Notes
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[1]
Dans la préface de cette édition française, Benoît Rossignol rappelle le succès de l’ouvrage Effondrement de Jared Diamond (2006). Il cite également celui de Pablo Servigne et Raphaël Stevens (2015) Comment tout peut s’effondrer. Petit manuel de collapsologie à l’usage des générations présentes. On mentionnera aussi les ouvrages d’Eric H. Cline (2015) et de David Engels (2013), ainsi que celui de Jean-Paul Engélibert (2019) sur La puissance critique des fictions d’apocalypse. Rappelons que la collapsologie trouve ses origines dans la publication du « rapport Meadows ». Commandé par le Club de Rome en 1970, réalisé par des chercheurs du MIT et publié en 1972 sous le titre The Limits to Growth, celui-ci alertait sur les risques d’une croissance démographique et économique exponentielle, insoutenable, à terme, à l’échelle planétaire, tant du point de vue des ressources alimentaires et énergétiques disponibles que de la pollution engendrée (Meadowset al., 1972).
-
[2]
Gibbon, 1776-1788. Si Kyle Harper évoque « un épisode monumental de faillite d’État et de stagnation », c’est bien à Ian Morris (2010 ; 2013) qu’il rapporte l’idée selon laquelle « la chute de l’Empire romain constitue la plus grande régression de toute l’histoire humaine » (p. 47). Il résume un peu plus loin la perspective qui est la sienne : « La fin de l’Empire romain, telle qu’elle est présentée ici, n’a pas été un déclin continu débouchant sur une ruine inévitable, mais une longue histoire, pleine de détours et dépendant des circonstances au cours de laquelle une formation politique résiliente s’est maintenue et s’est réorganisée avec ses propres moyens avant de s’effondrer, d’abord en Occident puis en Orient. Les formes prises par le changement doivent toujours être présentées sous la forme d’une interaction hautement circonstancielle entre la nature, la démographie, l’économie, la politique et même, selon nous, quelque chose d’aussi éthéré et chimérique que les systèmes de croyance qui ont été sans cesse perturbés et redessinés au cours de ces siècles » (p. 58).
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[3]
Voir par exemple la critique au vitriol publiée par Stéphane Ratti (2019) dans l’édition du journal Le Figaro en date du 9-10 mars 2019 sous le titre « Fin de l’Empire romain : la piste farfelue de la catastrophe climatique ». L’universitaire reproche à Kyle Harper une lecture insuffisamment rigoureuse doublée d’une surinterprétation des sources grecques et latines (notamment des passages de Cassiodore et Jean le Lydien), et de projeter sur la « supposée chute de l’Empire romain […] nos propres angoisses contemporaines ». À juste titre, il remarque que « la définition même d’un déclin de la civilisation de l’Antiquité tardive est la source d’innombrables difficultés ». Il caricature toutefois un peu vite le raisonnement de l’auteur. Voir également la note de lecture de Claude Aziza (2019), qui classe l’auteur dans la catégorie des tenants de l’effondrement de la civilisation romaine, ce qui ne l’empêche pas de voir dans cet ouvrage « un des livres les plus riches, les plus novateurs, malgré quelques tendances au spectaculaire et des affirmations qui demanderaient parfois d’être vérifiées par l’étude approfondie des textes ».
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[4]
« Au cours de la période romaine, il y a eu un bond quantique en avant en matière de connectivité globale » (p. 56). Kyle Harper cite Walter Scheidel (2014, p. 7) : « De tous les empires d’un seul tenant de l’histoire prémoderne, seuls ceux des Mongols, des Incas et des tsars de Russie ont égalé ou dépassé l’amplitude nord-sud de la puissance romaine ». Il rappelle que « la domination de l’Empire s’étendait au nord au-delà du 56e parallèle, et s’enfonçait au sud en dessous du 24e N. » (p. 42). Sur la question de la mondialisation à l’époque romaine, l’auteur renvoie à l’introduction de l’ouvrage de Belichet al., dir. (2016) et à Pitts et Versluys, dir. (2015). Tout autant que ses dimensions, c’est le niveau d’intégration et la longévité de l’Empire qui frappent Kyle Harper (p. 34) : « À l’époque de Claudien, on trouvait de fiers Romains de la Syrie à l’Espagne, depuis les sables de la Haute-Égypte jusqu’aux frontières glaciales du nord de la Bretagne. Rares sont les Empires dans l’histoire qui ont atteint soit la taille géographique, soit le niveau d’intégration de la communauté romaine. Personne n’a réussi comme les Romains à combiner une telle unité à une telle échelle – sans mentionner la question de la longévité. Aucun autre Empire ne saurait se tourner vers un tel passé fait de siècles d’une grandeur ininterrompue ». Sur cette mondialisation romaine, voir aussi Inglebert, 2014, et Roman, 2016.
-
[5]
Harper, 2011.
-
[6]
Harper, 2013.
-
[7]
McCormicket al., 2012a.
-
[8]
Harper, 2015.
-
[9]
Harper, 2016.
-
[10]
Haldon et al., 2018a, 2018b et 2018c. Que Benoît Rossignol soit ici remercié de m’avoir fait part de cette polémique, et pour les échanges qui ont suivi.
-
[11]
Harper, 2018. Je remercie Kyle Harper pour les échanges que nous avons pu avoir à propos de cette polémique.
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[12]
Braudel, 1949.
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[13]
Lussault, 2007. À propos du Covid-19, M. Lussault écrit dans Espazium (2/04/2020) : « Le virus est un opérateur spatial. Il nous menace, mais il fait lien » (https://www.espazium.ch/fr/actualites/le-virus-est-un-operateur-spatial-il-nous-menace-mais-il-fait-lien). Les « opérateurs non humains » sont à rapprocher du concept d’« actants » promu par le sociologue Bruno Latour (1994). Sur les temporalités multiples, voir Horden et Purcell, 2000.
-
[14]
Péguy, 1986 ; Leveau, à paraître.
-
[15]
On retrouve cette idée dans le titre de l’ouvrage : Les Fleuves ont une histoire (Bravard et Magny, dir., 2002). Rappelons que la reconstitution des variations de l’intensité du rayonnement solaire est fondée sur la mesure de la concentration des radionucléides cosmogéniques à vie longue, tels que le Carbone-14 (14C) et le Béryllium-10 (10Be), dans les carottes de glace et les cernes d’arbres (Delaygue et Bard, 2011). Sur l’impact climatique de la variabilité de l’activité solaire, voir Ermolliet al., 2013.
-
[16]
Rappelons que, selon l’OMS, on parle de pandémie en cas de propagation mondiale d’une nouvelle maladie. « Alors qu’une “épidémie” est une flambée de maladie infectieuse d’ampleur locale ou régionale, le terme “pandémie” est généralement réservé aux événements de mortalité ayant un impact interrégional (par exemple, à l’échelle continentale) » [traduction] (Harper, 2018, p. 2).
-
[17]
On pourrait évoquer également la peste noire au milieu du xive siècle ou la grippe espagnole en 1918-1919, toutes deux marquant aussi la fin d’un cycle de mondialisation.
-
[18]
Dans leur critique, Haldonet al., 2018, dénoncent l’insuffisante prise en compte des situations locales et régionales et, d’une manière plus générale, celle des données archéologiques susceptibles de les documenter. Voir la réponse de Harper (2018, p. 11-12), qui conclut précisément sur cette question sensible, en soulignant la nécessité de construire des modèles globaux pour interpréter les données locales issues de l’archéologie et des études paléoenvironnementales.
-
[19]
Il ne faut pas s’en tenir à certaines formulations faciles, voire à l’emporte-pièce, par exemple : « À des échelles que les Romains n’auraient pas été capables de comprendre voire d’imaginer – du microscopique au global – la chute de l’Empire a été le triomphe de la nature sur les ambitions humaines » (p. 37). Ou encore, plus savoureux : « Les germes ont été bien plus mortels que les Germains » (p. 55).
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[20]
Dans la partie intitulée « Une planète instable », l’auteur estime « fausse » et « trompeuse » l’idée très généralement répandue chez les historiens du monde romain « qui considère l’environnement comme un arrière-plan stable, inerte », car les « systèmes physiques et biologiques » de la Terre « sont un cadre en changement permanent » (p. 49). La notion d’arrière-plan ou d’arrière-fond empruntée à Bruce Campbell (2016) occupe une place importante dans son raisonnement.
-
[21]
Febvre, 1922.
-
[22]
Wilson, 1998.
-
[23]
McCormick, 2011.
-
[24]
Izdebskiet al., 2016.
-
[25]
Jollivet, dir., 1992.
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[26]
Claud., De Consulatu Stilichonis, 3, 130-173.
-
[27]
Sur la lucidité des contemporains face au destin de Rome autour de l’an 400, voir Zarini, 1999.
-
[28]
Sur ce concept, voir Scheidel, dir., 2015 ; Scheidel, 2015.
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[29]
Les bases de ces estimations démographiques communément admises demeurent hautement discutables.
-
[30]
Cette périodisation est critiquée par Haldonet al. (2018a, p. 4), qui considèrent que ce genre de phasage chrono-climatique est aujourd’hui désuet car trop simpliste, et que la phase intermédiaire est une invention pure et simple de l’auteur, donnant l’image d’une dégradation continue du climat antique parallèle à un prétendu déclin de l’Empire. Voir la réponse très argumentée de Harper (2018, p. 8-9), pour qui la « période de transition tardo-antique » (Late Roman Transitional Period) est une catégorie d’attente.
-
[31]
L’idée d’un lien entre changement climatique et migrations de population n’est évidemment pas nouvelle. Voir, par exemple, Teggart, 1939 et, bien sûr, Demougeot, 1969.
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[32]
L’auteur souligne, en outre, le fait que l’étirement nord-sud de l’Empire romain l’exposait à un gradient de biodiversité exceptionnel, notamment du point de vue des micro-organismes potentiellement pathogènes.
-
[33]
Cet objectif n’est pas toujours atteint selon Haldonet al. (2018a ; 2018b ; 2018c), qui reprochent à l’auteur un déterminisme simpliste, ce qui, à mon avis, est une critique injuste (cf. infra). L’ouvrage tout entier témoigne au contraire du souci qu’a l’auteur de prendre en compte la complexité des phénomènes socio-environnementaux, dans une perspective systémique.
-
[34]
« Le paradigme de la résilience nous permet de comprendre pourquoi la réaction du système à une cause extérieure est non linéaire ; des mécanismes de rétrocontrôle, des seuils critiques et des changements opérationnels sur différentes échelles de temps faisaient qu’une sécheresse pouvait avoir des effets invisibles, alors qu’une autre exactement de la même ampleur peut sembler avoir fait basculer la société dans une catastrophe irréversible » (p. 102).
-
[35]
Cette estimation « basse » proposée par l’auteur (p. 179) correspond à un taux de mortalité de 10 %, les taux de décès avancés dans la bibliographie étant compris entre 10 et 20 %, voire 22 à 24 % selon Y. Zelener (2012). Sur cette « crise multifactorielle », voir Rossignol, 2012, et notamment son schéma conceptuel p. 144, fig. 2.
-
[36]
« La machine fiscale sous-jacente à l’hégémonie militaire constituait le système métabolique de base de l’Empire » (p. 68).
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[37]
« L’Empire romain a certainement été la plus puissante et la plus étendue de ces vagues d’expansion, avant les expériences sans précédent qui caractérisent la modernité » (p. 80).
-
[38]
Il n’hésite pas à évoquer un « âge d’or commercial » (p. 80) et une « révolution technique à bas bruit » (p. 78), fondée non pas sur des percées technologiques mais sur « la diffusion de progrès techniques à large échelle ». Concernant les techniques, le discours reste très général et approximatif, voire erroné à propos de prétendues « meilleures charrues » (p. 77) et d’« un nouveau type de moissonneuse venu de Gaule » (p. 78).
-
[39]
Il fournit sur ce thème une utile bibliographie. On mentionnera notamment Lionello, dir., 2012 ; Manning, 2013 ; McCormicket al., 2012a ; 2012b ; Harper et McCormick, 2018. Haldonet al. (2018a, p. 5-6) estiment que Kyle Harper ne prend pas suffisamment en considération la variabilité régionale et temporelle de l’OCR, pourtant soulignée par Robertset al., 2012, dont les données sont reprises par Labuhnet al., 2018. Ils critiquent l’interprétation que fait l’auteur des crues du Tibre, dont le régime hydrologique est, selon eux, trop fortement anthropisé pour avoir une signification climatique, qui plus est extrapolable à une échelle géographique globale (Haldonet al., 2018a, p. 6-7). Enfin, ils récusent longuement l’interprétation pluviométrique des données fournies par le géographe Ptolémée, dont le texte pose selon eux des problèmes de traduction, de datation et de sens complètement ignorés par l’auteur, qui en ferait une lecture de quatrième main (Haldonet al., 2018a, p. 7-10). Sur le premier point, l’auteur rappelle à juste titre dans sa réponse qu’il est parfaitement conscient de la variabilité et de la complexité hydro-climatique en Méditerranée, et que les travaux de Labuhnet al., 2018, ne contredisent pas son schéma général (Harper, 2018, p. 8-9). Il attire l’attention sur la nécessité d’obtenir de nouveaux indicateurs de précipitation à haute résolution pour la partie centrale de la Méditerranée. À propos des crues estivales du Tibre, il maintient que ce phénomène ne résulte ni d’un effet de source, si d’interférences anthropiques, et qu’il a donc bien une signification climatique (ibid., p. 9). Quant aux critiques formulées à propos de son interprétation des Parapegmata de Ptolémée, il les admet volontiers (ibid., p. 1).
-
[40]
McNeill, 1976.
-
[41]
« En bref, la nature est un réservoir rempli de germes et de nouveaux adversaires en puissance, et les mutations génétiques sont constamment à l’origine de dangereuses expériences moléculaires » (p. 123). « L’écologie et l’évolution sont le moteur de l’histoire des maladies infectieuses » (p. 124).
-
[42]
« L’échelle des transformations environnementales sous domination romaine constitue le développement écologique le plus grand ayant jamais eu lieu entre le Néolithique et la révolution industrielle » (p. 125).
-
[43]
On peine un peu ici à suivre le raisonnement de l’auteur (p. 157-158). Quels sont les arguments pour situer en Afrique orientale plutôt qu’en Arabie ou sur les bords de l’océan Indien l’origine de la pandémie ? Pourquoi évacuer d’emblée l’inscription en écriture sabéenne de la région de Qaran, datée d’environ 160, évoquant une pestilence qui aurait ravagé la ville de Garw et tout le territoire quatre ans plus tôt, et qui fait écho à l’épidémie qui aurait éclaté en Arabie sous le règne d’Antonin (Historia Augusta, Antoninus Pius, 9, 4) ?
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[44]
Cf. supra, note 35.
-
[45]
À propos de l’impact de la peste antonine, Haldonet al. (2018b, p. 2-4) reprochent à l’auteur, dans un long argumentaire, de s’aligner sur la position maximaliste de Duncan-Jones (1996) et de Scheidel (2002), qui est aussi celle de Lo Cascio (2012), et d’escamoter les éléments d’un débat particulièrement animé. C’est lui faire là un mauvais procès, comme en témoigne la note 87 de la page 176 injustement incriminée, dans laquelle Kyle Harper fait état de « l’approche sceptique » de Brauun (2003 ; 2007 ; 2012). Non sans une certaine dose de mauvaise foi, ses détracteurs considèrent que les défaites militaires et les rebellions des années 160-170, de même que le changement climatique abrupt et les crises de subsistance, auraient joué un rôle dans la crise. Ils lui opposent les positions minimalistes de Gilliam (1961) et Salmon (1974). ContraDuncan-Jones, 1996, ils mettent en avant les critiques formulées par Greenberg, 2003. ContraScheidel, 2002, les réserves émises par Bagnall, 2002. Ils citent des travaux sur les enregistrements des émissions de plomb récemment acquis dans les carottes du Groenland, mais sans préciser que ceux-ci vont clairement dans le sens de Kyle Harper, si tant est que les corrélations établies entre pollutions atmosphériques et événements historiques soient admises : « The Antonine plague marked the turning point between high levels of lead-silver production during the Roman Empire period and much lower levels observed from the mid-second century until the mid-eighth century. The plague disrupted mining through high mortality in, and flight from, mining regions, and reduced demand through population loss » (McConnellet al., 2018, p. 5728). À propos des papyrus égyptiens, les mêmes détracteurs insistent sur le fait que le raisonnement de l’auteur s’appuie sur un seul document mentionnant la maladie. Or il s’avère que les papyrus ne mentionnent quasiment jamais les épidémies ou autres maladies (inf. or. Benoît Rossignol). Le fait qu’un papyrus évoque clairement la peste antonine serait donc plutôt la preuve d’un événement d’ampleur exceptionnelle (Harper, 2018, p. 5).
-
[46]
On ne résistera pas au plaisir ce citer cette phrase typique de l’humour de l’auteur : « Il est facile, avec le temps, d’imaginer qu’il y avait un peu de déni dans une telle célébration à grands frais du millénaire – que les habitants de Rome s’amusaient à la manière de ceux qui, un jour, siroteraient des cocktails sur le pont du Titanic » (p. 186). D’une manière non moins exquise, il évoque plus haut la convalescence d’Aelius Aristide dans le temple d’Asclépios à Pergame, « qui, d’une certaine manière, était aussi chic qu’une clinique médicale de Beverly Hills » (p. 116).
-
[47]
« La concaténation de chocs soudains et spécifiques dans les années 240 et 250 amène le système au-delà de ses capacités de résilience » (p. 188). « Là où la crise antonine avait sapé l’énergie accumulée de l’Empire mais laissé les fondations intactes, la crise du IIIe siècle a provoqué une transformation. Il faudrait parler d’une première chute de l’Empire romain » (p. 189).
-
[48]
Beeret al., 2006.
-
[49]
L’auteur a contribué à l’élaboration d’une base de données papyrologiques relatives aux crues du Nil (McCormicket al., 2012b). Haldonet al. (2018b, p. 5) affirment que l’idée d’un affaiblissement des crues du Nil est en contradiction avec les informations fournies par cette base de données, elle-même fondée sur les travaux de Bonneau, 1971, qui considère comme normales les crues pour la période 239-250, à l’exception de l’année 242, marquée par une faible crue. Harper (2018, p. 5) rétorque que les données qu’il mobilise ne proviennent ni de la base de données en question, ni du travail de D. Bonneau, à propos duquel il émet des réserves, mais de l’étude de papyrus mentionnés p. 205 note 33 et des travaux de Rathbone et Von Reden, 2015. La réponse n’est toutefois pas très claire.
-
[50]
Haldonet al. (2018b, p. 6) émettent des doutes quant à l’origine éthiopienne de l’épidémie, qui, selon eux, a pu arriver de n’importe où par les ports égyptiens de la mer Rouge. Ils remettent également en question l’interprétation et la datation du « charnier » fouillé sur le site de l’ancienne Thèbes, en Haute-Égypte, dans lequel l’auteur voit une « entreprise de traitement en masse des cadavres » (p. 208-209). Enfin, ils rappellent que la datation des lettres de l’évêque d’Alexandrie est discutée. Ainsi, c’est toute la construction de la chronologie de la peste proposée par l’auteur qui est compromise à leurs yeux. Sur la datation des lettres de Denys d’Alexandrie, voir la réponse de Harper (2018, p. 5-6 et note 5), qui renvoie plus généralement à ses publications antérieures sur la peste de Cyprien (Harper, 2015 ; 2016).
-
[51]
« Les germes ont formé la première vague invisible des grandes invasions » (p. 220).
-
[52]
« C’était une révolution dont on a une idée si on imagine la disparition du dollar » (p. 222).
-
[53]
Syme, 1984.
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[54]
« Même si l’on ignorait tout du christianisme, on pourrait néanmoins décrire le iiie siècle comme un âge de rupture avec le polythéisme traditionnel. Les anciennes religions battaient de l’aile. La grande tradition de construction de temples s’arrêta totalement. Le iie siècle avait été une époque exubérante de constructions de ce genre. Hadrien avait terminé le grand temple de Zeus olympien à Athènes, dont les travaux avaient été interrompus au vie siècle… avant Jésus-Christ. Les temples étaient les joyaux d’une cité. Au milieu du iiie siècle, ils s’écroulaient par manque d’entretien. En Égypte, la dernière inscription sur un temple date du règne de Dèce. Puis un silence définitif s’installa. À la fin du siècle, les temples, qui avaient récemment été les incubateurs des plus anciennes religions, conservatoires des traditions de l’humanité, se transformaient en entrepôts militaires. Les rites antiques s’évanouirent tout simplement. […] Quelle que soit la manière dont on considère les choses, la crise du iiie siècle a été une catastrophe pour les cultes civiques traditionnels dont ils ne se remirent jamais. […] Pour saisir le paganisme authentique du Haut-Empire, il ne faut pas le chercher dans de grandes spéculations théologiques mais dans la vie quotidienne des cités. […] Ce type de dons [allusion au don de C. Vibius Salutaris à Éphèse] disparut complètement dans le chaos financier. Les vieux modèles du clientélisme civique furent déstabilisés. La disparition des anciens dieux ne fut pas le résultat d’une crise de la foi. Ils faisaient intimement partie d’un ordre dont les fondations craquaient de toutes parts » (p. 233-234). Voir sur cette question la contribution essentielle des données archéologiques dans Van Andringa, dir., 2014.
-
[55]
Cette assertion n’est appuyée ici sur aucun argumentaire archéologique. À propos de la complexité des situations régionales, notamment à travers le cas de la Narbonnaise, voir Fiches, dir., 1996.
-
[56]
Beeret al., 2006.
-
[57]
« Il n’y a pas eu de crise du iiie siècle pour les microbes » (p. 253).
-
[58]
Les canicules d’été favorisent les germes gastro-intestinaux, les pluies d’automne le paludisme et le froid hivernal les infections respiratoires.
-
[59]
L’auteur développe, non sans un certain anachronisme, le cas de la famine et de l’épidémie qui ont suivi le passage d’un nuage de sauterelles à Édesse en 500, rapporté par Ps.-Josué le Stylite, 38-49 (qui vécut à la fin du viiie siècle). Notons, par ailleurs, qu’une épizootie est signalée en 409 dans les Gaules et une partie de l’Europe : Endéléchius, De mortibus boum, éd. F. Piper, Göttingen, 1935 (édition plus récente : Bucolica vel eclogae / Marcus Aurelius Olympius Nemesianus, De Mortibus boum / Severus Sanctus Endelechius, Eclogae / Modoinus, Carmen bucolicum Gaddianum, texte latin et trad. allemande, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, Darmstadt, 1976, xiv-148 p. ; texte et trad. en ligne sur Remacle, selon éd. fr. J.-B. Martin, F. Monnier et A. de Boudard, libr. Girard et Josserand, Lyon/Paris, 1864). En outre, les traces d’une épizootie ont été mises en évidence dans un contexte du troisième quart du ive siècle à Ambrussum-Villetelle dans l’Hérault (Porcier, 2012). Je remercie Alain Ferdière de m’avoir signalé ces références, et plus généralement pour sa relecture.
-
[60]
« Les preuves d’une activité bancaire et de crédit sont plus fortes à cette époque qu’à toute autre période de l’histoire romaine » (p. 261).
-
[61]
« Il faudra attendre le temps du colonialisme transatlantique pour trouver une élite économique réussissant à accumuler des fortunes privées d’une telle ampleur et sur un tel espace géographique » (p. 265).
-
[62]
Non sans quelque anachronisme, une fois encore, l’auteur prend l’exemple de l’inscription du moissonneur de Mactar (cilviii, 11824), datée des années 260-270 (Lassère et Griffe, 1996).
-
[63]
« Le destin divers des zones rurales en Occident a été déterminé par la relation entre le changement climatique, l’intégration au marché et les perspectives locales de sécurité » (p. 270). L’idée d’une « explosion du nombre de villae » dans de grandes zones en Occident, globalement fausse, est due à un effet de source : les grandes villae résidentielles « palatiales » d’Aquitaine, d’Ibérie et d’Italie sont en effet plus facilement repérables dans une enquête archéologique superficielle. Le phénomène de « palatialisation » des villae est une réalité d’ordre qualitatif plus que quantitatif.
-
[64]
« La dernière ligne de défense de l’Empire romain était la ceinture des germes qui guettaient, en embuscade, les naïfs envahisseurs » (p. 282).
-
[65]
À propos du mariage de l’empereur avec Théodora, Kyle Harper écrit, avec son sens de la formule provocatrice : « C’est un peu comme si aujourd’hui le président des États-Unis se mariait avec Kardashian » (p. 292).
-
[66]
Il rappelle que c’est le laboratoire du Professeur Didier Raoult qui, le premier, a procédé au séquençage de l’ADN du bacille à partir de la pulpe dentaire extraite des squelettes du charnier de l’Observance, fouillé en 1994 à Marseille et daté de 1722 (Raoultet al., 2000), ce qui a donné naissance à la paléomicrobiologie. En 1996, une étude de l’Institut Max Planck a révélé que la peste de Marseille était une résurgence de la grande peste noire du xive siècle (Boset al., 2016).
-
[67]
Dans sa réponse à ses détracteurs, Harper (2018, p. 7) précise que, depuis la parution de son livre, de nouveaux travaux (Eroshenkoet al., 2017) permettent de situer ce foyer ancestral au Kirghizistan.
-
[68]
Il semble que la forme pneumonique de la peste transmise par les gouttelettes aériennes et provoquant une maladie respiratoire aiguë ait été secondaire par rapport à la forme bubonique. Les bubons sont causés par l’inflammation des ganglions, sous l’effet des piqûres de puces. À propos de la controverse sur les différents modèles de la transmission, voir p. 302-303 et notes 26-27.
-
[69]
McCormick, 2003. « Du point de vue d’un rat, l’Empire était une invraisemblable bénédiction. Le monde romain était envahi par ces rongeurs » (p. 289). « La dépendance du système impérial au transport et au stockage de céréales a fait du monde romain un paradis pour lui » (p. 304). Le rat noir est attesté en Méditerranée occidentale au iie siècle av. J.-C. À juste titre, Haldonet al. (2018c, p. 4) critiquent les faiblesses méthodologiques qui sous-tendent la « carte des rats sous l’Empire romain » (p. 306, carte 17).
-
[70]
Haldonet al. (2018c, p. 3) rappellent que cette histoire est fausse, la présence de vers à soie étant attestée en Syrie un siècle plus tôt (Muthesius, 2002).
-
[71]
« Religion, politique et commerce s’entremêlaient pour rendre cette région stratégiquement décisive. Les Romains voulaient à tout prix maintenir une tête de pont stable au-delà de ces eaux » (p. 310). Cet espace sera le creuset de l’Islam.
-
[72]
Büntgenet al., 2016.
-
[73]
Rossignol et Durost, 2010.
-
[74]
Haldonet al. (2018c, p. 3-4) estiment que l’auteur manque de recul critique par rapport aux données chiffrées fournies par Jean d’Éphèse. Selon eux, les nombres de décès disponibles pour Constantinople sont invraisemblables. De même, le « modèle théorique d’évolution de la population romaine de 500 à 600 » (p. 343, fig. 33) n’aurait aucun fondement méthodologique consistant. Sur la valeur des chiffres disponibles pour Constantinople, voir la réponse de Harper, 2018, p. 6-7.
-
[75]
McCormick, 2015 et 2016.
-
[76]
Wiechmann et Grupe, 2005 ; Harbecket al., 2013 ; Wagneret al., 2014. En contrepoint, Haldon et al. (2018c : 2-3) soulignent l’ambiguïté des données livrées par les deux cimetières d’Ascheim et d’Altenerding, dans lesquels aucune inhumation de masse n’est attestée stricto sensu. Selon eux, la présence de la peste en Haute-Bavière ne prouve pas un événement de mortalité massive à l’échelle de l’Empire. Voir la réponse de Harper, 2018, p. 7. Les études d’adn les plus récentes vont dans son sens, révélant l’étendue géographique de la peste grâce au traçage de Y. pestis en Grande-Bretagne, en France, en Allemagne et en Espagne (Kelleret al., 2019).
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[77]
Durliat, 1989.
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[78]
Wickham, 2005 et 2016.
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[79]
Haldonet al. (2018c, p. 5-6) contestent vigoureusement cette position maximaliste. Ils tentent de démontrer, d’une manière qui n’est pas totalement convaincante, qu’on ne peut pas lier à la peste la diminution de l’activité législative de Justinien. Voir la réponse de Harper (2018, p. 2-8), qui considère comme parfaitement légitime l’hypothèse « maximaliste » dans le cas de la peste de Justinien.
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[80]
Haldonet al. (2018c, p. 2) critiquent le concept de « recrudescence » qui, en agrégeant des événements d’ampleur variable étalés dans le temps, établit entre eux un lien causal, exagérant l’amplitude, la durée et l’impact du phénomène. Voir la justification par Harper (2018, p. 8) des concepts de « recrudescence » et d’« amplification ».
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[81]
Haldonet al. (2018c, p. 2) réfutent l’originalité de cette idée, la notion de « vagues d’épidémies » étant tombée en désuétude ces dernières années.
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[82]
« Tout au long du vie siècle, Constantinople demeura le centre nerveux de la Méditerranée orientale, allongeant des tentacules loin vers l’ouest. […] La capitale était un relais où convergeaient tous les germes de l’Empire ; elle était le moteur de la propagation des métastases » (p. 333-334).
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[83]
L’auteur remarque que Constantinople est frappée en moyenne tous les 15,4 ans entre 542 et 619, et ensuite tous les 64 ans (p. 335).
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[84]
« Les deux grandes pandémies de peste qui ont ouvert et marqué la fin du Moyen Âge ont été, relativement, les catastrophes biologiques les plus graves de l’histoire » (p. 342-343).
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[85]
« L’eschatologie de Grégoire est une réaction à la violence permanente et aux caprices de l’environnement physique » (p. 347). « Pour la première fois dans l’histoire, un état d’esprit apocalyptique a gagné une grande société complexe » (p. 348). L’auteur rappelle que la population de la ville de Rome est tombée à 10 ou 20 000 habitants, soit 50 à 100 fois moins qu’au Haut-Empire.
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[86]
« La peste antonine a déterminé la résurrection de l’archaïque culte d’Apollon à une échelle de plus en plus universelle. La peste de Cyprien a ébranlé les fondements du polythéisme civique et permis aux chrétiens de se manifester à visage découvert. Aux vie et viie siècles, la concaténation de la peste et des troubles climatiques a donné toute sa force au sentiment eschatologique au sein du christianisme, du judaïsme et du dernier né de l’Antiquité tardive, l’islam » (p. 349).
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[87]
La fourchette chronologique attribuée au Late Antique Little Ice Age (lalia) est ici plus étroite que celle définie supra p. 51, tab. 1 (environ 450-700 ap. J.-C.). Haldonet al. (2018a, p. 4), qui avaient déjà souligné cette incohérence, rappellent que cette fourchette doit probablement être encore resserrée sur les décennies 530-570, sur la base des travaux les plus récents (Büntgenet al., 2017 ; Helamaet al., 2017a et b). Voir la réponse de Harper, 2018, p. 9.
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[88]
Büntgenet al., 2016.
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[89]
Beeret al., 2006.
-
[90]
Stothers et Rampino, 1983 ; Baillie et McAneney, 2015 ; Siglet al., 2015.
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[91]
Ces rapprochements sont considérés comme abusifs par S. Ratti, 2019.
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[92]
Pour l’Italie, voir Squatriti, 2010.
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[93]
« Comme le système impérial était lui-même un réseau, un système connectant de vastes territoires écologiquement et économiquement variés, il a pu s’appuyer sur les zones où la vitalité se maintenait. […] L’Empire est mort à petit feu, de l’intérieur » (p. 363).
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[94]
Haldonet al. (2018c, p. 3) n’ont pas manqué de souligner la contradiction entre l’image de cette Syrie florissante du vie siècle et le tableau qui est donné plus haut d’un « foyer actif permanent de peste » (p. 338). À l’abondance des données archéologiques démontrant le premier aspect s’oppose une unique inscription signalant la peste, ainsi que quelques autres évoquant des maladies anonymes. Voir la réponse de Harper, 2018, p. 6 et note 9.
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[95]
Il évoque un « audacieux capitalisme ecclésiastique » (p. 362).
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[96]
« Les catastrophes naturelles du vie siècle ont été à l’origine d’un des plus grands changements d’état d’esprit de toute l’histoire humaine » (p. 383).
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[97]
« Jamais plus il n’y aurait d’Empire pan-méditerranéen, reliant les énergies des continents du vieux monde par un pouvoir qui l’unifiait. Un nouvel âge commençait » (p. 394).
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[98]
Kyle Harper rejoint là un point de vue que j’ai eu l’occasion de développer (Trément, 2011, 2013 et 2014), selon lequel les modes de développement observés à l’époque romaine répondent mal aux critères de définition des économies préindustrielles, et présentent à bien des égards des caractéristiques qui les rapprochent des économies de transition, telles que les définit John Friedmann (1966).
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[99]
L’auteur compare le Soleil à un « variateur capricieux » (p. 399) et il considère comme « fantasques » les changements de la nature (p. 400).
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[100]
Haldonet al. (2018c, p. 2) déplorent que la dimension rhétorique l’emporte trop souvent sur le fond, et qu’« un tel langage impressionniste entrave la pensée critique » [traduction]. Sans doute est-ce là très exagéré. N’oublions pas que l’ouvrage dont il est question est destiné aussi au grand public.
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[101]
Haldonet al., 2018, p. 6.
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[102]
L’accusation de déterminisme portée par Haldonet al. (2018a, p. 3 ; 2018c, p. 1) est caricaturale. Une synthèse d’une telle envergure prête forcément le flanc à d’innombrables critiques de détail, outre qu’elle implique de faire des choix, qui sont assumés et le plus souvent justifiés par l’auteur.
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[103]
Campbell, 2016.
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[104]
Harper, 2018, p. 10.
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[105]
Harper, 1998, p. 2.
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[106]
On n’insistera pas sur les trop nombreuses coquilles, dans le texte et surtout dans les notes et la bibliographie, d’autant plus regrettables lorsqu’elles concernent les noms de personnes. Le moissonneur de Mactar doit se retourner dans sa tombe (p. 262, note 38), tout comme Josué le Stylite (p. 256, note 29). Les problèmes de traduction sont fréquents (voir par exemple la confusion entre force centripète et centrifuge p. 189, et l’usage abusif de l’anglicisme « endurance »). Le texte, assurément trop long et délayé, pèche en outre par ses nombreuses redites, ses formulations phraséologiques et même, à plusieurs reprises, d’évidentes contradictions.
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[107]
Voir les réflexions judicieuses de Philippe Leveau, 2005 et 2015.
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[108]
Par exemple, pour les Gaules, il n’est fait nulle mention du programme Archaeomedes qui, dans les années 1990, a constitué une avancée de premier ordre, sur le plan méthodologique et conceptuel, pour la connaissance des systèmes de peuplement. On peut regretter également que soient ignorés les colloques consacrés en France à la crise du iiie siècle (Fiches, dir., 1996) et à la Gaule des ive-ve siècles (Ouzouliaset al., dir., 2001), où sont développées de multiples études régionales. Ou encore les vastes synthèses régionales qui ont porté récemment sur le Massif Central (Trément, dir., 2011-2013) et le Centre-Est de la Gaule (Reddé, dir., 2017 et 2018), la publication du programme Rurland n’étant, il est vrai, pas disponible au moment de la publication de l’ouvrage.
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[109]
Le récent ouvrage de Jean-Pierre Devroey (2019) La Nature et le roi est, de ce point de vue, un modèle pour la période carolingienne. Voir aussi supra note 17.
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[110]
Delmas, 2019.
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[111]
Harper, 2018, p. 11.
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[112]
Harper, 2018, p. 4.
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[113]
Leveau, 2017, p. 63.
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[114]
Ce constat est en contradiction avec le reproche fait à l’auteur par ses détracteurs de ne pas suffisamment prendre en compte l’incertitude dans son raisonnement : « We believe it would have been appropriate to include a much greater degree of uncertainty about the causal priority of the features Harper does pick out » (Haldonet al., 2018a, p. 3).
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[115]
On peut légitimement douter de la pertinence de l’usage de formules délibérément anachroniques, comme « espionnage industriel », « révolution permanente », « majorité silencieuse », « réfugiés climatiques », « capitalisme ecclésiastique »… Ou encore : « L’Empire était un gigantesque standard téléphonique bourdonnant connectant les cités » (p. 53). L’insistance sur ce haut degré de connectivité permet à l’auteur de penser l’Empire romain comme un système, et d’expliquer la vitesse de propagation des épidémies et leur transformation en pandémies aux effets systémiques.
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[116]
Harper, 2018, p. 3 et 10.
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[117]
Kyle Harper établit un lien entre la dynamique du pouvoir étatique, la démographie et le développement économique et social : « Je souscris à l’opinion selon laquelle une croissance intensive, principalement par le biais des mécanismes de Smith, a été importante dans l’Antiquité et fait partie intégrante de la trajectoire du pouvoir politique romain. Il y a eu des réactions généralement positives entre pouvoir étatique et développement économique – la paix et la stabilité institutionnelle ont facilité le commerce et l’urbanisme. En retour, la croissance était bénéfique à la santé fiscale et donc militaire de l’État impérial. L’État romain n’était pas un organisme simple ou immuable, mais une entité administrative complexe et intrinsèquement pleine de tensions ; le contrôle des leviers du pouvoir a été contesté » [traduction] (Harper, 2018, p. 10).
1Note critique sur l’ouvrage de Kyle Harper : Comment l’Empire romain s’est effondré. Le climat, les maladies et la chute de Rome, Paris, La Découverte, 2019, 543 p., 26 fig., 2 annexes (The Fate of Rome. Climate, Disease, and the End of an Empire, Princeton / Oxford, Princeton University Press, 2017).
Présentation générale de l’ouvrage
Un objet répondant aux interrogations contemporaines
2En ces temps d’urgence climatique et de pandémie de coronavirus, l’édition française du dernier ouvrage de Kyle Harper Comment l’Empire romain s’est effondré. Le climat, les maladies et la chute de Rome prend un relief tout particulier. Le confinement de plus de quatre milliards d’humains à l’échelle planétaire pendant plusieurs semaines nous rappelle en effet, par son échelle inédite dans l’histoire de l’humanité, que les sociétés les plus « modernes » demeurent très vulnérables face aux « caprices » de l’environnement. Derrière un titre délibérément aguicheur, qui « surfe » sur la vague environnementale actuelle, se cache en réalité une ambition parfaitement légitime, qui consiste à évaluer le rôle joué par le changement climatique et les maladies infectieuses dans le cours de l’histoire de l’Empire romain. Cet ouvrage s’inscrit également dans la perspective, très tendance, des études qui, depuis quelques années, ont fait de l’effondrement un objet historique, qui prolonge dans le champ de la recherche scientifique des préoccupations, voire des angoisses, très contemporaines, relayées par ce qu’il est désormais convenu de nommer la collapsologie, qui souvent alimente le déclinisme [1]. Notons toutefois que le titre original de l’ouvrage, en anglais (The Fate of Rome. Climate, Disease, and the End of an Empire), ne fait allusion ni à l’idée d’effondrement ni à celle de chute, rompant délibérément avec la célèbre formule inaugurée par l’historien britannique Edward Gibbon [2]. Il faudra rendre justice à Kyle Harper de certaines accusations, en vérité infondées, de « catastrophisme » [3]. De manière plus positive, on verra dans son entreprise une tentative d’histoire globale au sens le plus noble du terme : à savoir un récit qui met l’accent sur les connexions et les interactions dans un système mondialisé. L’Empire romain dont il est question fut, de fait, la première mondialisation qu’a connue l’humanité avant l’époque moderne, sinon par son ancienneté, du moins par son importance et son degré d’intégration [4]. Sans parler de sa longévité record, de l’ordre du millénaire si l’on inclut la fin de la République et l’Empire byzantin.
3Kyle Harper est professeur d’histoire au département d’Études classiques de l’Université d’Oklahoma (États-Unis). C’est là, à Norman, qu’il a commencé ses études, poursuivies ensuite à Harvard. Sa thèse de doctorat, soutenue en 2007 et publiée en 2011, s’intitule Slavery in the Late Roman World, AD 275-425 [5]. Spécialiste de l’Antiquité tardive, Kyle Harper s’est attelé ensuite à une histoire de la morale sexuelle à la fin de l’Antiquité [6]. Dès 2012, il est co-auteur d’un article collectif qui a fait date sur l’histoire des changements climatiques à l’époque romaine [7]. En 2015, il publie une étude détaillée sur la peste de Cyprien, qu’il contribue à faire sortir de l’ombre dans laquelle l’avait laissée l’historiographie [8]. Ses autres publications ont porté sur divers aspects de la société (le mariage, la famille, l’esclavage et l’aristocratie) et de l’économie (l’exploitation de la terre) dans l’Antiquité tardive. Il s’est intéressé notamment à l’impact des épidémies sur les prix à travers le cas de l’Égypte [9]. Ses publications récentes témoignent d’une préoccupation croissante pour les questions climatiques et environnementales.
4Si ces différents travaux ont été accueillis de manière positive par la communauté scientifique, on ne peut passer sous silence la polémique à laquelle a donné lieu aux USA la parution du Destin de Rome. Dès 2018, un collectif de six chercheurs (John Haldon, Hugh Elton, Sabine Huebner, Adam Izdebski, Lee Mordechai et Timothy Newfield) a publié dans la revue en ligne History Compass une suite de trois articles critiquant, de manière tout aussi méticuleuse que virulente, la méthodologie, les interprétations et les résultats qui conduisent Kyle Harper à exagérer, selon eux, l’importance du rôle joué par le climat et les épidémies dans le cours de l’histoire de l’Empire romain [10]. Il ne s’agit pas d’entrer ici dans un débat dont le ton et certaines remarques laissent penser à un « règlement de compte académique » à l’encontre d’un chercheur à qui il est reproché d’avoir entrepris une synthèse sur un sujet trop vaste pour un seul homme. Si certaines critiques sont assurément exagérées, d’autres méritent attention, de même que la réponse publiée par l’intéressé [11]. Il en sera fait état autant que possible au fil de ce compte rendu.
De la résilience de l’Empire romain sur la longue durée
5Ce qui fait l’originalité et l’intérêt du présent ouvrage, c’est d’abord que son auteur replace l’évolution de l’Empire romain dans un contexte global, dans une perspective systémique, attentive aux processus, aux interactions et aux dynamiques. Trois éléments contextuels majeurs sont en jeu : le temps, l’espace et l’environnement. Concernant le temps, le parti pris par Kyle Harper est celui de la longue durée et des temporalités différentielles, prônées par Fernand Braudel [12]. Du point de vue strictement historique, la chronologie embrassée par l’ouvrage couvre environ sept siècles, du ier au viie siècle ap. J.-C. Ce n’est donc pas tant le récit d’une « crise », d’un « déclin » ou d’un « effondrement » qu’un essai visant à éclairer, dans toute leur complexité, les modalités de développement et les processus évolutifs d’un vaste ensemble géopolitique dont la diversité et l’hétérogénéité constituent une caractéristique essentielle. Et si la capacité de résilience de l’Empire est au cœur de sa problématique, c’est pour mieux évaluer, période par période, les modalités de changement et d’adaptation de la structure qui a pris forme au tournant de notre ère. Cette démarche implique un phasage chronologique susceptible de rendre compte de dynamiques complexes, dans lesquelles interagissent de multiples facteurs et paramètres (politico-juridico-institutionnels, socio-économiques, culturels, géographiques, biologiques, environnementaux), eux-mêmes caractérisés par des temporalités variées et variables, dans le temps comme dans l’espace.
6La périodisation en six phases qui sous-tend la structure de l’ouvrage n’a donc rien de figé. Les périodes en question n’ont d’ailleurs pas de bornes strictes. Ce sont plutôt des coups de projecteur sur des moments successifs caractérisés par une dynamique particulière (ou dominante) du système-monde romain. L’auteur insiste beaucoup, avec juste raison, sur la nécessité impérieuse de rejeter toute perspective téléologique. Il convient donc de faire abstraction du fait que les historiens ont toujours l’avantage du recul que leur donne la vision de ce qui s’est finalement passé, ce qui par définition échappait fondamentalement aux contemporains d’alors. L’art de la périodisation parfaitement maîtrisé par Kyle Harper réside dans le choix d’un découpage chronologique souple, censé rendre compte au mieux de l’interférence de temporalités multiples. De ce point de vue, sa conception du temps historique est plus sophistiquée que celle de Fernand Braudel, dans la mesure où ces temporalités sont plus nombreuses, car attachées à un plus grand nombre d’acteurs (que, dans sa préface, Benoît Rossignol suggère d’appeler « opérateurs historiques », par référence au concept d’« opérateur spatial » mis au point par Michel Lussault [13]). Il est vrai que, depuis la publication de La Méditerranée…, le « temps géographique » de Braudel a été largement historicisé, et que l’histoire « de l’homme dans ses rapports avec le milieu qui l’entoure » n’est plus une « histoire quasi immobile » [14]. Kyle Harper défend l’idée que le rayonnement solaire comme les microbes ont une histoire [15]. Une histoire qui se déroule sur un temps très long (4,7 milliards d’années pour le Soleil, 3,5 milliards d’années pour les bactéries), scandée par des rythmes aux fréquences très variables, rarement perceptibles à l’échelle d’une génération humaine. On saura gré à Kyle Harper de rendre compte de ces enchevêtrements complexes de temporalités, dont les interactions produisent des dynamiques relevant d’un modèle plus chaotique que linéaire ou cyclique du temps historique.
7Dans la même optique, l’espace géographique est appréhendé de manière ouverte, dynamique et multiscalaire, du global au local. À une extrémité de l’échelle spatiale, l’auteur replace l’Empire romain dans le système d’échanges « internationaux » qui parcouraient le monde connu de l’époque. Il fait preuve d’une connaissance actualisée de la bibliographie relative au trafic maritime et terrestre qui reliait les rives de l’océan Indien à la Méditerranée, via la mer Rouge et la péninsule Arabique. Ces échanges externes et internes au monde romain, à longue distance et multidirectionnels, qui, en interconnectant les centres urbains, constituaient l’armature de la mondialisation antique, ont joué un rôle crucial dans la diffusion accélérée des pandémies [16]. Celles-ci apparaissent, tout autant qu’aujourd’hui avec le Covid-19, comme des marqueurs de la mondialisation [17]. À l’autre extrémité de l’échelle spatiale, Kyle Harper est attentif aux contextes et aux mécanismes locaux, pour autant qu’ils soient documentés par les sources écrites (notamment les papyrus égyptiens), qu’il privilégie clairement par rapport aux données archéologiques, avec lesquelles il est de toute évidence moins à l’aise [18]. Et il sait emboîter les échelles, articuler les flux et les territoires, identifier les seuils de spatialisation. Car la mondialisation s’enracine toujours dans des situations locales, et c’est l’interaction du local et du global qui génère de la régionalisation. C’est un bonheur pour le lecteur que de sillonner ce vaste monde antique des îles Britanniques à la Chine, tout en étant imprégné par le concret des situations, rendues accessibles par certains dossiers documentés grâce au hasard de la conservation de telle ou telle source écrite. Même si, bien sûr, ce ne sont pas que des hommes, des marchandises et des idées qui parcouraient les mers et les continents, mais aussi des virus et des bactéries, dont la phylogénie ouvre à l’histoire une nouvelle dimension : l’échelle microscopique.
Environnement, climat et pathogènes au cœur du récit
8L’environnement est assurément l’acteur central du récit, dont il est le fil rouge, comme l’indique le titre du prologue (Le triomphe de la nature) et celui du chapitre 1 (L’environnement de l’Empire). Là encore, la conception de l’environnement propre à l’auteur fait la part belle à la complexité [19]. Kyle Harper prend constamment en compte la diversité de l’espace sur lequel s’étendait la domination romaine, notamment son exceptionnel étirement nord-sud, sur trente-deux parallèles, ce qui induit une extraordinaire hétérogénéité des contextes physiques, climatiques, écologiques et culturels. Mais, comme l’indique clairement le sous-titre de l’ouvrage, il considère que deux éléments ont eu une incidence particulièrement importante sur l’histoire des sociétés : le climat et les maladies infectieuses. D’emblée, l’auteur rejette tout déterminisme simpliste au profit d’une analyse systémique qui met en avant les concepts de changement et d’instabilité [20]. Kyle Harper pose ainsi le problème : « L’accélération qu’ont connue les sciences de la Terre et la révolution génomique nous a appris que le changement climatique et les maladies infectieuses émergentes sont partie intégrante de toute l’histoire humaine. La question difficile n’est désormais plus de savoir s’il faut tenir compte des influences de l’environnement naturel dans la séquence des causes et des effets, mais comment » (p. 57). Plus que dans une perspective déterministe, il se situe dans une optique possibiliste, au sens où l’entendait Lucien Febvre [21]. Or le possibilisme n’exclut pas que les contraintes environnementales puissent être si fortes à certains moments qu’elles conditionnent de manière déterminante l’évolution des sociétés. Cela peut être le cas, notamment, du changement climatique et des pandémies. Mais il implique aussi de considérer les effets des activités humaines sur le milieu, ce qui passe par l’historicisation de nouveaux objets comme le climat ou les microbes. Comme l’écrit Kyle Harper à propos de ces derniers, « c’est une histoire de l’évolution des germes que nous commençons seulement à pouvoir faire, mais ici on peut prendre un sérieux acompte en essayant de voir l’histoire romaine comme un chapitre – peut-être inhabituellement important – d’une histoire globale beaucoup plus longue de l’évolution des agents pathogènes. Les Romains ont participé à créer l’environnement microbien dans lequel le jeu de hasard des mutations génétiques était modelé par la force submergeant tout des maladies pandémiques, c’était un mélange étrange de structure et de hasard » (p. 56).
9De ce point de vue, la démarche mise en œuvre apporte d’intéressants jalons sur le plan épistémologique. Elle se subsume sous le concept de consilience, défini par le biologiste Edward O. Wilson [22], appliqué par Michael McCormick [23] à l’histoire prémoderne et par Adam Izdebski [24] à l’histoire du climat méditerranéen. La consilience fait référence à la constitution d’une connaissance valide fondée sur la combinaison de démarches distinctes sur le plan épistémologique, notamment, d’une part, celles des sciences naturelles et, d’autre part, celles des études historiques et archéologiques. Il s’agit de créer un fondement commun d’explication, articulant des modes de raisonnement spécifiques aux différentes disciplines. Comme l’écrit Kyle Harper, « intégrer des connaissances issues de champs aussi disparates que les sciences naturelles, sociales et humaines a reçu le nom de ‛consilience’. L’intégration signifie que les historiens ne sont pas les récepteurs passifs de nouvelles données scientifiques. En fait, l’interprétation proposée dans ce livre s’appuie sur nos connaissances les plus avancées de ce qui relève totalement de l’action propre des humains » (p. 57). La consilience est donc le concept le plus approprié pour intégrer les discours issus de l’interdisciplinarité dans la perspective d’une étude de la co-évolution socio-environnementale. Ou comment théoriser une pratique (le fameux « dialogue interdisciplinaire ») forte de plus de trois décennies déjà [25]…
L’argumentaire de Kyle Harper
10Les fondements épistémologiques de l’ouvrage étant éclairés, examinons son contenu en suivant le fil du récit. Dans le prologue (Le triomphe de la nature), Kyle Harper met en scène l’Empire au début de l’an 400, en partant de l’éloge fait par Claudien de l’action du « régent » Stilicon dans un panégyrique récité à l’occasion de la venue du jeune empereur Honorius à Rome et de la nomination du généralissime comme consul pour cette année [26]. Le poète officiel de la cour d’Occident peut alors célébrer la grandeur de Rome et l’éternité de sa domination. À peine plus de vingt ans après la bataille d’Andrinople (378), et cinq depuis le partage effectif de l’Empire entre Honorius et Arcadius à la mort de leur père Théodose Ier (395), dix ans avant le sac de Rome par les Wisigoths d’Alaric (410), le discours officiel témoigne de la confiance qu’ont encore les Romains dans leur destin [27]. Pour Kyle Harper, « ce n’était pas un songe creux » (p. 34). Mais, selon lui, « pour comprendre l’épisode prolongé connu sous le nom de chute de l’Empire romain, il nous faut prendre en compte plus soigneusement le grand exercice d’auto-aveuglement qui constitue le cœur même des cérémonies d’un Empire en pleine gloire : la confiance sans limite telle qu’elle se manifestait dans les rituels sanglants mettant en scène des animaux sauvages capturés, preuve de la domestication des forces de la nature par les Romains » (p. 36-37). Aux acteurs humains du destin de Rome – « les empereurs et les Barbares, les sénateurs et les généraux, les soldats et les esclaves » –, il faut ajouter « les bactéries et les virus, les volcans et les cycles solaires » (p. 37).
11Pour répondre à la question : « Comment en était-on arrivé là ? », les différentes hypothèses proposées « dépendent en grande partie de la focale choisie » (p. 36). Selon Kyle Harper, l’historiographie s’est focalisée sur trois échelles : – la petite échelle des « décisions humaines » (décisions stratégiques) ; – l’échelle médiane de la structure de la « machinerie impériale » (guerres civiles, fiscalité) ; – la grande échelle de « l’inévitable destin réservé aux Empires ». Il propose d’ajouter une autre échelle : celle des « changements environnementaux » (p. 37) et de « la longue histoire de nos relations avec l’environnement » (p. 37-38). Deux « forces élémentaires » doivent notamment être prises en considération : les changements climatiques, qui ont connu d’importantes fluctuations au cours de la période considérée, et les maladies infectieuses, dont le déchaînement des agents pathogènes est le résultat d’une histoire complexe, en grande partie liée à une « écologie des maladies » générée par un « empire urbanisé, interconnecté, allant jusqu’au tropique, avec des ramifications s’étendant discrètement dans l’ensemble du monde connu » (p. 37).
L’apport conceptuel : la consilience au service de l’étude de la résilience de l’Empire romain face aux changements environnementaux
12Le chapitre 1 est donc tout naturellement consacré à L’environnement de l’Empire. Dans une première partie relative à la « Morphologie de l’Empire romain », Kyle Harper brosse un rapide historique de l’expansion romaine et de la mise en place du système impérial. La stabilité de celui-ci reposait sur un « grand compromis » (p. 43) entre l’Empire et les cités [28], lui-même fondé sur « un développement réel dans les provinces » (p. 46) et « une expansion démographique à donner le vertige » (p. 45). L’auteur rappelle que Rome contrôlait un quart de la population mondiale, soit 75 millions d’habitants, qui ont bénéficié des effets d’une « croissance à la fois extensive et intensive » (p. 46) [29].
13Dans une seconde partie intitulée « Une planète instable », il oppose à ce tableau la situation qui domine au viie siècle autour de la Méditerranée. Il énumère brièvement les principaux registres explicatifs avancés dans l’historiographie. Son objectif n’est pas de les réfuter, mais de les confronter aux apports fournis par les « archives naturelles » (p. 48), qui renouvellent en profondeur la documentation disponible. Carottes de glace, grottes, dépôts lacustres, sédiments marins, cernes des arbres et glaciers constituent autant d’enregistreurs d’une histoire environnementale qui reste largement à écrire. De même, l’étude morphologique, géochimique et génétique des ossements et des dents exhumés dans les fouilles archéologiques apporte des informations inestimables sur la santé et les maladies des populations anciennes, sur les famines et les migrations, et permet de « constituer les biographies biologiques de la majorité silencieuse » (p. 48). Les données génomiques livrées par l’extraction et le séquençage de l’ADN ancien permettent d’écrire « l’histoire de l’évolution des microbes et des hommes » (p. 49), et de leurs relations, pacifiques ou conflictuelles.
14Kyle Harper développe tout d’abord la question du changement climatique, dont il rappelle les principaux facteurs : si la quantité d’énergie émise par le Soleil fluctue dans le temps, la quantité et la répartition de l’énergie reçue sur Terre varie également en fonction des changements qui affectent la trajectoire de notre planète, son inclinaison et son mouvement de rotation ; à cela s’ajoute le rôle des éruptions volcaniques, dont les rejets d’aérosols sulfurés dans la haute atmosphère filtrent plus ou moins la chaleur du Soleil. Ces événements solaires, orbitaux et volcaniques sont à l’origine des cycles glaciaires, mais également, au sein de chaque phase de réchauffement, de cycles plus courts dont on perçoit mieux aujourd’hui la nature. Ainsi, pour l’époque romaine, trois périodes climatiques ont été identifiées (p. 51, tab. 1) : – l’Optimum climatique romain (environ 200 av. J.-C. - 150 ap. J.-C.), phase de climat chaud, humide et stable dans la plus grande partie de l’Empire ; – la Période romaine de transition (environ 150 - 450 ap. J.-C.), phase de désorganisation et d’instabilité climatique ; – le Petit âge glaciaire de l’Antiquité tardive (environ 450 - 700 ap. J.-C.), période de froid le plus intense de tout l’Holocène tardif [30]. Dans une société fondamentalement agraire, ces changements climatiques de grande ampleur ont pu avoir un impact déterminant sur l’agriculture et la démographie. Ainsi, l’expansion maximale de l’Empire aux deux premiers siècles de notre ère a-t-elle bénéficié de conditions climatiques optimales à l’échelle de la seconde partie de l’Holocène. L’instabilité climatique qui suit a pu contribuer à la déstabilisation de populations dans les régions périphériques d’Asie centrale, et à leur migration [31]. Le refroidissement durable, à partir du milieu du ve siècle, a certainement rendu plus difficiles, voire compromis, les possibilités de développement.
15Les changements climatiques ont pu interagir avec des changements biologiques générateurs de maladies infectieuses, potentiellement pandémiques, dans un contexte de mondialisation caractérisé par un degré élevé d’urbanisation et de connexion. Kyle Harper rappelle que, si « la ville romaine était une merveille d’ingénierie civile », ses installations sanitaires « constituaient un fragile barrage fissuré de toute part contre un océan de germes », au point que « la cité ancienne était un lieu d’insalubrité maximale », propice à la propagation de toutes sortes de maladies, souvent létales, par contamination féco-orale (p. 53). Hors des villes, la transformation des paysages a également contribué à exposer les populations à de nouveaux parasites (on pense bien sûr au paludisme, omniprésent) et à provoquer des changements écologiques en cascade, aux effets imprévisibles. Enfin, à un troisième niveau, l’intensité des échanges permis par un réseau dense de routes terrestres et maritimes constituait un facteur propice à la diffusion des maladies, notamment sous la forme d’épidémies et de pandémies [32]. La conséquence paradoxale du développement à l’époque romaine réside dans le fait que la paix et la prospérité n’étaient pas incompatibles avec un piètre état sanitaire des populations, dont le signe le plus manifeste résiderait dans leur petite taille moyenne (moins de 1,65 m).
16Dans une troisième partie intitulée « Une histoire humaine », Kyle Harper développe une réflexion épistémologique fondée sur les concepts de consilience et de résilience. Tous deux lui permettent d’articuler « les relations entre l’environnement et l’ordre social » dans une perspective soucieuse d’éviter déterminisme et réductionnisme [33]. Comme on l’a vu plus haut, le concept de consilience lui fournit un cadre pour construire un discours historique cohérent, fondé sur les apports de multiples disciplines scientifiques relevant des sciences humaines et sociales, de la biologie, des géosciences et écosciences de l’environnement. Quant au concept de résilience, il lui permet de penser l’Empire romain comme un système dynamique, dont la structure mouvante résulte de l’équilibre plus ou moins stable de flux internes et externes. Si « la capacité d’absorber et de s’adapter aux pressions s’évalue en termes de résilience », les crises sont des moments de tension extrême qui mettent à l’épreuve la capacité du système à conserver sa structure ; cette capacité n’étant pas illimitée, il existe un « seuil d’endurance au-delà duquel on risque des changements en cascade et des réorganisations systémiques » (p. 58). Cette optique permet à Kyle Harper de penser la longue période de l’Antiquité tardive comme l’histoire d’une résilience : celle d’un Empire dont les crises successives sont les jalons qui scandent une évolution complexe et séparent des phases d’adaptations et de mutations [34].
17Fort de ces bases théoriques, Kyle Harper propose de distinguer quatre « grandes étapes » correspondant à « quatre tournants essentiels, au cours desquels le cours des événements a subi une succession de changements momentanés et désorganisateurs », entre le Haut-Empire et le début du Moyen Âge (p. 58-60) :
- la première étape, contemporaine de Marc Aurèle, a été marquée par « une crise multidimensionnelle déclenchée par une pandémie qui a interrompu l’expansion économique et démographique. L’Empire ne s’est pas effondré ou désintégré, il a retrouvé son état antérieur mais sans le même système autoritaire » ; la pandémie en question, la fameuse peste antonine signalée en 165 par les sources, aurait fait entre 7 et 8 millions de victimes [35] ; le virus incriminé est la variole ;
- la deuxième étape, au milieu du iiie siècle, a vu « la désintégration soudaine de l’Empire », suite à « une accumulation d’épisodes de sécheresse, de peste et de difficultés politiques » ; la survie du système impérial est passée par une reconstruction profonde, « avec un nouveau genre d’empereur, un nouveau type de gouvernement, une nouvelle monnaie, bientôt suivis d’une nouvelle foi religieuse » ; l’agent pathogène responsable de la peste cyprienne attestée en 249 n’a pas encore été identifié ;
- la troisième étape, qui couvre la fin du ive siècle et le début du ve, voit la cohérence de ce « nouvel Empire » définitivement brisée en l’espace de deux générations, sous le poids notamment des migrations en provenance des steppes eurasiennes ; au cours du ve siècle, l’Empire est démembré en Occident ; en Orient, on assiste à la « résurgence d’un Empire romain doté d’une puissance et d’une prospérité renouvelées et d’une population en expansion » ;
- la quatrième étape voit cette renaissance brisée par « l’une des pires catastrophes environnementales de toute l’histoire » : la combinaison de la peste bubonique et du Petit âge glaciaire de l’Antiquité tardive s’accompagne d’un « choc démographique » et d’un « lent mouvement de faillite de l’Empire », qui aboutit à des « pertes territoriales irrémédiables face aux armées de l’Islam ». De l’Empire ne subsiste qu’un « État byzantin croupion ». À cette époque, le monde est beaucoup moins peuplé et beaucoup moins riche que durant les premiers siècles de notre ère, et divisé par des « dissensions sans fin entre des religions apocalyptiques en concurrence ». La peste justinienne, qui apparaît dans l’Empire romain en 541 et sévit durant deux siècles, a été attribuée récemment avec certitude à la bactérie Yersinia pestis, responsable également de la peste noire au xive siècle.
La prospérité au temps de « l’Optimum climatique romain »
19Le chapitre 2, intitulé Les jours heureux, couvre la période qui va d’Auguste à la peste antonine de 165. La première partie (« Un grand médecin et une grande cité »), consacrée à Galien de Pergame, présente cette source majeure pour la connaissance de la pandémie et expose l’état de l’Empire à son apogée, au milieu du iie siècle. La partie suivante (« Les dimensions de l’Empire ») met l’accent sur le contrôle politique, militaire et fiscal de cet immense espace tricontinental [36]. La troisième partie (« Peuples et prospérité ») décrit « l’immense vague de croissance » (p. 69) qui culmine sous les Antonins [37]. Pour Kyle Harper, le développement robuste et durable des deux premiers siècles est fondé sur une croissance intensive appuyée sur le commerce, la technique et la démographie [38]. L’auteur résume à grands traits les caractéristiques démographiques de la population romaine (forte mortalité, faible espérance de vie, taux de fertilité et niveau d’urbanisation élevés). Mais c’est le climat qui constitue « l’arrière-fond qui a permis le miracle » (p. 100).
20La partie suivante est donc consacrée logiquement à « l’Optimum climatique romain », qui a été un « puissant incubateur de croissance » (p. 98), tant pour l’Empire romain que pour celui des Han en Chine. Kyle Harper développe longuement ce sujet [39], abordant successivement les mécanismes climatiques (notamment la dérive vers le sud de la zone de convergence intertropicale, responsable de la mise en place du climat méditerranéen), les effets du réchauffement et de l’humidification (recul des glaciers, crues du Tibre, colonisation des zones semi-arides, essor économique de l’Afrique du Nord, prospérité du royaume des Garamantes), l’impact du changement climatique sur l’agriculture (allongement de la saison de croissance des plantes, hausse des rendements, extension de la culture de la vigne et de l’olivier), mais aussi celui du développement sur l’environnement (le déboisement généralisé, outre la raréfaction de la ressource en bois, est un facteur d’érosion et d’aridification).
21Une longue cinquième partie (« Résilience. Tensions et endurance dans l’Empire romain ») traite des stratégies de résilience et des comportements face au risque environnemental. Kyle Harper aborde ici un grand nombre de sujets à la lumière de ces paradigmes : agriculture, démographie, ravitaillement, santé publique, clientélisme, évergétisme, fiscalité, budget de l’État, technologie, armée, régime et idéologie impériale, normes culturelles. Il pose la question de la soutenabilité du coût de la gestion du risque et de la résilience. Même si l’on a parfois l’impression que le climat est le prétexte à de multiples digressions où l’auteur étale son érudition, on lui reconnaîtra le mérite de mettre celle-ci au service d’une réflexion stimulante, souvent originale par sa richesse, moins caricaturale que ses formulations souvent provocatrices pourraient le laisser croire. Par exemple, il suggère que la facilité des migrations dans l’Empire ait pu constituer un facteur de régulation démographique, complémentaire du dynamisme de la fécondité et de la pratique de l’adoption.
22Ce chapitre se clôt sur une sixième partie (« Un âge nouveau »), qui annonce le suivant. La peste antonine marque en effet la fin de cette première période. Liée aux connexions globales et aux réseaux de communications rapides, cette première pandémie met durement à l’épreuve la capacité de résilience du système progressivement mis en place depuis le règne d’Auguste.
La peste antonine et la fragilisation de l’Empire
23Le chapitre 3, La vengeance d’Apollon, est centré sur les causes et les effets de la peste antonine, qui touche l’Empire durablement, au cours des décennies 160-180. Dans une première partie (« Vers une écologie des maladies dans l’Empire romain »), Kyle Harper développe l’idée selon laquelle les germes ont une histoire (la phylogénie microbienne), que la révolution génomique permet désormais d’appréhender grâce aux « archives biologiques » constituées au moyen de l’extraction et du séquençage de l’ADN des squelettes exhumés en fouille. S’inscrivant en rupture avec le modèle anthropocentré et diffusionniste promu par William H. McNeill [40] dans son fameux ouvrage Plagues and Peoples [41], il est amené à relativiser l’impact de la « révolution néolithique », à souligner l’importance du facteur éco-géographique et à réévaluer à la hausse le rôle de l’âge du Bronze et plus encore de l’âge du Fer dans cette histoire rythmée par la connexion croissante entre des sociétés en expansion et les réservoirs de germes susceptibles de libérer des agents pathogènes.
24Dans la deuxième partie (« Maladies, santé et mortalité dans l’Empire »), Kyle Harper s’étend sur l’« écologie des maladies » générée par la romanisation, qui aurait constitué une « force d’unification microbienne » [42] (p. 125). Selon lui, « l’urbanisation, la stratification sociale et la mobilité ont rendu la population plus vulnérable aux maladies infectieuses » (p. 133) et, reprenant la formule des Monty Pythons dans La Vie de Brian, il affirme que « la civilisation romaine était dangereuse pour la santé dans les provinces » (p. 134). Il aborde successivement la question de l’espérance de vie moyenne (notamment à travers les recensements conservés dans les papyrus égyptiens), le lien entre alimentation, santé et taille des individus, les problèmes d’hygiène et d’écologie des maladies en contexte urbain. Il insiste sur les données de mortalité saisonnière, avec un intéressant développement sur le paludisme, qu’il relie à l’augmentation de l’humidité au cours de l’Optimum climatique romain. Il souligne le caractère endémique d’une multitude de pathologies (dysenterie, paludisme). La plupart des épidémies venaient de l’intérieur et restaient locales, ce qui n’exclut pas que l’Empire ait joué un rôle essentiel dans la diffusion de certaines affections chroniques, comme la tuberculose ou la lèpre.
25Dans la troisième partie (« Les Romains et les réseaux globaux »), Kyle Harper aborde la question des rapports entre l’expansion romaine et l’exposition aux maladies infectieuses émergeant au-delà des frontières de l’Empire. C’est pour lui l’occasion de brosser un tableau des échanges avec l’Afrique et surtout l’océan Indien, pour lequel il mobilise toute la documentation actuellement disponible : les sources écrites (Strabon, Ptolémée, Aelius Aristide), épigraphiques (table de Peutinger, inscriptions des îles Farasan, graffiti de Socotra), papyrologiques (papyrus de Muziris), numismatiques et archéologiques, auxquelles il ajoute le témoignage de la poésie tamoule, des poètes indiens et des archives chinoises. Ces échanges à longue distance, en mettant le monde romain en contact avec les foyers de biodiversité tropicaux, ont ouvert les portes de l’Empire à un grand nombre de nouveaux agents pathogènes.
26C’est le cas de la variole, qui serait à l’origine de « La grande pestilence » connue sous le nom de peste antonine, objet de la quatrième partie. Kyle Harper traite successivement la question du point d’entrée de l’épidémie dans l’Empire, celle de sa propagation, de la nature de l’agent pathogène et de ses effets, notamment sur la mortalité. La mise à plat des sources écrites et épigraphiques montre que l’origine de l’épidémie doit être située en Afrique orientale, et que celle-ci s’est introduite dans l’Empire à la faveur des échanges qui sillonnaient l’océan Indien, la péninsule Arabique et la mer Rouge [43]. Aelius Aristide nous apprend qu’elle est présente en 165 en Asie Mineure, et Galien nous renseigne sur sa propagation en direction de l’ouest. Cette peste est attestée à Rome dans la seconde moitié de l’année 166. La capitale joue alors le rôle de « bombe à fragmentation » (p. 158) en diffusant la maladie dans tout l’Occident (Gaules, Germanies, régions danubiennes…). Cette première vague pandémique dure jusqu’en 172 au moins, avec des effets secondaires à retardement, dus aux micro-réserves de germes, jusque dans les années 182-191. L’armée fut durement touchée, et l’Égypte aurait connu un effondrement total. L’effroi religieux causé par la pandémie serait à l’origine d’une recrudescence du culte d’Apollon, à la vengeance duquel était imputée la violence de ces afflictions. L’agent pathogène incriminé avec le plus de vraisemblance est le virus de la variole, Variola major, même si celui-ci n’a pas encore fait l’objet d’un séquençage génétique sur ossements humains. L’analyse des symptômes décrits par Galien et leur comparaison avec le témoignage des cliniciens modernes sont particulièrement suggestifs. Ce passage est l’occasion pour l’auteur de rappeler la phylogénie de ce virus, qui s’est différencié de son plus ancien ancêtre, Tatera poxvirus, il y a seulement deux à quatre mille ans. La mutation d’un orthopoxvirus de rongeur en agent pathogène propre aux humains aurait pu s’opérer en Afrique quelque temps avant la peste antonine. Le taux de mortalité est difficile à estimer, mais Kyle Harper retient une fourchette de 10 % de la population à l’échelle de l’Empire, soit, comme on l’a vu, entre 7 et 8 millions de morts [44]. Pour la seule ville de Rome, la moitié des 300 000 habitants contaminés aurait péri. La conséquence de la pandémie a été une « crise systémique » (p. 176) aux effets désastreux (augmentation du prix du blé, dépréciation de la monnaie et de la valeur de la terre, problèmes de main d’œuvre et de recrutement militaire). L’auteur souligne toutefois la grande diversité des situations régionales et le contraste entre les zones d’habitat groupé (comme l’Égypte, qui est en outre la porte d’entrée du virus) et celles où prédomine l’habitat dispersé (Occident) [45].
27La cinquième partie (« Résilience et nouvel équilibre ») dresse un bilan de la crise. Si « la peste a été un ébranlement systémique » (p. 182), il faut en relativiser l’impact. La population demeure au niveau qui était le sien à la fin du règne d’Auguste et le régime démographique n’a pas été bouleversé. Une longue période d’accalmie, jusqu’à la peste de Cyprien (249), permet à l’Empire de récupérer et de trouver un nouvel équilibre. Une des conséquences politiques majeures de cette crise réside dans l’accélération de la provincialisation de l’Empire, avec l’intégration de l’aristocratie provinciale dans les plus hauts rangs de la société. Toutefois, la dynamique d’expansion, fondée sur la croissance démographique, était interrompue, avec pour conséquence majeure la perte d’une « marge de résilience » (p. 182).
L’Empire en crise au iiie siècle
28Le chapitre 4, intitulé Le vieillissement du monde, est centré sur ce que l’historiographie a qualifié de « crise du iiie siècle ». La première partie (« Le millénaire de l’Empire ») résume les éléments de cette « crise » dont le démarrage, en 249, coïncide avec le meurtre de Philippe l’Arabe et l’apparition d’une nouvelle pandémie. Kyle Harper souligne le contraste entre la « mise en scène de la superpuissance de Rome » (p. 185) lors des Jeux séculaires de 248, qui célèbrent le millième anniversaire de l’Urbs, et la situation qui prévaut une génération plus tard, à savoir « un monde totalement étranger » (p. 187), présentant déjà « les caractéristiques d’un véritable nouvel âge, la période que nous appelons désormais l’Antiquité tardive » (p. 188) [46]. Il dresse la liste des événements qui participent à cette « spirale de déclin » : incursions de plus en plus fortes des peuples ennemis du Nord et de l’Est, crise du système dynastique et multiplication des usurpations, crise fiscale, sanitaire et climatique. Cette crise, qui résulte de la combinaison de problèmes structurels et de pressions extérieures, débouche sur de profondes transformations qui font émerger un « nouvel Empire » (p. 189). À la différence de la crise de la période antonine, la capacité de résilience du système est ici dépassée, ce qui conduit à une rupture [47].
29La deuxième partie (« La longue période antonine. L’Empire des Sévères ») revient sur la phase de retour à l’équilibre qui a suivi les derniers effets de la peste antonine. Si Kyle Harper considère le règne des Sévères en quelque sorte comme un prolongement de la période antonine, c’est que l’Empire est encore en expansion, avec les opérations de conquête en Bretagne et en Parthie, la résurgence démographique, l’arrivée d’une élite provinciale au sénat et dans des administrations centrales en plein développement, l’ambitieux programme de construction lancé par Septime Sévère à Rome, le dynamisme de l’activité juridique (Papinien, Ulpien) et de la culture savante. L’édit de 212, qui universalise la citoyenneté romaine, entérine la réalité d’un État territorial. Cette période coïncide aussi avec un renforcement du pouvoir de l’armée.
30La partie suivante (« Le vieillissement du monde. Le changement climatique au iiie siècle) est centrée sur les conséquences de la fin de l’Optimum climatique romain. La diminution du rayonnement solaire dans les années 240 [48] est à l’origine d’une période d’instabilité d’une durée de trois siècles, caractérisée par un long cycle de refroidissement et d’aridification. L’auteur dresse la liste des témoignages écrits attestant une phase de sécheresse aiguë sur la rive sud de la Méditerranée et en Palestine (sources rabbiniques). Il développe le cas de l’Égypte, où l’abaissement du niveau du Nil et la raréfaction de ses crues sont mis en rapport avec le basculement vers le sud de la ceinture de mousson et la hausse d’activité de l’oscillation australe « El Niño-Southern Oscillation » (enso) [49]. Comme l’écrit l’auteur, « le Nil abandonne les Romains au pire moment » (p. 204).
31Cette période de sécheresse coïncide en effet avec l’arrivée d’une maladie infectieuse inconnue, à la « violence époustouflante » (p. 207), qui fait l’objet de la partie suivante (« La peste de Cyprien. La pandémie oubliée »). Comme on l’a vu, Kyle Harper (2015) a lui-même contribué à la réévaluation de cette « maladie transcontinentale d’une rare magnitude » (p. 208), largement minorée par l’historiographie, sur laquelle les Sermons de l’évêque de Carthage constituent la principale source d’information. Signalée à Alexandrie en 249, cette épidémie arrivée d’Éthiopie [50] (comme la variole moins d’un siècle plus tôt) migre vers le nord et l’est, traversant tout l’Empire et atteignant Rome en 251. Au moins deux recrudescences de la pandémie ont affecté durablement les villes comme les campagnes jusqu’en 262, voire 270, soit pendant une quinzaine d’années. L’étude des symptômes décrits par Cyprien (conjonctivites hémorragiques, fièvre intense, troubles gastro-intestinaux et vasculaires, hémorragies sévères, nécrose des tissus, déformation des membres) permet d’envisager deux origines virales : grippe sévère ou fièvre hémorragique virale provoquée par un filovirus du type Ebola, ce dernier étant transmis à l’homme par la chauve-souris et le singe. Le bilan de cette pandémie a dû être terrible, du fait de l’effroi suscité par les symptômes et du taux de mortalité très élevé (50 à 70 %), le virus étant transmissible d’humain à humain, les cadavres eux-mêmes étant contagieux. La population d’Alexandrie aurait diminué de 62 %, passant de 500 000 habitants à 190 000. Cette maladie émergente zoonotique pourrait être liée aux troubles climatiques globaux qui, dans les années 240, ont affecté le système des moussons et provoqué en cascade des changements écologiques.
32La cinquième partie (« Comme une mer noircie de sang ») décrit les « deux décennies de chaos » (p. 219) qui suivent l’assassinat de Philippe l’Arabe en 249. Cette période voit l’éclatement de la structure du pouvoir et la multiplication des usurpations, la remise en cause du système des frontières, avec de multiples incursions de peuples barbares (Germains, Alamans, Francs, Goths, Quades, Sarmates, Parthes) et la perte des Champs Décumates, une profonde crise fiscale doublée d’une crise monétaire, de graves problèmes de recrutement militaire et un vacillement des fondements de l’économie, avec d’incessantes variations des prix et une inflation galopante. Kyle Harper établit un lien direct entre la pandémie et les échecs militaires, celle-ci affectant fortement les troupes à court terme et compromettant durablement le recrutement [51]. Mais les ennemis auraient été aussi « plus sophistiqués », du fait de « la lente “convergence technologique” entre les Romains et leurs voisins germaniques » (p. 221). L’auteur s’attarde également sur les questions monétaires (chute de l’aloi, remplacement des sesterces et deniers d’argent par les antoniniani [52], évolution de ceux-ci en monnaie de billon, fonction de thésaurisation du bon métal jouée par les dépôts monétaires).
33La séquence suivante (« Restauration et révolution ») débute en 268, avec l’assassinat de Gallien par Claude, un officier danubien. C’est la fin d’une époque et le début d’un nouvel âge, qui voit la naissance d’une figure radicalement nouvelle de l’empereur : celle de l’empereur-soldat. Derrière l’artifice rhétorique de la restauration, l’ascension de Claude II cache mal une révolution politique, dont Gallien avait semé les germes en écartant les sénateurs des affaires militaires. La militarisation du pouvoir et des élites marque ainsi une rupture profonde avec les principes républicains fondés sur l’ethos aristocratique. Kyle Harper reprend à Ronald Syme [53] l’idée de « zone d’énergie » pour qualifier la frontière danubienne, cet axe reliant l’Est et l’Ouest de l’Empire, auquel elle fournit son élite militaire. Il s’attarde également sur les conséquences spirituelles de la crise. La mortalité de masse aurait montré l’inefficacité des dieux ancestraux et mis au premier plan de nouvelles valeurs (compassion, amour sacrificiel) liées à la foi chrétienne et aux autres cultes « orientaux » émergeant alors (promesse de résurrection et d’immortalité). Le IIIe siècle constitue de fait un tournant majeur, marqué par l’ébranlement des religions civiques traditionnelles et la transformation du christianisme en un mouvement de masse. L’auteur souligne toutefois l’importance fondamentale du lien entre le recul du polythéisme traditionnel, l’évolution des cadres civiques et celle des pratiques évergétiques [54].
34La septième partie (« La voie du redressement ») fait office de transition avec le chapitre suivant. Elle dresse un bilan très mitigé du règne d’Aurélien. Le « Restaurateur romain du monde » autoproclamé reconquiert des territoires sécessionnistes, érige des murailles autour de Rome, réforme en profondeur le système monétaire, promeut le culte nouveau de Sol invictus, fait parader Zénobie, reine de Palmyre, à son triomphe. Mais cette « seconde vie » (p. 235) de l’Empire ne peut pas masquer la gravité de la crise, qui est à la fois démographique, politique, sociale et morale. Kyle Harper souligne notamment les profondes ruptures qui affectent les campagnes occidentales ainsi que les villes, dont le nombre diminue et dont la physionomie change [55]. Toutefois, selon lui, « le projet de restauration préparait la voie pour un autre siècle et demi d’intégration impériale et de rebond économique » (p. 236). En effet, « le long ive siècle fut, à sa façon, un nouvel âge d’or, moins fastueux que l’efflorescence antonine en termes matériels, mais exceptionnel selon d’autres critères ».
Climat, villes et campagnes : du renouveau de l’Empire à sa désagrégation
35C’est à ce « long ive siècle » qu’est consacré le chapitre 5 : La célérité de la roue de la fortune, formule reprise à Ammien Marcellin, source essentielle pour cette période. Dans une première partie (« Les limites de l’Empire »), Kyle Harper résume à grands traits les caractéristiques de cette « époque d’expérimentations » et de « changements structurels » (p. 239) qui accompagnent le redressement de l’État et lui permettent de demeurer « le plus puissant du monde » (p. 238) jusqu’à la fin du ive siècle. L’auteur définit la restauration politique comme « un projet révolutionnaire permanent » (p. 239), qui conduit à une centralisation radicale du système impérial, le « grand compromis » entre élite sénatoriale et cités laissant la place à une autocratie militaire. La restauration est également démographique, fiscale et économique. La stabilisation de la monnaie favorise un « renouveau économique de grande qualité » (p. 239). Kyle Harper souligne « la tension entre le dynamisme de la société et la rigidité de l’État ».
36Dans la partie suivante (« Le nouvel équilibre impérial »), il s’attache à examiner le rôle décisif des deux empereurs Dioclétien et Constantin qui, par leurs réformes, ont permis cette consolidation durable et l’émergence d’un nouvel ordre, fondé sur la stabilisation des relations entre l’armée, l’aristocratie et l’administration. Les trente-et-un ans de règne de Constantin, qu’il compare à Auguste, ont eu des conséquences considérables à long terme (dont la montée en puissance de Constantinople et du christianisme).
37La troisième partie (« Le rôle de l’environnement ») fait le point sur les conditions climatiques et sanitaires. Le ive siècle coïncide avec une période de net réchauffement. L’activité solaire atteint son maximum vers 300 [56]. Aucun événement volcanique majeur n’est attesté entre 266 et la fin du ve siècle. Le glacier alpin de la Mer de Glace régresse à un niveau comparable à celui des années 1990. L’Oscillation Nord-Atlantique (ONA) positive, qui contrôle les fluctuations climatiques dans la plus grande partie de l’Empire, accentue le contraste entre une Europe du Sud et du Centre dominée par l’aridité et une Europe du Nord plus humide. Dans la partie orientale de l’Empire, l’interférence de l’ONA avec le système de moussons, lui-même modulé à distance par l’ENSO, est à l’origine d’un régime hygrométrique plus sectorisé et instable. Kyle Harper estime que cette instabilité climatique pourrait expliquer les crises alimentaires, notamment celle qui ravage la Cappadoce en 368-369, ou celles de plus grande ampleur au milieu des années 380 (documentée par la controverse opposant Symmaque et Ambroise) et au début des années 450. Du point de vue sanitaire, aucun désastre majeur n’est attesté durant le ive siècle, si ce n’est peut-être une épidémie (de variole ?) en 312-313 en Orient. L’état de santé des populations demeure néanmoins précaire [57]. Les maladies endémiques entretiennent un taux de mortalité élevé, dont la saisonnalité peut être appréhendée grâce à l’étude des inscriptions funéraires chrétiennes [58]. L’auteur établit un lien entre climat, pénuries alimentaires, migrations et mortalité épidémique. Durant cette période, toutefois, la plupart des crises ont un caractère régional [59].
38La partie suivante (« Une structure fragile ») souligne les paradoxes de cette période qui, de la fin du iiie siècle à la fin du ive, se caractérise par « un dynamisme incontrôlé, bien plus qu’un déclin ou qu’une décadence » (p. 258). La rénovation du système monétaire par Constantin marque un tournant économique : en dynamisant le crédit, elle favorise l’investissement des capitaux et le développement du commerce [60]. La renaissance des réseaux commerciaux en Méditerranée se fait au profit de nouveaux circuits, moins dominés qu’auparavant par la demande italienne (l’auteur prend l’exemple des sigillées claires africaines). Cette époque voit la constitution d’immenses fortunes (comme celle de Mélanie la Jeune, qui possède 8 000 esclaves dans des domaines établis en Italie, en Gaule, en Bretagne, en Espagne et en Afrique) et des cas de promotions sociales fulgurantes au sein du nouveau sénat oriental de Constantinople [61]. Mais si les inégalités sociales sont « vertigineuses » (p. 264), « la richesse était stratifiée et pas seulement concentrée entre quelques mains » (p. 265). Kyle Harper brosse un tableau de la pyramide sociale soulignant l’existence d’une véritable « classe moyenne » urbaine à côté de la « majorité silencieuse des paysans » (p. 265), de la masse des pauvres et des esclaves [62]. Il insiste sur « l’importance économique de l’esclavagisme » (p. 264) et sur la « pauvreté structurelle » (p. 266, 267), plus visible que jamais grâce aux sources chrétiennes. Il dresse ensuite un rapide panorama des villes et des campagnes. La renaissance de la vie urbaine à la fin du iiie siècle s’est accompagnée de changements profonds dans la physionomie des villes. Si Rome perd son influence politique, sa population demeure à un niveau important (700 000 habitants), tandis que celle de Constantinople passe de 30 000 à 300 000 en un siècle. La nouvelle capitale capte une grande partie des circuits commerciaux, ce qui n’empêche pas les autres « super-métropoles » (p. 269) comme Carthage, Alexandrie et Antioche, de s’épanouir. Le développement urbain s’enracine dans les campagnes. En Orient, ces dernières connaissent un cycle ininterrompu de croissance du ive à la fin du vie siècle, tandis que les situations sont plus contrastées en Occident, de grandes zones voyant une « explosion du nombre de villae » (p. 270) [63]. Kyle Harper termine cette partie en évoquant la puissance militaire « toujours extraordinaire » (p. 271) de l’État romain. La supériorité tactique, technique, logistique et numérique de l’armée romaine réorganisée par Dioclétien et Constantin est incontestable (ses effectifs avoisinent le demi-million d’hommes). Les problèmes de recrutement n’avaient pas uniquement une cause démographique, la concurrence du service religieux étant réelle.
39La cinquième partie (« Une nouvelle géopolitique. Le monde méditerranéen versus l’Asie centrale ») aborde ce qui, aux yeux de l’auteur, constitue la cause principale de la faillite de l’Empire romain d’Occident : les migrations de peuples venus des steppes de l’Asie centrale. Kyle Harper rappelle comment l’État xiongnu s’est formé vers 200 av. J.-C. en opposition à l’Empire chinois des Han. Une lettre chinoise datée de 313 ap. J.-C. envoyée à Samarcande évoque des scènes de famines, de destructions et de migrations au cœur de l’Empire Han, qui obligent l’empereur à quitter la capitale. Ces désordres attribués aux Xwn, c’est-à-dire les Huns (dont la filiation avec les Xiongnu est discutée), sont le prélude d’une migration massive vers l’ouest, dont la cause principale est attribuée à l’aridification de l’Asie centrale. Les Huns seraient par conséquent des « réfugiés climatiques en armes et à cheval » (p. 276), et leur migration un « événement environnemental » imputable à l’ONA positive du ive siècle. Le déplacement du jet-stream de l’ouest vers le nord aurait été à l’origine d’une « période de sécheresse prolongée dans les steppes », la « méga-sécheresse » qui sévit dans les années 350 à 370 étant « la plus grave durant plusieurs décennies au cours des deux derniers millénaires » (p. 276). Or, dans le contexte d’un pastoralisme nomade étroitement tributaire de vastes espaces à l’écologie contraignante, la concurrence pour l’accès aux ressources n’offrait d’autre issue que des déplacements massifs de population, qui, à leur tour, par un effet de domino, déstabilisèrent l’ordre politique dominé par les Goths au nord de la mer Noire. La suite est connue : les Goths franchissent les frontières romaines en 376, et en 378 a lieu le désastre d’Andrinople, boucherie au cours de laquelle l’empereur d’Orient, Valens, est tué. La politique de Théodose Ier permet de fixer des groupes entiers de barbares sur le territoire romain tout en palliant le manque de recrues. Mais, à sa mort, en 395, aucun empereur ne parviendra plus à contrôler seul les deux moitiés de l’Empire. Dans les années 405-406, l’Italie est envahie par les Goths, tandis qu’un conglomérat de Vandales, d’Alains et de Suèves pille la Gaule et s’avance jusqu’en Espagne. Rome perd le contrôle des territoires situés au-delà des Alpes. Les Huns franchissent le Danube en 408-409 et, en 410, l’Urbs est prise par le roi des Goths, Alaric. « Partout à l’exception de minces couloirs en Italie et en Gaule, la machinerie du pouvoir en Occident cessait d’être romaine » (p. 281).
40La dernière partie (« Orient et Occident : des fortunes différentes ») brosse le portrait d’Attila et décrit son aventure. Kyle Harper montre comment, paradoxalement, ce sont les germes qui vinrent au secours des Romains [64], sous la forme d’une épidémie lors du siège de Constantinople en 447, et du paludisme dans la plaine du Pô en 452. Il énumère, pour terminer, les conséquences de cet enchaînement d’événements en Occident : étiolement des structures impériales coupées de l’administration centrale, puis disparition du dernier empereur en 476, changement des modes de vie, sectionnement des circuits de richesse, effondrement des grandes fortunes privées. L’économie monétaire et le commerce pratiqué par les élites se maintiennent toutefois. L’Église se retrouve à la tête du plus important patrimoine foncier et d’une puissance considérable.
La « peste de Justinien »
41Le chapitre 6, intitulé La vendange de la colère, est centré sur la peste dite de Justinien qui, en réalité, dura deux siècles, de 541 à 749. Dans l’introduction, Kyle Harper rappelle qu’en Orient, l’État impérial reste fermement établi et que le vie siècle est une période de « prospérité éclatante pour les provinces orientales » (p. 287). La nouvelle figure de l’empereur inventée par Dioclétien lui donne une « autorité sacrale absolue ». Constantinople non seulement concentre le pouvoir, mais est aussi une « plaque tournante globale » (p. 289), dont le réseau s’étend dans toute la Méditerranée orientale et une partie de l’Occident. Les liens avec l’Égypte sont particulièrement forts. Or, c’est par Péluse que la première peste noire de l’Antiquité entre en Méditerranée en 541. L’auteur souligne le lien entre cette infestation, le contexte de mondialisation et la détérioration du climat. Cet événement, qui inaugure une longue période de stagnation démographique, marque aussi le passage de l’Antiquité au Moyen Âge.
42La première partie (« Reconquête et renaissance ») revient sur le long règne de Justinien, dont la première moitié – jusqu’à l’arrivée de la peste à Constantinople en 542 – est placée sous le signe d’une intense activité, qui contribue à consolider et à élargir l’assise du pouvoir impérial (multiplication des réformes, paix avec la Perse, reconquête de territoires en Italie, codification du corpus des lois romaines, réorganisation de l’administration fiscale, vaste programme de constructions publiques et religieuses, travaux théologiques). L’Histoire secrète de Procope de Césarée est une source essentielle pour la connaissance de cette période. La longueur du règne de Justinien (trente-huit ans), l’ampleur de ses réalisations et la qualité de son entourage (Jean de Cappadoce, Bélisaire, Tribonien, Anthémius, Théodora [65]) ne sont pas sans rappeler l’époque d’Auguste. La basilique Sainte-Sophie à Constantinople et l’église Sainte-Marie-la-Neuve à Jérusalem sont les symboles les plus fameux d’une multitude de grands travaux civils et militaires (églises, hôpitaux, hospices, ports, fortifications, greniers, ponts, aqueducs, citernes, équipements hydrauliques). Évoquant les aménagements destinés à contrôler les crues du Skirtus (près d’Édesse), du Cydnus (autour de Tarse) et du Drakon (à son débouché dans la mer de Marmara), Kyle Harper considère que « Justinien a été le dernier des grands ingénieurs environnementaux romains » (p. 295).
43La deuxième partie (« La fabrique d’un tueur. L’histoire naturelle de Yersinia pestis ») dresse un bilan détaillé des connaissances sur la bactérie à l’origine de trois pandémies historiques : la peste de Justinien, la peste noire de 1346-1353 et la peste de Chine qui sévit du milieu du xixe siècle au milieu du xxe. L’auteur revient sur l’histoire phylogénétique, microbiologique et épidémiologique de Y. pestis, dont la différenciation génétique remonte à 55 000 ans, et l’une des mutations décisives pour sa propagation à environ 3 000 ans [66]. Les données génétiques révèlent que le foyer ancestral du bacille pourrait être le plateau du Tibet-Qinghai en Chine [67]. Y. pestis est une maladie enzootique des rongeurs sauvages d’Asie centrale, notamment la gerbille et la marmotte. Mais le vecteur de la propagation de la pandémie est le rat noir, ou rat des bateaux (Rattus rattus), la transmission du bacille des hôtes sauvages vers le rat, et du rat vers les humains, étant assurée par la puce du rat oriental (Xenopsylla cheopis). L’hypothèse d’une transmission directe d’humain à humain par d’autres ectoparasites comme la puce de l’homme (Pulex irritans) ou le pou a été récemment avancée [68]. Michael McCormick, avec qui l’auteur a travaillé, a établi un lien étroit entre la diffusion du rat en Europe et la conquête romaine, l’énorme infrastructure liée au ravitaillement en céréales constituant un écosystème hautement favorable à sa prolifération et à sa propagation [69]. Comme l’écrit Kyle Harper, « l’Empire romain a préparé le paysage écologique pour la pandémie » (p. 304). Mais c’est très vraisemblablement une ultime mutation (peut-être de l’acide aminé 259) qui « transforme une bactérie dangereuse en une bactérie effroyable », et pourrait expliquer son « nouveau caractère explosif » (p. 305).
44La troisième partie (« Le contexte global : le monde de Cosmas ») met en rapport le développement de la pandémie avec la globalisation des échanges et le changement climatique caractérisé par la mise en place du Petit âge glaciaire de l’Antiquité tardive. Le témoignage transmis dans sa Topographie chrétienne par Cosmas Indicopleustès, marchand syrien du vie siècle établi à Alexandrie, de son vrai nom Constantin d’Antioche, donne l’image d’un commerce globalisé qui met en relation la Méditerranée, l’Inde et la Chine par la mer Rouge, le golfe Persique et l’océan Indien. Ces échanges lointains, qui se sont développés dès le début de l’Empire, connaissent une recrudescence après un ralentissement au iiie siècle. Kyle Harper dresse un état de la documentation et des connaissances sur ce commerce cosmopolite, dont les acteurs étaient des marchands grecs, éthiopiens, arabes, perses et indiens. La soie et le poivre y occupaient une place importante, aux côtés d’autres marchandises comme l’ivoire, les aromates, l’aloès, les clous de girofle, le bois de santal, l’or et les esclaves. L’auteur insiste sur le « poids géopolitique » du commerce de la soie (p. 308). Une « opération d’espionnage industriel » (sic) conduite par des moines chrétiens aurait permis aux Byzantins de récupérer les secrets de fabrication chinois, et de s’affranchir ainsi d’une dépendance risquée à l’égard de l’intermédiaire perse [70]. La rivalité entre les Romains et les Perses se manifestait aussi pour le contrôle de la mer Rouge, par l’intermédiaire de leurs alliés respectifs : le royaume axumite d’Éthiopie et le royaume himyarite du sud de l’Arabie. On mesure ainsi à quel point cet axe maritime reliant la Méditerranée et l’océan Indien était devenu stratégique [71]. Péluse étant « le premier terminus du commerce de la mer Rouge » (p. 310), il n’est pas surprenant que ce soit aussi le point d’entrée de la peste en Méditerranée au cours de l’année 541, selon Procope. Car « les idées, les animaux, la monnaie et les métaux franchissaient les mers avec les germes dans leur sillage » (p. 310). Jean d’Éphèse prétend quant à lui que la peste arrivait « des régions au sud-est de l’Inde, de Koush, des Himyarites et d’autres ».
45Le facteur déclenchant de la pandémie serait toutefois un brusque refroidissement du climat, dont on retrouverait l’écho dans les sources écrites en 536, puis dans les années 540-541, selon Kyle Harper. Les années 530 et 540 auraient été, en effet, les décennies les plus froides de la fin de l’Holocène. Le refroidissement lié au Petit âge glaciaire de l’Antiquité tardive aurait été amplifié par le regain de l’activité volcanique constaté au cours des années 530 [72]. Or, il existe un lien étroit entre les événements climatiques extrêmes et les maladies infectieuses [73]. Le changement brutal du climat aurait pu affecter les habitats, les comportements et la physiologie des différents organismes vivants impliqués dans l’épidémie, en modifiant notamment la quantité de nourriture disponible, créant ainsi de nouvelles chaînes de transmission bactérienne. L’humidification du climat, sous l’effet d’un régime négatif de l’ONA, a pu également favoriser la prolifération des rongeurs, en augmentant la croissance végétale. En outre, le refroidissement général a pu faciliter la propagation des germes par les puces, qui sont très sensibles aux excès de températures, en ouvrant « les portes d’un passage vers le Sud […] le long de la Côte des épices », à la faveur d’étés modérés.
46La quatrième partie (« La race humaine près d’être annihilée ») analyse la propagation et les effets de la pandémie. Procope de Césarée et Jean d’Éphèse fournissent deux témoignages essentiels à partir de points de vue diamétralement opposés, ce qui donne d’autant plus de poids aux éléments convergents. Tous deux rendent compte du caractère foudroyant de la maladie qui, à la différence de la variole, était en revanche faiblement transmissible d’humain à humain. L’épidémie ne fait pas de discrimination sociale et touche tout le monde. Le fait que les pauvres meurent en premier et l’absence de surmortalité chez les soignants sont à relier au rôle central de la puce dans la transmission du bacille. Le taux de mortalité des personnes contaminées avoisine 80 %, et les rares survivants gardaient de lourdes séquelles. La période d’incubation dure de trois à cinq jours, et les symptômes autant, mais des cas de septicémie foudroyante sans aucun symptôme sont avérés. La combinaison des sources permet également de retracer les voies de la propagation de la pandémie, dont les vecteurs sont les rats infectés. Depuis Péluse, l’épidémie a suivi deux grands circuits : vers l’ouest par Alexandrie et vers l’est par la Palestine, la Syrie, la Mésopotamie et l’Asie mineure. Deux modes de diffusion sont observés : un mode rapide par la voie maritime et un mode plus lent par les voies terrestres et fluviales. Fin février 542, la peste parvient à Constantinople, où elle sévit quatre mois durant, tuant 250 000 à 300 000 personnes, soit 50 à 60 % des habitants, avec des pics à 16 000 morts par jour [74]. La pandémie ravage tout l’Empire et frappe bien au-delà, notamment les Perses. Les villes d’Orient sont particulièrement touchées, Alexandrie tout spécialement. Pour la Gaule, le témoignage de Grégoire de Tours permet de suivre la progression de cette première vague, qui arrive en Arles en 543 et atteint la Manche l’année suivante, mais aurait épargné Clermont. À la différence de la variole au iie siècle, qui a touché surtout les villes, la peste bubonique frappe aussi les campagnes, d’où son niveau exceptionnel de létalité, le déficit de main d’œuvre étant en outre à l’origine de pénuries alimentaires et de famines, qui compromettent la résilience des populations rurales comme urbaines. Michael McCormick s’est attaché à dresser la liste des sites archéologiques et des fosses communes en relation avec la peste (il en recense 85) [75]. L’adn extrait des squelettes présents dans les inhumations collectives du cimetière du modeste village d’Aschheim, en Haute-Bavière, prouve que les victimes avaient été infectées par Y. pestis au milieu du vie siècle [76]. Selon Kyle Harper, le taux de mortalité par rapport à la population totale peut être estimé à 50 %, soit un ordre de grandeur comparable à l’impact de la peste noire médiévale (40 à 60 %). La lourdeur de ce bilan s’explique selon lui par la « fragilité de la population romaine sur le point d’accueillir la première pandémie » (p. 328) : le choc climatique, en diminuant les réserves alimentaires et en créant un environnement insalubre, aurait amoindri ses défenses immunitaires. L’auteur dresse enfin un bilan des conséquences de la pandémie : bouleversement des modes de vie, anarchie du système bancaire, ruine du crédit et de la transmission des héritages, crise de l’activité de construction, arrêt du programme de réformes de Justinien, crise fiscale, monétaire et militaire sans précédent. Dans une longue note (p. 463-464, note 75), Kyle Harper critique le point de vue, qu’il juge excessivement minimaliste, de certains spécialistes de cette période, tels que Jean Durliat [77] et Chris Wickham [78], et conclut à un « changement culturel brutal » [79].
47La partie suivante (« Deux siècles de mort : la pérennité de la peste ») s’intéresse aux recrudescences [80] qui ont suivi la première vague de cette pandémie jusqu’à sa dernière manifestation en 749. Plusieurs points méritent d’être soulignés. Le premier tient aux facteurs susceptibles d’expliquer une telle pérennité : outre ceux qui ont été évoqués plus haut (notamment le climat, la mondialisation et les caractéristiques épidémiologiques de Y. pestis), Kyle Harper en évoque deux autres, qui sont intimement liés : d’une part, le fait que l’immunisation des malades n’était que partielle et temporaire, d’autre part, le maintien de petits réservoirs de germes chez un grand nombre de rongeurs. Ces facteurs expliquent que « la première pandémie n’a pas été un big-bang mais une série d’explosions en chaîne étalées sur deux siècles » (p. 332). Dans l’annexe B, l’auteur recense 38 épisodes de recrudescence d’ampleur variable entre 558 et 749, certains demeurant « locaux et transitoires » (p. 333), d’autres prenant « une grande ampleur », notamment dans les années 599-600, puis dans les années 740, au cours desquelles la pandémie connaît une expansion et une violence inégalées depuis la première vague. Il est amené à remettre en question le concept de « vagues d’épidémies » [81] car, s’il y a bien eu une première vague consécutive de l’introduction, depuis l’extérieur, de Y. pestis en Méditerranée, les recrudescences qui suivent proviennent de l’intérieur et suivent un schéma « plus complexe et asymétrique » (p. 333). Un autre constat digne d’intérêt concerne le rôle joué par la capitale de l’Empire byzantin dans la diffusion de la pandémie : jusqu’en 620, ce rôle est central car Constantinople est le centre névralgique d’un vaste réseau de connexions en Méditerranée orientale mais aussi occidentale [82] ; après cette date, il tend à s’effacer et, à partir du milieu du viie siècle, il devient « marginal et passif dans l’épidémiologie de la pandémie » (p. 335) [83]. Ce lien entre degré de connectivité, nombre et intensité des recrudescences s’observe à l’échelle du monde méditerranéen durant toute la période. Il explique que la Syrie ait été un foyer épidémique permanent, le Levant étant un nœud de communications et une zone de dynamisme économique. Les raisons de l’arrêt soudain de la pandémie après l’acmé des années 740 restent largement mystérieuses. L’auteur invoque le nouvel ordre mondial, les « dynamiques cachées des populations de rongeurs » (p. 342) et le réchauffement climatique qui, à partir du viiie siècle, succède au Petit âge glaciaire de l’Antiquité tardive. Il est légitime de penser qu’une forme de « démondialisation », caractérisée par la segmentation des connections, n’est pas pour rien dans ce reflux.
48La dernière partie (« Vers la fin du monde ») conclut au rôle décisif joué par la combinaison de la peste et du changement climatique dans l’achèvement d’un cycle pluriséculaire d’expansion démographique et économique. Kyle Harper note que ce sont deux pandémies de peste issues de la même souche virale qui ont marqué la fin du monde antique et celle du monde médiéval, et constitué plus largement des tournants de l’histoire humaine [84].
Segmentation de l’Empire et résilience différenciée face aux changements environnementaux
49Le chapitre 7, intitulé Le jour du jugement dernier, revient sur les changements environnementaux de l’Antiquité tardive et leurs implications socio-économiques et géopolitiques à moyen et long terme. La première partie (« Le monde de Grégoire le Grand ») replace la pensée eschatologique du pape et l’apparition d’un état d’esprit apocalyptique dans le contexte historique et environnemental de la fin du vie siècle [85]. Kyle Harper observe que, plus généralement, les trois crises environnementales de l’Antiquité ont coïncidé avec des tournants dans la spiritualité [86].
50La deuxième partie (« La comète de l’âge glaciaire ») revient en détail sur l’évolution du climat. Le Petit âge glaciaire de l’Antiquité tardive, qui caractérise la période comprise entre 530 et 680 [87], résulte de la conjonction de deux facteurs naturels [88] : un cycle de baisse du rayonnement solaire aux vie et viie siècles, qui atteint son plus faible niveau à la fin du viie siècle [89], et une intensification de l’activité volcanique, marquée par une suite d’éruptions, sans équivalent à l’Holocène, dans les années 530-540 [90]. En créant un filtre réfléchissant, les aérosols sulfurés massivement émis dans l’atmosphère accentuent l’effet de la perte de chaleur reçue du Soleil par la Terre. La température moyenne chute de plusieurs degrés. Les glaciers atteignent leur extension maximale au début du viie siècle. L’effet cumulé des deux phénomènes explique que la décennie 536-545 ait été la plus froide des deux derniers millénaires. L’année 536, la plus froide de toutes, coïncide avec une gigantesque éruption dans l’hémisphère nord, dont les effets (année sans été, obscurcissement du ciel) se retrouveraient, selon l’auteur, chez Procope, Jean d’Éphèse, Jean le Lydien et Cassiodore, mais également dans les annales irlandaises et les chroniques chinoises [91]. Les répercussions de ce refroidissement général auraient été particulièrement fortes sur les récoltes et sur la propagation du bacille de la peste. Mais ses effets auraient été localement très diversifiés, du fait de la grande variabilité géographique des régimes d’humidité. Depuis le milieu du ve siècle, l’inversion de l’ONA (qui devient négative) est en effet à l’origine d’une plus grande pluviosité en Sicile, en Italie et en Anatolie, tandis que l’Afrique et le Levant connaissent une accentuation de la sécheresse [92]. Kyle Harper propose de replacer les grands travaux hydrauliques entrepris par Justinien dans ce contexte climatique, à la fois plus froid et plus humide.
51La troisième partie (« Trajectoires finales : zones de déclin, zones de vitalité ») dresse un bilan des dynamiques régionales. L’auteur rejette l’idée d’un effondrement brutal de l’Empire, dont la capacité de résilience peut s’appuyer sur son organisation en réseau connectant le centre avec les zones les plus dynamiques [93]. Mais il souligne l’importance de l’arrière-fond constitué par l’environnement physique et la démographie, qui conditionnent largement les grandes tendances des changements en profondeur. D’une manière générale, on peut opposer l’Occident, où la récession est plus précoce et plus forte, à un Orient plus dynamique et plus résilient. Mais les situations régionales sont complexes. En Occident, on peut distinguer trois cas de figure, qui mettent en lumière une sectorisation de plus en plus forte de l’espace : – les régions où le déclin des villes et des échanges s’opère dès la fin du ve siècle (îles Britanniques, Gaule du Nord) ; – les régions où l’ordre ancien se maintient jusqu’au milieu du vie siècle (Espagne, Gaule du Sud, Italie) ; – l’Afrique du Nord, où la conquête vandale n’introduit pas de rupture, et où les ive et ve siècles correspondent à un pic de peuplement et de prospérité économique, qui se prolonge durant tout le vie siècle. En Méditerranée orientale, les ve et vie siècles se caractérisent par une croissance accélérée, qui se maintient jusqu’au milieu du vie siècle en Grèce, en Macédoine et en Anatolie, jusqu’à la fin du vie siècle en Syrie, en Palestine et en Égypte [94]. Le sud du Levant apparaît comme la partie la plus résiliente de l’ancien monde méditerranéen, malgré l’aridification du climat. Alexandrie demeure une plaque tournante des échanges en Méditerranée orientale jusqu’au début du viie siècle. Et l’auteur rappelle que l’Église est un acteur omniprésent dans les circuits commerciaux, notamment maritimes [95].
52La partie suivante (« La faillite de l’Empire ») se recentre sur le cœur du système impérial, depuis les ultimes années du règne de Justinien jusqu’à la mort du dernier empereur, Héraclius, en 641. L’une des causes de la faillite de l’Empire byzantin aurait résidé, selon l’auteur, dans « la spirale du déclin entre les forces militaires et les ressources fiscales » (p. 377), toutes deux mises à mal par l’hémorragie démographique.
53La dernière partie (« L’heure était venue. Le monde de Mohammed ») met l’accent sur la dimension religieuse et idéologique de la crise. L’effroi et le désespoir collectif suscités par la mortalité de masse et par le sentiment d’une époque au bord de l’effondrement, expliqueraient la nouvelle dimension eschatologique et apocalyptique présente tant chez les chrétiens que les juifs et les musulmans [96]. Kyle Harper aborde tour à tour les grands rituels propitiatoires que constituent les rogations liturgiques, la remise en cause du rapport aux choses matérielles, la question du péché et de la repentance, le développement du culte marial. Il souligne la dimension religieuse de la guerre entre les Romains et les Perses au début du viie siècle, et compare le choc moral causé par la prise de Jérusalem en 614 avec le traumatisme produit deux siècles auparavant par le sac de Rome. C’est à la faveur de cette guerre sanglante que s’opère l’expansion arabe qui, dans les années 630-640, entraîne le démembrement de l’Empire, dont les territoires les plus dynamiques (Égypte, Palestine, Syrie) sont détachés de leur centre nerveux, Constantinople. L’auteur insiste sur le fait que « les Arabes n’étaient pas des étrangers » (p. 391), intégrés qu’ils étaient depuis longtemps dans les réseaux économiques et géopolitiques des grandes puissances. Il souligne l’influence des éléments apocalyptiques et du monothéisme impérial de l’Antiquité tardive sur l’émergence de l’Islam (p. 391 et note 89). La conquête arabe a pour conséquence de couper la Méditerranée en deux, de réduire l’Empire romain à l’État croupion byzantin, et de faire basculer vers l’est « le cœur et le carrefour de la civilisation » (p. 394) [97].
« La revanche de la nature ? »
54L’ouvrage se termine par un épilogue intitulé : Le triomphe de l’humanité ?, qui débute par une réflexion autour de la pensée de Malthus, selon lequel les sociétés humaines dépendent de leurs fondements écologiques. Kyle Harper rappelle que les grandes étapes de l’histoire – comme le Néolithique et la Révolution industrielle – ont été marquées par des « révolutions énergétiques » (p. 398). L’Empire romain n’échappe pas à ce constat. Mais, contrairement à ce que Malthus pensait, les modalités et les conséquences de ces révolutions ont été très différentes. Avec la Révolution industrielle, « l’humanité a inventé une autre révolution énergétique d’une envergure encore plus considérable » (p. 398) qui, combinée aux progrès de l’hygiène et de la connaissance des microbes, a permis une explosion démographique exponentielle. Or, si « la modernité s’est construite sur une rupture énergétique particulière, […] il y a eu des périodes prémonitoires, et l’Empire romain en fut une » (p. 399). Une des thèses centrales de l’ouvrage réside dans le postulat selon lequel « les économies préindustrielles étaient élastiques » et « les “oscillations” de la théorie malthusienne pouvaient se poursuivre sur de très longues périodes ». L’époque romaine correspondrait précisément à un « cycle long » de « véritable croissance intensive » [98].
55Kyle Harper précise ensuite le rôle de la nature, « qui crée les “moyens de subsistance” grâce auxquels les sociétés prémodernes se nourrissent » (p. 399), en conditionnant les performances de l’agriculture. Or la nature est « tout sauf un arrière-fond statique ». Dans l’optique énergétique qui est la sienne, l’auteur souligne le rôle crucial du rayonnement solaire et du volcanisme, qui modulent la quantité d’énergie reçue par la Terre. À l’échelle humaine, leurs cycles sont chaotiques et donc imprévisibles [99], et par conséquent « les limites énergétiques des sociétés préindustrielles étaient changeantes et évolutives » (p. 400). Mais Kyle Harper considère que les épidémies ont joué un rôle plus important encore dans la régulation démographique que les « contraintes écologiques liées à la source d’énergie constituée par les végétaux ». Or l’impact des agents infectieux sur la mortalité n’est pas exclusivement conditionné par l’état nutritionnel des populations, car les microbes « appartiennent aux évolutions de long terme, à une écologie totale de la Terre au sein de laquelle notre espèce est en compétition ou coopère avec d’autres, y compris des êtres invisibles ».
56Ce constat, qui oblige à relativiser les postulats malthusiens, invite aussi à repenser le rôle de l’époque romaine par rapport au concept d’Anthropocène, et par rapport à l’émergence même de cette nouvelle ère de l’histoire de la Terre. Caractérisé par la démultiplication de l’impact des activités humaines sur les « systèmes physique et biologique de la planète » (p. 401), l’Anthropocène est à l’origine d’une accélération du changement climatique et d’une modification des règles de l’évolution biologique, la capacité biologique adaptative des espèces vivantes dépendant de plus en plus de leur « compatibilité avec l’entreprise humaine ». Or, « la croissance du nombre des humains a également changé les règles du jeu pour les microbes qui se partagent la planète Terre » depuis 3,5 milliards d’années. Kyle Harper insiste sur l’interaction croissante entre l’évolution microbienne et l’histoire humaine. La surpopulation et son impact sur les paysages ont donné naissance à une écologie d’un type radicalement nouveau, susceptible de générer des mutations imprévisibles et potentiellement destructrices pour l’humanité. La multiplication des maladies émergentes est à l’origine d’une prise de conscience de ces dynamiques. Les « futures avancées en génomique microbienne » permettront de prendre davantage de recul, en jetant les fondations d’une « histoire des agents pathogènes » (p. 402). De ce point de vue, « Rome est presque inévitablement un miroir et un instrument de mesure » (p. 403). Mais « il ne faut pas faire de son cas l’illustration d’une civilisation morte. L’expérience romaine est bien plus importante en tant qu’épisode d’une histoire en cours. Loin d’être le point final d’un ancien monde irrémédiablement perdu, la rencontre romaine avec la nature pourrait constituer le premier acte d’un nouveau drame qui n’est pas terminé. Un monde précocement global, où la revanche de la nature commence à se faire sentir malgré l’illusion persistante de la maîtrise… ».
Discussion
57On l’aura compris, l’ouvrage de Kyle Harper est foisonnant d’idées, de données et de pistes de réflexion, et sa lecture est stimulante à plus d’un titre. La solide érudition de son auteur, dont témoigne l’ampleur du catalogue des sources et de la bibliographie (très largement anglophone, mais pas exclusivement), n’est pas incompatible avec un sens aigu de la formule, souvent provocatrice, les expressions lapidaires ou délibérément anachroniques témoignant tout autant d’un souci didactique (comparatisme oblige) que d’un solide sens de l’humour [100]. Kyle Harper a assurément le talent de rendre accessibles les choses complexes, tout en respectant la diversité des points de vue. L’ampleur de l’apparat critique autorise une lecture à plusieurs niveaux, qui rend bien compte des incertitudes et des débats passés ou en cours. L’auteur réussit ainsi le tour de force de s’adresser à un double public de spécialistes et d’amateurs éclairés. À maints égards, ce livre constitue déjà un précieux outil sur le plan conceptuel, méthodologique, chronologique et bibliographique. Il propose une périodisation de l’Antiquité tardive fondée sur une succession de phases cohérentes du point de vue socio-environnemental. Il donne accès, pour le lecteur francophone, à une riche bibliographie anglo-saxonne sur des sujets variés. Enfin, il livre une réflexion approfondie sur les mécanismes d’interaction entre les phénomènes environnementaux et sociaux.
58Les apports de cet ouvrage sont innombrables. Les plus importants ont été énumérés plus haut. L’auteur propose une lecture problématisée d’une période de l’histoire couvrant sept siècles, à travers une double grille d’analyse – climatique et épidémiologique –, dans une perspective d’histoire globale, soucieuse de replacer les phénomènes étudiés à la bonne échelle de temps et d’espace, tout en dépassant la pure description, en tentant d’éclairer autant que possible les processus en jeu. Si, bien sûr, le climat et les épidémies ne sont pas des objets totalement nouveaux pour les historiens, cette tentative de relier les deux dans une perspective de longue durée est inédite et originale. Dans chacun de ces domaines (comme dans bien d’autres, d’ailleurs), l’apport de Kyle Harper est réel. Concernant le domaine épidémiologique, cet ouvrage constitue désormais le catalogue le plus complet des données relatives aux pestes d’Antonin et de Cyprien, à propos desquelles il rassemble la totalité des sources écrites pour l’ensemble de l’Empire. Pour le domaine climatique, il brosse un tableau qui, s’il n’est pas exhaustif, eu égard à la complexité du sujet et des débats en cours, permet au lecteur d’avoir une vue d’ensemble suffisamment précise des enjeux, des recherches et de la bibliographie.
59Mais l’ouvrage ne se limite pas à un catalogue. Son grand mérite est de replacer les données physiques et biologiques dans leur contexte historique, avec beaucoup de finesse et d’ingéniosité. Les épidémies, par exemple, sont abordées dans une triple perspective : – une perspective biologique, qui renvoie à l’histoire phylogénétique, microbiologique et épidémiologique des agents pathogènes ; – une perspective éco-historique, qui ouvre sur une histoire de la santé, des maladies et plus largement de la démographie à Rome ; – une histoire politique, socio-économique et culturelle, à travers l’analyse des effets des pandémies. De même, Kyle Harper essaie de tracer des lignes de connexion entre la variabilité climatique et l’histoire des sociétés, en identifiant plusieurs « passerelles ». L’impact du changement climatique sur la productivité agricole est envisagé sous l’angle d’un modèle énergétique. Ainsi les températures plus chaudes de l’Optimum climatique romain auraient-elles favorisé l’amélioration des rendements agricoles, dont les performances dépendaient également d’un régime de précipitations beaucoup plus sectorisé du point de vue géographique. L’auteur explore également la piste des liens possibles entre perturbations climatiques et déclenchement des processus écologiques à l’origine des épidémies. Il envisage notamment un rapport entre climat et paludisme, question qui doit prendre aussi en considération les aménagements hydrauliques. Ces relations complexes entre climat, agriculture et santé invitent à repenser les liens entre démographie et environnement.
60Sur tous ces points, l’apport le plus personnel de Kyle Harper réside dans sa capacité à proposer un modèle d’intégration des données dans un système interprétatif cohérent et ouvert, susceptible de s’enrichir et d’évoluer en fonction de l’avancement de la recherche dans les différents champs disciplinaires concernés. J’ai qualifié à plusieurs reprises cette démarche de systémique, car elle porte l’accent sur les relations, les interactions et les dynamiques. L’auteur met tout particulièrement en relief l’impact des événements extrêmes (comme les sécheresses), les effets cumulés liés aux répétitions ou aux synergies entre plusieurs facteurs dans la mise sous tension des systèmes socio-environnementaux. Il aborde la réaction des sociétés en examinant les formes de résilience à différentes échelles, des stratégies locales d’adaptation jusqu’aux politiques impériales en matière d’aménagement.
61Ce constat rend assez incompréhensible l’une des principales critiques formulées par les détracteurs de l’ouvrage, qui la résument ainsi : « Harper, c’est l’histoire sans intervention humaine, sauf au sens le plus large, comme “société” » [traduction] [101]. Ceux-ci estiment que l’auteur attribue aux facteurs environnementaux un rôle surdéterminant par rapport aux facteurs d’ordre politique, socio-économique et culturel, qui, selon eux, ne seraient pas suffisamment intégrés dans les chaînes causales. Pire, cette hiérarchisation des priorités causales ne reposerait sur aucun fondement scientifique, et conduirait l’auteur à des positions « maximalistes » et « catastrophistes ». Cette double accusation de déterminisme et de réductionnisme n’est, selon moi, pas recevable. Si l’écueil de toute histoire environnementale est le déterminisme, ou son inverse, un possibilisme niant ou sous-estimant le rôle du milieu dans l’histoire des sociétés, alors on peut affirmer sans hésiter que Kyle Harper sait trouver le juste équilibre entre ces positions extrêmes [102]. Sa démarche, toujours soucieuse de rendre compte de la complexité des processus socio-environnementaux, y parvient notamment en recourant aux concepts d’« arrière-fond » et de « capacité de résilience ». Le premier, emprunté à Bruce Campbell [103], lui permet d’envisager le rôle du climat comme un facteur plus contraignant que déterminant. Le second lui fournit un cadre adapté pour appréhender les réponses sociétales aux changements environnementaux. Or, comme le rappelle Kyle Harper dans sa réponse [104], la moitié de chacun des sept chapitres de l’ouvrage est consacrée aux structures et aux transformations de l’État impérial et de la société romaine, et notamment au rôle de l’administration, de l’appareil militaire et fiscal, des fondements agraires et démographiques de l’économie et de la société, et même aux systèmes de croyances. Loin d’appliquer mécaniquement une grille d’analyse préformatée, il montre au contraire à quel point les crises successives de l’Empire ont des causes et des modalités spécifiques.
62L’auteur est toujours sensible aux contextes, aux dynamiques et à la diversité des situations régionales, qui sont analysées sous l’angle de leurs trajectoires. Dans cet esprit, les mini-portraits biographiques de nombreux personnages (Aelius Aristide, Galien de Pergame, Cyprien de Carthage, Mélanie la Jeune, Attila, Justinien, Procope de Césarée, Jean d’Éphèse, Cosmas Indicopleustès, Grégoire le Grand, Jean l’Aumônier, Jean Moschos, Sophrone de Jérusalem…) sont autant de moyens de saisir des contextes à partir de points de vue particuliers. Le plan de l’ouvrage lui-même permet à l’auteur de balayer chaque période sous différents angles – géographique, démographique, climatique, bactériologique, politique, économique, socio-culturel. Or il me semble que c’est précisément cette question de la multiplicité des points de vue qui cristallise l’opposition des détracteurs de l’ouvrage, et c’est plutôt à eux que l’on pourrait reprocher le réductionnisme d’un positivisme scientiste. À propos de l’Antiquité tardive, Kyle Harper a raison d’affirmer, dans sa réponse, qu’il ne veut pas avoir à choisir entre « un camp plus axé sur l’économie et l’archéologie, mettant l’accent sur le “déclin”, et un camp plus axé sur la culture/littérature/religion qui met l’accent sur la “transformation” », et de défendre « des modèles qui rendent compte de changements à grande échelle, sans que ceux-ci soient uniformes dans leur direction, déterministes dans leur structure, ou simplement lugubres dans leur jugement de la période » [traduction] [105]. L’histoire est, en effet, une affaire de point(s) de vue, et Kyle Harper est dans son rôle d’historien en proposant une grille de lecture incontestablement originale, qui éclaire d’un jour nouveau les transformations de l’Empire romain.
63Toute synthèse d’une telle amplitude a bien sûr des limites, et qui trop embrasse risque de mal étreindre [106]. De fait, l’ouvrage présente inévitablement les défauts d’une cote mal taillée entre la thèse et la synthèse, et fait le grand écart entre l’ambition de la « consilience » et l’impossibilité d’ordonner en système des données à la fois surabondantes, disparates et lacunaires. Une lecture climatologique ou épidémiologique des textes anciens ne va pas de soi [107]. Kyle Harper se heurte fréquemment au problème de la signification, de la représentativité et de l’articulation des sources. La maîtrise de l’interdisciplinarité est un autre défi, et plus encore l’intégration et la mise en perspective de données issues des géo/écosciences de l’environnement dans un discours historique centré sur les sociétés, les spatialités et les temporalités humaines. En définitive, la consilience apparaît plus comme un cadre conceptuel, voire un vœu pieux, que comme une pratique. La mise en système de données aussi diverses et hétérogènes est tributaire de multiples modèles théoriques, parmi lesquels il faut faire des choix. Kyle Harper expose ces modèles, mais il est parfois moins disert sur les raisons des choix qu’il opère. Son discours demeure largement fondé sur une conception très « classique » de l’histoire, élaborée principalement à partir des sources écrites, et illustrée, peut-être plus que nourrie, par l’apport des sciences dites « dures » et de l’archéologie.
64Cette dernière est d’ailleurs la grande absente de cet ouvrage, alors qu’elle a produit, au cours des dernières décennies, une masse vertigineuse de données éclairant, notamment, la diversité et la complexité des situations régionales [108]. Une meilleure prise en considération des données archéologiques relatives aux dynamiques de peuplement aurait assurément donné plus de vigueur et de nuance à ses analyses, qui pèchent souvent par leur caractère un peu général et schématique [109]. Sur un plan épistémologique, cette sous-utilisation des données archéologiques pose un sérieux problème, car, fondamentalement, seule l’archéologie est à même de documenter (potentiellement partout) les situations locales. L’une des faiblesses majeures de la consilience mise en œuvre par Kyle Harper réside bien là : un autre grand écart, entre l’apport des sources écrites et celui des sciences environnementales, alors que l’archéologie, par l’enracinement local des données qu’elle produit, peut fournir l’incontournable trait-d’union permettant d’articuler les différentes échelles, du global au local, en passant par le régional. Comment, autrement, appréhender les conséquences concrètes du changement climatique ou des épidémies sur le développement économique ou le peuplement d’un territoire, sans mobiliser les données de fouilles et de prospections ?
65Ce manque d’articulation pose le problème, plus aigu encore, des modèles de causalités socio-environnementales qui sous-tendent la réflexion de l’auteur. Dans le présent ouvrage, les relations de causalité entre plusieurs phénomènes (changement climatique, épidémie, démographie, économie…) sont le plus souvent déduites du constat de leur synchronie ou de leur succession dans le temps, la démonstration, nécessairement archéologique, restant à faire. Or ce mode de raisonnement de type analogique (on serait même tenté de dire « annalistique ») renvoie à une conception très événementielle de l’histoire. Adrien Delmas a souligné récemment les excès interprétatifs liés à la simultanéité en histoire globale, le constat de simultanéité étant souvent jugé suffisant pour démontrer des connexions [110]. Il rappelle que l’utilisation de la simultanéité comme figure explicative dans les récits historiques « constitue l’un des soucis les plus anciens de cette volonté d’embrasser l’ensemble du monde connu à un moment donné, et d’en proposer une histoire », et qu’on la trouve déjà chez Polybe et Eusèbe de Césarée. Dans sa réponse à ses détracteurs, Kyle Harper prouve qu’il est parfaitement conscient de ce problème, qui tient à l’incomplétude fondamentale de nos sources et à la complexité du monde [111]. Il considère, en opposition radicale à ses détracteurs, que « la bonne volonté nécessaire à l’élaboration de modèles de changement pourrait être bien servie si nous convenions tous d’un moratoire sur l’observation banale selon laquelle la corrélation n’est pas une causalité. À ce stade, il s’agit d’une vérité générique désespérée » [traduction]. Selon lui, « étant donné la nature des archives anciennes, nous n’arriverons probablement jamais à dépasser des modèles qui ne sont guère plus que les alignements les plus convaincants des preuves dont nous disposons » [traduction]. Il prône ainsi un « mode d’inférence probabiliste » [112] qui correspond au type de raisonnement que Philippe Leveau qualifie d’abductif [113]. Ce mode d’inférence, qui s’appuie sur des indices, des comparaisons et la constitution de séries, et recourt à des extrapolations qui sollicitent l’intuition et l’imagination du chercheur, ne peut pas être rejeté comme « non scientifique », car c’est ce « raisonnement par la meilleure explication » qui est « utilisé par les scientifiques dans le processus de découverte de connaissances nouvelles ». C’est aussi celui de l’archéologue, du médecin et du détective. Il est « précisément adapté à l’incertitude », et permet d’intégrer le doute et la probabilité [114].
66Si l’on en revient à la métaphore des « focales » utilisée par Kyle Harper dans son prologue (p. 36), force est de constater toutefois que la documentation qu’il mobilise l’enferme dans une échelle d’analyse très globale, dont il a du mal à sortir, et qui explique certainement un penchant excessivement moderniste – sa conception d’un vaste monde romain interconnecté étant comme une projection un peu abusive de la mondialisation actuelle [115]. Or le monde romain était aussi, et même avant tout, un patchwork, constat qui devrait inviter à penser autrement les notions de crise, de catastrophe, de déclin et d’effondrement. Même si l’auteur est sensible aux trajectoires régionales, son ambition d’histoire globale le pousse à concevoir le monde romain comme une « totalité systémique », dont la capacité de résilience oscille de manière un peu binaire et manichéenne entre unité et éclatement. Son analyse est sous-tendue par une conception non moins moderniste de l’économie antique, qui présuppose une « croissance intensive », en « opposition au paradigme malthusien » [116]. Cette perspective permet à l’auteur d’expliquer l’ampleur de la croissance démographique, la complexité du système impérial et son niveau élevé de connectivité [117]. Bien sûr, la discussion reste ouverte sur ces questions, qui renvoient à une historiographie que l’auteur n’ignore pas.
67À l’impossible nul n’est tenu, et l’on touche là aux limites de toute synthèse. L’ouvrage de Kyle Harper a le mérite de proposer un cadre historique, un modèle théorique et des perspectives euristiques qui, certes, restent largement à confronter au « réel archéologique », mais nourrissent déjà de riches discussions. Quel a vraiment été l’impact, à plus ou moins long terme, du climat et des épidémies sur le monde romain, et plus largement les sociétés anciennes ? À l’heure du réchauffement climatique et du Covid-19, avouons que cette interrogation ne peut être balayée d’un simple revers de main.
68Clermont-Ferrand, le 30 avril 2020
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Notes
-
[1]
Dans la préface de cette édition française, Benoît Rossignol rappelle le succès de l’ouvrage Effondrement de Jared Diamond (2006). Il cite également celui de Pablo Servigne et Raphaël Stevens (2015) Comment tout peut s’effondrer. Petit manuel de collapsologie à l’usage des générations présentes. On mentionnera aussi les ouvrages d’Eric H. Cline (2015) et de David Engels (2013), ainsi que celui de Jean-Paul Engélibert (2019) sur La puissance critique des fictions d’apocalypse. Rappelons que la collapsologie trouve ses origines dans la publication du « rapport Meadows ». Commandé par le Club de Rome en 1970, réalisé par des chercheurs du MIT et publié en 1972 sous le titre The Limits to Growth, celui-ci alertait sur les risques d’une croissance démographique et économique exponentielle, insoutenable, à terme, à l’échelle planétaire, tant du point de vue des ressources alimentaires et énergétiques disponibles que de la pollution engendrée (Meadowset al., 1972).
-
[2]
Gibbon, 1776-1788. Si Kyle Harper évoque « un épisode monumental de faillite d’État et de stagnation », c’est bien à Ian Morris (2010 ; 2013) qu’il rapporte l’idée selon laquelle « la chute de l’Empire romain constitue la plus grande régression de toute l’histoire humaine » (p. 47). Il résume un peu plus loin la perspective qui est la sienne : « La fin de l’Empire romain, telle qu’elle est présentée ici, n’a pas été un déclin continu débouchant sur une ruine inévitable, mais une longue histoire, pleine de détours et dépendant des circonstances au cours de laquelle une formation politique résiliente s’est maintenue et s’est réorganisée avec ses propres moyens avant de s’effondrer, d’abord en Occident puis en Orient. Les formes prises par le changement doivent toujours être présentées sous la forme d’une interaction hautement circonstancielle entre la nature, la démographie, l’économie, la politique et même, selon nous, quelque chose d’aussi éthéré et chimérique que les systèmes de croyance qui ont été sans cesse perturbés et redessinés au cours de ces siècles » (p. 58).
-
[3]
Voir par exemple la critique au vitriol publiée par Stéphane Ratti (2019) dans l’édition du journal Le Figaro en date du 9-10 mars 2019 sous le titre « Fin de l’Empire romain : la piste farfelue de la catastrophe climatique ». L’universitaire reproche à Kyle Harper une lecture insuffisamment rigoureuse doublée d’une surinterprétation des sources grecques et latines (notamment des passages de Cassiodore et Jean le Lydien), et de projeter sur la « supposée chute de l’Empire romain […] nos propres angoisses contemporaines ». À juste titre, il remarque que « la définition même d’un déclin de la civilisation de l’Antiquité tardive est la source d’innombrables difficultés ». Il caricature toutefois un peu vite le raisonnement de l’auteur. Voir également la note de lecture de Claude Aziza (2019), qui classe l’auteur dans la catégorie des tenants de l’effondrement de la civilisation romaine, ce qui ne l’empêche pas de voir dans cet ouvrage « un des livres les plus riches, les plus novateurs, malgré quelques tendances au spectaculaire et des affirmations qui demanderaient parfois d’être vérifiées par l’étude approfondie des textes ».
-
[4]
« Au cours de la période romaine, il y a eu un bond quantique en avant en matière de connectivité globale » (p. 56). Kyle Harper cite Walter Scheidel (2014, p. 7) : « De tous les empires d’un seul tenant de l’histoire prémoderne, seuls ceux des Mongols, des Incas et des tsars de Russie ont égalé ou dépassé l’amplitude nord-sud de la puissance romaine ». Il rappelle que « la domination de l’Empire s’étendait au nord au-delà du 56e parallèle, et s’enfonçait au sud en dessous du 24e N. » (p. 42). Sur la question de la mondialisation à l’époque romaine, l’auteur renvoie à l’introduction de l’ouvrage de Belichet al., dir. (2016) et à Pitts et Versluys, dir. (2015). Tout autant que ses dimensions, c’est le niveau d’intégration et la longévité de l’Empire qui frappent Kyle Harper (p. 34) : « À l’époque de Claudien, on trouvait de fiers Romains de la Syrie à l’Espagne, depuis les sables de la Haute-Égypte jusqu’aux frontières glaciales du nord de la Bretagne. Rares sont les Empires dans l’histoire qui ont atteint soit la taille géographique, soit le niveau d’intégration de la communauté romaine. Personne n’a réussi comme les Romains à combiner une telle unité à une telle échelle – sans mentionner la question de la longévité. Aucun autre Empire ne saurait se tourner vers un tel passé fait de siècles d’une grandeur ininterrompue ». Sur cette mondialisation romaine, voir aussi Inglebert, 2014, et Roman, 2016.
-
[5]
Harper, 2011.
-
[6]
Harper, 2013.
-
[7]
McCormicket al., 2012a.
-
[8]
Harper, 2015.
-
[9]
Harper, 2016.
-
[10]
Haldon et al., 2018a, 2018b et 2018c. Que Benoît Rossignol soit ici remercié de m’avoir fait part de cette polémique, et pour les échanges qui ont suivi.
-
[11]
Harper, 2018. Je remercie Kyle Harper pour les échanges que nous avons pu avoir à propos de cette polémique.
-
[12]
Braudel, 1949.
-
[13]
Lussault, 2007. À propos du Covid-19, M. Lussault écrit dans Espazium (2/04/2020) : « Le virus est un opérateur spatial. Il nous menace, mais il fait lien » (https://www.espazium.ch/fr/actualites/le-virus-est-un-operateur-spatial-il-nous-menace-mais-il-fait-lien). Les « opérateurs non humains » sont à rapprocher du concept d’« actants » promu par le sociologue Bruno Latour (1994). Sur les temporalités multiples, voir Horden et Purcell, 2000.
-
[14]
Péguy, 1986 ; Leveau, à paraître.
-
[15]
On retrouve cette idée dans le titre de l’ouvrage : Les Fleuves ont une histoire (Bravard et Magny, dir., 2002). Rappelons que la reconstitution des variations de l’intensité du rayonnement solaire est fondée sur la mesure de la concentration des radionucléides cosmogéniques à vie longue, tels que le Carbone-14 (14C) et le Béryllium-10 (10Be), dans les carottes de glace et les cernes d’arbres (Delaygue et Bard, 2011). Sur l’impact climatique de la variabilité de l’activité solaire, voir Ermolliet al., 2013.
-
[16]
Rappelons que, selon l’OMS, on parle de pandémie en cas de propagation mondiale d’une nouvelle maladie. « Alors qu’une “épidémie” est une flambée de maladie infectieuse d’ampleur locale ou régionale, le terme “pandémie” est généralement réservé aux événements de mortalité ayant un impact interrégional (par exemple, à l’échelle continentale) » [traduction] (Harper, 2018, p. 2).
-
[17]
On pourrait évoquer également la peste noire au milieu du xive siècle ou la grippe espagnole en 1918-1919, toutes deux marquant aussi la fin d’un cycle de mondialisation.
-
[18]
Dans leur critique, Haldonet al., 2018, dénoncent l’insuffisante prise en compte des situations locales et régionales et, d’une manière plus générale, celle des données archéologiques susceptibles de les documenter. Voir la réponse de Harper (2018, p. 11-12), qui conclut précisément sur cette question sensible, en soulignant la nécessité de construire des modèles globaux pour interpréter les données locales issues de l’archéologie et des études paléoenvironnementales.
-
[19]
Il ne faut pas s’en tenir à certaines formulations faciles, voire à l’emporte-pièce, par exemple : « À des échelles que les Romains n’auraient pas été capables de comprendre voire d’imaginer – du microscopique au global – la chute de l’Empire a été le triomphe de la nature sur les ambitions humaines » (p. 37). Ou encore, plus savoureux : « Les germes ont été bien plus mortels que les Germains » (p. 55).
-
[20]
Dans la partie intitulée « Une planète instable », l’auteur estime « fausse » et « trompeuse » l’idée très généralement répandue chez les historiens du monde romain « qui considère l’environnement comme un arrière-plan stable, inerte », car les « systèmes physiques et biologiques » de la Terre « sont un cadre en changement permanent » (p. 49). La notion d’arrière-plan ou d’arrière-fond empruntée à Bruce Campbell (2016) occupe une place importante dans son raisonnement.
-
[21]
Febvre, 1922.
-
[22]
Wilson, 1998.
-
[23]
McCormick, 2011.
-
[24]
Izdebskiet al., 2016.
-
[25]
Jollivet, dir., 1992.
-
[26]
Claud., De Consulatu Stilichonis, 3, 130-173.
-
[27]
Sur la lucidité des contemporains face au destin de Rome autour de l’an 400, voir Zarini, 1999.
-
[28]
Sur ce concept, voir Scheidel, dir., 2015 ; Scheidel, 2015.
-
[29]
Les bases de ces estimations démographiques communément admises demeurent hautement discutables.
-
[30]
Cette périodisation est critiquée par Haldonet al. (2018a, p. 4), qui considèrent que ce genre de phasage chrono-climatique est aujourd’hui désuet car trop simpliste, et que la phase intermédiaire est une invention pure et simple de l’auteur, donnant l’image d’une dégradation continue du climat antique parallèle à un prétendu déclin de l’Empire. Voir la réponse très argumentée de Harper (2018, p. 8-9), pour qui la « période de transition tardo-antique » (Late Roman Transitional Period) est une catégorie d’attente.
-
[31]
L’idée d’un lien entre changement climatique et migrations de population n’est évidemment pas nouvelle. Voir, par exemple, Teggart, 1939 et, bien sûr, Demougeot, 1969.
-
[32]
L’auteur souligne, en outre, le fait que l’étirement nord-sud de l’Empire romain l’exposait à un gradient de biodiversité exceptionnel, notamment du point de vue des micro-organismes potentiellement pathogènes.
-
[33]
Cet objectif n’est pas toujours atteint selon Haldonet al. (2018a ; 2018b ; 2018c), qui reprochent à l’auteur un déterminisme simpliste, ce qui, à mon avis, est une critique injuste (cf. infra). L’ouvrage tout entier témoigne au contraire du souci qu’a l’auteur de prendre en compte la complexité des phénomènes socio-environnementaux, dans une perspective systémique.
-
[34]
« Le paradigme de la résilience nous permet de comprendre pourquoi la réaction du système à une cause extérieure est non linéaire ; des mécanismes de rétrocontrôle, des seuils critiques et des changements opérationnels sur différentes échelles de temps faisaient qu’une sécheresse pouvait avoir des effets invisibles, alors qu’une autre exactement de la même ampleur peut sembler avoir fait basculer la société dans une catastrophe irréversible » (p. 102).
-
[35]
Cette estimation « basse » proposée par l’auteur (p. 179) correspond à un taux de mortalité de 10 %, les taux de décès avancés dans la bibliographie étant compris entre 10 et 20 %, voire 22 à 24 % selon Y. Zelener (2012). Sur cette « crise multifactorielle », voir Rossignol, 2012, et notamment son schéma conceptuel p. 144, fig. 2.
-
[36]
« La machine fiscale sous-jacente à l’hégémonie militaire constituait le système métabolique de base de l’Empire » (p. 68).
-
[37]
« L’Empire romain a certainement été la plus puissante et la plus étendue de ces vagues d’expansion, avant les expériences sans précédent qui caractérisent la modernité » (p. 80).
-
[38]
Il n’hésite pas à évoquer un « âge d’or commercial » (p. 80) et une « révolution technique à bas bruit » (p. 78), fondée non pas sur des percées technologiques mais sur « la diffusion de progrès techniques à large échelle ». Concernant les techniques, le discours reste très général et approximatif, voire erroné à propos de prétendues « meilleures charrues » (p. 77) et d’« un nouveau type de moissonneuse venu de Gaule » (p. 78).
-
[39]
Il fournit sur ce thème une utile bibliographie. On mentionnera notamment Lionello, dir., 2012 ; Manning, 2013 ; McCormicket al., 2012a ; 2012b ; Harper et McCormick, 2018. Haldonet al. (2018a, p. 5-6) estiment que Kyle Harper ne prend pas suffisamment en considération la variabilité régionale et temporelle de l’OCR, pourtant soulignée par Robertset al., 2012, dont les données sont reprises par Labuhnet al., 2018. Ils critiquent l’interprétation que fait l’auteur des crues du Tibre, dont le régime hydrologique est, selon eux, trop fortement anthropisé pour avoir une signification climatique, qui plus est extrapolable à une échelle géographique globale (Haldonet al., 2018a, p. 6-7). Enfin, ils récusent longuement l’interprétation pluviométrique des données fournies par le géographe Ptolémée, dont le texte pose selon eux des problèmes de traduction, de datation et de sens complètement ignorés par l’auteur, qui en ferait une lecture de quatrième main (Haldonet al., 2018a, p. 7-10). Sur le premier point, l’auteur rappelle à juste titre dans sa réponse qu’il est parfaitement conscient de la variabilité et de la complexité hydro-climatique en Méditerranée, et que les travaux de Labuhnet al., 2018, ne contredisent pas son schéma général (Harper, 2018, p. 8-9). Il attire l’attention sur la nécessité d’obtenir de nouveaux indicateurs de précipitation à haute résolution pour la partie centrale de la Méditerranée. À propos des crues estivales du Tibre, il maintient que ce phénomène ne résulte ni d’un effet de source, si d’interférences anthropiques, et qu’il a donc bien une signification climatique (ibid., p. 9). Quant aux critiques formulées à propos de son interprétation des Parapegmata de Ptolémée, il les admet volontiers (ibid., p. 1).
-
[40]
McNeill, 1976.
-
[41]
« En bref, la nature est un réservoir rempli de germes et de nouveaux adversaires en puissance, et les mutations génétiques sont constamment à l’origine de dangereuses expériences moléculaires » (p. 123). « L’écologie et l’évolution sont le moteur de l’histoire des maladies infectieuses » (p. 124).
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[42]
« L’échelle des transformations environnementales sous domination romaine constitue le développement écologique le plus grand ayant jamais eu lieu entre le Néolithique et la révolution industrielle » (p. 125).
-
[43]
On peine un peu ici à suivre le raisonnement de l’auteur (p. 157-158). Quels sont les arguments pour situer en Afrique orientale plutôt qu’en Arabie ou sur les bords de l’océan Indien l’origine de la pandémie ? Pourquoi évacuer d’emblée l’inscription en écriture sabéenne de la région de Qaran, datée d’environ 160, évoquant une pestilence qui aurait ravagé la ville de Garw et tout le territoire quatre ans plus tôt, et qui fait écho à l’épidémie qui aurait éclaté en Arabie sous le règne d’Antonin (Historia Augusta, Antoninus Pius, 9, 4) ?
-
[44]
Cf. supra, note 35.
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[45]
À propos de l’impact de la peste antonine, Haldonet al. (2018b, p. 2-4) reprochent à l’auteur, dans un long argumentaire, de s’aligner sur la position maximaliste de Duncan-Jones (1996) et de Scheidel (2002), qui est aussi celle de Lo Cascio (2012), et d’escamoter les éléments d’un débat particulièrement animé. C’est lui faire là un mauvais procès, comme en témoigne la note 87 de la page 176 injustement incriminée, dans laquelle Kyle Harper fait état de « l’approche sceptique » de Brauun (2003 ; 2007 ; 2012). Non sans une certaine dose de mauvaise foi, ses détracteurs considèrent que les défaites militaires et les rebellions des années 160-170, de même que le changement climatique abrupt et les crises de subsistance, auraient joué un rôle dans la crise. Ils lui opposent les positions minimalistes de Gilliam (1961) et Salmon (1974). ContraDuncan-Jones, 1996, ils mettent en avant les critiques formulées par Greenberg, 2003. ContraScheidel, 2002, les réserves émises par Bagnall, 2002. Ils citent des travaux sur les enregistrements des émissions de plomb récemment acquis dans les carottes du Groenland, mais sans préciser que ceux-ci vont clairement dans le sens de Kyle Harper, si tant est que les corrélations établies entre pollutions atmosphériques et événements historiques soient admises : « The Antonine plague marked the turning point between high levels of lead-silver production during the Roman Empire period and much lower levels observed from the mid-second century until the mid-eighth century. The plague disrupted mining through high mortality in, and flight from, mining regions, and reduced demand through population loss » (McConnellet al., 2018, p. 5728). À propos des papyrus égyptiens, les mêmes détracteurs insistent sur le fait que le raisonnement de l’auteur s’appuie sur un seul document mentionnant la maladie. Or il s’avère que les papyrus ne mentionnent quasiment jamais les épidémies ou autres maladies (inf. or. Benoît Rossignol). Le fait qu’un papyrus évoque clairement la peste antonine serait donc plutôt la preuve d’un événement d’ampleur exceptionnelle (Harper, 2018, p. 5).
-
[46]
On ne résistera pas au plaisir ce citer cette phrase typique de l’humour de l’auteur : « Il est facile, avec le temps, d’imaginer qu’il y avait un peu de déni dans une telle célébration à grands frais du millénaire – que les habitants de Rome s’amusaient à la manière de ceux qui, un jour, siroteraient des cocktails sur le pont du Titanic » (p. 186). D’une manière non moins exquise, il évoque plus haut la convalescence d’Aelius Aristide dans le temple d’Asclépios à Pergame, « qui, d’une certaine manière, était aussi chic qu’une clinique médicale de Beverly Hills » (p. 116).
-
[47]
« La concaténation de chocs soudains et spécifiques dans les années 240 et 250 amène le système au-delà de ses capacités de résilience » (p. 188). « Là où la crise antonine avait sapé l’énergie accumulée de l’Empire mais laissé les fondations intactes, la crise du IIIe siècle a provoqué une transformation. Il faudrait parler d’une première chute de l’Empire romain » (p. 189).
-
[48]
Beeret al., 2006.
-
[49]
L’auteur a contribué à l’élaboration d’une base de données papyrologiques relatives aux crues du Nil (McCormicket al., 2012b). Haldonet al. (2018b, p. 5) affirment que l’idée d’un affaiblissement des crues du Nil est en contradiction avec les informations fournies par cette base de données, elle-même fondée sur les travaux de Bonneau, 1971, qui considère comme normales les crues pour la période 239-250, à l’exception de l’année 242, marquée par une faible crue. Harper (2018, p. 5) rétorque que les données qu’il mobilise ne proviennent ni de la base de données en question, ni du travail de D. Bonneau, à propos duquel il émet des réserves, mais de l’étude de papyrus mentionnés p. 205 note 33 et des travaux de Rathbone et Von Reden, 2015. La réponse n’est toutefois pas très claire.
-
[50]
Haldonet al. (2018b, p. 6) émettent des doutes quant à l’origine éthiopienne de l’épidémie, qui, selon eux, a pu arriver de n’importe où par les ports égyptiens de la mer Rouge. Ils remettent également en question l’interprétation et la datation du « charnier » fouillé sur le site de l’ancienne Thèbes, en Haute-Égypte, dans lequel l’auteur voit une « entreprise de traitement en masse des cadavres » (p. 208-209). Enfin, ils rappellent que la datation des lettres de l’évêque d’Alexandrie est discutée. Ainsi, c’est toute la construction de la chronologie de la peste proposée par l’auteur qui est compromise à leurs yeux. Sur la datation des lettres de Denys d’Alexandrie, voir la réponse de Harper (2018, p. 5-6 et note 5), qui renvoie plus généralement à ses publications antérieures sur la peste de Cyprien (Harper, 2015 ; 2016).
-
[51]
« Les germes ont formé la première vague invisible des grandes invasions » (p. 220).
-
[52]
« C’était une révolution dont on a une idée si on imagine la disparition du dollar » (p. 222).
-
[53]
Syme, 1984.
-
[54]
« Même si l’on ignorait tout du christianisme, on pourrait néanmoins décrire le iiie siècle comme un âge de rupture avec le polythéisme traditionnel. Les anciennes religions battaient de l’aile. La grande tradition de construction de temples s’arrêta totalement. Le iie siècle avait été une époque exubérante de constructions de ce genre. Hadrien avait terminé le grand temple de Zeus olympien à Athènes, dont les travaux avaient été interrompus au vie siècle… avant Jésus-Christ. Les temples étaient les joyaux d’une cité. Au milieu du iiie siècle, ils s’écroulaient par manque d’entretien. En Égypte, la dernière inscription sur un temple date du règne de Dèce. Puis un silence définitif s’installa. À la fin du siècle, les temples, qui avaient récemment été les incubateurs des plus anciennes religions, conservatoires des traditions de l’humanité, se transformaient en entrepôts militaires. Les rites antiques s’évanouirent tout simplement. […] Quelle que soit la manière dont on considère les choses, la crise du iiie siècle a été une catastrophe pour les cultes civiques traditionnels dont ils ne se remirent jamais. […] Pour saisir le paganisme authentique du Haut-Empire, il ne faut pas le chercher dans de grandes spéculations théologiques mais dans la vie quotidienne des cités. […] Ce type de dons [allusion au don de C. Vibius Salutaris à Éphèse] disparut complètement dans le chaos financier. Les vieux modèles du clientélisme civique furent déstabilisés. La disparition des anciens dieux ne fut pas le résultat d’une crise de la foi. Ils faisaient intimement partie d’un ordre dont les fondations craquaient de toutes parts » (p. 233-234). Voir sur cette question la contribution essentielle des données archéologiques dans Van Andringa, dir., 2014.
-
[55]
Cette assertion n’est appuyée ici sur aucun argumentaire archéologique. À propos de la complexité des situations régionales, notamment à travers le cas de la Narbonnaise, voir Fiches, dir., 1996.
-
[56]
Beeret al., 2006.
-
[57]
« Il n’y a pas eu de crise du iiie siècle pour les microbes » (p. 253).
-
[58]
Les canicules d’été favorisent les germes gastro-intestinaux, les pluies d’automne le paludisme et le froid hivernal les infections respiratoires.
-
[59]
L’auteur développe, non sans un certain anachronisme, le cas de la famine et de l’épidémie qui ont suivi le passage d’un nuage de sauterelles à Édesse en 500, rapporté par Ps.-Josué le Stylite, 38-49 (qui vécut à la fin du viiie siècle). Notons, par ailleurs, qu’une épizootie est signalée en 409 dans les Gaules et une partie de l’Europe : Endéléchius, De mortibus boum, éd. F. Piper, Göttingen, 1935 (édition plus récente : Bucolica vel eclogae / Marcus Aurelius Olympius Nemesianus, De Mortibus boum / Severus Sanctus Endelechius, Eclogae / Modoinus, Carmen bucolicum Gaddianum, texte latin et trad. allemande, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, Darmstadt, 1976, xiv-148 p. ; texte et trad. en ligne sur Remacle, selon éd. fr. J.-B. Martin, F. Monnier et A. de Boudard, libr. Girard et Josserand, Lyon/Paris, 1864). En outre, les traces d’une épizootie ont été mises en évidence dans un contexte du troisième quart du ive siècle à Ambrussum-Villetelle dans l’Hérault (Porcier, 2012). Je remercie Alain Ferdière de m’avoir signalé ces références, et plus généralement pour sa relecture.
-
[60]
« Les preuves d’une activité bancaire et de crédit sont plus fortes à cette époque qu’à toute autre période de l’histoire romaine » (p. 261).
-
[61]
« Il faudra attendre le temps du colonialisme transatlantique pour trouver une élite économique réussissant à accumuler des fortunes privées d’une telle ampleur et sur un tel espace géographique » (p. 265).
-
[62]
Non sans quelque anachronisme, une fois encore, l’auteur prend l’exemple de l’inscription du moissonneur de Mactar (cilviii, 11824), datée des années 260-270 (Lassère et Griffe, 1996).
-
[63]
« Le destin divers des zones rurales en Occident a été déterminé par la relation entre le changement climatique, l’intégration au marché et les perspectives locales de sécurité » (p. 270). L’idée d’une « explosion du nombre de villae » dans de grandes zones en Occident, globalement fausse, est due à un effet de source : les grandes villae résidentielles « palatiales » d’Aquitaine, d’Ibérie et d’Italie sont en effet plus facilement repérables dans une enquête archéologique superficielle. Le phénomène de « palatialisation » des villae est une réalité d’ordre qualitatif plus que quantitatif.
-
[64]
« La dernière ligne de défense de l’Empire romain était la ceinture des germes qui guettaient, en embuscade, les naïfs envahisseurs » (p. 282).
-
[65]
À propos du mariage de l’empereur avec Théodora, Kyle Harper écrit, avec son sens de la formule provocatrice : « C’est un peu comme si aujourd’hui le président des États-Unis se mariait avec Kardashian » (p. 292).
-
[66]
Il rappelle que c’est le laboratoire du Professeur Didier Raoult qui, le premier, a procédé au séquençage de l’ADN du bacille à partir de la pulpe dentaire extraite des squelettes du charnier de l’Observance, fouillé en 1994 à Marseille et daté de 1722 (Raoultet al., 2000), ce qui a donné naissance à la paléomicrobiologie. En 1996, une étude de l’Institut Max Planck a révélé que la peste de Marseille était une résurgence de la grande peste noire du xive siècle (Boset al., 2016).
-
[67]
Dans sa réponse à ses détracteurs, Harper (2018, p. 7) précise que, depuis la parution de son livre, de nouveaux travaux (Eroshenkoet al., 2017) permettent de situer ce foyer ancestral au Kirghizistan.
-
[68]
Il semble que la forme pneumonique de la peste transmise par les gouttelettes aériennes et provoquant une maladie respiratoire aiguë ait été secondaire par rapport à la forme bubonique. Les bubons sont causés par l’inflammation des ganglions, sous l’effet des piqûres de puces. À propos de la controverse sur les différents modèles de la transmission, voir p. 302-303 et notes 26-27.
-
[69]
McCormick, 2003. « Du point de vue d’un rat, l’Empire était une invraisemblable bénédiction. Le monde romain était envahi par ces rongeurs » (p. 289). « La dépendance du système impérial au transport et au stockage de céréales a fait du monde romain un paradis pour lui » (p. 304). Le rat noir est attesté en Méditerranée occidentale au iie siècle av. J.-C. À juste titre, Haldonet al. (2018c, p. 4) critiquent les faiblesses méthodologiques qui sous-tendent la « carte des rats sous l’Empire romain » (p. 306, carte 17).
-
[70]
Haldonet al. (2018c, p. 3) rappellent que cette histoire est fausse, la présence de vers à soie étant attestée en Syrie un siècle plus tôt (Muthesius, 2002).
-
[71]
« Religion, politique et commerce s’entremêlaient pour rendre cette région stratégiquement décisive. Les Romains voulaient à tout prix maintenir une tête de pont stable au-delà de ces eaux » (p. 310). Cet espace sera le creuset de l’Islam.
-
[72]
Büntgenet al., 2016.
-
[73]
Rossignol et Durost, 2010.
-
[74]
Haldonet al. (2018c, p. 3-4) estiment que l’auteur manque de recul critique par rapport aux données chiffrées fournies par Jean d’Éphèse. Selon eux, les nombres de décès disponibles pour Constantinople sont invraisemblables. De même, le « modèle théorique d’évolution de la population romaine de 500 à 600 » (p. 343, fig. 33) n’aurait aucun fondement méthodologique consistant. Sur la valeur des chiffres disponibles pour Constantinople, voir la réponse de Harper, 2018, p. 6-7.
-
[75]
McCormick, 2015 et 2016.
-
[76]
Wiechmann et Grupe, 2005 ; Harbecket al., 2013 ; Wagneret al., 2014. En contrepoint, Haldon et al. (2018c : 2-3) soulignent l’ambiguïté des données livrées par les deux cimetières d’Ascheim et d’Altenerding, dans lesquels aucune inhumation de masse n’est attestée stricto sensu. Selon eux, la présence de la peste en Haute-Bavière ne prouve pas un événement de mortalité massive à l’échelle de l’Empire. Voir la réponse de Harper, 2018, p. 7. Les études d’adn les plus récentes vont dans son sens, révélant l’étendue géographique de la peste grâce au traçage de Y. pestis en Grande-Bretagne, en France, en Allemagne et en Espagne (Kelleret al., 2019).
-
[77]
Durliat, 1989.
-
[78]
Wickham, 2005 et 2016.
-
[79]
Haldonet al. (2018c, p. 5-6) contestent vigoureusement cette position maximaliste. Ils tentent de démontrer, d’une manière qui n’est pas totalement convaincante, qu’on ne peut pas lier à la peste la diminution de l’activité législative de Justinien. Voir la réponse de Harper (2018, p. 2-8), qui considère comme parfaitement légitime l’hypothèse « maximaliste » dans le cas de la peste de Justinien.
-
[80]
Haldonet al. (2018c, p. 2) critiquent le concept de « recrudescence » qui, en agrégeant des événements d’ampleur variable étalés dans le temps, établit entre eux un lien causal, exagérant l’amplitude, la durée et l’impact du phénomène. Voir la justification par Harper (2018, p. 8) des concepts de « recrudescence » et d’« amplification ».
-
[81]
Haldonet al. (2018c, p. 2) réfutent l’originalité de cette idée, la notion de « vagues d’épidémies » étant tombée en désuétude ces dernières années.
-
[82]
« Tout au long du vie siècle, Constantinople demeura le centre nerveux de la Méditerranée orientale, allongeant des tentacules loin vers l’ouest. […] La capitale était un relais où convergeaient tous les germes de l’Empire ; elle était le moteur de la propagation des métastases » (p. 333-334).
-
[83]
L’auteur remarque que Constantinople est frappée en moyenne tous les 15,4 ans entre 542 et 619, et ensuite tous les 64 ans (p. 335).
-
[84]
« Les deux grandes pandémies de peste qui ont ouvert et marqué la fin du Moyen Âge ont été, relativement, les catastrophes biologiques les plus graves de l’histoire » (p. 342-343).
-
[85]
« L’eschatologie de Grégoire est une réaction à la violence permanente et aux caprices de l’environnement physique » (p. 347). « Pour la première fois dans l’histoire, un état d’esprit apocalyptique a gagné une grande société complexe » (p. 348). L’auteur rappelle que la population de la ville de Rome est tombée à 10 ou 20 000 habitants, soit 50 à 100 fois moins qu’au Haut-Empire.
-
[86]
« La peste antonine a déterminé la résurrection de l’archaïque culte d’Apollon à une échelle de plus en plus universelle. La peste de Cyprien a ébranlé les fondements du polythéisme civique et permis aux chrétiens de se manifester à visage découvert. Aux vie et viie siècles, la concaténation de la peste et des troubles climatiques a donné toute sa force au sentiment eschatologique au sein du christianisme, du judaïsme et du dernier né de l’Antiquité tardive, l’islam » (p. 349).
-
[87]
La fourchette chronologique attribuée au Late Antique Little Ice Age (lalia) est ici plus étroite que celle définie supra p. 51, tab. 1 (environ 450-700 ap. J.-C.). Haldonet al. (2018a, p. 4), qui avaient déjà souligné cette incohérence, rappellent que cette fourchette doit probablement être encore resserrée sur les décennies 530-570, sur la base des travaux les plus récents (Büntgenet al., 2017 ; Helamaet al., 2017a et b). Voir la réponse de Harper, 2018, p. 9.
-
[88]
Büntgenet al., 2016.
-
[89]
Beeret al., 2006.
-
[90]
Stothers et Rampino, 1983 ; Baillie et McAneney, 2015 ; Siglet al., 2015.
-
[91]
Ces rapprochements sont considérés comme abusifs par S. Ratti, 2019.
-
[92]
Pour l’Italie, voir Squatriti, 2010.
-
[93]
« Comme le système impérial était lui-même un réseau, un système connectant de vastes territoires écologiquement et économiquement variés, il a pu s’appuyer sur les zones où la vitalité se maintenait. […] L’Empire est mort à petit feu, de l’intérieur » (p. 363).
-
[94]
Haldonet al. (2018c, p. 3) n’ont pas manqué de souligner la contradiction entre l’image de cette Syrie florissante du vie siècle et le tableau qui est donné plus haut d’un « foyer actif permanent de peste » (p. 338). À l’abondance des données archéologiques démontrant le premier aspect s’oppose une unique inscription signalant la peste, ainsi que quelques autres évoquant des maladies anonymes. Voir la réponse de Harper, 2018, p. 6 et note 9.
-
[95]
Il évoque un « audacieux capitalisme ecclésiastique » (p. 362).
-
[96]
« Les catastrophes naturelles du vie siècle ont été à l’origine d’un des plus grands changements d’état d’esprit de toute l’histoire humaine » (p. 383).
-
[97]
« Jamais plus il n’y aurait d’Empire pan-méditerranéen, reliant les énergies des continents du vieux monde par un pouvoir qui l’unifiait. Un nouvel âge commençait » (p. 394).
-
[98]
Kyle Harper rejoint là un point de vue que j’ai eu l’occasion de développer (Trément, 2011, 2013 et 2014), selon lequel les modes de développement observés à l’époque romaine répondent mal aux critères de définition des économies préindustrielles, et présentent à bien des égards des caractéristiques qui les rapprochent des économies de transition, telles que les définit John Friedmann (1966).
-
[99]
L’auteur compare le Soleil à un « variateur capricieux » (p. 399) et il considère comme « fantasques » les changements de la nature (p. 400).
-
[100]
Haldonet al. (2018c, p. 2) déplorent que la dimension rhétorique l’emporte trop souvent sur le fond, et qu’« un tel langage impressionniste entrave la pensée critique » [traduction]. Sans doute est-ce là très exagéré. N’oublions pas que l’ouvrage dont il est question est destiné aussi au grand public.
-
[101]
Haldonet al., 2018, p. 6.
-
[102]
L’accusation de déterminisme portée par Haldonet al. (2018a, p. 3 ; 2018c, p. 1) est caricaturale. Une synthèse d’une telle envergure prête forcément le flanc à d’innombrables critiques de détail, outre qu’elle implique de faire des choix, qui sont assumés et le plus souvent justifiés par l’auteur.
-
[103]
Campbell, 2016.
-
[104]
Harper, 2018, p. 10.
-
[105]
Harper, 1998, p. 2.
-
[106]
On n’insistera pas sur les trop nombreuses coquilles, dans le texte et surtout dans les notes et la bibliographie, d’autant plus regrettables lorsqu’elles concernent les noms de personnes. Le moissonneur de Mactar doit se retourner dans sa tombe (p. 262, note 38), tout comme Josué le Stylite (p. 256, note 29). Les problèmes de traduction sont fréquents (voir par exemple la confusion entre force centripète et centrifuge p. 189, et l’usage abusif de l’anglicisme « endurance »). Le texte, assurément trop long et délayé, pèche en outre par ses nombreuses redites, ses formulations phraséologiques et même, à plusieurs reprises, d’évidentes contradictions.
-
[107]
Voir les réflexions judicieuses de Philippe Leveau, 2005 et 2015.
-
[108]
Par exemple, pour les Gaules, il n’est fait nulle mention du programme Archaeomedes qui, dans les années 1990, a constitué une avancée de premier ordre, sur le plan méthodologique et conceptuel, pour la connaissance des systèmes de peuplement. On peut regretter également que soient ignorés les colloques consacrés en France à la crise du iiie siècle (Fiches, dir., 1996) et à la Gaule des ive-ve siècles (Ouzouliaset al., dir., 2001), où sont développées de multiples études régionales. Ou encore les vastes synthèses régionales qui ont porté récemment sur le Massif Central (Trément, dir., 2011-2013) et le Centre-Est de la Gaule (Reddé, dir., 2017 et 2018), la publication du programme Rurland n’étant, il est vrai, pas disponible au moment de la publication de l’ouvrage.
-
[109]
Le récent ouvrage de Jean-Pierre Devroey (2019) La Nature et le roi est, de ce point de vue, un modèle pour la période carolingienne. Voir aussi supra note 17.
-
[110]
Delmas, 2019.
-
[111]
Harper, 2018, p. 11.
-
[112]
Harper, 2018, p. 4.
-
[113]
Leveau, 2017, p. 63.
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[114]
Ce constat est en contradiction avec le reproche fait à l’auteur par ses détracteurs de ne pas suffisamment prendre en compte l’incertitude dans son raisonnement : « We believe it would have been appropriate to include a much greater degree of uncertainty about the causal priority of the features Harper does pick out » (Haldonet al., 2018a, p. 3).
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[115]
On peut légitimement douter de la pertinence de l’usage de formules délibérément anachroniques, comme « espionnage industriel », « révolution permanente », « majorité silencieuse », « réfugiés climatiques », « capitalisme ecclésiastique »… Ou encore : « L’Empire était un gigantesque standard téléphonique bourdonnant connectant les cités » (p. 53). L’insistance sur ce haut degré de connectivité permet à l’auteur de penser l’Empire romain comme un système, et d’expliquer la vitesse de propagation des épidémies et leur transformation en pandémies aux effets systémiques.
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[116]
Harper, 2018, p. 3 et 10.
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[117]
Kyle Harper établit un lien entre la dynamique du pouvoir étatique, la démographie et le développement économique et social : « Je souscris à l’opinion selon laquelle une croissance intensive, principalement par le biais des mécanismes de Smith, a été importante dans l’Antiquité et fait partie intégrante de la trajectoire du pouvoir politique romain. Il y a eu des réactions généralement positives entre pouvoir étatique et développement économique – la paix et la stabilité institutionnelle ont facilité le commerce et l’urbanisme. En retour, la croissance était bénéfique à la santé fiscale et donc militaire de l’État impérial. L’État romain n’était pas un organisme simple ou immuable, mais une entité administrative complexe et intrinsèquement pleine de tensions ; le contrôle des leviers du pouvoir a été contesté » [traduction] (Harper, 2018, p. 10).