Notes
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NdT : Pour le détail de cette histoire, voir « Naissance du GOUSA » dans le numéro précédent d’Humanisme (n° 280).
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Les Shriners ou AAONMS (Ancient Arabic Order of the Nobles of the Mystic Shrine ou Ordre arabe ancien des nobles du sanctuaire mystique) sont une société américaine paramaçonnique, fondée à New York dans les années 1870. Leurs membres doivent avoir le grade de Maître. Ils sont environ 400 000 aujourd’hui dans le monde, et ils sont surtout connus pour leurs parades, leur organisation des Oscars et leurs hôpitaux pour enfants.
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Première exposition au Royaume-Uni sur le thème de la franc-maçonnerie et des femmes, et célébration de la fondation de la première obédience féminine. Exposition jusqu’au 19 décembre 2008.
Le 27 juin dernier, le Grand Orient de France a signé un traité d’amitié avec le Grand Orient des Étals-Unis d’Amérique ou GOUSA. Une occasion de s’entretenir avec le Grand Maître de cette nouvelle obédience amie, John Slifko. Après l’analyse présentée dans notre numéro précédent, une manière aussi de découvrir combien le monde est en train de changer à l’Ouest, bien au-delà des idées reçues.
1Humanisme : Quels ont été les éléments qui ont déclenché le projet de création du Grand Orient des Etats-Unis ou GOUSA ?
2John Slifko : Il y a une quinzaine d’années, j’ai pu me rendre compte de la qualité de la franc-maçonnerie française en nouant des relations via Internet avec des francs-maçons français. Des ponts ont été jetés. Parallèlement, des liens du même ordre se sont forgés sur le sol américain, notamment avec des Frères du Grand Orient de France. Au départ, la création d’un Grand Orient des Etats-Unis d’Amérique semblait irréalisable. Mais, peu à peu, les esprits ont mûri. Puis, je suis entré en relation avec des loges du Middle West, du Michigan, de l’Ohio, de la Géorgie : elles commençaient toutes à avoir des problèmes avec la franc-maçonnerie « historique » [1]. J’ai pensé qu’il était bon qu’elles entrent en contact avec le Grand Orient de France.
3Humanisme : Pourquoi le Grand Orient de France ?
4John Slifko : J’ai jugé que cette démarche contribuerait à donner quelque crédibilité à des Frères qui faisaient alors figure de rebelles. Ils avaient besoin de préciser leur identité, de s’inscrire dans un certain esprit de la franc-maçonnerie. Et quelle meilleure idée que de se mesurer à une franc-maçonnerie aussi marquée par son histoire et son destin que celle du Grand Orient de France ? Ils ont donc contacté le Grand Orient de France et, dès que je l’ai appris, je me suis rendu au Michigan pour m’entretenir avec eux. J’ai été très impressionné par leur courage et leur intelligence. J’ai ensuite informé la George Washington Union et d’autres obédiences libérales aux Etats-Unis pour leur dire que l’initiative de ces Frères méritait l’attention. Comme je devenais de plus en plus actif dans ce soutien, ces Frères m’ont proposé de diriger le projet : c’est ainsi que j’ai été élu et accepté Grand Maître du Grand Orient des États-Unis.
5Humanisme : Quelle est l’importance exacte de la culture maçonnique du Grand Orient de France aux yeux du GOUSA ?
6John Slifko : La franc-maçonnerie du Grand Orient de France est plus intellectuelle. Chez nous, surtout depuis une cinquantaine d’années, la franc-maçonnerie est plutôt assimilable à une occupation sociale, plus engagée dans un travail caritatif que dans la recherche intellectuelle. Outre cet aspect intellectuel, on respire davantage dans la franc-maçonnerie française, on y est plus libre : aux États-Unis, c’est de la mémorisation, de la paperasserie et il ne s’y passe pas grand-chose. C’est ce cocktail entre intellect et liberté qui fait la différence.
7Humanisme : Comment expliquer le peu de cas fait en général à la recherche intellectuelle dans la franc-maçonnerie américaine ?
8John Slifko : Aux États-Unis, le nombre d’adhésions à la franc-maçonnerie a toujours grimpé après chaque guerre, sauf après celle du Viet-Nam. Presque à chaque fois donc, les soldats qui revenaient du front voulaient retrouver l’esprit qui les avait unis jusque-là. Après la Seconde Guerre Mondiale, ce phénomène a d’ailleurs pris des proportions si considérables qu’on a alors initié à la chaîne ! Un contexte peu propice à la préservation de la qualité intellectuelle des travaux maçonniques… Ce qui comptait, c’était de se retrouver ensemble, d’où ce goût pour les œuvres de charité. De plus, les Shriners [2] ont fait beaucoup de mal à la franc-maçonnerie américaine. Ils la voyaient en gros comme une antichambre du Shrine, et les degrés supérieurs du rite écossais et du rite d’York comme une simple halte sur la voie menant au Shrine. L’idée s’est alors répandue que l’important, c’était de gagner le Shrine au sein duquel, cependant, rien de bien philosophique ne vient briller : en bref, une impasse. Actuellement, le Shrine est en train de se dissocier de la franc-maçonnerie pour se mettre à recruter en dehors d’elle : mais, sur ce plan, des dégâts considérables ont été faits à la franc-maçonnerie.
9Humanisme : D’où le souhait d’une nouvelle franc-maçonnerie tournée vers plus de recherche, en particulier par le biais de l’université.
10John Slifko : Oui. Je pense que la franc-maçonnerie européenne, notamment française, peut redynamiser la franc-maçonnerie américaine, et ce renouveau peut venir de l’université. Il faut amener la franc-maçonnerie sur les campus universitaires. D’abord, parce que la qualité y est à l’honneur, mais aussi parce qu’il s’agit d’un cadre ouvert : la franc-maçonnerie a besoin de cette ouverture.
11Humanisme : Qu’as-tu fait personnellement dans ce sens ?
12John Slifko : A l’origine, je travaillais pour le Congrès américain en tant que conseiller législatif et pour la municipalité de Los Angeles. La politique, c’est mon terreau. Mais comme ma femme ne voulait plus vivre à Washington, j’ai renoncé à ma carrière politique et repris le chemin des écoliers : je me suis remis aux études pour passer un doctorat ! Je l’ai obtenu à l’Université de Californie de Los Angeles (UCLA) : il porte sur les débuts de la franc-maçonnerie aux Etats-Unis.
13Humanisme : L’université pourrait bien être la clef d’un regain maçonnique, y compris aux États-Unis.
14John Slifko : Oui. Ces dix dernières années, soixante doctorats ont été entrepris aux États-Unis, qui concernent tous la question maçonnique. Les francs-maçons américains eux-mêmes l’ignorent. En Europe, en revanche, les spécialistes sont tout à fait informés de ce nouvel élan de la recherche américaine. En fait, dans l’histoire de la franc-maçonnerie américaine, il y a souvent eu des liens très forts entre vie universitaire et vie maçonnique. Il s’agit là de notre histoire et cette relation pourrait très bien refaire surface. L’UCLA est en train de signer un mémorandum d’accord avec l’université de Sheffield. De nouvelles relations universitaires vont ainsi voir le jour. Outre Sheffield, des liens se sont noués avec l’université Michel-de-Montaigne à Bordeaux et l’université de Saragosse. Établir un réseau de recherches entre ces universités, voilà un projet qui verra bientôt le jour. Sur ce point, l’Angleterre est bien en avance sur les États-Unis.
15Humanisme : L’avenir de la franc-maçonnerie, aux États-Unis comme ailleurs, passe donc par la jeunesse et la culture.
16John Slifko : Oui. La puissance du GOUSA, par exemple, c’est de pouvoir répondre aux besoins des nouvelles générations américaines intéressées par la franc-maçonnerie. Outre l’aspect philosophique, le GOUSA présente un aspect politique comme le Grand Orient de France. Les membres du GOUSA sont particulièrement concernés par des problèmes qui, naguère, n’intéressaient pas la majorité des francs-maçons : les droits de l’homme, l’environnement, l’éducation,… La franc-maçonnerie américaine a connu de grands moments : avant l’Indépendance et après l’Indépendance, avant que l’affaire Morgan ne jette sur elle une ombre durable. Aujourd’hui, je crois que la franc-maçonnerie des États-Unis veut revenir à ses racines. Et cela ne peut passer que par l’Europe : l’exposition organisée à Londres par la bibliothèque et le musée de la Franc-maçonnerie autour du thème des femmes et de la franc-maçonnerie en est la preuve [3]. Nous avons besoin de vous, de votre tradition et de vos recherches en France. Nous avons besoin de lire vos articles en anglais. On compte sur votre culture pour nous éclairer.
Patente accordée par le Grand Orient de France au Grand Orient des Etats-Unis d’Amérique.
Patente accordée par le Grand Orient de France au Grand Orient des Etats-Unis d’Amérique.
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NdT : Pour le détail de cette histoire, voir « Naissance du GOUSA » dans le numéro précédent d’Humanisme (n° 280).
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Les Shriners ou AAONMS (Ancient Arabic Order of the Nobles of the Mystic Shrine ou Ordre arabe ancien des nobles du sanctuaire mystique) sont une société américaine paramaçonnique, fondée à New York dans les années 1870. Leurs membres doivent avoir le grade de Maître. Ils sont environ 400 000 aujourd’hui dans le monde, et ils sont surtout connus pour leurs parades, leur organisation des Oscars et leurs hôpitaux pour enfants.
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Première exposition au Royaume-Uni sur le thème de la franc-maçonnerie et des femmes, et célébration de la fondation de la première obédience féminine. Exposition jusqu’au 19 décembre 2008.