1Humanisme : Comment le Grand Orient of the United States of America ou GOUSA a-t-il vu le jour ?
2Patrice Billaud : En 2005, la Respectable Loge Lafayette 89 du Grand Orient de France, à l’Orient de Washington, a commencé à avoir vent de certains souhaits exprimés par des Frères américains, à titre individuel. Ils quittaient leur Grande Loge dans des conditions difficiles : désaccords, conflits, etc. Ils s’étaient donc mis hors du système maçonnique régulier et avaient fait part de leur envie de réunir ceux qui voulaient travailler ensemble dans un contexte différent, c’est-à-dire surtout hors du conservatisme ambiant qui est la caractéristique des Grandes Loges aux États-Unis.
3Humanisme : Pourquoi ne souhaitaient-ils plus simplement rejoindre une des loges du Grand Orient de France aux États-Unis ?
4Patrice Billaud : Leur première difficulté, c’était leur dispersion sur tout le territoire américain, d’où certains obstacles ou lenteurs de communication. Ensuite, ils sont mis en contact avec nos Frères de Washington qui les ont aidés à clarifier par eux-mêmes leur propre projet. En la matière, il faut dire que les Frères de Lafayette 89 et notamment son Vénérable Maître ont fait et continuent de faire un travail extraordinaire. Nos Frères américains se sont fédérés en créant ce qu’ils avaient appelé United Grand Lodge of America, une forme d’Obédience qui n’avait d’Obédience que le nom, ce qui leur a permis de se doter d’une identité et de faire connaître leur démarche. Via Lafayette 89, ils nous ont fait savoir qu’ils désiraient créer des loges au sein du Grand Orient de France aux États-Unis et ce en septembre 2007.
5Humanisme : Quelle a été la réponse du Grand Orient de France ?
6Patrice Billaud : Nous leur avons répondu que cette solution n’était pas nécessairement la meilleure. Premièrement, il s’agit de Frères anglophones et l’obstacle linguistique ne pouvait qu’entraîner certaines difficultés d’ordre administratif. Deuxièmement, le Grand Orient de France doit tenir compte de la réalité du paysage maçonnique américain. Il existe sur place une Obédience que nous avons contribué à créer, la George Washington Union. Or elle est mixte et, issus d’un système plus figé, nos Frères américains ne pouvaient voir cette option que de loin. Cependant, nous leur avons rappelé que le Grand Orient de France est lié à cette Obédience par un traité d’amitié en vertu duquel, avant de décider de créer une Loge du Grand Orient de France aux États-Unis, tous les Frères désireux de créer une nouvelle structure sont tenus d’être encouragés à voir s’il ne leur serait pas possible de rejoindre la George Washington Union. Nous avons donc pris contact avec les Frères de cette Obédience, lesquels ont pour beaucoup, la double appartenance avec le Grand Orient de France, et nous leur avons demandé de s’informer sur ce nouveau cas de figure.
Les Conseillers de l’Ordre du Grand Orient de France et les Frères du GOUSA (de gauche à droite : Patrice Billaud, Grand Secrétaire aux Affaires extérieures adjoint, Avelino Valle, Grand Secrétaire aux Affaires extérieures, et quelques Frères de la nouvelle Obédience)
Les Conseillers de l’Ordre du Grand Orient de France et les Frères du GOUSA (de gauche à droite : Patrice Billaud, Grand Secrétaire aux Affaires extérieures adjoint, Avelino Valle, Grand Secrétaire aux Affaires extérieures, et quelques Frères de la nouvelle Obédience)
7Humanisme : Et la question fiscale ?
8Patrice Billaud : C’est le troisième problème. Les cotisations que nous demandons au Grand Orient de France sont lourdes pour des Frères qui vivent au pays du dollar ; d’autre part, il leur est possible aux États-Unis de déduire toutes leurs cotisations. Au vu de ces problèmes, nos Frères américains ont donc préféré s’orienter vers la création d’une Obédience. Nous leur avons répondu que cette solution était viable, à savoir établir dans le paysage maçonnique américain une Obédience masculine, libérale et adogmatique, qui n’existait pas jusque-là. Nous avons travaillé avec eux dans ce sens entre octobre 2007 et février 2008 en vue de la préparation de leur Constitution. Ils nous ont fait savoir qu’ils allaient nous demander patentes. Pourquoi auprès du Grand Orient de France ? Ils nous ont expliqué qu’ils avaient fait des recherches historiques et qu’il était pour eux important de revenir à certaines figures : Washington, Lafayette, ainsi qu’aux valeurs des Lumières. Dans leur projet de Constitution, ils se sont donc référés directement à nos valeurs : la liberté, l’égalité, fraternité, la laïcité ou la liberté absolue de conscience.
9Humanisme : Après quoi, vous vous êtes rendus aux États-Unis.
10Patrice Billaud : En mars dernier, Avelino Valle, Grand Secrétaire aux Affaires extérieures, et moi-même sommes partis pour Washington, mandatés par le Conseil de l’Ordre, et ce afin de finaliser tout ce qui devait l’être. Nous avons rencontré ces Frères américains qui venaient des quatre coins des États-Unis : de Californie, de Géorgie, d’Alabama ou de l’Ohio, ce qui explique leur difficulté à se réunir. Outre l’équipe dirigeante constituée d’une quinzaine d’entre eux, l’ensemble représente environ douze loges, soit quelques centaines de Frères faisant partie intégrante de ce projet. Nous avons ainsi vu certains Frères à Washington et nous avons été frappés par les raisons qui les avaient conduits à quitter leur Obédience d’origine : tenue de propos racistes, notamment dans les États du Sud ; propos sexistes ou intolérants ; et mode de gestion interne totalement fermé où la discussion n’est pas possible, application du dogme ou impossibilité de soulever toute question sociale ou politique. Il ne faut pas oublier que ce sont des Frères qui ont une quarantaine d’années, qui sont donc plutôt jeunes, aspect qui a d’ailleurs retenu l’attention de Son Excellence Monsieur Pierre Vimont, nouvel ambassadeur de France à Washington, lorsque nous l’avons rencontré comme nous le faisons toujours lors de nos voyages : pour ces jeunes Frère en effet, dans la société américaine d’aujourd’hui, on ne saurait se contenter d’entreprises caritatives ou de barbecues le week-end. Leur sincérité nous est apparue totale : ils ont essayé de changer les choses de l’intérieur, cela n’a pas marché et on les a rejetés assez violemment. Selon eux, la maçonnerie américaine s’est figée. D’après leurs statistiques, s’il y avait quatre millions de maçons il y a quarante ans, il n’y en aurait plus qu’un million et demi aujourd’hui. Potentiellement, il y a donc un développement formidable qui pourrait se faire, s’ils arrivent à surmonter leurs difficultés.
Son Excellence Monsieur Pierre Vimont, ambassadeur de France à Washington, encadré par les Conseillers de l’Ordre du Grand Orient de France. (Patrice Billaud et Avelino Valle)
Son Excellence Monsieur Pierre Vimont, ambassadeur de France à Washington, encadré par les Conseillers de l’Ordre du Grand Orient de France. (Patrice Billaud et Avelino Valle)
11Humanisme : Quelles sont les dispositions prises par le Grand Orient de France et les défis qui restent à relever ?
12Patrice Billaud : A ce stade, nous avons fait un rapport au Conseil de l’Ordre en déclarant qu’il n’y avait aucune raison de ne pas leur octroyer les patentes, en l’occurrence au rite écossais ancien et accepté qu’ils vont retenir et au rite français, disons de manière plus symbolique. Le traité d’amitié va sans aucun doute être voté. Par ailleurs, la George Washington Union les soutient officiellement et ils disposent, eux, de tous les documents administratifs, de tous les rituels traduits en anglais. Ils vont avoir tous les outils leur permettant de travailler. Leur défi, c’est d’une part, et étant donné leur dispersion géographique, de trouver un mode de fonctionnement susceptible de tenir compte de leur éclatement : où, par exemple, pourrait être le siège de cette nouvelle Obédience ? D’autre part, les Obédiences américaines d’origine sont extrêmement agacées par de tels événements, d’où des représailles, en particulier l’expulsion des loges qui occupaient des bâtiments pour se réunir. Puisqu’elles ne font plus partie de l’Obédience, elles sont invitées à travailler ailleurs puisque le patrimoine appartient à l’Obédience – même s’il a été acheté avec les cotisations des Frères, d’où un contentieux assez fort, en Ohio par exemple entre la Grand Loge de l’Ohio et les Frères de l’Ohio en rupture. En l’occurrence, les moyens sont totalement inégaux : d’un côté, une Obédience richissime ; de l’autre, des Frères démunis devant des frais d’avocat qui, de toute façon, s’avèreront très chers. Il va falloir peut-être qu’ils passent par une phase de précarité que connaissent certaines de nos Loges, contraintes de se retrouver dans une salle de restaurant ou au premier étage d’un hôtel. Mais l’objectif reste l’allumage des feux de l’Obédience à l’automne prochain, dès lors que nos Frères disposeront des patentes et du traité d’amitié, et qu’ils auront réglé leurs problèmes de locaux et choisi un siège. Après quoi, ils auront leur destin entre leurs mains.
13Site Web du GOUSA : www.grandorientusa.or