Couverture de HSR_054

Article de revue

Animaux Coloniaux

La présence animale dans la justice civile de la Nouvelle-Calédonie (1883-1912)

Pages 117 à 149

Notes

  • [1]
    Hors Nouméa, qui n’est pas étudiée ici. La zone géographique couverte par nos recherches correspond au reste de la Grande Terre, île principale de l’archipel, espace surnommé communément « la brousse ». Il s’agit de zones rurales, d’élevage et d’horticulture, majoritairement occupées par les tribus kanak jusqu’aux années 1880, puis accaparées par les concessions accordées aux colons et aux libérés du bagne et par les terrains de l’administration pénitentiaire. Faute de sources, les îles Loyauté (Maré, Lifou, Ouvéa) ne sont pas représentées dans ce corpus.
  • [2]
    En amont, 1883 correspond à la première année dont les archives de justice civile sont disponibles aux Archives de la Nouvelle-Calédonie (désormais ANC). En aval, le début des années 1910 s’apparente à la fin des grandes spoliations foncières subies par les populations kanak. Cette période marque également l’apogée du bagne, avec jusqu’à 7 000 forçats détenus ou libérés dans l’archipel dans les années 1890, de l’emprise foncière et des besoins en viande qui en découlent (Barbancon, 2003). La statistique présentée est le résultat du dépouillement de 18 années de justice civile : ANC, 23 W-C1 : Justice de paix de Bourail, 1889-1898 (années 1889, 1890 et 1894 étudiées) ; 23 W-E5 : Justice de paix de Bourail, 1910-1912 ; 23 W-K1, 2, 3, 15 : Justice de paix de Canala et Thio, 1883-1888, 1889, 1890-1891, 1907-1912 (années 1908 et 1912 étudiées). Le chiffre brut correspond à 421 procédures judiciaires impliquant des animaux sur un ensemble de 2 975 affaires civiles.
  • [3]
    Pour la longue et riche période historique « Lapita » puis Kanak qui précède les premiers contacts avec les Européens, voir, parmi d’autres études archéologiques, Sand, 2010.
  • [4]
    Baratay, 2017. Voir également Baldin, 2014 ; Baratay, 2011.
  • [5]
    Voir Chauvet, 2012 ; Moriceau, 2008 et 2013 ; Real, 2006.
  • [6]
    Saussol, 1979, 1985 et 1994 ; Dauphiné, 1987 et 2000 ; Pillon, 1989.
  • [7]
    Trépied, 2013 ; Muckle, 2018 ; Muckle et Trépied, 2015.
  • [8]
    Pas plus qu’en Europe, où le dernier procès recensé date de 1846 selon Real, 2006. Parmi les publications sur les procès des animaux, qui concernent prioritairement la fin du Moyen Âge et l’époque moderne, retenons Chêne, 1995 ; Daboual, 2003 ; Litzenburger, 2011 ; Nadal, 1980. Soulignons également le thème de recherche ouvert par Follain, 2018 sur l’histoire de la bestialité à travers les sources judiciaires.
  • [9]
    Daboual, 2003, p. 49-50 sur l’évolution législative au xixe siècle.
  • [10]
    Pour reprendre une terminologie « victimaire » sur les réactions des insulaires face aux débuts de la présence européenne en Océanie, que les études récentes nuancent nettement : Moorehead, 1966.
  • [11]
    Nous sortons de ces statistiques les trois affaires identifiées dans la justice correctionnelle, qui sont des appels d’affaires civiles. Concernant les sources desquelles les graphiques et les résultats statistiques présentés dans cette partie sont issus, voir la liste intégrale des fonds consultés aux Anc, en note 2.
  • [12]
    Selon Pillon, 1989.
  • [13]
    Anc, 23 W-E5 : Justice de paix de Bourail, années 1910 et 1912.
  • [14]
    Anc, 23 W-K1 : Justice de paix de Canala-Thio, année 1886.
  • [15]
    Anc, 23 W-K2 : Justice de paix de Canala-Thio, année 1889.
  • [16]
    Sur les transportés arabes installés en Nouvelle-Calédonie, voir les deux études de référence : Barbancon et Sand, 2013 ; Ouennoughi, 2006.
  • [17]
    Anc, 23 W-K3 : Justice de paix de Canala-Thio, année 1891.
  • [18]
    À propos de la législation sur les animaux, voir Baratay, 2003.
  • [19]
    Un recensement bibliographique rapide nous a permis d’identifier une soixantaine de révoltes kanak contre la présence française entre le début de la colonisation, en 1853, et la grande révolte du centre de la Grande Terre menée par le chef Ataï en 1878 ; près d’une centaine si l’on étend la période jusqu’à 1917.
  • [20]
    Lois, décrets, arrêtés et instructions formant la législation de la Nouvelle-Calédonie, Nouméa, Imprimerie calédonienne, 1900, t. 1, p. 47.
  • [21]
    Lois, décrets, arrêtés et instructions formant la législation de la Nouvelle-Calédonie, Nouméa, Imprimerie calédonienne, 1900, t. 1, p. 46-47.
  • [22]
    Anc, 23 W-K2 : Justice de paix de Bourail, année 1889. Le 1er février, l’article 475.7 du Code pénal est appliqué à Pierre Guiard, cultivateur ayant laissé errer ses chèvres sur la voie publique. Il écope de six francs d’amende.
  • [23]
    Voir Serna, 2016 ; Baldin, 2014.
  • [24]
    Lois, décrets, arrêtés et instructions formant la législation de la Nouvelle-Calédonie, Nouméa, Imprimerie calédonienne, 1900, t. 6, p. 319-329.
  • [25]
    Lois, décrets, arrêtés et instructions formant la législation de la Nouvelle-Calédonie, Nouméa, Imprimerie calédonienne, 1900, t. 1, p. 48-49.
  • [26]
    Entre la révolte de 1878 et l’arrivée de Paul Feillet en 1894, douze gouverneurs se succèdent à Nouméa. La révolte de 1878 se déroule dans la région de La Foa et Bourail pour l’essentiel, au centre-ouest de la Grande Terre. Menée par le chef Ataï, elle est directement liée à l’extension rapide des terres concédées aux colons, aux libérés du bagne ou à l’administration pénitentiaire (voir Saussol, 1979).
  • [27]
    Lois, décrets, arrêtés et instructions formant la législation de la Nouvelle-Calédonie, Nouméa, Imprimerie calédonienne, 1900, t. 1, p. 47. Les ânes sont également cités, mais le cas ne se produit qu’une seule fois dans notre corpus. Le 14 août 1890, à Boghen, près de Bourail, le libéré et concessionnaire Pierre Dubois doit verser un franc de dommages pour avoir laissé « errer son âne domestique » (Anc, 23 W-C1 : Justice de paix de Bourail, année 1890). Né en 1837, ancien ouvrier de fabrique à Roubaix, il avait été condamné à sept ans de travaux forcés pour attentats à la pudeur sur ses filles. Arrivé en Nouvelle-Calédonie en 1878, sa bonne conduite lui vaut de bénéficier d’une remise de peine et de recevoir une concession près de Bourail quatre ans plus tard. Sa formation d’ouvrier suggère qu’il ne lui fut probablement pas aisé de se reconvertir en cultivateur, comme de nombreux transportés souvent originaires de milieux urbains (informations issues des Anom, H-2496, f. 299-300).
  • [28]
    Lois, décrets, arrêtés et instructions formant la législation de la Nouvelle-Calédonie, Nouméa, Imprimerie calédonienne, 1900, t. 1, p. 357-361.
  • [29]
    Lois, décrets, arrêtés et instructions formant la législation de la Nouvelle-Calédonie, Nouméa, Imprimerie calédonienne, 1900, t. 1, p. 213-219.
  • [30]
    Lois, décrets, arrêtés et instructions formant la législation de la Nouvelle-Calédonie, Nouméa, Imprimerie calédonienne, 1900, t. 2, p. 170-171.
  • [31]
    À Pouébo, à plus de 400 km au nord de Nouméa, en octobre 1867, deux colons, un enfant et deux de leurs employés sont assassinés par les membres d’un clan. S’ensuit une nuit d’émeutes contre les familles européennes implantées sur le territoire de la chefferie des Mwelebengs, que l’administration française réprimera par l’envoi d’un corps expéditionnaire quelques semaines plus tard, l’incendie de nombreux tertres, le déplacement de certains clans, la mise au travail forcé d’autres et surtout un procès retentissant de vingt-cinq Kanak accusés d’avoir perpétré les crimes. Dix d’entre eux seront guillotinés devant les membres de leur chefferie le 18 mai 1868, à Pouébo (affaire bien analysée dans Saussol, 1979).
  • [32]
    La bibliographie est abondante à ce sujet, voir entre autres Dauphine, 1987 et 2000 ; Leblic, 2003 ; Merle, 1995 ; Saussol, 1979.
  • [33]
    Muckle et Trépied, 2015, p. 70 puis 71-72 pour les informations à suivre.
  • [34]
    Dauphiné, 2000, p. 94.
  • [35]
    Dauphiné, 2000, p. 94-159 ; Dousset-Leenhardt, 1978.
  • [36]
    Et même bien plus. Ce tubercule occupe une place centrale dans la société coutumière kanak, dans l’alimentation comme dans la vie sociale et politique. Son cycle, de la mise en terre à la récolte, agrémenté de rites et de fêtes, rythme la vie quotidienne et le calendrier annuel des Kanak, en particulier pour la période des mariages. Sa dévastation par les bovins les choque fortement (Wamytan, 2016, p. 134-135).
  • [37]
    Cité par Dauphiné, 2000, p. 122.
  • [38]
    Citée par Dauphiné, 2000, p. 95.
  • [39]
    Selon les sondages que nous avons effectués dans Anc, 23 W-A1 à 8 : Petit civil de Nouméa, 1859-1917.
  • [40]
    Cité par Dauphiné, 2000, p. 95.
  • [41]
    Pour les justices de brousse et les minutes des « tribunaux de brousse » qui parcourent le territoire trois fois par an, voir Anc, 23 W-C, E et K : minutes des affaires civiles de brousse de Bourail, Koné (1889-1954) ; minutes des audiences de Canala et Thio (1883-1957).
  • [42]
    Anc, 23 W-K1 : justice de paix de Canala et Thio, année 1883.
  • [43]
    Idem, année 1884, ainsi que pour les affaires citées ensuite. Sur Vincent Champion, informations issues des Anom, H-2443, f. 468-470 : dossier Vincent-Venant Champion.
  • [44]
    Précisons toutefois que ce n’est pas le Kanak qui porte plainte à titre individuel mais qu’il s’agit d’un cas de flagrance rapporté par la gendarmerie. Par ailleurs, la notion de « terres coutumières » en usage de nos jours ne l’est pas à l’époque étudiée en Nouvelle-Calédonie. Il est question de « réserves » ou de « terres kanak ». La première prise en compte des coutumes par les autorités coloniales date de 1929, avec une grande enquête menée sur ce sujet par le Service des affaires coutumières et consultable aux Anc, 97 W-155. Le droit coutumier entre ensuite explicitement dans le droit calédonien en 1934 avec la reconnaissance d’un état civil particulier (Murphy, 2019, p. 32). Notre étude se place donc, chronologiquement, avant cette évolution.
  • [45]
    Anom, H-2452, f. 124-126 : dossier Joseph Soenne.
  • [46]
    Bulletin officiel de la Nouvelle-Calédonie, année 1855, p. 26-27. Sur les premiers missionnaires, voir la réédition de Salinis, 2019, par les éditions calédoniennes Humanis.
  • [47]
    Anc, 44-W1 : Comptes rendus du conseil privé de la colonie, année 1862.
  • [48]
    Dauphiné 1989, p. 38-44. Cet arrêté est toujours considéré comme fondateur du nouveau « droit foncier » en Nouvelle-Calédonie, instauré par la puissance coloniale. Il sert de repère aux institutions coutumières pour la restitution des terres depuis 1988 (mis en ligne sur le site de l’Agence de Développement Rural et d’Aménagement Foncier : http://www.adraf.nc/la-reforme-fonciere/historique). Barbe, 2008, p. 407, résume les bouleversements radicaux que cet arrêté provoque dans les structures sociales kanak.
  • [49]
    Anc, 23 W-K1 : justice de paix de Canala et Thio, année 1884.
  • [50]
    Parmi les 26 affaires, 20 sont liées à des divagations de bétail, dont 17 par du bétail « européen » et 3 par du bétail « kanak ». Les autres affaires se rattachent aux catégories présentées par la suite.
  • [51]
    Pillon, 1989, particulièrement p. 244-247.
  • [52]
    Anc, 23 W-K15 : Justice de paix de Canala, 1907-1910.
  • [53]
    Anc, 23 W-E5 : Justice de paix de Bourail, 1910-1912.
  • [54]
    Après 1897, ce service représente les Kanak en justice et agit en leur nom.
  • [55]
    Anc, 23 W-C1 : Justice de paix de Bourail, 1908. Le terme australien de stockyard désigne les parcs à bestiaux, en usage également parmi les éleveurs de Nouvelle-Calédonie.
  • [56]
    Anc, 23 W-K15 : Justice de paix de Canala, année 1908. Le notou est un oiseau de la famille des Columbidae, endémique de la Grande Terre, qui vit dans ses forêts humides et dont la chasse est fortement réglementée. Son apparence le rapproche du pigeon, en plus volumineux.
  • [57]
    En plus de Nakéty, qui concentre la majorité des plaintes, on note la présence en justice des tribus de Gomen, Péhoué, Gélina, Moa, Thio, Canala, Balade, Nindia, Méchain, Tû et Nessayouka. Il s’agit d’espaces où la présence européenne est très forte, et de manière précoce (1843 pour Balade). Nakéty, la tribu la plus présente dans les procédures judiciaires, est au cœur d’un territoire convoité pour ses mines d’antimoine, découvertes en 1877.
  • [58]
    65 % des affaires de divagation de bétail (soit 222 affaires) sont portées à la connaissance des justices de paix à l’initiative des gendarmes et, parfois, de surveillants militaires en charge de contrôler les forçats libérés ou en fin de peine placés sur des concessions.
  • [59]
    Anc, 23 W-K15 : Justice de paix de Canala, année 1912.
  • [60]
    Anc, 23 W-E5 : Justice de paix de Bourail, année 1910, ainsi que pour l’affaire suivante.
  • [61]
    Voir sur ce sujet Vivier, 2000.
  • [62]
    Anc, 23 W-K1 : Justice de paix de Canala-Thio, année 1883. Ils écopent d’une sanction à hauteur de six puis dix francs d’amende.
  • [63]
    Voir Baratay, 2003 ; Serna, 2016. Fleury, 1995, rappelle que les abus contre les chevaux menés à l’épuisement dans les attelages et laissés mourant sur les chaussées de Paris ont provoqué l’indignation de Pierre de Monteux qui le mène à la création de la Spa.
  • [64]
    Anc, 23 W-K1 : Justice de paix de Canala-Thio, année 1883. Les moutons ont été introduits en Océanie à partir de 1788, avec comme cause première le développement de l’industrie lainière en Australie (selon D’Arcy, 1990, p. 147-148).
  • [65]
    Anc, 23 W-K2 : Justice de paix de Canala-Thio, année 1889. L’affaire se déroule à Moindou, dans la zone où les concessionnaires sont très nombreux, au centre-ouest de la Grande Terre.
  • [66]
    La loi de 1850 n’est promulguée dans la colonie que le 24 avril 1874 (Lois, décrets, arrêtés et instructions formant la législation de la Nouvelle-Calédonie, Imprimerie calédonienne, Nouméa, 1900, t. I, p. 46-47).
  • [67]
    Quoiqu’ils aient deux patronymes dans leur langue d’origine, les Kanak ne sont généralement désignés que par leur prénom de baptême par les autorités françaises.
  • [68]
    Anc, 23 W-E5 : Justice de paix de Bourail, année 1910.
  • [69]
    Anc, 23 W-K15 : Justice de paix de Canala, année 1912. Ouégoa se situe au nord-est de la Grande Terre, à plus de 400 kilomètres de Nouméa.
  • [70]
    Anc, 23 W-C1 : Justice de paix de Bourail, année 1894.
  • [71]
    Selon Anom, H-2466, f. 430-432 : dossier Jacquier.
  • [72]
    Anc, 23 W-K1 : Justice de paix de Canala-Thio, année 1887. Le nommé Lecordroc, pour sa part, incite son chien à s’en prendre plus particulièrement au surveillant Rousseau, à La Foa, acte pour lequel il doit verser six francs de dédommagement le 10 juin 1885 (idem, année 1885).
  • [73]
    Anc, 23 W-K1 : Justice de paix de Canala-Thio, année 1889. La législation calédonienne stipule dès 1866 que les chiens ne doivent être laissés errants, à défaut de quoi ils seront placés en fourrière et abattus sous quelques jours (Lois, décrets, arrêtés et instructions formant la législation de la Nouvelle-Calédonie, Imprimerie calédonienne, Nouméa, 1900, t. II, p. 170-171). Le même arsenal répressif est mis en place à Lifou en 1878.
  • [74]
    Lois, décrets, arrêtés et instructions formant la législation de la Nouvelle-Calédonie, Imprimerie calédonienne, Nouméa, 1900, t. vi, p. 319-329. En date du 17 septembre, l’arrêté consiste en l’adaptation à la Nouvelle-Calédonie de la loi sur la police du roulage et des messageries publiques promulguée en France en 1851.
  • [75]
    Anc, 23 W-C1 : Justice de paix de Bourail, année 1895, et Anom, H-2528, f. 284-286, dossier Vincent Létard.
  • [76]
    Anc, 23 W-K1 : Justice de paix de Canala-Thio, année 1883.
  • [77]
    Anc, 23 W-K1 : Justice de paix de Canala-Thio, année 1887 et K2 : année 1889.
  • [78]
    Voir Doizy, 2009 ; Walter, 1998. Connu dans plusieurs autres archipels océaniens, comme les Fidji, la Papouasie ou le Vanuatu, sa présence avant l’arrivée des Européens n’est pas attestée par l’archéologie en Nouvelle-Calédonie (Thomas, 1995, p. 15-29).
  • [79]
    Anc, 23 W-K3 : Justice de paix de Canala-Thio, année 1891.

1Entre 1883 et 1912, 14 % des procès intentés en justice civile en Nouvelle-Calédonie impliquent d’une manière directe un ou plusieurs animaux [1]. Leur présence est prégnante, particulièrement dans les cas de conflits de « divagation de bétail », qui en constituent l’écrasante majorité. Ils apparaissent toutefois dans des procédures de natures très variables : défaut de roulage, abandon, maltraitance, chasse illégale, attaques contre des humains, insultes ou vols [2]. Présentés comme des « victimes » ou des « coupables », ils furent tous, sans exception, introduits par les Européens. Bovins, chevaux, volailles, chiens, chèvres et même taureau constituent en effet les « animaux coloniaux » qui peuplent les archives judiciaires calédoniennes [3]. Il sera question, dans cette étude, du cheptel voué à l’élevage et des animaux dits de compagnie, ou de proximité, pour les humains, et non d’animaux sauvages, dont la présence demeure très rare dans les sources.

2Avec le support des sources judiciaires, nous souhaitons apporter une modeste contribution, qui tient compte du contexte colonial, à l’histoire des animaux et de l’évolution de leurs rapports aux sociétés humaines. Elle recouvre de nombreux champs de recherche mis en lumière par plusieurs historiens comme Éric Baratay ou Damien Baldin [4]. L’exploitation des « bêtes de somme », les épidémies de bétail, l’usage des animaux en situation de conflit, l’évolution des modes et des finalités du dressage ou de la domesticité ont fait l’objet de publications récentes qui s’insèrent, plus globalement, dans un courant historiographique émergeant autour du rapport à l’environnement et à la nature. En ce qui concerne la justice, si les procès des bêtes suscitent l’intérêt par leur singularité, la présence d’une manière plus générale des animaux dans les procédures judiciaires au fil du temps, non plus en tant qu’accusés mais en tant que « victimes », « coupables », « témoins » ou « preuves », reste un aspect à découvrir. Comme pour les humains, après la (re)découverte d’animaux célèbres qui marquèrent leur temps ou la mémoire collective, ou la compréhension des représentations de certaines espèces comme l’ours, le loup ou le renard en Europe, les historiens se penchent désormais sur les destins d’animaux anonymes, sur l’évolution de la législation à leur égard, l’émergence d’une sensibilité à leurs souffrances et les moyens de les protéger [5].

3Au xixe siècle, les animaux domestiques sont partout. Chiens et chevaux d’attelage, veaux, vaches, bœufs, cochons peuplent les rues. Dans les zones rurales, la « brousse » calédonienne, en raison des besoins alimentaires liés à la présence du bagne, le nombre de ces animaux augmente considérablement en quelques décennies. Leur présence modifie l’équilibre de la faune locale, en particulier sur la côte Ouest, où s’installent la majorité des colons libres et plusieurs centres pénitentiaires et dont le climat est plus sec, favorable au pacage, que sur la côte Est. Ils créent une familiarité et une intimité avec les humains que les témoignages en justice rappellent avec fréquence.

4Le contexte sensible est celui de la spoliation foncière massive des Kanak et du développement rapide de l’élevage extensif sur la Grande Terre, île principale de l’archipel calédonien, à la fin du xixe et au début du xxe siècles. Entre l’accaparement des terres pour l’administration pénitentiaire, corollaire de la présence du bagne depuis 1864, et la volonté de développement d’une colonisation « libre », les différends judiciaires apparaissent en écho de la politique coloniale française, voire provoquent ses évolutions. Soulignons d’emblée que l’essentiel des conflits étudiés se situe dans la période dite de « grand cantonnement » en Nouvelle-Calédonie, désignant la politique de développement de la colonisation libre par les gouverneurs en place et qui aboutit à l’accaparement de plus de 90 % des terres par les Français. Les Kanak, qui subissent une crise démographique majeure (leur population diminue, passant de 45 000 à 28 000 au cours de la période étudiée), sont contraints de vivre dans des réserves délimitées par l’administration, étroites, peu fertiles et souvent coupées de la mer, ce qui aboutit à la déstructuration rapide et violente de leur organisation sociale, culturelle et économique.

5Ces derniers aspects s’avèrent connus depuis les travaux d’Alain Saussol et Joël Dauphiné sur la colonisation agricole de la Nouvelle-Calédonie et le « problème foncier » [6]. Complétés par les recherches plus récentes de Benoît Trépied et Adrian Muckle, ils appréhendent le bétail introduit par les Européens comme un outil majeur de « grignotage » des terres kanak à partir des années 1870 et une cause primordiale de la grande révolte kanak qui achève cette décennie [7]. Sous l’angle de l’histoire de la colonisation foncière, la présence du cheptel bovin et ses conséquences sont donc primordiales. En revanche, sous l’aspect que nous avons choisi de développer, la présence animale en justice, ces différends entre Européens et autochtones ramenés à l’ensemble des litiges de divagations restent très minoritaires, ainsi que nous le démontrerons plus avant. Il y a bien plus de conflits entre les colons eux-mêmes, qu’entre les éleveurs et les autochtones. Les seconds, systématiquement mis en avant dans l’historiographie du territoire, ont pu ainsi donner l’impression de constituer l’essentiel, voire la totalité, de ce type de conflits alors que, d’une part, ce constat ne correspond pas à la réalité archivistique et, d’autre part, il semble que nous ayons la plupart du temps à faire à des oppositions rurales très classiques entre éleveurs.

6Après avoir proposé, dans un premier temps, une rapide mesure de la présence animale dans la justice civile, il s’avérera nécessaire, de souligner les résultats des études antérieures sur l’élevage et de les mettre en miroir avec la trentaine d’affaires de discorde de pacage qui opposent Kanak et Européens dans notre corpus. Faute de sources plus complètes, elles concernent la période postérieure à la révolte de 1878. Ces données permettront ensuite de comprendre l’appareil législatif propre à la colonie qui se met en place vis-à-vis des animaux à compter de cette période. Il ne s’agira pas d’inscrire ce travail dans la voie déjà bien balisée des procès d’animaux. Ceux-ci ont fait l’objet de nombreuses recherches, dont certaines s’avèrent très anciennes, et ne correspondent pas au contexte calédonien : à aucun moment l’animal lui-même ne se trouve en état d’être jugé [8]. Le contexte juridique de la fin du xixe siècle le place en effet comme un bien meuble, dont le propriétaire humain est pleinement responsable [9].

7Les animaux seront placés au centre des interrogations suivantes : quel bétail divague et selon quelles modalités dans la Nouvelle-Calédonie de cette première époque coloniale, quels dégâts provoque-t-il et à quelles sanctions sont exposés les propriétaires ? Quelle « valeur » est accordée aux animaux assassinés ou maltraités ? Peut-on mesurer l’impact de l’introduction de ces « animaux coloniaux » qui, s’il n’est pas fatal aux communautés autochtones, n’en demeure pas moins considérable [10]. Les capacités d’adaptation, bien mises en avant par Adrian Muckle et Benoît Trépied, et d’intégration de ces nouvelles espèces animales seront visibles à travers les procès intentés aux colons. Au fil de l’analyse, nous tenterons d’appréhender les indices qui valorisent les liens entre humains et animaux, malgré la « sécheresse » littéraire des sources judiciaires et leur écriture normée.

Carte 1.La Nouvelle-Calédonie et les lieux du bagne, dressée par Bouquet de la Grye en 1874, avec détail sur l’île Nou, principal dépôt pénitentiaire, face à Nouméa

Carte 1.La Nouvelle-Calédonie et les lieux du bagne, dressée par Bouquet de la Grye en 1874, avec détail sur l’île Nou, principal dépôt pénitentiaire, face à Nouméa

Carte 1.La Nouvelle-Calédonie et les lieux du bagne, dressée par Bouquet de la Grye en 1874, avec détail sur l’île Nou, principal dépôt pénitentiaire, face à Nouméa

Source : Archives nationales de l’Outre-mer, 1 PL-187.

La mesure de la présence animale

Les sources utilisées

8La présentation de quelques éléments chiffrés, basés sur les 421 affaires civiles dans lesquelles la présence animale est attestée et qui constituent notre corpus, permet de connaître les tendances quantitatives et évolutives essentielles [11]. En premier lieu, la chronologie démontre l’augmentation de la part des délits faisant intervenir des animaux à la fin de notre période : alors qu’ils représentent autour de 5 à 10 % des procédures dans les années 1880 et 1890, leur taux dépasse les 30 % pour les années 1908 à 1912 (Figure 1). Il ne s’agit pas de l’intensification de conflits de type coloniaux, qui opposeraient les colons européens aux tribus kanak, puisque ceux-ci se concentrent plutôt sur la première période (voir partie suivante). Cette augmentation de la conflictualité, très largement interne aux colons, correspond d’un point de vue chronologique à la fin des spoliations foncières massives des Kanak et à l’émergence d’immenses troupeaux de bovins qui concurrencent les petits éleveurs. Les Kanak, pour leur part, se sont approprié les modes d’élevage européen, possèdent pour certaines tribus leur propre cheptel ou sont employés, pour certains individus, dans les stations des grands propriétaires fonciers européens[12].

Figure 1.Évolution de la présence animale dans les affaires civiles, 1883-1912

Figure 1.Évolution de la présence animale dans les affaires civiles, 1883-1912

Figure 1.Évolution de la présence animale dans les affaires civiles, 1883-1912

Les plaignants

9L’immense majorité des plaignants sont des hommes : seules quatorze femmes, dont deux Kanak, apparaissent, parmi lesquelles dix veuves de propriétaires terriens. Leurs problèmes sont toujours liés à des divagations de bétail, aussi bien pour Kako, de la tribu de La Courie près de Bourail, qui laisse les bovins de son employeur, l’huissier Reboulet, paître sur un terrain privé en mars 1910, que pour Émilie Lamy, pêcheuse à La Foa, dont la chèvre se nourrit de l’herbe du paddock de la gendarmerie en décembre 1912 [13]. Près de la moitié des accusés ou des victimes cités dans les procédures étudiées appartiennent à la catégorie des « colons » (Figure 2).

Figure 2.Typologie des victimes et des accusés impliqués

Figure 2.Typologie des victimes et des accusés impliqués

Figure 2.Typologie des victimes et des accusés impliqués

10Les anciens forçats, pour leur part, constituent un quart du corpus, tandis que les Kanak, de manière collective (plainte d’une tribu représentée par son chef) ou individuelle, en forment 13 % (chiffre brut : 54). Les Arabes, déportés ou transportés, presque tous issus de l’Algérie colonisée, constituent une catégorie très visible (9 % des accusés, soit 38 personnes), tournée très souvent vers l’élevage de chèvres. Cette communauté, installée à proximité de Bourail, au centre de la côte ouest de la Grande Terre, connaît de fréquents démêlés avec l’administration pénitentiaire, sur les terres de laquelle ses membres laissent paître régulièrement leurs bêtes. Parfois de manière totalement volontaire : en mars 1886, le libéré Benchariba aurait, selon le procès-verbal dressé par le surveillant militaire Levy « mené au vu et au su de tous paître un troupeau de chèvres sur le territoire du pénitencier ». Il écope d’une sanction de douze francs, ce qui est élevé pour ce type de contraventions [14]. Pour sa part, le libéré Mohamed Ben Messaoud est devenu gérant de la station du colon Brun, à Popidéry. Il est accusé en janvier 1889 de laisser se décomposer en plein air les carcasses des bœufs morts appartenant à son employeur. En raison de la difficile lecture des marques sur les restes des bêtes en question, il sera innocenté [15].

11La moitié de ces hommes et de ces femmes exerce un métier lié à la terre (« cultivateur », « éleveur », « gardien de bétail », « stockman », « gérant de station ») et 38 % (soit 182) ont reçu une concession foncière. Il n’existe pas, à ce jour, d’étude sur les origines sociales et géographiques des libérés concessionnaires de la Nouvelle-Calédonie. Une telle étude permettrait ainsi de mieux comprendre les raisons pour lesquelles la moitié de ces hommes abandonnèrent leur parcelle, mais aussi la spécificité du rapport aux animaux de certains d’entre eux, en particulière la forte communauté originaire d’Afrique du Nord dont la conception et les pratiques de l’élevage diffèrent tant de celles des Européens que de celles des Kanak[16].

Lieux et natures des conflits

12Majoritairement, les conflits se déroulent sur des terrains privés, et les plaintes proviennent donc de particuliers. Dans ces cas, il s’agit presque uniquement de divagation de bétail, ainsi que pour les « terres indigènes », où se déroulent occasionnellement quelques chasses illégales. Entre ces deux types de lieux, les espaces publics forment 26,5 % (soit 112 cas) des endroits mentionnés. Ces derniers ouvrent sur une grande variété dans les motifs d’accusation, en particulier les vitesses excessives, les défauts de conduite d’attelage (appelés « défauts de roulage » dans la terminologie judiciaire) ou les abandons de carcasses.

13Soulignons que dans 27 % des procédures (114 cas), des dégâts aux cultures sont mentionnés et font l’objet d’expertises, qui aboutissent au dédommagement financier de 20 % des plaignants (85 cas). Les peines sont légères, toutefois dix accusés passeront quelques jours en prison. Ainsi Julien Georges, commerçant de Canala, établit une forme de record en rassemblant dix-huit plaintes à son encontre entre 1884 et 1892, dont deux se prolongent devant le tribunal correctionnel. Lassé de ses multiples récidives de divagation de chevaux sur les terrains kanak voisins, le juge l’enferme à deux reprises pendant 24 heures dans la cellule de la gendarmerie en avril et octobre 1891 [17].

14Que reproche-t-on aux propriétaires de ces animaux ? Dans 368 cas sur 421, soit plus de 87 % des affaires, il s’agit de divagation. Le bétail errant, se nourrissant d’herbes, de feuilles et de racines sur des propriétés privées, des terrains réservés aux tribus ou affectés à l’administration (le « domaine »), forme très majoritairement le motif des conflits faisant intervenir les animaux dans la Nouvelle-Calédonie de l’époque coloniale. Les deux espèces qui dominent ce « corpus judiciaire animalier » reflètent ce constat : 53 % des animaux sont des bovins (soit 220 cas) et 30 % des chevaux (128). Ils sont parfois impliqués dans d’autres affaires (abandon, vitesse), mais demeurent les « espèces conflictuelles », créatrices de discorde par l’absence de surveillance, volontaire ou non, dont elles sont l’objet. Les porcs (4 % du corpus, soit 16 cas) et les chèvres (13 cas) apparaissent également parmi les divagants.

15Les autres griefs, au nombre de neuf, forment à peine 13 % des procès (55 cas). Le défaut de roulage, soit l’abandon d’un attelage ou la vitesse excessive dans un lieu habité, émerge en seconde position avec 14 procédures, faisant jeu égal avec les attaques de chiens (13 cas). Celles-ci expliquent que les canidés représentent 7 % de ce corpus. La maltraitance infligée à certains animaux (6 cas), les chasses illégales de bétail (6), les abandons de carcasses (5) ou d’animaux vivants (4), les insultes animalières (2) ou enfin la vente d’une espèce prohibée (1) complètent ce panorama. Cette variété permet d’introduire également dans cette arche judiciaire un âne et un taureau divagants, un mouton assassiné ou un notou chassé à la mauvaise période. À l’exception de ce dernier, le constat affirmé au début de cette étude se concrétise : les dix espèces citées furent introduites par les Européens sur le sol de la Grande Terre (Figure 3).

Figure 3.Lieux des délits impliquant des animaux

Figure 3.Lieux des délits impliquant des animaux

Figure 3.Lieux des délits impliquant des animaux

Législation animalière

Créer une ville coloniale en limitant la présence animale

16Au regard de ces chiffres, quelle est la législation en vigueur dans la colonie au cours de la période étudiée ? Les gouverneurs signent treize arrêtés et promulguent trois décrets qui concernent les animaux à partir de 1864 [18].

17Chronologiquement, la première préoccupation des autorités est de faire de Port-de-France, devenue Nouméa en 1866, une véritable ville. Un millier d’habitants, autant anglophones que francophones, se partagent la presqu’île dans les années 1860, au moment où les premiers forçats débarquent à proximité, sur l’île Nou, et sont employés aux travaux d’assèchement, de terrassement et de construction de la « capitale ». Les résistances des populations kanak sont fortes, et ce dès le début de la présence française, entraînant une présence militaire affirmée et transformant rapidement Nouméa en base de départ des expéditions punitives et répressives contre les chefferies du sud de l’île [19]. Les Européens s’y implantent rapidement, fixant comme objectif d’en faire le centre politique et économique de l’archipel. Dans ce contexte, il s’agit d’exclure de la ville nouvelle tout ce qui pourrait s’apparenter à une zone de pâture. Le gouverneur Guillain signe un arrêté en ce sens en 1864, quelques semaines après l’arrivée du premier convoi de condamnés au bagne. Il interdit la présence, dans l’enceinte de Port-de-France, « des animaux appartenant aux espèces bovine, ovine, caprine et porcine » [20].

18L’abattage est également prohibé. Si les préoccupations sanitaires ne sont pas étrangères à cette décision, Guillain affine la réglementation deux ans plus tard par la promulgation d’un décret, le 30 novembre 1866. Une sanction est prévue, de cinq à quinze francs, pour les contrevenants, la plus lourde s’appliquant à ceux qui « laissent pâturer leurs bestiaux, de quelque nature qu’ils soient ». La notion de récidive est établie et entraîne automatiquement l’amende maximale. Les chevaux, qui transportent les hommes et les femmes, sont les premiers animaux apparaissant dans les textes législatifs : ils forment l’espèce qui erre le plus dans la ville. Le texte se veut préventif, soulignant, dans sa partie introductive, que les propriétaires de chevaux ont pris l’habitude de laisser paître leurs bêtes dans tous les jardins et sur toutes les places publiques « et que les accidents les plus graves peuvent en résulter ».

La mise en œuvre de lois métropolitaines

19Les deux lois françaises promulguées en 1874 sont destinées à l’ensemble de la colonie. La première punit d’une sanction de cinq à quinze francs et d’un à cinq jours de prison « ceux qui auront exercé publiquement et abusivement de mauvais traitements envers les animaux domestiques » [21]. La prison est automatique en cas de récidive. Il convient de préciser que le bétail et les chevaux sont inclus dans la catégorie des animaux domestiques, contrairement aux chèvres, parfois classées parmi les « animaux féroces et malfaisants », bien qu’elles ne soient jamais sauvages [22]. La notion de maltraitance envers les animaux, qui fait l’objet de peu de procédures, fut introduite par la législation révolutionnaire puis confirmée par une loi de la IIe République en 1850 [23].

20Toujours en 1874, les dispositions françaises sur la police du roulage sont transposées en Nouvelle-Calédonie. Il s’agit de rappeler aux « rouliers, charretiers et autres conducteurs de voiture » qu’ils ne doivent jamais abandonner leur attelage, ni se tenir de telle manière qu’ils n’en conservent pas le contrôle et maîtrisent leur vitesse. Le fouet et le galop sont interdits dans les rues des villes, sur les ponts et les voies publiques [24]. Ces « excès de vitesse » constitueront, dans les trois décennies étudiées, la seconde cause de judiciarisation de propriétaires d’animaux.

21Bien plus que la maltraitance ou la vitesse, la sécurité sanitaire liée aux épidémies et aux miasmes émis par les cadavres d’animaux préoccupe les autorités. Le gouverneur émet un arrêté détaillé le 2 novembre 1876 qui prohibe l’abandon de carcasses, ordonne leur enfouissement à plus d’un mètre et cinquante centimètres de profondeur et interdit le dépôt de « fluides, sang et chairs musculaires d’animaux morts ou abattus » [25]. Les sanctions prévues vont de cinq à quinze jours d’emprisonnement et jusqu’à cent francs de pénalités. Arsenal qui semble dissuasif, puisqu’une poignée de contrevenants est recensée dans les archives des justices civiles calédoniennes. La crainte des épizooties apparaît, reflet des hécatombes qui touchent régulièrement les animaux en France et accompagnent les premiers mouvements de colonisation agricole et de développement du bétail « européen » sur la côte occidentale de la Grande Terre.

Une évolution liée au contexte local : après la révolte de 1878

22Après la grande révolte kanak de 1878, dont les témoins et les historiens rapportent les liens directs avec les empiétements du bétail « européen », la valse des gouverneurs diffère la reconnaissance de cette responsabilité par les autorités coloniales [26]. Trois années sont nécessaires avant qu’un arrêté ne prononce des sanctions contre les errances des chevaux sur les « terrains non clôturés », or ceux-ci seront à l’origine, en effet, d’un tiers des plaintes ultérieures [27]. La sanction, d’un montant de cent francs, est lourde mais ne sera jamais appliquée intégralement par les juges de paix. Il faut ensuite attendre 1889 pour que les bovins, pourtant ciblés par les Kanak comme étant les principales bêtes à l’origine des conflits de pacage, soient mentionnés explicitement. L’arrêté du 16 février interdit formellement toute divagation d’animaux et spécifie que, lorsqu’elle se produit sur les « réserves indigènes », les gendarmes peuvent saisir les bêtes immédiatement [28]. En revanche, les sanctions, de quelques francs, semblent dérisoires. Ainsi que nous le verrons par la suite, les Kanak n’ont pas attendu cet arrêté pour porter leurs plaintes auprès des juges. La faiblesse du dédommagement peut s’expliquer par le nombre impressionnant, parfois plusieurs centaines par an, de ces empiétements. Par ailleurs, cet arrêté se donne pour objet principal l’installation de fourrières « partout où l’administration le jugera nécessaire ». Les deux premières créations, en novembre 1891, sont installées sur les territoires des tribus de Balade et de Touho, au nord-est de la Grande Terre, espaces où se mêlent concessions agricoles, terres dévolues à l’administration pénitentiaire, à l’exploitation minière et réserves kanak.

23Le dernier arrêté qui marque la période étudiée, promulgué en octobre 1895, concerne le marquage obligatoire du bétail, ce qui donnera lieu à plusieurs enquêtes de « vérification » de ces marques lors de conflits de pacage dans la décennie suivante. L’abattage du bétail sauvage est également prohibé [29]. À l’issue de ce rapide inventaire législatif et réglementaire, il convient de souligner que la majeure partie des délits faisant intervenir des animaux recensés en justice y figurent, ce qui peut sembler logique. Toutefois, la pratique précède parfois la loi (empiétement de bétail), et celle-ci ne s’avère pas opérante pour certaines plaintes, comme les attaques de chiens contre des humains, qui constituent la troisième cause de plaintes. La volonté d’interdire l’errance canine à Lifou en juillet 1866 ou à Moindou en avril 1878 y fut probablement liée, sans toutefois que ces arrêtés ne soient explicites et ne couvrent l’ensemble du territoire [30].

Le bétail de la discorde

Une colonisation « laborieuse »

24Dès le début de la colonisation française de la Nouvelle-Calédonie (1853), les gouverneurs successifs tentent d’impulser, avec des succès très mitigés, une appropriation des terres axée sur l’agriculture et l’élevage. Des espaces sont ainsi proposés aux quelques milliers de Français et d’Européens qui viennent, parfois sur de fausses promesses avancées par des compagnies commerciales opportunistes et sans scrupules, s’installer sur une île dont ils découvrent à leur arrivée que la population autochtone est encore présente. Peu sont agriculteurs ou éleveurs à l’origine, et ils n’ont aucune connaissance des conditions climatiques et de la nature des sols de la Nouvelle-Calédonie. Pour appuyer cette politique de colonisation au forceps, les gouverneurs Guillain dans les années 1860 puis Feillet dans les années 1890 procèdent à des spoliations foncières massives, refoulant les Kanak vers l’intérieur des terres et les contraignant, après une insurrection dans le nord du pays à la fin de l’année 1867 [31], à se rassembler en tribus, création et terminologie coloniales et dont la composition est également décidée par l’administration française. Ils sont bientôt astreints à vivre dans des réserves étroites, dont ils ne peuvent sortir qu’avec l’autorisation du Service des affaires indigènes qui concentre toute l’autorité sur les autochtones à partir de 1897 [32]. L’incompréhension des modes kanak de mises en valeur des terres, comme les jachères longues, basée sur des cycles d’une vingtaine d’années, laissant croire aux Européens qu’il s’agirait d’absence pure et simple de cultures et de méconnaissances agraires, ajoutée aux besoins créés par la présence du bagne et à l’orientation politique des gouverneurs renforcent l’aspect conflictuel de la « frontière pastorale » entre colons et colonisés.

L’invasion bovine

25Cette conflictualité se cristallise autour de la présence bovine. En 1881, selon Adrian Muckle et Benoît Trépied, la colonie « compte déjà 104 000 têtes de bétail » [33]. Depuis le début de la colonisation française, l’accaparement des terres s’étend progressivement du sud vers le nord de la côte occidentale. À 300 km au nord de Nouméa, dans les vallées de Koné et Pouembout, les concessions se développent dès le début de la décennie 1870 (Carte 2). Il s’agit de répondre à la forte demande en viande de l’administration pénitentiaire, donnant naissance à une riche bourgeoisie foncière de « grands éleveurs ». Ceux-ci s’inspirent du modèle australien, avec une exclusivité des races de bovins anglais jusqu’aux années 1900 et le développement de troupeaux en surcharge importante se nourrissant dans des champs non clôturés. La terminologie australienne s’invite également en Nouvelle-Calédonie : les « stations » dont s’occupent les stockmen deviennent rapidement les symboles des « pionniers » de la colonisation agricole. Les troupeaux de ces grands éleveurs se retrouvent fréquemment à l’origine des empiétements et des dégâts qui apparaissent en justice, qui les opposent aux Kanak autant qu’aux petits concessionnaires. Joël Dauphiné rapporte l’exemple du colon Schiele. Par convention du 11 février 1872, celui-ci s’était engagé à respecter les limites de la petite chefferie de la Tamoa, dirigée par Pierre Cherika. Mais les empiétements de bétail incessants durant les quatre années qui suivent entraînent de multiples accrochages, à l’issue desquels Schiele obtient l’internement du chef en décembre 1876 et l’évacuation des Kanak des terres convoitées [34].

Carte 2.La Nouvelle-Calédonie et ses principales villes

Carte 2.La Nouvelle-Calédonie et ses principales villes

Carte 2.La Nouvelle-Calédonie et ses principales villes

Source : hhtps://www.cartograf.fr/

26Par ailleurs, la sécheresse qui touche le territoire durant l’année 1877 est présentée comme l’élément météorologique déclencheur de la révolte kanak qui secoue le centre de la Grande Terre l’année suivante [35]. Le rapport dressé par le général de Trentinian sur les causes de cette insurrection, qui est remis au gouverneur le 4 février 1879, souligne que :

27

« si le canaque déteste le blanc, il déteste encore plus son bétail. Souvent les géomètres ont installé des colons sur les terres dont les indigènes n’avaient pas besoin, ces derniers les supportaient à la rigueur à côté d’eux, mais voyaient arriver avec terreur ceux qui avaient du bétail. En effet, le bœuf est un véritable fléau pour eux : un champ d’ignames traversé par un troupeau est presque entièrement perdu, or une igname représente souvent la nourriture de plusieurs jours pour un canaque [36]. De plus, le bétail est friand de cannes, de bananiers qui viennent s’ajouter comme appoint dans la manière de vivre de l’indigène, qui ne se nourrit que de végétal. Le dommage est donc très grand pour lui, et les plaintes se multiplient en même temps que croissent les troupeaux [37]. »

28Le général précise ensuite que les préconisations de l’administration coloniale, recommandant de clôturer les terrains dans les arrêtés dits de délimitation émis en juin 1876, n’avaient été suivies d’aucun effet concret. Il dénonce les bœufs de quatre éleveurs et de deux libérés concessionnaires, qu’il nomme, laissés à paître sur les terres kanak voisines en pleine sécheresse, ravageant les cultures et les réserves d’eau et provoquant une « haine qui ne pouvait qu’éclater d’une manière fatale ». Les Kanak ne font preuve ni de soumission, ni de passivité face à cette situation : ils sont surtout mal informés quant aux recours possibles. Trentinian souligne l’absurdité de la remarque « portez-vous partie civile » qui leur est parfois faite par les représentants de l’administration [38]. Certes, mais où ? Et auprès de qui ? En effet, les archives montrent l’absence d’interlocuteurs judiciaires, ce qui explique que le chef Ataï, en 1878, s’adresse directement à l’autorité militaire, en l’occurrence le commandant du pénitencier de la Fonwhary qui pousse les libérés à empiéter incessamment sur les terres du clan voisin, pour exprimer le désarroi des siens face à ce grignotage incessant et aux humiliations répétées. On ne trouve pas trace d’une justice civile de proximité avant 1880 hors de Nouméa, ou d’une préoccupation pour les litiges fonciers par le Service des affaires indigènes avant les années 1910. Les procédures en vigueur obligent les Kanak à se déplacer au chef-lieu, dont l’accès leur est presque interdit par un arsenal législatif local ! Non seulement il leur faut être informés de l’existence de cette instance et de son champ de compétences, ce qui n’est guère évident si l’on ajoute aux obstacles géographiques la barrière linguistique, mais également entreprendre la traversée de l’île sur des dizaines, voire des centaines de kilomètres. Avant les années 1880, les Kanak sont donc exclus de la justice civile, dans laquelle ils apparaissent très peu [39].

29Ce qui amène l’inspecteur des colonies Le Clos, lors de sa tournée en Nouvelle-Calédonie en 1884, à constater que « le Canaque n’est pas suffisamment protégé : ignorant notre procédure, il ne fait rien pour obtenir réparation du dommage qu’il a éprouvé, et quand les vexations sont trop fortes, il lève le camp et va s’établir ailleurs, plein de ressentiments » [40]. Soulignons enfin que ces instances judiciaires, auprès desquelles les Kanak pourraient obtenir des dommages, peuvent être qualifiées en tout point de « coloniales », puisqu’il s’agit d’institutions en tout point similaires à la métropole : justice correctionnelle (1856), criminelle (1859, mais régulière à partir de 1871) et enfin de paix (1859 à Nouméa mais les séances ne deviennent régulières qu’à partir de 1878, 1880 en brousse). Ces dernières, qui se doivent d’être de proximité, n’assurent pas un maillage aussi resserré qu’en France. Elles sont peu nombreuses et installées près des centres pénitentiaires, des mines ou des concessions accordées aux libérés : Canala et Thio en 1883, Bourail et Koné en 1889 [41].

Une appropriation rapide de la justice coloniale ?

Des colons parfois condamnés

30Toutefois, l’inspecteur des colonies s’avère pessimiste quant aux capacités d’appropriation par les Kanak des modes de fonctionnement de la justice mise en place par la France. En effet, un an avant sa tournée, la tribu de Nakéty, près de Canala, au centre-est de la Grande Terre, dépose une plainte auprès de la justice de brousse. Le 5 mai 1883, elle obtient quinze francs de dédommagement pour les « dégâts commis sur les plantations » par le bétail du cultivateur Béchet. Après un premier avertissement sans frais par le chef de la tribu, le colon a récidivé, provoquant un dépôt de plainte [42]. Nakéty constitue un espace de conflits récurrents sur cette frontière pastorale de la côte est, puisque la tribu se constitue à six reprises partie civile dans le même type d’affaire au cours de l’année suivante, au moment même où l’inspecteur Le Clos déplore la passivité des Kanak en ce domaine. Après trois décennies d’occupation coloniale, ils semblent avoir intégré les procédures françaises : ils font venir les gendarmes, dresser un procès-verbal, déposent plainte, se plient à l’expertise des dégâts et procèdent à une demande de dédommagement. L’acculturation, ou l’adaptation des colonisés, est en marche.

31Ainsi, le 7 janvier 1884, le libéré Vincent Champion est condamné à un dédommagement de six francs pour avoir « laissé errer ses porcs dans les cultures canaques » [43]. L’ancien serrurier parisien, qui faisait partie des premiers forçats arrivés en 1864, avait purgé une peine de douze années pour vols répétés avant d’obtenir une concession à Canala. Au moment où ses porcs piétinent les récoltes de la tribu de Nakéty, Champion est son voisin depuis près de dix ans. Un mois plus tard, il reçoit une autre sanction de dix francs pour avoir « laisser errer un bœuf sur les plantations du kanak Diack ». Cette dernière expression démontre, comme dans d’autres procédures, que contrairement au discours colonialiste en usage depuis la fin du xviiie siècle pour justifier la confiscation des terres aux autochtones, l’institution judiciaire reconnaît l’existence probable de formes de propriétés individuelles [44]. Il est probable qu’elle calque cependant les schémas européens sur les sociétés kanak, dont les clans fonctionnent plutôt sur le mode de la propriété familiale. En août de la même année, Champion revêt cette fois l’habit de la victime en dénonçant un Kanak surnommé « Tombeau », qui a lancé une sagaie sur l’un de ces chevaux. Quoique celui-ci se défende en prétendant avoir agi sous l’emprise d’une colère liée aux empiétements réguliers des animaux de Champion, il doit le dédommager à hauteur de onze francs.

32Dans la même catégorie de litiges, nous pouvons citer l’ancien tisserand de Roubaix, Joseph Soenne, condamné à huit ans de travaux forcés pour de multiples vols et recels, qui exerce la profession de maçon à Canala depuis sa libération en 1872 [45]. Il possède également quelques têtes de bétail, qu’il laisse trop souvent divaguer sur « les terres du kanak Baptiste Caponéo ». Lassé, celui-ci dépose une plainte en son nom propre et obtient six francs de dédommagement le 4 février 1884.

Vers l’individualisation des plaintes des Kanak, une évolution difficile à interpréter

33Au fil des mois, les demandes s’individualisent : ce ne sont plus les tribus qui s’opposent aux divagations de manière collective, mais certains de leurs membres. Cette évolution, qui n’est pas commentée par les hommes de loi, laisse beaucoup d’interrogations et bien peu de certitudes : est-ce une facilité d’écriture de la part de l’institution judiciaire, une transposition écrite des représentations que les Français ont de la « propriété » et qu’ils calquent sur la société kanak, ou les plaintes reflètent-elles fidèlement l’approche que les Kanak eux-mêmes ont de leurs terres ? La propriété foncière et le droit d’exploitation des sols constituent, en Nouvelle-Calédonie, l’aspect le plus conflictuel de l’histoire récente du territoire, et ce encore de nos jours. Tandis que les missionnaires des années 1840 « achètent » des terres à des chefferies ou à des individus, le gouverneur du Bouzet, le premier, affirme dans son arrêté du 20 janvier 1855 que « les Chefs et les Indigènes de la Nouvelle-Calédonie et de ses dépendances n’ont jamais eu ni ne peuvent avoir le droit de disposer en tout ou partie du sol occupé par eux en commun ou comme propriété particulière […] » [46].

34Cette dernière expression, qui introduit l’interdiction faite aux Kanak de vendre leurs terres sans en passer par l’administration coloniale, suggère que celle-ci reconnaît de fait l’existence de propriétés que l’on pourrait qualifier d’individuelles si l’on s’en tient au prisme européen du rapport à la terre. Ce type de propriété sera pourtant nié quelques années plus tard par le gouverneur Guillain. Au cours du mois 1862, alors qu’un débat au conseil d’administration de la colonie oppose les partisans de l’octroi de titres de propriétés aux chefs kanak à ceux qui leur refusent cette possibilité, le gouverneur tranche en arguant que « les Canaques n’ont pas avancé vers la civilisation, la propriété individuelle sera leur récompense sur ce chemin » [47]. D’un trait de plume, le colonisateur a tranché sur cet aspect pourtant très subtil du rapport des Kanak à la terre, pour des raisons idéologiques mais surtout politiques : le bagne va bientôt s’installer, il lui faudra des terres et des bêtes. Plus tard, le même gouverneur signe l’arrêté créant les « réserves » foncières dévolues aux tribus nouvellement créées, le 22 janvier 1868. Le texte précise :

35

« Il sera délimité, pour chaque tribu, sur le territoire dont elle a la jouissance traditionnelle, d’après le droit politique entre tribus, un terrain proportionné à la qualité du sol et au nombre de membres composant la tribu ; on procédera en même temps et autant que possible à la répartition de ce terrain par village. Les terrains ainsi délimités seront la propriété incommutable des tribus. Ils ne seront susceptibles d’aucune propriété privée [48]. »

36S’il revient au chef de distribuer les terres laissées à sa tribu, en échange d’une concession qui lui est octroyée sous le nom de chefferie et dont il obtient l’usufruit, la dernière phrase de l’arrêté de 1868 s’avère explicite. Se heurte-t-elle à une réalité plus complexe qui permet d’attribuer nominativement telle ou telle parcelle à des membres précis des tribus ? Il est possible que la terminologie utilisée par l’institution judiciaire, que nous allons détailler ci-dessous, révèle un écart entre la volonté politique décrétée à Nouméa et la réalité vécue dans les tribus kanak.

Pacage litigieux, pêche illégale, braconnage : des conflits classiques entre ruraux

37Le 1er mars 1884, une station est mise en cause par un chef de tribu. François Lebouchelle, qui gère du bétail à Thio au nom du journaliste nouméen Mounod, fait l’objet d’une plainte menée par le chef Philippo, de la tribu de Nakéty. La procédure mentionne ainsi :

38

« […] il y a lieu de tenir compte des ennuis et tracas causés au chef Philippo par les incursions constantes du bétail sur sa propriété, que le sieur Philippo est obligé de mettre toute la nuit des canaques pour empêcher le bétail du sieur Mounod de venir ravager les plantations […] [49]. »

39La tribu réclame 1 200 francs de dédommagement, elle en obtiendra le tiers et le stockman subit également un emprisonnement de quinze jours. Cet ensemble de conflits d’usage, portés devant la justice civile, émaille l’année 1884. Ils deviennent réguliers, sans être dominants, parmi les affaires judiciaires traitées : les sondages effectués permettent de recenser, en dix-huit ans, vingt-six conflits opposant directement une tribu ou l’un de ses membres à un ou plusieurs éleveurs européens, soit 5 % des plaintes pour divagation de bétail et 6,5 % de l’ensemble des affaires impliquant la présence animale [50]. Au moment où le bétail atteint son maximum quantitatif, estimé à 150 000 têtes en 1899, les différends à ce propos déclinent : seules sept affaires sont comptabilisées pour la fin de notre période (années 1908-1912), reflet probable de l’appropriation progressive de cette forme d’élevage par les Kanak eux-mêmes [51].

40Cette évolution, soulignée par Patrick Pillon, explique que trois plaintes, en 1908, proviennent de colons européens à l’encontre de chevaux et de bovins que les tribus de Nessayouka (près de Houaïlou, sur la côte Est) et de Balade (au nord-est de la Grande Terre) laissent errer à leur aise [52]. Par ailleurs, l’emploi de plus en plus fréquent de Kanak dans les stations d’élevage, mis en avant par Adrian Muckle et Benoît Trépied, trouve un écho en justice lorsque le 8 novembre 1909, à cinq heures du matin, le colon Metzdorf, propriétaire d’une station à Ouaté, fait constater par le gendarme Bourdet « le mauvais traitement infligé à un animal et l’ivresse » de son employé Jules, de la tribu de Muéo. Il écopera d’une sanction symbolique d’un franc pour maltraitances sur un cheval [53].

41Lors de cette période de reflux des plaintes, on observe toutefois un conflit d’usage retentissant, même s’il ne dégénère pas en violences entre communautés, lorsque la tribu de Méchain, représentée par le Service des affaires indigènes, s’indigne contre le colon Lehézer [54]. Celui-ci laisserait paître jusqu’à quarante bovins sur les terrains de la tribu, engendrant des dégâts considérables. La défense choisie par cet éleveur installé près de Kouaoua, sur la côte est, vise à renverser l’accusation : d’une part, il a surpris à plusieurs reprises des Kanak en train de pêcher des crevettes, de nuit, sur « ses » terres, d’autre part, il affirme que le chef Danis laisse entrer à dessein les bovins avant d’appeler les gendarmes pour constater le délit. Le juge donne satisfaction à la tribu, infligeant une sanction de deux cents francs au colon.

42Un dernier aspect peut être souligné : la chasse illégale. Peu fréquente en archive (trois affaires), elle s’avère lourdement sanctionnée. Lorsqu’Alphonse Guérin, colon près de Ouégoa, à l’extrême nord de la côte orientale de la Grande Terre, organise une battue contre le bétail de la tribu voisine de Péhoué et construit des stockyards spécifiques afin de lui dérober quelques bêtes, il écope d’une condamnation à lui verser cent francs de dédommagement et à rendre les animaux dérobés, en plus d’un séjour de deux semaines en prison [55]. À rebours, apparaît en 1908 le seul animal endémique et non domestiqué du panel de cette étude : un notou. Le petit chef de la tribu de Tû, Govey, se voit sanctionné à hauteur de cinq francs pour en avoir chassé et colporté trois au cours d’une période de prohibition [56]. Le cas est unique et suggère, probablement, un décalage culturel entre les habitudes des autochtones et les règlementations coloniales.

43Ainsi, de nombreuses interprétations restent possibles : ces procès entre Kanak et colons, qui ne concernent que douze tribus sur les plus de trois cents que compte la Grande Terre, ne masquent-ils pas des centaines d’autres différends jamais portés à la connaissance des autorités ? Leur faible proportion par rapport à l’ensemble des plaintes en divagation de bétail tendrait à prouver que la « frontière pastorale » entre communautés s’avère moins conflictuelle à partir du moment où des instances de régulation, comme les justices de paix, installées en brousse après la grande révolte de 1878 pour régler les micro-conflits, se mettent en place [57]. Certaines tribus s’approprient-elles mieux que d’autres les outils judiciaires coloniaux que d’autres, ou bien ces dernières refusent-elles sciemment d’y faire appel, comme un acte de résistance passive à la présence des Français et au quadrillage institutionnel du territoire entrepris par ces derniers ? Les obstacles nombreux, techniques et administratifs, que nous avons précédemment énoncés et qui défavorisent les Kanak dans l’accès à la justice, ne ressortent pas dans les archives. Les silences, le repli décrit par l’inspecteur des colonies ou les arrangements à l’amiable (ou non) constituent probablement la majorité des situations.

La divagation, principale source de délits ruraux

44L’approche culturelle et politique des conflits liés à cette frontière pastorale ne doit cependant pas masquer la réalité judiciaire : 342 affaires sur les 421 étudiées opposent les Européens entre eux pour des divagations illégales, soit plus de 80 % du corpus. Libérés dotés d’une concession, colons, propriétaires, stockmen, représentants d’un espace public endommagé, les Français de Nouvelle-Calédonie abondent dans ces procédures. Le prisme de la source ne doit pas être omis, comme nous l’avons souligné précédemment, de même que le contexte colonial spécifique de peuplement à la fois pénal et agricole incite à la prudence dans les interprétations à proposer.

Des litiges entre colons

45Une fois posé ce préalable méthodologique, quelles sont les principales tendances relevées dans les procès en divagation de bétail ? En premier lieu, ils résultent majoritairement de constats effectués par les gendarmes, en tournée, qui surprennent des bêtes « en flagrant délit » [58]. La mention « sur le terrain d’autrui » ou « sur la propriété d’autrui » est utilisée, et les minutes sont peu détaillées. Cet « autrui » reste anonyme, car il ne reçoit en dédommagement que quelques francs et n’a pas porté plainte. La procédure est rapide et s’apparente à un rappel à la loi. Soulignons cet aspect majeur : dans les deux tiers des cas, il n’y a pas conflit mais délit.

46Pour 120 affaires, en revanche, la justice doit mener une enquête et décider s’il y a lieu ou non de dédommager le propriétaire dont les terres ont été affectées. Dès lors, les sources sont plus explicites. L’exemple de la plainte d’Antoine Martin, colon près de Houaïlou, permet de comprendre la difficulté fréquente à obtenir des réparations [59]. Le cultivateur affirme constater la présence régulière, dans ses champs de maïs et de haricots, d’une douzaine de têtes de bétail depuis août 1910. Il estime que cent quinze ares ont été ravagés, la récolte de haricots totalement perdue et désigne sa terre comme « complètement hantée » par les animaux de son voisin, Mathieu Franchescini. Une longue enquête est conduite sur place. Deux gendarmes et le juge de paix inspectent les champs en question, recueillent plusieurs témoignages et concluent à l’innocence de l’accusé. Martin doit même prendre à sa charge des frais de justice de son voisin, d’un montant de quarante-huit francs. Deux ans plus tôt, sur la côte ouest, le libéré algérien Mohamed Ben Moumen doit répondre des déprédations causées par son « chien malfaisant » [60]. Ce dernier aurait pour mauvaise habitude d’occire les volailles du voisinage. L’un des gendarmes de la brigade de Bourail, nommé Bacon, est diligenté au lieu-dit de Boghen, où est concentrée une part importante de la communauté nord-africaine de la Nouvelle-Calédonie, formée de condamnés à la transportation et de leurs descendants. Après enquête, le gendarme rapporte que « ce chien est un animal fort paisible, qui ne détruit aucune culture ni volaille ». Il est intéressant de noter qu’il s’agit bien de l’animal et de son comportement qui font l’objet des observations du représentant de la loi. Quelques semaines plus tard, au même lieu, la commerçante Anna Galinier réclame des dédommagements pour des barrières brisées en raison de bovins errants. Sa mauvaise foi sera rapidement dévoilée, les dégâts en question résultant du cyclone ayant abîmé les stations de la région quelques semaines auparavant.

47Finalement, les indemnisations ne sont accordées qu’à un tiers des demandes (41 cas), essentiellement lorsque les terrains endommagés étaient ensemencés et que les marques apposées sur les bêtes ont permis d’en identifier clairement le propriétaire. Ce dernier aspect, les marques, donne parfois lieu à des confusions entre éleveurs et entraîne de nouvelles procédures, par exemple entre deux éleveurs voisins dont les patronymes débutent par la même lettre et qui l’utilisent pour reconnaître leur bétail…

Figure 4.Photographie de la concession d’un libéré, près de Bourail, vers 1890

Figure 4.Photographie de la concession d’un libéré, près de Bourail, vers 1890

Figure 4.Photographie de la concession d’un libéré, près de Bourail, vers 1890

Source : Anc, album Nicolas Frédéric Hagen, 1 Num 3-101, photos par les frères Duftyl (Merci à C. Dervieux, du service des Archives de la Nouvelle-Calédonie, pour la communication de ce document).

Les espaces publics

48En dernier lieu, soulignons que l’errance bovine et chevaline n’oppose pas uniquement des particuliers. Elle fait l’objet de récriminations fréquentes de la part des administrations publiques ou d’entreprises : sites pénitentiaires, cours de brigades de gendarmeries, usines forment 15 % des espaces de divagations (54 cas). Les procédures n’impliquent jamais les Kanak, elles évoquent plutôt l’usage ancien des « biens communaux » en France, abolis à l’époque révolutionnaire [61]. Les comportements laxistes de nombreux éleveurs par rapport à ce type de terrains rappellent en effet ces terres sur lesquelles, jusqu’au xviiie siècle, les journaliers et petits paysans français dépourvus d’un lopin de terre obtenaient la tolérance du seigneur et de la communauté d’habitants pour laisser paître leurs quelques bêtes.

49À moins que l’explication ne soit parfois plus prosaïque et ne tienne de la « petite vengeance ». Ce registre émotionnel transparaît lorsque deux anciens forçats, Antoine Pagès et Jean Devaux, laissent à plusieurs reprises leurs bœufs piétiner les cultures des jardins des surveillants militaires de Bourail et en consommer les fruits, après en avoir brisé la barrière [62].

« Celui qui tue un chien pour défendre son bien… »

Approches sensibles de la relation aux animaux

50Les audiences des justices de paix, et la nature des affaires traitées, ne sont guère des lieux propices à l’expression d’émotions, de sentiments ou d’attachements quelconques dont l’évidence a été mise en avant à travers le renouvellement historiographique récent présenté en introduction de cette étude. Cet arasement de l’affect vaut autant pour les relations humaines que pour celles entretenues avec les animaux.

51Six affaires relèvent des mauvais traitements qui leur sont infligés, dont quatre évoquent, de manière explicite, la souffrance animale ou la cruauté humaine. Le xixe siècle voit une évolution importante de la sensibilité à ces souffrances, dans l’héritage des premières législations de l’époque révolutionnaire qui interdisent, par exemple, de promener des animaux enchaînés. La naissance de la Société protectrice des animaux, créée en 1845 par Pierre Dumont de Monteux, symbolise ce changement de paradigme, appuyé par l’augmentation massive de la consommation de viande qui caractérise cette époque et induit l’érection d’abattoirs pour encadrer la mort ; ou encore par l’intensification de la circulation à cheval et le développement des « voitures hippomobiles » qui obligent de nombreux hommes et femmes à mieux connaître les chevaux [63].

52Sans entrer dans les détails de chaque procédure, il convient d’en relever les grandes lignes afin de s’immiscer, de manière très fugace, dans un registre sensible. Chambon, de la tribu de Nato, au nord-est de la Grande Terre, est accusé en mars 1883 d’avoir tué un mouton sur le terrain de la station du colon Gratien Brun [64]. À la sanction de quarante et un francs s’ajoute la peine la plus lourde constatée dans notre corpus : trois mois de prison. L’explication de cette condamnation tient en un qualificatif attribué au geste de Chambon, qui aurait mis fin aux jours du mouton « méchamment ». L’usage du terme est unique dans nos sources, il met en avant la mauvaise intention délibérée du tueur, qui s’est acharné sur l’ovin « à l’aide de pierres lancées avec une fronde ». Cinq ans plus tard, le propriétaire Narcisse Duhamel déplore que son voisin ait éliminé « l’une de ses meilleures vaches » [65]. Le terme évoque probablement l’aspect productif de l’animal, appartenant à un troupeau de vaches laitières, mais il insiste sur la qualité de celle-ci afin de réclamer un dédommagement qu’il estime à hauteur de deux cents cinquante francs. Le juge consent à accorder le cinquième du montant demandé, décelant probablement un certain opportunisme derrière l’attachement affiché par Duhamel à son bovidé.

53La notion de « mauvais traitements » sur les animaux domestiques ou le cheptel, introduite dans la loi française en 1850, apparaît dans les archives calédoniennes au début du xxe siècle, à deux reprises au cours de nos sondages [66]. La première mention date de l’audience du 13 janvier 1910, à Bourail, liée à la procédure engagée à l’encontre de Jules [67], employé kanak dans la station du colon Metzdorf, déjà évoqué précédemment. Il est accusé d’avoir frappé à plusieurs reprises un cheval appartenant à son employeur alors qu’il se trouvait en état d’ivresse, au point de mettre les jours de l’animal en danger. Le gendarme Bourdet l’a surpris en flagrant délit, deux mois auparavant, à cinq heures du matin. L’ébriété est retenue comme « circonstance atténuante » et Jules avoue son erreur, ce qui atténue la sanction réduite à un franc symbolique. Mais elle constitue la première condamnation liée exclusivement à une maltraitance d’animal [68]. Deux ans plus tard, cinq francs de dédommagement sont infligés à François, de la tribu de Ouégoa. L’homme, qui refuse de comparaître, usait de « mauvais traitements en public envers son animal domestique » le 30 janvier, ainsi que témoigne le brigadier Vaillant, qui a porté les faits devant la justice [69]. Infimes, isolés, ces indices de l’émergence d’une sensibilité à la souffrance animale n’en sont pas moins réels dans les archives judiciaires de la colonie à compter de la première décennie du xxe siècle.

La propriété et la sécurité, limites de la compassion judiciaire

54La compassion judiciaire, et juridique, s’arrête toutefois aux frontières du droit à la propriété et à la sécurité sanitaire de la population. Lorsqu’Élie Chautard, colon à Koné, vient abattre l’un des chiens du propriétaire voisin, Jacquier, dans le jardin de celui-ci en mars 1894, de nombreux témoins déposent en sa faveur. Ils affirment qu’il n’avait pas « agi par inimitié », mais bien parce que l’animal « attrapait ses dindes, abîmait et effrayait ses autres volailles » [70]. Le plaignant, ancien cultivateur dans l’Ain et qui avait purgé une peine de cinq années de travaux forcés pour de multiples larcins avec violences, n’obtient pas gain de cause [71]. De victime, son chien « divaguant sans collier ni muselière » devient « dangereux et déprédateur dès lors qu’il attaque une personne ou un bien ». Ainsi, lorsque Chautard obtient un second renvoi lors du procès en appel porté par Jacquier devant le tribunal correctionnel de Nouméa, le juge précise que « celui qui a tué un chien en défendant son bien ne saurait subir les articles 454 et 479 du code pénal », qui peut conduire jusqu’à une condamnation à six mois de prison. Une sorte de légitime défense face aux dégâts engendrés par certains animaux, même domestiques, semble tolérée.

55Plus généralement, les chiens apparaissent en archive comme les plus nuisibles des animaux : leurs « attaques » sont redoutées. Plusieurs anciens forçats sont condamnés à des sanctions financières pour « avoir excité leurs chiens contre le surveillant militaire », voire, comme le libéré Hippolythe Cayot, pour soupçon de dressage de ses animaux à cette fin [72]. Le 8 août 1887, il est condamné à une sanction de dix-neuf francs en raison de cinq attaques menées par ses chiens, au cours des semaines précédentes, à l’encontre de passants dans les rues de La Foa. Ces agressions canines se déroulent, selon les témoins, les victimes et les juges, sous l’impulsion des propriétaires, déniant aux animaux une quelconque volonté propre. Le chien est un « bien propre », que l’homme doit donc contenir et dominer en toutes circonstances, il est responsable des actes que l’animal commet. À défaut, la justice sévit, comme pour William Hodgson, propriétaire à Nakéty, qui subit ainsi trois condamnations en janvier 1889 pour n’avoir « pas retenu son chien qui a mordu le canaque Sané-Crocha » [73]. La récidive suggère l’intentionnalité d’Hogdson, ce qui lui vaut de relever de l’article 475-7 du code pénal.

56La sécurité des habitants sert d’appui aux quatorze procédures liées à la police du roulage, qui fait l’objet d’articles très précis lors de l’arrêté qui le réglemente, publié en 1874 [74]. Ils peuvent être préventifs, comme lorsqu’une charrette et des bœufs attelés sont abandonnés sur la voie publique et sans surveillance ou qu’une carcasse se décompose à l’air libre, ou répressifs si le propriétaire adopte une attitude à risque. Alexandre Létard offre un exemple simple, mais fréquent, de ce type de comportement. Chapelier à Paris dans sa jeunesse, il a purgé une peine de huit ans de travaux forcés en raison d’une tentative de meurtre, à l’issue de laquelle il s’installe en tant que boulanger à Bourail. En 1895, à peine un an après sa libération, il est arrêté par le gendarme Doriot alors qu’il parcourait « sur un cheval lancé à fond de train, la moitié de la rue principale de Bourail et qu’on l’a arrêté à temps pour éviter les accidents » [75]. L’amende de dix francs dont il écope ajoute une ligne à son dossier judiciaire (Figure 5).

Figure 5.Ajout au dossier judiciaire d’Alexandre Létard, forçat entre 1886 et 1894, de sa condamnation pour excès de vitesse dans les rues de Bourail, le 21 mars 1895

Figure 5.Ajout au dossier judiciaire d’Alexandre Létard, forçat entre 1886 et 1894, de sa condamnation pour excès de vitesse dans les rues de Bourail, le 21 mars 1895

Figure 5.Ajout au dossier judiciaire d’Alexandre Létard, forçat entre 1886 et 1894, de sa condamnation pour excès de vitesse dans les rues de Bourail, le 21 mars 1895

Source : Anom, H-2528, f. 284.

57Enfin, les préoccupations d’hygiène publique conduisent à des vérifications régulières, sans doute suite à des dénonciations, de l’enfouissement des carcasses, qui doivent reposer à plus de 1,5 m de profondeur lorsqu’il s’agit de bovins. Le commerçant Casson, de Nakéty, en fait les frais lorsqu’il doit payer un dédommagement de cinquante francs le 3 janvier 1883 pour avoir contrevenu à cet arrêté, après la vérification réalisée sur site par deux gendarmes [76]. Ce dernier cas demeure une exception, les autres jugements traitant de négligences plus flagrantes, comme les deux bœufs morts dont les corps sont laissés en décomposition sur la voie publique par le colon Rousseau à La Foa ou par le libéré Ben Messaoud, près de la station de Popidéry dont il est le gérant [77].

Silence des archives, présence des animaux

58Plus d’un millier d’animaux apparaissent dans les archives civiles de la Nouvelle-Calédonie entre 1883 et 1912, chiffre qu’il convient de majorer puisque nous avons étudié les procédures de dix-huit des trente années possibles. Si la présence globale s’avère considérable, ils ne demeurent, individuellement, que des ombres fugaces, désignées de manière indifférenciée sous le vocable correspondant à leur espèce. Le taureau du gardien de bétail anglais Victor Hook, qui terrorise les riverains de la rue principale de Voh durant un après-midi d’avril 1895, le chien assassiné chez son propriétaire à Koné en raison de son penchant trop prononcé pour les dindes du voisin ou le mouton lapidé de la station de Tenko constituent les rares « visages » qu’il serait possible d’imaginer, de personnaliser parmi cette foule d’animaux coloniaux qui investissent la Grande Terre à la fin du xixe siècle. La source judiciaire nous livre les tendances dominantes dans le domaine des délits attribués aux animaux. La divagation de bétail, en particulier des bovins, s’avère de loin la plus prégnante dans le paysage de la colonie. Même si les sources ne les nomment pas ni ne les décrivent, ces silences des archives ne reflètent assurément pas l’importance majeure de la présence animale dans la société de la Nouvelle-Calédonie à l’époque coloniale.

59Un animal, pourtant, semble avoir transporté sa mauvaise réputation et le rejet qu’il suscite sous le ciel océanien : le cochon. Il est le seul qui apparaisse de manière figurée et abstraite en archive. Fort mal considéré, son nom est utilisé comme une insulte. Le colon Struff doit ainsi s’acquitter d’une sanction de dix francs infligée par la justice civile, en août 1884, car il a « traité de cochon en public » le Kanak Boulataille. L’injure, qui sous-entend une vie licencieuse ou une hygiène douteuse, prend de la vigueur à une époque où le porc devient une nourriture populaire et que son élevage offre une haute rentabilité. Plus présent dans les assiettes, dans les fermes, vedette des caricatures politiques, il provoque un dégoût sans précédent [78]. Aussi, son usage en public à des fins d’humiliation est-il pénalisé, jusqu’à entrer dans la catégorie des « outrages » et sous le coup du code pénal lorsqu’il est jeté au visage d’un agent de la force publique. Il en coûte quinze jours de prison au scieur de long Jean-Pierre Müller, de Moindou, lorsque la colère s’empare de lui face au brigadier Doriot. Le 18 juillet 1891, après avoir menacé le militaire de lui « serrer la vis », il le poursuit sur quelques dizaines de mètres en hurlant : « Cochon ! Cochon ! Cochon ! » [79].

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    • Vivier, Nadine, Propriété collective et identité communale. Les biens communaux en France, 1750-1914, Paris, Publications de la Sorbonne, 2000.
    • Wamytan, Léon (dir.), La Coutume kanak et ses institutions, Nouméa, CDPNC, 2016.

Mots-clés éditeurs : colonisation, concessions, divagation, Nouvelle-Calédonie, justice civile, animaux, Kanak

Date de mise en ligne : 17/12/2020

https://doi.org/10.3917/hsr.054.0117

Notes

  • [1]
    Hors Nouméa, qui n’est pas étudiée ici. La zone géographique couverte par nos recherches correspond au reste de la Grande Terre, île principale de l’archipel, espace surnommé communément « la brousse ». Il s’agit de zones rurales, d’élevage et d’horticulture, majoritairement occupées par les tribus kanak jusqu’aux années 1880, puis accaparées par les concessions accordées aux colons et aux libérés du bagne et par les terrains de l’administration pénitentiaire. Faute de sources, les îles Loyauté (Maré, Lifou, Ouvéa) ne sont pas représentées dans ce corpus.
  • [2]
    En amont, 1883 correspond à la première année dont les archives de justice civile sont disponibles aux Archives de la Nouvelle-Calédonie (désormais ANC). En aval, le début des années 1910 s’apparente à la fin des grandes spoliations foncières subies par les populations kanak. Cette période marque également l’apogée du bagne, avec jusqu’à 7 000 forçats détenus ou libérés dans l’archipel dans les années 1890, de l’emprise foncière et des besoins en viande qui en découlent (Barbancon, 2003). La statistique présentée est le résultat du dépouillement de 18 années de justice civile : ANC, 23 W-C1 : Justice de paix de Bourail, 1889-1898 (années 1889, 1890 et 1894 étudiées) ; 23 W-E5 : Justice de paix de Bourail, 1910-1912 ; 23 W-K1, 2, 3, 15 : Justice de paix de Canala et Thio, 1883-1888, 1889, 1890-1891, 1907-1912 (années 1908 et 1912 étudiées). Le chiffre brut correspond à 421 procédures judiciaires impliquant des animaux sur un ensemble de 2 975 affaires civiles.
  • [3]
    Pour la longue et riche période historique « Lapita » puis Kanak qui précède les premiers contacts avec les Européens, voir, parmi d’autres études archéologiques, Sand, 2010.
  • [4]
    Baratay, 2017. Voir également Baldin, 2014 ; Baratay, 2011.
  • [5]
    Voir Chauvet, 2012 ; Moriceau, 2008 et 2013 ; Real, 2006.
  • [6]
    Saussol, 1979, 1985 et 1994 ; Dauphiné, 1987 et 2000 ; Pillon, 1989.
  • [7]
    Trépied, 2013 ; Muckle, 2018 ; Muckle et Trépied, 2015.
  • [8]
    Pas plus qu’en Europe, où le dernier procès recensé date de 1846 selon Real, 2006. Parmi les publications sur les procès des animaux, qui concernent prioritairement la fin du Moyen Âge et l’époque moderne, retenons Chêne, 1995 ; Daboual, 2003 ; Litzenburger, 2011 ; Nadal, 1980. Soulignons également le thème de recherche ouvert par Follain, 2018 sur l’histoire de la bestialité à travers les sources judiciaires.
  • [9]
    Daboual, 2003, p. 49-50 sur l’évolution législative au xixe siècle.
  • [10]
    Pour reprendre une terminologie « victimaire » sur les réactions des insulaires face aux débuts de la présence européenne en Océanie, que les études récentes nuancent nettement : Moorehead, 1966.
  • [11]
    Nous sortons de ces statistiques les trois affaires identifiées dans la justice correctionnelle, qui sont des appels d’affaires civiles. Concernant les sources desquelles les graphiques et les résultats statistiques présentés dans cette partie sont issus, voir la liste intégrale des fonds consultés aux Anc, en note 2.
  • [12]
    Selon Pillon, 1989.
  • [13]
    Anc, 23 W-E5 : Justice de paix de Bourail, années 1910 et 1912.
  • [14]
    Anc, 23 W-K1 : Justice de paix de Canala-Thio, année 1886.
  • [15]
    Anc, 23 W-K2 : Justice de paix de Canala-Thio, année 1889.
  • [16]
    Sur les transportés arabes installés en Nouvelle-Calédonie, voir les deux études de référence : Barbancon et Sand, 2013 ; Ouennoughi, 2006.
  • [17]
    Anc, 23 W-K3 : Justice de paix de Canala-Thio, année 1891.
  • [18]
    À propos de la législation sur les animaux, voir Baratay, 2003.
  • [19]
    Un recensement bibliographique rapide nous a permis d’identifier une soixantaine de révoltes kanak contre la présence française entre le début de la colonisation, en 1853, et la grande révolte du centre de la Grande Terre menée par le chef Ataï en 1878 ; près d’une centaine si l’on étend la période jusqu’à 1917.
  • [20]
    Lois, décrets, arrêtés et instructions formant la législation de la Nouvelle-Calédonie, Nouméa, Imprimerie calédonienne, 1900, t. 1, p. 47.
  • [21]
    Lois, décrets, arrêtés et instructions formant la législation de la Nouvelle-Calédonie, Nouméa, Imprimerie calédonienne, 1900, t. 1, p. 46-47.
  • [22]
    Anc, 23 W-K2 : Justice de paix de Bourail, année 1889. Le 1er février, l’article 475.7 du Code pénal est appliqué à Pierre Guiard, cultivateur ayant laissé errer ses chèvres sur la voie publique. Il écope de six francs d’amende.
  • [23]
    Voir Serna, 2016 ; Baldin, 2014.
  • [24]
    Lois, décrets, arrêtés et instructions formant la législation de la Nouvelle-Calédonie, Nouméa, Imprimerie calédonienne, 1900, t. 6, p. 319-329.
  • [25]
    Lois, décrets, arrêtés et instructions formant la législation de la Nouvelle-Calédonie, Nouméa, Imprimerie calédonienne, 1900, t. 1, p. 48-49.
  • [26]
    Entre la révolte de 1878 et l’arrivée de Paul Feillet en 1894, douze gouverneurs se succèdent à Nouméa. La révolte de 1878 se déroule dans la région de La Foa et Bourail pour l’essentiel, au centre-ouest de la Grande Terre. Menée par le chef Ataï, elle est directement liée à l’extension rapide des terres concédées aux colons, aux libérés du bagne ou à l’administration pénitentiaire (voir Saussol, 1979).
  • [27]
    Lois, décrets, arrêtés et instructions formant la législation de la Nouvelle-Calédonie, Nouméa, Imprimerie calédonienne, 1900, t. 1, p. 47. Les ânes sont également cités, mais le cas ne se produit qu’une seule fois dans notre corpus. Le 14 août 1890, à Boghen, près de Bourail, le libéré et concessionnaire Pierre Dubois doit verser un franc de dommages pour avoir laissé « errer son âne domestique » (Anc, 23 W-C1 : Justice de paix de Bourail, année 1890). Né en 1837, ancien ouvrier de fabrique à Roubaix, il avait été condamné à sept ans de travaux forcés pour attentats à la pudeur sur ses filles. Arrivé en Nouvelle-Calédonie en 1878, sa bonne conduite lui vaut de bénéficier d’une remise de peine et de recevoir une concession près de Bourail quatre ans plus tard. Sa formation d’ouvrier suggère qu’il ne lui fut probablement pas aisé de se reconvertir en cultivateur, comme de nombreux transportés souvent originaires de milieux urbains (informations issues des Anom, H-2496, f. 299-300).
  • [28]
    Lois, décrets, arrêtés et instructions formant la législation de la Nouvelle-Calédonie, Nouméa, Imprimerie calédonienne, 1900, t. 1, p. 357-361.
  • [29]
    Lois, décrets, arrêtés et instructions formant la législation de la Nouvelle-Calédonie, Nouméa, Imprimerie calédonienne, 1900, t. 1, p. 213-219.
  • [30]
    Lois, décrets, arrêtés et instructions formant la législation de la Nouvelle-Calédonie, Nouméa, Imprimerie calédonienne, 1900, t. 2, p. 170-171.
  • [31]
    À Pouébo, à plus de 400 km au nord de Nouméa, en octobre 1867, deux colons, un enfant et deux de leurs employés sont assassinés par les membres d’un clan. S’ensuit une nuit d’émeutes contre les familles européennes implantées sur le territoire de la chefferie des Mwelebengs, que l’administration française réprimera par l’envoi d’un corps expéditionnaire quelques semaines plus tard, l’incendie de nombreux tertres, le déplacement de certains clans, la mise au travail forcé d’autres et surtout un procès retentissant de vingt-cinq Kanak accusés d’avoir perpétré les crimes. Dix d’entre eux seront guillotinés devant les membres de leur chefferie le 18 mai 1868, à Pouébo (affaire bien analysée dans Saussol, 1979).
  • [32]
    La bibliographie est abondante à ce sujet, voir entre autres Dauphine, 1987 et 2000 ; Leblic, 2003 ; Merle, 1995 ; Saussol, 1979.
  • [33]
    Muckle et Trépied, 2015, p. 70 puis 71-72 pour les informations à suivre.
  • [34]
    Dauphiné, 2000, p. 94.
  • [35]
    Dauphiné, 2000, p. 94-159 ; Dousset-Leenhardt, 1978.
  • [36]
    Et même bien plus. Ce tubercule occupe une place centrale dans la société coutumière kanak, dans l’alimentation comme dans la vie sociale et politique. Son cycle, de la mise en terre à la récolte, agrémenté de rites et de fêtes, rythme la vie quotidienne et le calendrier annuel des Kanak, en particulier pour la période des mariages. Sa dévastation par les bovins les choque fortement (Wamytan, 2016, p. 134-135).
  • [37]
    Cité par Dauphiné, 2000, p. 122.
  • [38]
    Citée par Dauphiné, 2000, p. 95.
  • [39]
    Selon les sondages que nous avons effectués dans Anc, 23 W-A1 à 8 : Petit civil de Nouméa, 1859-1917.
  • [40]
    Cité par Dauphiné, 2000, p. 95.
  • [41]
    Pour les justices de brousse et les minutes des « tribunaux de brousse » qui parcourent le territoire trois fois par an, voir Anc, 23 W-C, E et K : minutes des affaires civiles de brousse de Bourail, Koné (1889-1954) ; minutes des audiences de Canala et Thio (1883-1957).
  • [42]
    Anc, 23 W-K1 : justice de paix de Canala et Thio, année 1883.
  • [43]
    Idem, année 1884, ainsi que pour les affaires citées ensuite. Sur Vincent Champion, informations issues des Anom, H-2443, f. 468-470 : dossier Vincent-Venant Champion.
  • [44]
    Précisons toutefois que ce n’est pas le Kanak qui porte plainte à titre individuel mais qu’il s’agit d’un cas de flagrance rapporté par la gendarmerie. Par ailleurs, la notion de « terres coutumières » en usage de nos jours ne l’est pas à l’époque étudiée en Nouvelle-Calédonie. Il est question de « réserves » ou de « terres kanak ». La première prise en compte des coutumes par les autorités coloniales date de 1929, avec une grande enquête menée sur ce sujet par le Service des affaires coutumières et consultable aux Anc, 97 W-155. Le droit coutumier entre ensuite explicitement dans le droit calédonien en 1934 avec la reconnaissance d’un état civil particulier (Murphy, 2019, p. 32). Notre étude se place donc, chronologiquement, avant cette évolution.
  • [45]
    Anom, H-2452, f. 124-126 : dossier Joseph Soenne.
  • [46]
    Bulletin officiel de la Nouvelle-Calédonie, année 1855, p. 26-27. Sur les premiers missionnaires, voir la réédition de Salinis, 2019, par les éditions calédoniennes Humanis.
  • [47]
    Anc, 44-W1 : Comptes rendus du conseil privé de la colonie, année 1862.
  • [48]
    Dauphiné 1989, p. 38-44. Cet arrêté est toujours considéré comme fondateur du nouveau « droit foncier » en Nouvelle-Calédonie, instauré par la puissance coloniale. Il sert de repère aux institutions coutumières pour la restitution des terres depuis 1988 (mis en ligne sur le site de l’Agence de Développement Rural et d’Aménagement Foncier : http://www.adraf.nc/la-reforme-fonciere/historique). Barbe, 2008, p. 407, résume les bouleversements radicaux que cet arrêté provoque dans les structures sociales kanak.
  • [49]
    Anc, 23 W-K1 : justice de paix de Canala et Thio, année 1884.
  • [50]
    Parmi les 26 affaires, 20 sont liées à des divagations de bétail, dont 17 par du bétail « européen » et 3 par du bétail « kanak ». Les autres affaires se rattachent aux catégories présentées par la suite.
  • [51]
    Pillon, 1989, particulièrement p. 244-247.
  • [52]
    Anc, 23 W-K15 : Justice de paix de Canala, 1907-1910.
  • [53]
    Anc, 23 W-E5 : Justice de paix de Bourail, 1910-1912.
  • [54]
    Après 1897, ce service représente les Kanak en justice et agit en leur nom.
  • [55]
    Anc, 23 W-C1 : Justice de paix de Bourail, 1908. Le terme australien de stockyard désigne les parcs à bestiaux, en usage également parmi les éleveurs de Nouvelle-Calédonie.
  • [56]
    Anc, 23 W-K15 : Justice de paix de Canala, année 1908. Le notou est un oiseau de la famille des Columbidae, endémique de la Grande Terre, qui vit dans ses forêts humides et dont la chasse est fortement réglementée. Son apparence le rapproche du pigeon, en plus volumineux.
  • [57]
    En plus de Nakéty, qui concentre la majorité des plaintes, on note la présence en justice des tribus de Gomen, Péhoué, Gélina, Moa, Thio, Canala, Balade, Nindia, Méchain, Tû et Nessayouka. Il s’agit d’espaces où la présence européenne est très forte, et de manière précoce (1843 pour Balade). Nakéty, la tribu la plus présente dans les procédures judiciaires, est au cœur d’un territoire convoité pour ses mines d’antimoine, découvertes en 1877.
  • [58]
    65 % des affaires de divagation de bétail (soit 222 affaires) sont portées à la connaissance des justices de paix à l’initiative des gendarmes et, parfois, de surveillants militaires en charge de contrôler les forçats libérés ou en fin de peine placés sur des concessions.
  • [59]
    Anc, 23 W-K15 : Justice de paix de Canala, année 1912.
  • [60]
    Anc, 23 W-E5 : Justice de paix de Bourail, année 1910, ainsi que pour l’affaire suivante.
  • [61]
    Voir sur ce sujet Vivier, 2000.
  • [62]
    Anc, 23 W-K1 : Justice de paix de Canala-Thio, année 1883. Ils écopent d’une sanction à hauteur de six puis dix francs d’amende.
  • [63]
    Voir Baratay, 2003 ; Serna, 2016. Fleury, 1995, rappelle que les abus contre les chevaux menés à l’épuisement dans les attelages et laissés mourant sur les chaussées de Paris ont provoqué l’indignation de Pierre de Monteux qui le mène à la création de la Spa.
  • [64]
    Anc, 23 W-K1 : Justice de paix de Canala-Thio, année 1883. Les moutons ont été introduits en Océanie à partir de 1788, avec comme cause première le développement de l’industrie lainière en Australie (selon D’Arcy, 1990, p. 147-148).
  • [65]
    Anc, 23 W-K2 : Justice de paix de Canala-Thio, année 1889. L’affaire se déroule à Moindou, dans la zone où les concessionnaires sont très nombreux, au centre-ouest de la Grande Terre.
  • [66]
    La loi de 1850 n’est promulguée dans la colonie que le 24 avril 1874 (Lois, décrets, arrêtés et instructions formant la législation de la Nouvelle-Calédonie, Imprimerie calédonienne, Nouméa, 1900, t. I, p. 46-47).
  • [67]
    Quoiqu’ils aient deux patronymes dans leur langue d’origine, les Kanak ne sont généralement désignés que par leur prénom de baptême par les autorités françaises.
  • [68]
    Anc, 23 W-E5 : Justice de paix de Bourail, année 1910.
  • [69]
    Anc, 23 W-K15 : Justice de paix de Canala, année 1912. Ouégoa se situe au nord-est de la Grande Terre, à plus de 400 kilomètres de Nouméa.
  • [70]
    Anc, 23 W-C1 : Justice de paix de Bourail, année 1894.
  • [71]
    Selon Anom, H-2466, f. 430-432 : dossier Jacquier.
  • [72]
    Anc, 23 W-K1 : Justice de paix de Canala-Thio, année 1887. Le nommé Lecordroc, pour sa part, incite son chien à s’en prendre plus particulièrement au surveillant Rousseau, à La Foa, acte pour lequel il doit verser six francs de dédommagement le 10 juin 1885 (idem, année 1885).
  • [73]
    Anc, 23 W-K1 : Justice de paix de Canala-Thio, année 1889. La législation calédonienne stipule dès 1866 que les chiens ne doivent être laissés errants, à défaut de quoi ils seront placés en fourrière et abattus sous quelques jours (Lois, décrets, arrêtés et instructions formant la législation de la Nouvelle-Calédonie, Imprimerie calédonienne, Nouméa, 1900, t. II, p. 170-171). Le même arsenal répressif est mis en place à Lifou en 1878.
  • [74]
    Lois, décrets, arrêtés et instructions formant la législation de la Nouvelle-Calédonie, Imprimerie calédonienne, Nouméa, 1900, t. vi, p. 319-329. En date du 17 septembre, l’arrêté consiste en l’adaptation à la Nouvelle-Calédonie de la loi sur la police du roulage et des messageries publiques promulguée en France en 1851.
  • [75]
    Anc, 23 W-C1 : Justice de paix de Bourail, année 1895, et Anom, H-2528, f. 284-286, dossier Vincent Létard.
  • [76]
    Anc, 23 W-K1 : Justice de paix de Canala-Thio, année 1883.
  • [77]
    Anc, 23 W-K1 : Justice de paix de Canala-Thio, année 1887 et K2 : année 1889.
  • [78]
    Voir Doizy, 2009 ; Walter, 1998. Connu dans plusieurs autres archipels océaniens, comme les Fidji, la Papouasie ou le Vanuatu, sa présence avant l’arrivée des Européens n’est pas attestée par l’archéologie en Nouvelle-Calédonie (Thomas, 1995, p. 15-29).
  • [79]
    Anc, 23 W-K3 : Justice de paix de Canala-Thio, année 1891.

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