé de veiller à la bonne application des lois de bioéthique, a finalement été écartée de l’organisation des états généraux par le ministère de la Santé. Le décret 2008-1236 du 28 novembre 2008 institue un comité de pilotage des états généraux de la bioéthique, présidé par le député Jean Leonetti, président de la mission sur la révision de la loi sur la fin de vie qui porte son nom, et rapporteur de la mission d’information de l’Assemblée nationale sur la révision des lois de bioéthique. Le comité comprend cinq autres personnalités, parlementaires, juristes, philosophes ou médecins, choisies selon la parité de genre et la diversité des sensibilités politiques.
3Dès le mois de janvier 2009, le comité de pilotage entamera des auditions, qui pourraient être retransmises dans les médias audiovisuels. Trois forums régionaux se tiendront en province en présence d’un panel de citoyens, choisi au hasard et formé aux questions de bioéthique. Organisés en avril et en mai, ils auront pour thème la greffe, le don d’organes et de gamètes, la recherche sur les cellules souches et embryonnaires, l’AMP. Le comité de pilotage rendrait sa copie fin juin, à l’occasion d’un colloque présidé par le président de la République. L’ensemble de ces travaux devrait constituer le socle d’un projet de loi de révision des lois de bioéthique, dévoilé par le Gouvernement à l’automne 2009 et qui pourrait être discuté par le Parlement début 2010.
De l’assistance médicale à la procréation aux tests génétiques
4Indépendamment de la lettre de mission du Président de la République définissant les thèmes « qui devront être abordés dans le cadre de ces états généraux » (publié au même Journal Officiel que le décret cité supra, 29 novembre 2008), il se trouve que l’Agence de la biomédecine et l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) avaient rendu un rapport courant novembre en prélude à ces états généraux. Pour initier les débats dans nos ateliers, voici quelques-unes des questions soumises à débat :
- L’assistance médicale à la procréation, l’AMP, regroupe les techniques permettant la procréation en dehors du processus naturel (fécondation in vitro, transfert d’embryons, insémination artificielle). Elle est réservée aux couples hétérosexuels infertiles, en âge de procréer, mariés ou faisant la preuve de deux ans de vie commune. Sur les 700 000 enfants nés en France en 2006, 20 000 sont nés grâce à l’AMP. Le débat portera sur l’éventualité d’ouvrir son accès aux couples homosexuels, aux femmes célibataires. L’OPECST recommande « d’ouvrir aux femmes célibataires, médicalement infertiles, l’accès à l’AMP avec un suivi psychologique » et de « mener un débat approfondi sur l’accès des couples homosexuels ».
- L’anonymat et la gratuité du don : en matière de don d’organes comme de don de gamètes (sperme et ovocytes), les lois de bioéthique imposent le principe de l’anonymat et de la gratuité : le donneur ne peut être connu du receveur (sauf dans le cas du don d’organes entre proches), et l’acte ne peut être rémunéré. La pénurie du don de gamètes pousse les couples à partir à l’étranger. Dans ce contexte, faut-il mieux indemniser le don d’ovocytes, qui implique un parcours long et difficile pour la donneuse ? Autre question : la levée de l’anonymat du donneur de gamètes, revendiqué, au nom de l’accès à leurs origines, par des enfants issus de ce don. L’OPECST juge cette « revendication légitime » dans la mesure « où l’identification du donneur ne peut en aucun cas avoir une incidence sur la filiation de l’enfant issu du don ».
- La gestation pour autrui (GPA) l’autorisation des mères porteuses, devrait être l’une des questions les plus débattues, et c’est pourquoi une première contribution a été proposée dès ce numéro d’Humanisme. Si la mission d’information sénatoriale, présidée par Michèle André interviewée précédemment, préconise de l’autoriser sous certaines conditions strictes, pour des femmes privées d’utérus pour des raisons médicales, à l’inverse, l’OPECST s’est prononcé contre la GPA, au nom de l’intérêt de l’enfant à naître.
- L’extension du diagnostic préimplantatoire (DPI): le DPI est autorisé depuis 1994 pour les couples ayant une « forte probabilité de donner naissance à un enfant atteint d’une maladie génétique d’une particulière gravité reonnue comme incurable ». La loi ne définissant pas strictement les pathologies concernées, certaines équipes médicales ont appliqué cette technique en 2008 à des couples présentant des prédispositions génétiques à certains cancers. Ces initiatives ont fait craindre une « dérive eugénique ». L’OPECST propose de dresser « de manière indicative une liste de maladies d’une particulière gravité » autorisant le DPI.
- Les recherches sur les cellules souches embryonnaires : la loi de 2004 s’est prononcée pour une interdiction des recherches sur les cellules souches embryonnaires au nom du respect de la dignité humaine. Elle a cependant assorti cette interdiction d’un moratoire de cinq ans autorisant ces recherches dans des conditions très strictes. Au 18 juillet 2008, l’Agence de la biomédecine avait délivré 106 autorisations et opposé 3 refus. La levée de l’interdiction fait désormais quasiment consensus dans le milieu scientifique. L’OPECST est favorable à un régime d’autorisation préalable et encadrée ; les parlementaires se prononcent également en faveur de la transposition nucléaire (dit « clonage thérapeutique » et non reproductif), actuellement interdit, avec un « dispositif rigoureux de contrôle ».
- Les tests génétiques : l’utilisation des tests génétiques est réservée à des fins médicales ou judiciaires. Compte tenu de la circulation de tests par Internet, l’OPECST recommande d’ « effectuer des mises en garde tant sur la fiabilité des tests proposés que sur l’usage des résultats non clairement couverts pa le secret, voire l’anonymat ». Compte tenu du risque de discrimination, notamment pour l’accès à l’emploi, les parlementaires recommandent d’inscrire dans la loi que « nul ne peut se prévaloir de l’analyse de son génome pour en tirer avantage ». Devant le risque d’instrumentalisation et de marchandisation du corps humain, il est important que les humanistes soient parfaitement au courant des débats en cours, des possibilités offertes par les progrès de la technique pour en mesurer les risques éthiques. Il importe donc que les maçons du GODF, avant même l’expression des responsables religieux, souvent prompts à réagir sur ces questions touchant à l’origine de la vie et aux croyances, soient convaincus d’avoir à porter une voix originale sur ces questions.