1Le républicanisme serait-il la doctrine la mieux à même de servir la cause des peuples répartis aux quatre coins du monde ? La question est ardue, et peu d’ouvrages permettaient d’y répondre avant celui-ci, dirigé par Paul Baquiast et Emmanuel Dupuy, au titre largement évocateur : La République universelle.
2Tout le monde sait, aujourd’hui, que la Révolution française traversa les frontières. D’une Société des Amis des Noirs créée le 19 février 1788 pour l’abolition immédiate de l’esclavage dans les colonies à un Thomas Paine, élu député à la Convention le 6 septembre 1792, la République s’est toujours voulue citoyenne et cosmopolite, mêlant aux triomphes des peuples la fraternité des principes et des luttes sociales. L’universalisme républicain a pu, en cela, fédérer des nations entières si l’on pense, quelques années plus tard, au Printemps des peuples débutant le premier mois de l’année 1848. Des pays comme la Crète, l’Italie, l’Irlande aussi bien que les États-Unis ou l’Amérique latine furent de vibrants foyers de combats pour ceux qui, de Paris, en prenaient la destination. Ils appuyaient alors leurs frères de tous pays menacés en des temps absolutistes par les pouvoirs établis.
3Bien sûr, outre le socle commun des luttes contre les pouvoirs arbitraires, despotiques et religieux, certains font aujourd’hui bonne presse à critiquer abruptement l’universalisme ayant ouvert la voie aux guerres de colonisation. Pourtant, il faut encore se demander si la guerre, la mainmise du colonialisme autant que l’exploitation de sociétés entières relèvent des principes de la République.
4Les vingt-cinq contributions de ce livre démolissent tous les préjugés et les idéologies sur ce point. D’abord, parce que la République est une histoire collective reflétant le kaléidoscope du monde autour d’idéaux communs : souveraineté populaire, services publics, laïcité, démocratie, séparation des pouvoirs. Ensuite parce que même déchirée dans une mouvance opposant les modérés aux radicaux et les radicaux aux utopistes, rien n’est moins républicain que de barrer la route aux émancipations politiques, intellectuelles et sociales. De l’œuvre irradiante d’un Garibaldi, en passant par les insurrections des décabristes russes, autant que des Patriotes du Bas-Canada, la République se veut l’autre mot de la justice. Que dire, par exemple, de la fameuse nuit du 4 août 1789 durant laquelle les députés de la Constituante proclament l’abolition des privilèges ? N’a-t-elle pas offert une méthode libératrice à l’ensemble des autres peuples ? À bon droit, la République tchèque de Masaryk, laïque et égalitaire, s’en est inspirée au début du siècle dernier. À bon droit aussi, Mustafa Kemal a fourni à la Turquie cette libération juridique reflétant sa confiance en la volonté générale, imposant dans le même temps, en 1930, le droit de vote des femmes.
5Ensemble, des peuples ont donc trouvé dans l’idée républicaine un programme dépassant l’histoire et élevant les hommes au rang de citoyens. En Afrique du Sud, sous l’égide de Nelson Mandela, l’universalité des Droits de l’Homme montrait le chemin de la liberté. « Blancs aussi bien que Noirs, réunis comme des égaux, des compatriotes et des frères » recevaient une part égale du pouvoir depuis la Freedom Charter du mois de juin 1955. Largement développées à partir d’une vision humaniste de la société, dans laquelle la multiplicité de l’individu est réconciliée dans l’unité du citoyen, véritable réceptacle du pouvoir, chacune des thèses républicaines a servi la cause du peuple.
6Bien entendu, le mot République est parfois amèrement utilisé. Il sert alors à instaurer le pouvoir d’un État personnalisé et répressif sur un peuple démuni de ses droits fondamentaux. Il en va ainsi des diverses Républiques islamiques ordonnant l’allégeance du peuple et la mise au pas des consciences. Autant d’armes destinées à abattre la raison émancipatrice contre les dogmes et l’asservissement, seule garante de l’architecture universelle de la République.
7À l’heure présente, au moment où une Europe économique se substitue à une Europe politique, en compromettant la fameuse Europe des « Républiques sœurs », l’universalisme républicain est pourtant révolutionnaire. Il entend toujours fédérer les peuples sans fédérateur, et traverser le Mur des idéologies pour la construction d’un espace laïque à l’échelle internationale. Sa force peut être puisée dans l’histoire et les principes. Mais elle peut l’être aussi en chacun de nous, qui nous rapprochons toujours un peu plus de la lumière vive propre à la liberté.
8Si La République universelle est un ouvrage remarquable, parce qu’il ramasse toutes les graines de l’idée républicaine, il pourrait avoir semé dans l’air du temps l’espérance en un nouvel internationalisme. Comme le disait Victor Hugo : « Ô République universelle, tu n’es encore que l’étincelle, demain tu seras le soleil ! »
- P. Baquiast et E. Dupuy (dir.), La République universelle. L’idée républicaine en Europe. XVIIIe-XIXe siècles – Histoire et pensée universelle (vol. 1), préface d’A. Bellon, L’idée républicaine dans le monde. XVIIIe-XIXe siècles – Nouveau Monde, Afrique, Monde musulman (vol. 2), Paris, L’Harmattan, 2007, 21 € (1) et 17 € (2).