Notes
-
[1]
Voir à leur sujet Favret-Saada, 1977 et 1981.
-
[2]
J’ai toutefois de propos délibéré laissé de côté le rôle important joué par les religieux (curés, moines, sœurs des congrégations) dans le cadre des soins en milieu rural (sur ce, voir notamment Léonard, 1980, p. 503 ; Faure, 1993, p. 56, 189 ; Coste, 2002, p. 475-477 ; Le Douget, 2017, p. 101-116).
-
[3]
Munaret, 1837 ; Thiaudière, 1839, qui critique en partie le précédent.
-
[4]
Erreurs populaires au fait de la medecine et de régime de sante, Bordeaux, S. Millanges, 1578.
-
[5]
Voir à ce sujet, l’ouvrage-somme de Joël Coste (2002), qui porte sur la littérature des « Erreurs populaires » en tant que genre médico-littéraire. Illustré par une trentaine d’auteurs-médecins, il s’étend sur trois siècles et représente un corpus de près de 6 000 pages imprimées. Le titre de presque tous ces ouvrages inclut les termes « Erreurs populaires », parfois remplacés par « Préjugés » ou « Erreurs et préjugés ». Non dépourvu d’esprit corporatiste, ce genre était destiné à un large public lettré.
-
[6]
En 1836, une guérisseuse-rebouteuse de Riec (Finistère) est surnommée lasorcière. À Carhaix, une femme de 75 ans qui soigne le urlou (« engorgement des membres inférieurs ») en faisant des incisions au voile du palais est connue comme étant « la sorcière » : Le Douget, 2017, p. 94-95 ; Coste, 2002, p. 500. Sur le urlou, variante des hunes, voir aussi Merceron, 2014a. Une autre catégorie de « sorciers / sorcières » affirme détenir des pouvoirs surnaturels employés en magie amoureuse ou pour désensorceler. Ceux-là se font payer en argent sous divers prétextes : vente de sacs talismaniques, de « drogues bleues », etc. Comme certains d’entre eux menacent de mort les victimes qui refusent de payer quand les « remèdes » ne marchent pas, l’affaire peut être portée devant les tribunaux : Le Douget, 2016, p. 62-63 et 64-65.
-
[7]
Le détail des localisations, quand il a été fourni par les auteurs, sera précisé en cours d’article ou /et dans la bibliographie.
-
[8]
Bonnemère, 1890.
-
[9]
Moulis, 1961.
-
[10]
Laisnel de La Salle, 1875.
-
[11]
Gilbert, 1895 ; Pérot, 1903 ; Brisson, 1912 ; Gagnon, 1948.
-
[12]
Géniaux, 1912 ; Auray, 2011 ; Giraudon, 2013.
-
[13]
Caillet, 1967.
-
[14]
Daleau, 1889.
-
[15]
Arnaudin, 1996 [= ca 1875-1920].
-
[16]
Desforges, 1997 [= ca 1930-1940].
-
[17]
Seguin, 1980 [= 1941] ; Maneuvrier, 2008.
-
[18]
Wailly et Crampon, 1968.
-
[19]
Chauvet, 1947.
-
[20]
Moniez et Boucher, 1976 ; Bos, 1992 ; Bontoux, Couturier et Merkès, 2013 ; Sionneau, 2013.
-
[21]
Léonard, 1977 et 1984 ; Faure, 1993 ; Hug, 2008 ; Guillemain, 2009.
-
[22]
Le Douget, 2016 et 2017. Je n’ai pu consulter l’ouvrage récent publié sous la direction de Marie Bolton, Patrick Fournier et Claude Grimmer, Médecine et santé dans les campagnes. Approches historiques et enjeux contemporains, Bruxelles, Peter Lang, 2019.
-
[23]
Faure, 1993, p. 6.
-
[24]
Ibid.Le titre de l’ouvrage de Faure renverse le point de vue habituel qui est le plus souvent centré sur les médecins pour embrasser celui des patients et insiste sur l’acte de prise en charge de la demande de soins par ces derniers (« leur médecine »).
-
[25]
Coste, 2002, p. 116.
-
[26]
Le Douget, 2017, p. 49.
-
[27]
Ibid., p. 50.
-
[28]
Sur les guérisseurs bretons et mainoligériens trainés en justice à partir de la loi du 10 mars 1803 déclarant illégal l’exercice sans diplôme de la médecine, de la pharmacie et de l’art d’accoucher, voir Le Douget, 2016 et surtout 2017, ainsi que Sionneau, 2015.
-
[29]
Par contraste, la sagesse populaire affirme : « Le riche est douillet », « Mal de riches, mal de cris » (Loux et Richard, 1978, p. 317, nos 3227-3228).
-
[30]
DrsMoniez et Boucher, 1976, p. 121. Sur les remèdes magiques contre ces maux et d’autres : ibid., p. 125-129.
-
[31]
Arnaudin, 1996, t. ii, p. 258, no 1670. Simon Arnaudin (1844-1921), dit Félix, est le plus grand collecteur-folkloriste des Landes.
-
[32]
Il pourrait s’agir de la pleurésie.
-
[33]
Rivière-Sestier, 2000 [1942], p. 29.
-
[34]
Mais pas seulement les paysans. Vers 1780, non loin de Versailles, un paysan illettré devenu « médecin » le jour de sa communion reçoit en consultation dans sa chaumière des gens de toutes conditions, y compris des dames venues en carrosse. Une grande dame de la cour le fait même venir toutes les semaines à Versailles pour être traitée (Coste, 2002, p. 496-497). Un siècle plus tôt, Madame de Sévigné (1626-1696), sans cesse assaillie de « vapeurs » et d’angoisses, nous apprend qu’elle était fort sceptique à propos de ce que les médecins lui ordonnaient et elle conseillait même à sa fille Françoise de ne rien faire de ce qu’ils préconisaient ! Adepte de « l’eau de mélancolie », elle préférait se tourner vers les fabricants de potions de tous acabit, mais aussi vers les vendeurs de vipères (Caillet, 1967, p. 80 et 83 ; voir aussi Pouliquen, 2006).
-
[35]
Parmi les maladies que les médecins ruraux sont amenés à soigner figurent les affections pulmonaires et catarrhales (hiver), les rhumatismes et maladies inflammatoires (mars), les fièvres paludéennes, les maladies gastro-intestinales (fin d’été-début d’automne), etc., sans compter la petite chirurgie (abcès, tumeurs, gangrènes, fractures, arrachage de dents, etc.). Pour ce qui est des « maladies des femmes », des grossesses et des accouchements, ils restent encore souvent la prérogative des matrones et sages-femmes : Bos, 1992, p. 27-30.
-
[36]
Léonard, 1984, p. 289.
-
[37]
Le Douget, 2016, p. 53.
-
[38]
Barberet, 1889, p. 328.
-
[39]
Par contraste, « dans le milieu bourgeois “il est de bon tonˮ d’être souvent visité par son médecin, et les prescriptions onéreuses sont bien acceptées » : Bos, 1992, p. 22 (voir aussi p. 27 et 34-35).
-
[40]
Bos, 1992, p. 31. Gustave Flaubert, Madame Bovary, 1966, p. 235. Ce roman parut d’abord en 1856 dans le journal La Revue de Paris avant d’être édité l’année suivante chez Michel Lévy frères.
-
[41]
Bos, 1992, p. 36.
-
[42]
Durant cette période de transition, on désigne ainsi des praticiens qui ayant exercé depuis au moins trois ans peuvent continuer leurs activités en se munissant « d’un certificat délivré par le sous-préfet sur l’attestation du maire et de deux notables de leur commune. » Ce certificat constatant « qu’ils pratiquent depuis l’époque indiquée, leur tiendra lieu de diplôme d’officier de santé » : Faure, 1993, p. 15.
-
[43]
Ibid., p. 16.
-
[44]
Sur cette proximité à la fin du xviiie siècle, mais qui se poursuit encore au moins jusque vers 1840, voir Goubert, 1977, p. 909. Ce dernier insiste sur « le mythe qui oppose [alors] médecine savante et médecine populaire. […] En effet, les deux “mondes” de la médecine sont si proches qu’ils se touchent, se haïssent et se pénètrent à la fois. Un même patient peut en effet se tourner successivement ou conjointement vers tel médecin, tel chirurgien, ou bien encore vers son guérisseur : vers le diable et/ ou le Bon Dieu. » Goubert excepte de ce tableau « ces dizaines de milliers d’hommes qui participent alors à la Société des Lumières » (id.). Sur les « guérisseurs à antécédents médicaux » faisant le pont entre les médecins et les empiriques à travers des réseaux de liaisons personnelles, culturelles et commerciales, voir Léonard, 1980, p. 512.
-
[45]
Faure, 1993, p. 20.
-
[46]
Habasque, 1832, t. i, p. 311.
-
[47]
Guillemain, 2009, p. 116, 117.
-
[48]
Léonard, 1980, p. 511, 512.
-
[49]
Guillemain, 2009, p. 110.
-
[50]
Cité d’après Léonard, 1984, p. 303.
-
[51]
Entre autres, le Dr Monfalcon en 1826 cité dans Édeine, 1974, t. i, p. 541 et le folkloriste Pérot, 1903, p. 306 (cf. infra).
-
[52]
Guérisseur empirique qui traite le mal en marmottant des conjurations « secrètes » ou des prières à panser (ou pansements) accompagnées de signes de croix. Il peut en outre prononcer un nombre impair d’Ave et de Pater ou en prescrire au patient la récitation pour une neuvaine. Certains d’entre eux peuvent aussi prescrire des remèdes confectionnés à partir de simples ou de parties d’animaux.
-
[53]
Bos, 1992, p. 34, note que beaucoup de médecins de campagne du xixe siècle possèdent un jardin où ils font pousser leurs propres plantes médicinales, notamment pectorales (mauve, guimauve) et digestives (angélique, camomille, menthe, sauge), avec lesquelles ils fabriquent des vins fortifiants, des vinaigres médicinaux, etc. dont eux seuls ont le secret. Ils cueillent aussi des plantes dans la nature. En cela, ils ne diffèrent pas des paysans et des guérisseurs empiriques.
-
[54]
Le voyage est un pèlerinage individuel à but thérapeutique. Il est généralement effectué par une voyageuse après un « tirage des saints », rituel destiné à déterminer quel est le saint qui a envoyé le mal et qui peut donc, seul, le guérir : voir à ce sujet Merceron, 2014b.
-
[55]
Aubry, 1892, p. 599-600 ; Géniaux, 1912, p. 106-107 ; Merceron, 2017, p. 18-20.
-
[56]
Nore, 2001 [1846], p. 86 ; Piniès, 1984, p. 69-73.
-
[57]
Ainsi, enveloppé dans une étoffe rouge, le marron d’Inde, graine toxique du marronnier d’Inde (Aesculus hippocastanum L.) qui ressemble au bourrelet hémorroïdaire, passe pour être souverain pour les hémorroïdes : Didelot, 1979, p. 60. La guérison des verrues peut s’effectuer avec des animaux dont la peau présente un aspect verruqueux (crapauds, grenouilles), écaillés (serpents, lézards, poissons) ou craquelé (pattes de poule) : Saintyves, 1913, p. 37-38. Cette médecine des signatures a ses racines théoriques et pratiques dans l’Antiquité : Coste, 2002, p. 115. Sur les plantes et les lois de la magie sympathique dans l’Antiquité (contiguïté, similarité, contrariété), voir Ducourthial, 2003, p. 182-184, qui affirme toutefois l’absence de théorisation poussée en ce domaine. Pour lui la théorie des signatures ne fut construite en système qu’à la Renaissance (notamment par Paracelse).
-
[58]
Bos, 1992, p. 35.
-
[59]
Faure, 1993, p. 274.
-
[60]
Léonard, 1977, p. 199. C’est ainsi qu’on lutte désormais notamment contre la crasse, la vermine et les immondices. Dès la seconde moitié du xixe siècle, la théorie de l’infection avait déjà eu le mérite de stimuler les mesures d’hygiène contre les « miasmes putrides » et les virus alors mystérieux.
-
[61]
Bos, 1992, p. 24, 42 et 58.
-
[62]
Qu’il touche les humains ou les animaux de ferme, le mal, surtout mystérieux et persistant ou bien à répétition, peut être l’effet du « mauvais œil », d’un sort jeté par un sorcier. Dans ce cas, le médecin est déclaré impuissant ; seul un contre-sorcier ou un désenvoûteur plus fort que le sorcier peut annihiler le maléfice : Rougier, 1946, p. 67.
-
[63]
Tiffaud, 1899, p. 37-38.
-
[64]
Leproux, 1954, p. 147-148.
-
[65]
Tiffaud, 1899, p. 37.
-
[66]
Lalanne, 1868, p. 80-81. Voir aussi les remarques du DrDarmezin, 1904, p. 15-18, pour la Touraine.
-
[67]
Le Douget, 2017, p. 63, 64 et 69.
-
[68]
Munaret, 1837, t. i, p. 42.
-
[69]
Bos, 1992, p. 18.
-
[70]
Ce dernier déclare s’adresser aux paysans dans le dialecte local afin de les arracher à « l’archaïsme agricole et mental » : Léonard, 1977, p. 198.
-
[71]
Bos, 1992, p. 18.
-
[72]
Cité d’après Auray, 2011, p. 10.
-
[73]
Anonyme, 1803, p. 84, 88.
-
[74]
Cité d’après Édeine, 1974, t. i, p. 541.
-
[75]
Pérot, 1903, p. 306.
-
[76]
Les Misérables, Paris, s.d., éd. Thomas Nelson & Sons, t. ii, p. 269, cité d’après Léonard, 1977, p. 198.
-
[77]
Loux et Richard, 1978, p. 161. Ces auteurs ont recueilli de très nombreux autres proverbes concernant les médecins et la médecine : ibid., p. 320-322, nos 3394-3477.
-
[78]
Barbot, 1899, p. 51.
-
[79]
Dans de nombreuses régions de France, le marcou, septième garçon né d’un mariage légitime (même père, même mère) sans interruption d’une fille, avait jadis, comme les rois de France, l’insigne privilège de guérir les écrouelles par simple toucher. Il existe aussi, plus rarement, des filles marcous (5e ou 7e fille d’une matrie). Par la suite, leurs dons de guérison ont été étendus à d’autres « spécialités » : foulures, zona, ulcères, loupes, engelures, etc. Dans les Landes, ces individus s’appellent le seton et la setine.
-
[80]
Tiffaud, 1899, p. 34.
-
[81]
Le Douget, 2016, p. 55-56.
-
[82]
Bonnemère, 1890, p. 675. Vérification faite, c’est bien la somme indiquée par Bonnemère.
-
[83]
Léonard, 1980, p. 510, qui cite d’autres cas de guérisseurs qui se font payer cher.
-
[84]
Dans certains cas, la famille et le médecin s’entendent à l’avance sur le montant des honoraires. Après les soins, en fonction du résultat, des rabais sont envisageables : Léonard, 1977, p. 107-108.
-
[85]
Ibid., p. 112.
-
[86]
Bos, 1992, p. 45-47. À la campagne, la comptabilité du médecin est encore rythmée par des échéances liées aux rentrées d’argent dépendantes des moissons, vendanges, foires, fermages, etc., eux-mêmes en rapport avec les grandes fêtes chrétiennes (Saint-Michel, Saint-Jean, Noël, Pâques, etc.) : Léonard, 1977, p. 108.
-
[87]
Loux et Richard, 1978, p. 161.
-
[88]
Léonard, 1977, p. 110. « Les paysans sont loin de rendre aux médecins la sympathie et la compréhension qu’ils en reçoivent » : ibid., p. 198.
-
[89]
Léonard, 1977, p. 102. Sur la disparité des revenus entre les officiers de santé et les médecins, ainsi que sur la diversité des revenus (honoraires, indemnités) des médecins en fonction des régions et des périodes au cours du xixe siècle, cf. ibid., p. 104-153.
-
[90]
Les affaires portées devant le tribunal correctionnel permettent seules de faire le départ entre l’exagération rhétorique de la concurrence déloyale et sa réalité constatée : voir à ce sujet, deux cas rapportés dans Le Douget, 2016, p. 48-49. Celle-ci peut même entraîner le départ d’un médecin ou d’un officier de santé.
-
[91]
Les malades et les médecins…, Paris, J.-B. Baillière et fils, 1859, p. 19, cité d’après Guillemain, 2009, p. 116.
-
[92]
Léonard, 1980, p. 506-507.
-
[93]
Richerand, 1812, p. 139-140.
-
[94]
Elle fut mise en application le 1er vendémiaire an XII (24 septembre 1803). Cette loi accorde de facto aux médecins et officiers de santé un monopole sur l’exercice de la médecine. Elle sera modifiée et aggravée par la loi du 30 novembre 1892 : Le Douget, 2016, p. 46-47.
-
[95]
J. Coste, 2002, p. 492 et 495-496, a raison de noter que les rebouteux / renoueurs ne sont pas spécifiques du milieu rural, mais cela est surtout vrai aux xvie et xviie siècles. Un seul exemple : sous François Ier, on note l’admission officielle de rebouteux parmi les commensaux de la Couronne. Parmi les huit chirurgiens du roi, on relève dans un registre de comptes de l’année 1522 la présence d’un rhabilleur et renoueur nommé Guillaume Thoreau ou Tahureau gagé à raison de 240 livres par an, au même niveau que les chirurgiens Claude Bourgeois, Pierre de La Maison et Jacques de Passy notamment, et un peu mieux payé que l’arracheur de dents de Sa Majesté, Guillaume Coureil. En fait, cette charge royale se perpétuera longtemps de père en fils au sein de cette dynastie des Thoreau : un Timoléon Tahureau renouait et rhabillait encore les os cassés à la cour de Louis XIII : Chéreau, 1863, p. 387-388.
-
[96]
Pauc, 1882, p. 29.
-
[97]
Spacèle, n. f. « Nécrose d’un tissu qui s’élimine par fragments. » Spacéler « gangréner » : Trésor de la Langue Française en ligne = TLFi, s.v. Spacèle.
-
[98]
Legendre, 1883, p. 51.
-
[99]
Cas réel de gangrène et de mort en 1857 à Motreff (Finistère) consécutif au refus du patient de changer des attelles ayant été trop serrées sur une fracture par une rebouteuse, en dépit des recommandations d’un médecin appelé le lendemain en urgence : Le Douget, 2016, p. 49.
-
[100]
Cas rapporté dans Le Douget, 2017, p. 76-77.
-
[101]
Suter, 1905, passim.
-
[102]
Géniaux, 1912, p. 87-88.
-
[103]
Berger-fromager d’alpage (Aubrac).
-
[104]
Barbot, 1899, p. 52-53.
-
[105]
Voir aussi le portrait de M. Vignes, paysan aisé et calviniste fort pieux, dit le « sorcier de Vialas » en Lozère : ibid., p. 54-55. Il a dû soigner environ 4 000 personnes dans sa vie. Des centaines de Suisses des cantons allemands venaient aussi le consulter au point qu’en 1895, la Compagnie du P.-L.-M. fut sollicitée d’établir des trains de Genève à Genolhac, ville desservant Vialas : Mazel, 1896, p. 509.
-
[106]
Moniez et Boucher, 1976, p. 125.
-
[107]
On rencontre un cas similaire avec Jean-Marie Sizorn (1900-1956), meunier à Pont-Quéau en Landrévarzec et rebouteux à domicile et sur consultation à Quimper et Douarnenez. L’Ordre des Médecins lui ayant intenté un procès en 1951, il s’ensuivit une manifestation de soutien d’un millier de personnes à Quimper. Plus de 2 000 personnes assistèrent à ses obsèques. Sa mémoire a été honorée en avril 2014 en présence du maire par l’apposition d’une plaque dédiée au « meunier rebouteux bienfaiteur de l’humanité » (https://quimper.maville.com/actu/actudet_-la-memoire-de-jean-marie-sizorn-rebouteux-honoree_53511-2527412_actu.Htm ; consulté le17-03-2019).
-
[108]
Pauc, 1882, p. 16.
-
[109]
Les dormeuses, somnambules ou rêveuses sont des femmes qui se mettent en transe ou en état cataleptique afin de découvrir l’origine d’un mal mystérieux et prescrire un remède : voir Merceron, 2017.
-
[110]
Le terme hunes (pl.) désigne en Bretagne des rhumatismes articulaires qui s’accompagnent de fatigue, d’engourdissement des membres. Les coupeurs de hunes soignaient ce mal en faisant des incisions, notamment au voile du palais. Sur cette catégorie de guérisseurs très particuliers, voir Merceron, 2014a.
-
[111]
Entre1843 et 1860, dans l’arrondissement de Cherbourg, on ne relève que seize cas d’exercice illégal de la médecine portés au tribunal (colporteurs vendant des remèdes miraculeux, accoucheuses, rebouteux), soit 0,4 % du total des actes délictueux de cette période, ce qui est évidemment très largement au-dessous du nombre d’actes médicaux tombant sous le coup de la loi de 1803 : Ménard, 1981, p. 178, 184.
-
[112]
Léonard, 1984, p. 292.
-
[113]
Voir à ce sujet les propos du DrPauc, 1882, p. 25-26 et Coste, 2002, p. 497, sur le zouave Jacob, trombone de la garde et guérisseur fameux en son temps. Il eut d’ailleurs maille à partir avec la justice pour exercice illégal de la médecine. Pour une autre condamnation, voir Danan, 1933, p. 271-273 et plus généralement Le Douget, 2016 et 2017.
-
[114]
Léonard, 1984, p. 292-293.
-
[115]
Léonard, 1980, p. 515 (avec d’autres exemples d’abus).
-
[116]
Wailly et Crampon, 1968, p. 324.
-
[117]
Brisson, 1912, p. 681.
-
[118]
Géniaux, 1912, p. 86.
-
[119]
Léonard, 1980, p. 514.
-
[120]
Coste, 2002, p. 494.
-
[121]
Lewis, s. d. [1842], p. 152.
-
[122]
Brisson, 1912, p. 679.
-
[123]
En glanant sur les campagnes, Moulins, Cahiers Bourbonnais, 1982, cité d’après Hug, 2008, p. 3.
-
[124]
Ibid.
-
[125]
C’est-à-dire remèdes spécifiques à telle ou telle maladie. Sur les guérisseurs ambulants et sur les charlatans confrontés à la justice, voir Le Douget, 2017, p. 117-137.
-
[126]
J. Léonard, 1980, p. 514, note – exemples à l’appui – que la plupart ont été au départ créés et officiellement estampillés par les droguistes, pharmaciens, chirurgiens et médecins.
-
[127]
Le Douget, 2016, p. 47.
-
[128]
Voici par comparaison le « tableau » attendu du médecin diplômé : dans son apparence, le professionnel doit être « grave sans austérité, fier sans hauteur et toujours sérieux » : Guillemain, 2009, p. 115. Bos, 1992, p. 20, note par ailleurs que pour le jeune médecin rural l’acquisition « d’objets inutiles ou d’instruments inconnus passe pour traduire une profonde expérience et ne peut pas nuire ». Il peut donc y avoir là aussi une part de « mise en scène » destinée à impressionner le patient-client.
-
[129]
Naville, 1822, p. 113-114 (orthographe d’origine conservée).
-
[130]
Darmezin, 1904, p. 24. Les « sottises » sont les affiches et encarts publicitaires insérés dans les journaux par des prêtres et abbés fabricants de tisanes et autres élixirs de jouvence :ibid., p. 23-24.
-
[131]
Coste, 2002, p. 484.
-
[132]
Ibid., p. 485.
-
[133]
Seguin, 1980 (1941), p. 37.
-
[134]
Le Douget, 2017, p. 60.
-
[135]
Tixier, 1872, p. 338.
-
[136]
Gougneur (gougneux) est le nom du rebouteur en Bourbonnais. On trouve regougneux, rengougneux pour le Berry et le Sancerrois. Pour le portrait d’un gougneux bourbonnais et la description de son habitation à la fin du xixe siècle, voir Gilbert, 1895, p. 100-103.
-
[137]
Tixier, 1872, p. 339.
-
[138]
Il revient toutefois initialement en 1951 sous la plume d’un journaliste à l’occasion du procès du rebouteux Jean Sizorn. Parlant de ses nombreux patients, il déclare : « Je m’attendais à trouver une sorte de cour des Miracles, et j’étais en présence d’une assemblée bien disciplinée et fort tranquille » : Le Douget, 2017, p. 51.
-
[139]
Il avait en cela été précédé par le Dr J. Borianne qui, dans une thèse de 1831 portant sur la médecine en milieu rural dans la Haute-Vienne, déclarait à propos d’un frotteur appelé pour soigner un homme ayant reçu des coups sévères : « Celui-ci arrive, met bas son chapeau, dit ses prières, découvre le malade, et avec autant de gravité que le plus anciens des druides, il invite à conserver le silence […] » : Coste, 2002, p. 494.
-
[140]
Tixier, 1872, p. 339.
-
[141]
Ibid, p. 341.
-
[142]
Ibid.Une catole est une bouse séchée sur les cuisses d’une vache ; un grumeau au fond d’une casserole (Travaux de linguistique et de littérature, 1985, xxiii, p. 160). Catèle en Mâconnais et catole en Lyonnais désignent les crottes de lapin et de chèvre : Rossi, 2004, p. 163.
-
[143]
Ce cautère-convulsion a son exact correspondant dans lou catari, convulsions en Limousin (Saint-Yrieix, Saint-Junien) : Goursaud, 1978, t. iii, p. 691. C’est le même mal que le caterre (catherre, catarne), en français catarrhe, « congestion cérébrale chez les enfants ; toute affection assez grave pour obliger à garder le lit ; fièvre de catherre ou fièvre décatherre « fièvre quotidienne ; fièvre de catharre » : Jaubert, 1864, p. 130. Germain Laisnel de La Salle, 1875, t. i, p. 299, déclare pour le Berry que le caterre (ou catarne) des enfants est une congestion cérébrale qui détermine des convulsions suivies ou non de paralysie. Depuis le mot catharre, encore que vieilli aujourd’hui, s’est spécialisé dans le sens d’« inflammation des muqueuses des voies respiratoires » (catarrhe bronchique).
-
[144]
Legendre, 1883, p. 19-20.
-
[145]
Le Douget, 2017, p. 66 ; Léonard, 1980, p. 513, qui cite notamment la Médecine sans médecin (1824) du Dr Audin-Rivière…
-
[146]
J. Léonard, 1980, p. 512, déclare que « Presque tous les guérisseurs savent lire ». À défaut de statistiques et de dates, l’affirmation doit être considérée avec prudence.
-
[147]
Léonard, 1980, p. 508 ; Faure, 1993, p. 38 ; Le Douget, 2017, p. 60 et passim.
-
[148]
Un cas cité à Ploéven (Finistère) en 1856 dans Le Douget, 2016, p. 56.
-
[149]
Rivière-Sestier, 2000 [1942], p. 26.
-
[150]
Ibid., p. 26-27.
-
[151]
Lewis, s.d. [1842], p. 153-155.
-
[152]
On peut voir certaines de ces photos à l’adresse : https://fr.wikipedia.org, s.v. Charles Géniaux (consulté le 15-01-2018).
-
[153]
Géniaux, 1912, p. 86.
-
[154]
Bos, 1992, p. 23-24.
-
[155]
Ibid.
-
[156]
Ce dicton se rencontre dans une Enquête agricole, 1867, p. 249, à l’occasion d’une discussion portant sur les raisons de l’exode des jeunes campagnards à la ville et sur la nécessité d’instaurer des caisses rurales d’assistance mutuelle. On le trouve aussi chez Guillaumin, 1922, p. 277. Il est repris dans Loux, 1990, p. 250.
-
[157]
Léonard, 1977, p. 117.
-
[158]
Proverbes cités d’après Loux et Richard, 1978, p. 159-160.
-
[159]
Cf.le proverbe gascon « Ni jeune médecin ni vieux barbier » : ibid., p. 321 no 3422.
-
[160]
Géniaux, 1912, p. 89-94.
-
[161]
« Appât constitué par les œufs de certains poissons, et principalement de morue, employé pour la pêche des poissons de mer, et surtout de la sardine » : TLFi, s.v.Rogue.
-
[162]
Citations dans Géniaux, 1912, p. 90-92.
-
[163]
Ibid., p. 93.
-
[164]
Retranscrite toutefois par les greffiers.
-
[165]
Le Douget, 2017, p. 40, 89.
-
[166]
Ibid., p. 90.
-
[167]
Moniez et Boucher, 1976, p. 127.
-
[168]
Bouteiller, 1966, p. 84.
-
[169]
Daleau, 1889, p. 42.
-
[170]
Orr, 1974, p. 88-93 (v. 2523-2686).
-
[171]
Il s’agit apparemment d’une variété d’hydropisie. Enfondu veut dire « mouillé, trempé ».
-
[172]
Joubert, cité dans l’éd. de 1601, p. 117, no 59.
-
[173]
Chauvet, 1947, p. 228.
-
[174]
Annick Le Douget, 2017, p. 83-91, signale pour le Finistère plusieurs cas d’« uromantes » ou « jugeurs d’urine » vers 1850. Dérivée de l’uroscopie antique, l’uromancie, lecture à distance des urines (en l’absence du patient), est déclarée en 1867 « escroquerie » pure et simple dans un arrêt de la cour d’appel de Rennes.
-
[175]
Seguin, 1980 [1941], p. 79.
-
[176]
Le premier proverbe est cité dans un cahier de remèdes de François Hommeril (Lessay, Manche, ca 1719). La seconde variante est une adaptation française d’un distique de l’École de Salerne : Lelégard, 2008, p. 25, n. 255. Joubert, 1601, p. 117, no 59, connaît déjà le premier sous la forme : « Qui a de senicle & de la bugle, il fait au Medecin la nicque. »
-
[177]
Cet exemple et les suivants sont tirés du site internet http://histoirepharmacie.free.fr/main05.htm (consulté le13-01-2018).
-
[178]
Cf.https://artifexinopere.com/?p=13363 (consulté le 12-03-2019).
-
[179]
En Ariège, on dit : « Le qu’a salbio dins l’ort / Se salbo de la mort. » (« Celui qui a de la sauge dans le jardin / Évite la mort ») : Moulis, 1961, p. 115. Ce dicton est en fait repris d’un axiome de l’École de Salerne : « Pourquoi mourir si l’on a de la sauge dans son jardin ? » : Bilimoff, 2011, p. 48. C’est pour cela que la sauge officinale ou sauge sclarée (Salvia sclarea L.) est appelée Toute bonne :Lucas, 2015, p. 68.
-
[180]
Causse de Blandis (Gard) : Durand-Tullou, 1972, p. 226.
-
[181]
Loux et Richard, 1978, p. 69-70. Mais inversement, « Le médecin se réjouit au temps des cerises », car il y a beaucoup de malades en été : ibid., p. 161.
-
[182]
Seguin, 1980 (1941), p. 37.
-
[183]
Maneuvrier, 2008, p. 41.
-
[184]
Moulis, 1961, p. 115. « Alh è cebos le maiti, / Pèrto pel medici. » Le folkloriste et historien A. Moulis (1896-1996) précise que son terrain d’enquête personnelle s’est limité à Bélesta, Villeneuve-d’Olmes, Fougax-et-Barrineuf et Freychenet.
-
[185]
De la Méthode thérapeutique, livre XII, 866K : cf. Galen, 2014, t. iii, p. 307.
-
[186]
Giraudon, 2013, p. 90.
-
[187]
Lossec, 2013, p. 10.
-
[188]
Bos, 1992, p. 56 ; Loux et Richard, 1978, p. 321, no 3411.
-
[189]
En référence à son utilisation concrète dans certains remèdes populaires. Outre les simples, la pharmacopée rurale faisait usage de vers de terre, araignées, grenouilles, limaces, rats, souris, vipères, taupes, blaireaux, pigeons, etc. Les fientes animales (bouses de vache, fientes de souris, etc.) et les excréments humains sont aussi utilisés. Cela à côté ou en parallèle avec des cierges bénits, du buis bénit, etc.
-
[190]
Ces deux derniers exemples sont cités d’après Sionneau, 2013, p. 50.
-
[191]
Couhé, 1808, p. vii.
-
[192]
Arnaudin, 1996, t. ii, respectivement p. 258, no 1671 et p. 128, no 776. Ce dernier proverbe est aussi connu en Champagne.
-
[193]
Bos, 1992, p. 56.
-
[194]
Ce dicton et le précédent sont cités par Bos, 1992, p. 56.
-
[195]
Loux, 1990, p. 72.
-
[196]
Loux et Richard, 1978, p. 321, no 3449.
-
[197]
Pluquet, 1834, p. 122.
-
[198]
Durand-Tullou, 1985, p. 241.
-
[199]
Desforges, 1997, p. 55. Cet ouvrage posthume est la réunion d’études dispersées dans diverses revues. Antoine Desforges est un folkloriste nivernais (1866-1943).
-
[200]
Ms. Poésies populaires de la France, VI, fo 244v.
-
[201]
Manuscrit Victor Smith, vol. iii, p. 3, cité d’après Coirault, 1955, p. 198.
-
[202]
« Seau de bois ou de toile, muni d’oreilles dans lesquelles on passe une corde en guise d’anse et qui sert à transporter de l’eau, du vin, du lait et, en particulier, le moût tiré du pressoir que l’on verse dans la cuve » : TLFi, s.v.Seille.
-
[203]
Beauquier, 1894, p. 360-362.
-
[204]
Piniès, 1983, p. 157-158.
-
[205]
Géniaux, 1912, p. 84.
-
[206]
Gagnon, 1948, p. 163.
-
[207]
Mais pas toujours ! Certains vendent des poisons drastiques ou caustiques, manient des sondes de fortune, des rasoirs et des bistouris. « Il n’est pas vrai que tout le guérissage appartienne à une contre-culture antibourgeoise et se cantonne dans les technologies douces » : Léonard, 1980, p. 511, avec exemples.
-
[208]
Mais pas seulement des pauvres citadins. À Paris, en 1836, selon un journal de médecine, des gens instruits ou de haut rang, des avocats, des artistes distingués « négligent les conseils d’un homme de l’art et font magnétiser leurs enfants » : Léonard, 1980, p. 511.
-
[209]
L’un se déclare « oculiste honoraire de Sa Majesté », un autre, nommé Lallemand, se présente comme « dentiste du roi de Prusse », un autre encore est « embassadeur [sic] du roi de Perse, privilégié de MM. les préfets du Nord et du Calvados » : Faure, 1993, p. 34.
-
[210]
Olivier Faure, 1993, p. 11, caractérise les poncifs de la littérature médicale antérieure à la révolution pasteurienne qui dénonce sans relâche « avec des accents tragiques, les méfaits redoublés de l’exercice illégal [de la médecine], la concurrence déloyale des religieuses, les crimes des charlatans », un « peuple demeuré sauvage à ses yeux, muré dans sa routine et des préjugés, inaccessible à tout raisonnement et réfractaire à toute intervention extérieurs », comme un « discours largement idéologique ».
-
[211]
Ory, 1951, p. 179.
-
[212]
Dumoulin, 1996, p. 140.
-
[213]
Camus, 1997, p. 41-42.
-
[214]
Valière, 2007, § 31 (en ligne).
-
[215]
Site Internet : http://aieux-bretons-et-normands.eklablog.com/guerisseurs-et-sorciers-en-bretagne-a132288372 (consulté le 16-03-2019).
-
[216]
Voir une liste (qui n’est sans doute pas complète) sur le site Internet : https://fr.wikipedia.org, s.v. Liste des médecines non conventionnelles (consulté le 20-03-2019).
-
[217]
Coste, 2002, p. 503.
-
[218]
Cette opinion est réaffirmée plus loin, mais précédée cette fois d’une semonce qui se situe sur un autre plan : « On est contraint de condamner ces pratiques, probablement parce que l’on prend confusément conscience de leur caractère irrationnel ; cependant si une étude statistique pouvait être faite, on ne manquerait certainement pas d’être étonné par les résultats » : Moniez et Boucher, 1976, p. 134). Autrement dit, ces pratiques sont condamnables sur le plan de la rationalité, mais leur degré de réussite ne peut être éludé et doit être expliqué hors du cadre de la stricte rationalité.
-
[219]
Ibid., p. 131-132.
-
[220]
Voir par exemple le rapport des DrsBontoux, Couturier et Menkès, membres de l’Académie nationale de médecine, 2013.
1Même réduite au seul xixe siècle, l’étude des soins médicaux en milieu rural est chose complexe en raison de la diversité des situations régionales, voire microrégionales. Elle ne saurait à l’évidence être conduite dans le cadre d’un simple article. Il est possible en revanche d’apporter un éclairage partiel sur ce sujet à partir de l’examen du discours tenu par les diverses parties concernées, en l’occurrence le corps médical (médecins et officiers de santé), les paysans et les guérisseurs empiriques sédentaires (rebouteux, panseurs de secrets, devins, leveurs de sorts [1]…) ou ambulants (colporteurs-herboristes) [2]. Dans ces « regards croisés », il sera surtout question de donner la parole aux intéressés, tout en sachant que les médecins ont été les plus diserts.
2Les propos des médecins ici cités sont tirés d’un échantillon d’ouvrages, de thèses de médecine et d’articles publiés dans des revues médicales s’échelonnant du début du xixe siècle au début du xxe : Couhé (1808), Richerand (1812), Naville (1822), Tixier (1872), Pauc (1882), Legendre (1883), Mazel (1896), Barbot (1899), Tiffaud (1899), Darmezin (1904), Suter (1905) et Brisson (1912). L’adjectif qui revient le plus souvent dans les titres de ces écrits pour caractériser le milieu social étudié est « populaire », ce qui recouvre le plus souvent le milieu paysan et peut inclure celui des artisans ruraux. On trouve parfois « campagne » et « province » (avec parfois la précision régionale). Quelques auteurs consacrent un ouvrage entier aux rapports entre le « médecin de campagne » et ses malades [3].
3Les expressions employées par ces médecins dans le titre même d’un certain nombre de leurs écrits pour qualifier les pratiques de soin dans les milieux populaires et, plus particulièrement, ruraux, sont déjà riches d’enseignements quant à l’esprit qui les anime. Reprise directement d’un ouvrage de Laurent Joubert (1529-1583) [4], célèbre médecin et chancelier de l’université de Montpellier, l’expression « Erreurs populaires » figure dans le titre d’un pamphlet du Dr Richerand (1810). Il est question de « Préjugés populaires » chez le Dr Legendre (1883), tandis que le Dr Pauc associe les deux termes pour disserter Des Erreurs et préjugés populaires en médecine (1883) [5]. Les Drs Darmezin (1904) et Brisson (1912) préfèrent pour leur part le terme de « Superstition(s) ». Les Drs Tixier (1872) et Tiffaud (1899) se placent quant à eux sur le terrain juridique en parlant d’« Exercice illégal » de la médecine. Toujours dans les titres de publications des médecins, les guérisseurs empiriques sont qualifiés de « sorciers » (Brisson). Ce dernier terme (et « sorcière » pour une femme) est nettement péjoratif dans l’esprit des médecins, bien qu’il soit repris du vocabulaire des campagnards qui nomment ainsi des empiriques généralement âgés pratiquant des soins accompagnés de rituels à caractère magico-religieux [6].
4Si l’on se tourne à présent vers les folkloristes et érudits non médecins de la même époque, observateurs-transcripteurs des mœurs des milieux populaires en matière de soins médicaux, on constate que le vocabulaire des titres reste en général négatif. L’antiquaire Frédéric Pluquet (1781-1831) reprend à son compte le terme de « préjugés » populaires en 1823. Le folkloriste Lionel Bonnemère évoque en 1890 les « Superstitions » de ces mêmes populations pour le Maine-et-Loire, tandis qu’Émile Gilbert, publiciste horticole à Moulins, se targue de décrire les « Sorciers et magiciens » du Bourbonnais (1895) : sorciers-médecins, sorciers-rebouteurs et sorciers-magiciens.
5Le corpus ici retenu des citations et des études de folkloristes porte sur un choix relativement étendu de régions françaises (anciennes provinces, départements) [7] : Anjou [8], Ariège [9], Berry [10], Bourbonnais [11], Bretagne [12], Gâtinais et Hurepoix [13], Gironde [14], Landes [15], Morvan et Nivernais [16], Normandie [17], Picardie [18], Roussillon [19].
6C’est avec les ethnologues que l’on observe un renouvellement des expressions dans les titres de leurs ouvrages et études plus ponctuelles, renouvellement qui traduit une volonté d’approche plus neutre, voire plus empathique. Jean Seguin parle de « L’art de soigner » bêtes et gens en Normandie (1941) ; Rivière-Sestier (1942) et Maneuvrier (2008) de « Remèdes populaires ». Il est question d’« ethnobotanique » et de « civilisation traditionnelle » chez Adrienne Durand-Tullou (1972) et de « société rurale traditionnelle » chez René Goursaud (1978). On doit aussi signaler l’importante thèse d’État (1986) de l’ethnologue André Julliard qui enquêta dans la Bresse et le Bugey entre 1974 et 1985, thèse malheureusement jamais publiée.
7La mise en perspective historique relative à cette étude centrée sur la perception des attitudes et des mentalités prises dans la triangulation médecin-malade-empirique sera assurée par les observations d’auteurs de thèses d’histoire de la médecine, de rapports ou de communications portant sur la médecine populaire [20], ainsi que par le regard critique des historiens se réclamant de l’histoire sociale de la médecine et des médecins [21] et par celui d’une historienne de la criminalité [22].
8Olivier Faure en particulier esquisse dans l’introduction à son ouvrage Les Français et leur médecine au xixe siècle (1993) une historiographie partielle des approches et thèses récentes qui se sont efforcées d’expliquer la demande accrue de soins médicaux de la part des Français. Partant de cette constatation objective, il distingue tout d’abord un courant qu’il taxe d’« idée reçue », courant qui voudrait voir dans l’extension des recours médicaux une conséquence directe et quasi mécanique des progrès de la science médicale. Il discerne en second lieu une tendance, datant des années 1970, à voir dans ce triomphe de la médicalisation croissante des populations la manifestation d’une entreprise pluriséculaire d’éradication de la culture populaire par les élites, de leur conversion « aux normes de la Science et de la “bourgeoisieˮ [23]. » En contrepoint, la thèse défendue par Faure est que le ralliement de la population à la médecine scientifique et officielle qui constitue une indéniable révolution culturelle « a été au moins autant voulue par le peuple qu’imposée par les médecins et les autorités [24] ». Toujours selon lui, « souvent décrite comme une assimilation de la culture traditionnelle par la culture savante, la médicalisation [fut] plus souvent intégration d’éléments nouveaux au système ancien ».
9Joël Coste, médecin hospitalo-universitaire, note aussi en 2002 le second courant identifié par Faure, courant qu’il situe entre 1970 et 1980. « En phase avec l’air du temps contestataire », il se caractérise, selon lui, par la conjonction d’une mise en ordre sociale et d’une mise en ordre du corps. La médecine populaire y est présentée « comme une manifestation de la résistance de ces mêmes classes populaires. » Et de citer notamment des ouvrages et articles de Michel Foucault, Marc Augé, Yvan Illich, Françoise Loux, François Laplantine et Luc Boltanski. « Dans ceux-ci, la médecine savante est habituellement considérée comme un instrument aux mains de la “bourgeoisieˮ pour mettre au pas les “classes populairesˮ [25]. »
10Pour Faure et Coste, la demande croissante de médicalisation de la part des gens de la campagne, loin d’être le produit mécanique d’une éradication ou d’une acculturation de la culture populaire par les élites scientifico-bourgeoises, est en réalité le résultat d’une « lecture » orientée par un courant ethnographique contestataire des années 1970-80. Néanmoins, cette thèse se trouve partiellement infirmée par les conclusions d’Annick Le Douget, spécialiste de l’histoire de la criminalité, dans le cas des poursuites judiciaires pour exercice illégal de la médecine, poursuites initiées par les médecins contre les guérisseurs. Elle résume ainsi les vues et actions des patients ruraux au vu des dépositions des guérisseurs et des patients :
« Quand le gouvernement, par la promulgation de quelque loi, se met en tête de modifier unilatéralement les coutumes et les mentalités du pays, d’effacer les particularismes locaux et d’imposer de nouvelles pratiques [médicales] plus modernes à ses yeux, rien ne va plus ! Les Finistériens, notamment ceux du monde rural, ne sont pas prêts à accepter ces changements qui menacent leur vie personnelle : ils sont attachés à cette médecine des guérisseurs et rebouteux, peu chère, pratique par sa proximité et conforme à leurs traditions. Le choix de ce type de soins relève de leur liberté, et l’action judiciaire est vue dès lors comme une ingérence insupportable, voire un affront à leur mode de vie. […] Un réseau de solidarité se met donc en place naturellement autour du prévenu dont les agissements ne sont guère vus comme délictuels [26]. »
« Comment la justice, aiguillonnée par les médecins pour faire respecter leur monopole, peut-elle leur refuser le droit d’être soignés, le droit de ne plus souffrir, le droit de guérir ? Pourquoi s’immisce-t-elle dans ce domaine intime de la santé où prévaut la liberté de chacun à disposer de son propre corps ? […] C’est ainsi qu’il faut comprendre le motif des réactions collectives de résistance aux poursuites impopulaires, motif qui nous échappe aujourd’hui parce que, sur le très long terme, la médecine moderne a fini par s’imposer [27]. »
13L’argument avancé n’est donc pas celui du refus systématique de la médecine scientifique ; il est celui de la liberté de choisir un mode de soins adapté à un certain mode de vie en général ou à des circonstances particulières à un moment donné. Il peut donc aussi, le cas échéant, impliquer le recours au médecin ou à l’officier de santé. On verra en fait au fil des citations et analyses qui suivent que si chacun de ces trois courants distingués par Faure contient néanmoins une incontestable part de vérité, aucun ne saurait à lui seul recouvrir l’ensemble du champ explicatif pour un sujet aussi complexe et évolutif dans la durée.
14Cela dit, on doit se demander si, sur la durée, l’accroissement objectif de la demande de soins médicalisés reconnue par ces trois courants se reflète mécaniquement ou non sur l’image et les jugements portés par les divers protagonistes engagés dans la recherche d’un acte thérapeutique quelconque. Comment donc s’établit au xixe siècle la dynamique des perceptions et des rapports concrets au sein de cette « trinité » constituée du médecin, du guérisseur empirique et du patient d’origine populaire destinés, bon gré malgré gré, à cohabiter ? L’examen des documents émanant du corps médical montre que ce dernier se place non seulement en position de témoin et de juge direct des empiriques, mais aussi de témoin et de juge indirect des paysans adhérant aux pratiques de soin de ces guérisseurs. En retour, on verra que la « sagesse paysanne » ne se prive pas de porter un jugement d’ensemble sur les médecins et la médecine par l’intermédiaire de dictons et de proverbes à valeur mnémotechnique et patrimoniale. Rares enfin sont les guérisseurs qui, hors procès, prennent la parole [28]. Il s’agit donc de « regards » et de paroles en partie biaisés, mais néanmoins susceptibles de révéler des tensions autour de l’activité thérapeutique, tensions symptomatiques de conceptions divergentes sur le fonctionnement du corps, la nature du mal et des maladies, ainsi que sur les soins et les remèdes à y apporter.
Des paysans « durs à la peine et résistants à la douleur »
Autodiagnostic, automédication et autres préférences thérapeutiques des paysans
15Les paysans ont la réputation d’être durs à la peine et résistants à la douleur [29]. Vraie ou exagérée en ce qui concerne la seconde partie de l’énoncé, cette réputation a certainement quelque chose à voir avec la circonspection avec laquelle les ruraux mettent en branle le processus thérapeutique en fonction de la catégorisation du « mal » en question. Blessé ou malade, le paysan ou ses proches établissent d’abord un autodiagnostic en fonction de critères symptomatiques qui leur sont propres, diagnostic qui détermine la conduite à suivre en matière de soins. Au xixe siècle, les paysans de l’ancienne province du Limousin (Haute-Vienne, Charente, Périgord, Corrèze et Creuse), pour la plupart pauvres et illettrés, ne distinguent guère que quatre sortes de maladies : lapetite échauffure (fièvre, angine, etc.) qui, en raison de sa bénignité, ne méritait pas que l’on fît appel au médecin ; lagrande échauffure (pneumonie, scarlatine, dysenterie, catarrhe, etc.), plus grave, mais qui devait suivre son cours sans être contrariée par une quelconque intervention ; lemal dans le corps (lésions du cœur, du foie, des reins, etc.) qui dure longtemps et pour lequel, du fait de sa gravité, on n’appelait pas le médecin, car celui-ci n’aurait pas manqué de revenir plusieurs fois, ce qui aurait entraîné des frais très importants ; le corps gâté enfin (phtisie, cancer, paralysie…), maladies contre lesquelles les médecins sont totalement impuissants [30]. Un dicton landais du xixe siècle n’affirmait-il pas d’ailleurs que « Paciénce qu’es lou medecin dous praubes » (« Patience est le médecin des pauvres ») [31] ? On voit que de tels « diagnostics » ne laissaient guère a priori de place aux confrères de l’art hippocratique ! Encore vers le milieu du xxe siècle, dans les zones reculées du Dauphiné, on ne soignait guère que les « chauds et froids » (affections pulmonaires) pour les hommes, le sang mêlé pour les femmes [32] et les vers pour les enfants [33]. De fait, un peu partout en France, les paysans pratiquèrent ou passèrent longtemps pour pratiquer une « médecine sans médecin » [34]. On verra toutefois que cette expression frappante, mais nettement exagérée, n’implique pas – loin de là – l’absence de tout contact avec le corps médical [35].
16En matière de demande de soins de la part des populations rurales, il faudrait pouvoir se garder de toute généralisation. La fièvre, conçue par les paysans comme une maladie et non comme un symptôme, est en l’occurrence un cas d’espèce. Jacques Léonard note qu’en Bretagne au xixe siècle les paysans ne font pas même appel au médecin pour des enfants « dérangés » qui grelottent de fièvre du fait de la dysenterie [36]. Mais cette apparente « cruauté » (d’un point de vue moderne) peut être mitigée, quand on constate qu’en 1873, un cabaretier de Dinéault (Finistère) paie deux francs un remède (inefficace) à une veuve pour son enfant atteint de fièvre [37]. Est-ce parce que le cabaretier est plus riche que le paysan qu’il paie pour un remède ? Ce cabaretier est-il particulièrement sensible, particulièrement attaché à son enfant ? Mais rien ne dit, dans la généralisation de Jacques Léonard, que les paysans n’ont pas fait intervenir (en payant ou sans payer) un empirique. Entre le général et le particulier, on reste en ces matières sur l’impression de ne pouvoir porter de jugement d’ensemble. Tout ce que l’on peut dire, c’est que ni les paysans ni le cabaretier n’ont fait appel à un médecin.
17Cette constatation trouve un écho dans les déclarations de l’administrateur et historien du travail Joseph Barberet, pour le Morvan rural du xixe siècle [38] :
« Dans cette partie du Morvan [entre Nevers et Château-Chinon] un malade va d’abord consulter le devin [« guérisseur local »]. C’est une habitude contractée d’arrière-grands-pères en petits-fils. Il y a des devins dans tous les villages, pour le monde et pour le bétail. Si le malade n’a qu’une indisposition passagère, il se guérit seul ; si, au contraire, son mal s’aggrave, il croit que cela ne sera rien. Le devin lui a ordonné des pratiques mystérieuses et l’a assuré de la guérison. Lui et les siens s’en rapportent à ce qui leur a été dit, et la mort est pour eux une fatalité que le médecin n’a pas le pouvoir d’empêcher. Ils le font appeler plutôt pour constater qu’il n’y a plus rien à faire que pour essayer de triompher du mal. Et encore convient-il d’ajouter qu’ils font vérifier ses ordonnances par les devins ; ils ne les font remplir par des pharmaciens que si les devins donnent leur assentiment. »
19Ainsi, et en schématisant, ou bien le mal est bénin et se guérit tout seul, la maladie « suivant son cours », ou bien il est sévère et s’aggrave dans la durée et dans ce cas, une intervention du médecin serait non seulement fort coûteuse, mais inutile [39], la médecine officielle étant perçue comme impuissante à rétablir la santé du malade (homme ou animal). Ce qui n’est pas toujours inexact, d’autant que comme le note le Dr Jean-Luc Bos, également historien de la médecine, « pendant la première partie du xixe siècle, la tonalité dominante de la pratique des médecins est à l’expectative : des potions calmantes, des bains de pieds inoffensifs, des cataplasmes… ». Ces propos font écho à ceux du pharmacien Homais à propos d’Emma Bovary : « Du régime, voilà tout ! des sédatifs, des émollients, des dulcifiants [40]. » Durant la majeure partie du xixe siècle, en cas de syphilis et surtout d’épidémies (choléra, typhus, variole, grippe, etc.), les médecins mettent les malades à l’isolement par peur du contact : « Leur mal doit donc évoluer à l’écart de leur famille, sans qu’aucun soin ne leur soit donné [41]. » On peut dans ces conditions comprendre que les paysans s’abstiennent de faire venir le médecin pour s’entendre prescrire un tel traitement…
20Ils ne sont pas forcément mieux servis par les officiers de santé moins onéreux. Au sortir de la Révolution française qui instaura en 1792 la fin des instances régulatrices en matière d’exercice de la médecine et supprima l’année suivante la Société Royale de Médecine, ces derniers sont de piètre qualité :
« Dans l’arrondissement de Fougères (Ille-et-Vilaine) le sous-préfet de 1813 juge que sept sur dix sont médiocres ; dans le département du Rhône, trois cinquièmes des officiers de santé “sur certificat [42]” (comme on les désigne) ne font allusion à aucune étude et n’offrent que des cursus décousus. La situation est identique en Ardèche, où les officiers de santé sans titre abondent au tout début du siècle [43]. »
22En fait, il existe à cette époque une véritable proximité, voire une porosité professionnelle, entre ces officiers de santé « sur certificat » et certains guérisseurs empiriques [44]. Toutefois à partir de 1840, les jurys chargés d’examiner les connaissances des candidats théoriquement titulaires du baccalauréat se font plus sévères, donc plus sélectifs. Malheureusement, dans bien des cas encore, nécessité faisant loi, les maires préfèrent encore un praticien médiocre ou suspect (en matière de diplôme) à son absence complète, état des choses qu’Olivier Faure interprète comme révélateur de « l’existence d’un marché médical rural réel, même s’il est incapable d’utiliser autre chose que des professionnels médiocrement qualifiés et des soins élémentaires » [45].
23C’est donc dans ce contexte d’une médecine officielle coûteuse et pourtant encore peu efficace dans bien des cas que les populations rurales sont souvent amenées à pratiquer l’automédication ou à se tourner vers les guérisseurs empiriques locaux ou ambulants. Dès lors, c’est dans l’entre-deux du bénin et de l’incurable que peut se placer la demande de soins du paysan auprès de l’empirique. C’est pourquoi, d’une manière générale, pour les officiers de santé et médecins désireux de soigner les populations selon les principes de la médecine moderne et scientifique, ce concurrent « déloyal » et illégal constitue une sorte d’écran qui s’interpose et interfère avec leur activité, voire s’oppose à leur intervention.
24En date de 1832, le témoignage de François Marie Guillaume Habasque (1788-1855), président du tribunal de Saint-Brieuc, sur les rebouteux des anciennes Côtes-du-Nord, est à cet égard emblématique. Il reflète assez bien la méfiance et l’incompréhension qui règnent de part et d’autre entre paysans et « gens de ville » à cette époque [46] :
« Le paysan se casse-t-il un bras, une jambe ? il a recours au bailleul, que dans le pays on nomme rebouteur, qui souvent l’estropie, ce qui ne diminue pas la confiance en son savoir. On en a aucune au contraire dans les médecins reçus dans les facultés. D’abord, on prétend qu’ils se font payer trop cher, et puis ils parlent un jargon que l’on ne comprend pas. On se borne donc à y prendre du vin chaud ou de l’eau-de-vie, dans lesquels on mêle du poivre ou quelque autre ingrédient : ce sont là des spécifiques pour tous les maux.
Veut-on leur faire sentir tout le tort qu’ils se font ? Ils vous répondent : vous autres gens de ville, dès que vous avez la plus légère indisposition vous avez recours à ce que vous appelez des docteurs, en vivez-vous plus vieux ? »
26Habasque ajoute qu’il avait fait condamner en 1816 l’un de ces médicastres, un dénommé Pierre Tanguy dit Mouton habitant à Trégueux et « en indiscutable vogue », à un an de prison pour avoir empoisonné un homme avec une tisane à base d’ellébore noir.
27La perception par le paysan d’une forme d’impuissance de la médecine durant la première moitié du xixe siècle est globalement corroborée par les études historiques. Décrivant la situation pour cette période, l’historien de la médecine Hervé Guillemain parle d’« une profession contestée dans sa valeur scientifique et thérapeutique » et d’« un pouvoir encore bien fragile » [47]. Claude Bernard reproche à certains médecins, notamment aux vitalistes, de « barboter dans le psycho-magique », presque de se comporter en… guérisseurs, prescrivant infusions, purgations et sudations [48].
28Les multiples problèmes et carences du corps médical de l’époque sont résumés dans cette citation de Guillemain :
« La reconnaissance sociale dont [les médecins] jouissent est encore faible : ils font face à des populations qui rechignent souvent à payer leurs services et sont confrontés à une concurrence extra médicale redoutable, celle des guérisseurs, des religieux, des pharmaciens. Ils guérissent peu. Pour ces raisons […], la médecine est une profession qui se pense perpétuellement en crise au xixe siècle [49]. »
30Les médecins, bretons en particulier, déclarent en outre se heurter à l’inertie et à la fatalité du milieu rural qui semble faire bloc vis-à-vis du médecin et des hygiénistes [50] :
« Rien à faire contre “la résignation fataliste des anciens temps !” Impossible d’obtenir que l’eau suspecte soit bouillie. “Voyez-vous, mes bons messieurs, c’est le bon Dieu qui nous fait mourir, ce n’est pas l’eau !” s’exclame une Quimpéroise en prenant de l’eau à une “mauvaise fontaine”. Impossible de briser la sociabilité rurale, en inspirant la peur de la contagion ; les parents, les voisins se relaient au chevet des varioleux et des diphtériques. Tous les discours exhortant à éloigner les fumiers des points d’eau, à rompre la cohabitation ou la promiscuité avec les animaux, à ne plus faire de la rue le dépotoir général, se heurtent à l’incompréhension, à la résistance des intérêts professionnels et à la puissance des habitudes. »
32Nombre de médecins et de folkloristes du xixe siècle et du début du xxe ont noté que très souvent le médecin constitue pour le paysan malade le dernier recours, quand tous les autres ont échoué [51]. De fait, appeler le médecin en cas de maladie ou de blessure n’était pas encore entré dans les mentalités paysannes. On ne le faisait qu’en cas de maladie gravissime et encore pas toujours. Avant même de faire venir ou de consulter le guérisseur, rebouteux ou panseur de secret [52], les paysans et les « petites gens » des campagnes et des villes se soignaient d’abord eux-mêmes avec les moyens du bord : recettes et « secrets » de guérison ou de protection à base de simples [53], transmis dans les familles ou entre voisins, pour les maux courants ou identifiables ; prières, pèlerinages et « voyages » aux « bonnes fontaines » et aux chapelles des « bons saints » [54] pour les maladies plus mystérieuses paraissant avoir un rapport avec des puissances de l’Au-delà et avec le surnaturel en général (y compris les défunts). Dans ce dernier cas, on faisait appel aux dormeuses, rêveuses ou somnambules en Bretagne [55] ou aux messagers ou messagères des morts dits armariés ou armièrs en Lauragais, Montagne Noire, Narbonnais et Ariège [56]. Enfin, fort prisée du monde paysan, la « médecine des signatures » pratiquée en automédication ou par l’intermédiaire d’un empirique s’efforçait d’établir une cohérence entre le microcosme (corps humain) et le macrocosme (cosmos, nature) à travers la perception de correspondances ou analogies naturelles (couleurs, formes, textures, etc.) ou culturelles (noms donnés a posteriori !) dans le règne végétal ou animal [57].
33Il est vrai cependant que, du point de vue des résultats, l’image précaire des médecins et de la médecine savante ira en s’estompant dans la seconde moitié du siècle avec la montée en puissance du mouvement hygiéniste adossé aux découvertes du chimiste Lavoisier (1743-1794), avec les travaux de Claude Bernard (1813-1878) et de Louis Pasteur (1822-1895), ainsi qu’avec la disponibilité de remèdes réellement efficaces : quinquina et sulfate de quinine pour les fièvres paludéennes, digitale pour les problèmes cardiaques, infusions de bardane ou de cochléaria officinale contre le scorbut, huile de foie de morue contre le rachitisme infantile, etc. [58].
34Pour expliquer l’accroissement de la demande de soins et de médicaments par les populations, Olivier Faure parle d’« intégration d’éléments nouveaux au système ancien ». Il y voit davantage une acculturation qui se fait sur une base plus spontanée qu’imposée. Mais il note aussi que « ce changement chemine plus souvent par des voies détournées que par l’effet d’une volonté extérieure [59] ». Cette dernière est avant toute chose celle des médecins. Mais il me semble que l’on peut mettre au compte des « voies détournées » l’influence de personnages intermédiaires repérée par Jacques Léonard. Ce dernier note en effet qu’à partir de la fin du xixe siècle, les premiers rudiments d’hygiène domestique pénètrent dans les milieux ruraux par le truchement de ces alliés des médecins que furent les marchands de bois et de bestiaux, les meuniers et aubergistes, les agriculteurs cossus et les petits châtelains qui, vivant au contact des paysans, leur servaient de relais [60]. Des artisans ruraux auxquels les médecins demandaient de fabriquer ou de réparer certains instruments médicaux ou chirurgicaux purent aussi servir de relais avec la paysannerie locale [61]. Il faudra cependant attendre encore presque le milieu du xxe siècle pour voir les propriétés des antibiotiques, seuls efficaces contre les infections bactériennes, établies, et leur usage se répandre.
35On a vu que le milieu paysan établissait face au mal un autodiagnostic formulé selon sa propre nosologie et terminologie, reflet de ses propres conceptions anatomico-physiologiques et magico-religieuses sur la nature du mal [62] qu’il partage d’ailleurs avec les guérisseurs empiriques. Que peut dès lors comprendre un médecin frais sorti des Écoles quand – exemples parmi tant d’autres – le paysan lui parle de mal d’arête (Vosges), de chaple ou d’enchaple (Poitou) ou encore de rastoule (Ardèche) ? Il s’agit là, en général, de types particuliers de rhumatismes, mais pas toujours ! Prenons le cas du chaple. Ce dernier peut être une sorte de synovite sèche aiguë [63]. En Pays Charentais, c’est le charpentier au métier prestigieux (saint Joseph, Jésus) qui soigne par pansement les chaples dits aussi chapres ou charpres (« abcès »). Il fait mine de frapper trois fois de sa hache la région chapelouse. Dans la région de Montbron, l’artisan muni de sa hache couche le malade sur son établi, puis fait semblant d’asséner un violent coup sur le mal. En Saintonge, à défaut de hache, il utilise un couteau [64]. Mais le chaple n’est pas toujours « ce » chaple ! Il existe en effet d’autres pathologies désignées sous le nom de chaple ou chape en Poitou (et chapelet en Loire-Atlantique). Elles n’ont rien à voir avec la précédente. Il s’agit cette fois de ganglions du cou et des aisselles, voire du sein. Ce nom donné par les paysans proviendrait du fait que ces ganglions roulent sous les doigts à la manière des grains de chapelet ou de sable (chaple en dialecte poitevin). Ce type de chaple n’est guéri que par un marcou, septième garçon d’une famille [65]. Les charpentiers réapparaissent toutefois avec l’abbé Lalanne qui indique dans son Glossaire du patois poitevin deux sens pour la (sic) chaple : « tumeur, abcès » pansée par un charpentier et « pourriture aux bouts des seins des nourrices ». Il indique aussi que de vieilles femmes touchaient la chaple [66]. D’autre part, guérisseurs et paysans donnent les noms des plantes médicinales et des remèdes en « patois » ou d’après le nom d’un saint : en Bretagne, il est, par exemple, question de la mam ar louzoù, « la mère des plantes », qui pourrait être le chrysanthème matricaire, ou bien du louzaouenn an toussek, « l’herbe du crapaud », le grand plantain ; le Droug sant Anton, « mal de Saint-Antoine », correspond ici à l’érésypèle [67].
36À cet obstacle terminologique et conceptuel s’en ajoute un autre, plus général encore, auquel sont immanquablement confrontés le médecin ou l’officier de santé rural : celui de l’intercompréhension linguistique. Certains médecins sont bien sûr conscients de ce problème. Ainsi, le Dr Jean-Marie Munaret déclare-t-il avec quelque emphase et condescendance :
« De même que les missionnaires sont obligés de s’initier au sanscrit, pour se faire comprendre des Indous, le médecin de campagne doit apprendre et jargonner le dialecte du Canton qu’il habite, parce que la majorité des paysans ne comprennent pas leur langue nationale et ne veulent pas la parler, il faut absolument du patois pour les apprivoiser et ne pas encourir le capital reproche d’être trop fier [68]. »
38Jean Luc Bos fait à ce sujet d’intéressantes observations supplémentaires : il note que si la plupart des jeunes médecins et officiers de santé s’installent dans leur région d’origine, « c’est que, pendant une grande partie du xixe siècle, la compréhension parfaite de la langue et des coutumes locales est une nécessité primordiale, le français n’étant pas parlé couramment chez les gens du peuple qui en font un usage restreint et altéré [69] ». C’est certes un atout important auprès des populations locales, mais ce n’est pas le seul critère et la garantie unique et absolue pour se faire accepter par ces dernières. Que dire alors des médecins et officiers de santé qui devraient intervenir en territoire bretonnant, basque ou alsacien ? Fortuné est le praticien qui, à l’exemple du docteur Bernard Lavergne (1815-1904), de Montredon (Tarn), est capable de s’exprimer dans leur « patois » et de gagner leur confiance au point de devenir leur « guide » et même leur député [70]. Cas de figure inverse, Bos note qu’en 1854 des médecins de ville du plat pays ariégeois doivent être accompagnés d’interprètes pour combattre le choléra dans les hautes vallées du département [71]. Le handicap linguistique et culturel est en revanche inexistant pour les guérisseurs empiriques locaux qui, issus des mêmes milieux socio-culturels que les paysans, sont parfaitement fondus dans une population dont ils partagent les mœurs.
Soigner le bétail avant les hommes
39Autre particularité souvent signalée par les médecins et les folkloristes : le paysan soigne ses bêtes avant lui ou l’un de ses proches, comme le note pour la Bretagne (pays de Léon) de la toute fin du xviiie siècle Jacques Cambry (1749-1807), commissaire des sciences et des arts sous la Révolution française : « Si le cheval et la femme d’un Léonard tombent malades en même temps, il a recours au maréchal, et laisse opérer la nature sur sa moitié, qui souffre sans se plaindre [72]. » Le rédacteur anonyme de l’Annuaire du département de l’Orne pour 1809 constate pour sa part sans trop s’étonner : « Qu’une mère de famille et un animal de la ferme se trouvent malades en même-tems [sic], c’est toujours pour les bestiaux que sont les premiers soins et que se font les plus grandes dépenses. » Ce même rédacteur n’hésite pas à attribuer la cause principale des maladies à l’ensemble des empiriques, toutes catégories confondues : « Mais de toutes les causes de maladies, la plus féconde et la plus désastreuse est le recours aux charlatans, aux jugeurs d’urine, aux guérisseurs, aux vendeurs d’orviétan [73]. »
40On retrouve dans d’autres régions cette même comparaison entre les soins apportés au bétail et à la paysanne, ce qui au-delà de sa vérité intrinsèque, tend à lui conférer le statut de poncif dans la littérature médicale de l’époque. Voici ce qu’écrit en 1826 pour la Sologne, Jean-Baptiste Monfalcon, médecin de l’Hôtel-Dieu à Lyon, dans son Histoire médicale des marais… :
« Nullement occupé de sa santé, [le paysan] ne porte pas plus d’intérêt à celle de ses proches ; son attention est concentrée exclusivement sur celle de ses bestiaux. Un Solognot témoignait du chagrin de la mort prochaine de sa femme à laquelle il semblait fort attaché, il ajouta en redoublant ses sanglots : Mais ce qui est bien pire encore, j’ai perdu deux de mes vaches qui étaient bien plus nécessaires et que je n’aurai pas le moyen de remplacer. Un Solognot est malade à un point qui ne lui permet pas de continuer ses travaux ; pour se guérir il fait dire une messe, récite l’évangile d’un saint, fait consulter la vieille femme, oracle du voisinage, et si sa santé se fait attendre, demande le secours du médecin des urines ou prie le sorcier du canton de lever le sort qu’on a jeté sur lui. Un médecin éclairé est peu consulté dans cette terre classique des préjugés [74]. »
42L’affirmation péremptoire sur l’indifférence complète du paysan solognot à l’égard de sa propre santé et à celle des siens défie le bon sens et est d’ailleurs infirmée par l’énoncé des démarches entreprises auprès du clergé et des guérisseurs empiriques pour remédier à un « mal » qui entrave de manière persistante l’activité manuelle. Mais l’inquiétude primordiale causée par la maladie des bestiaux et la hâte à y remédier sont assurément des traits de vérité dont se fait également l’écho le folkloriste Francis Pérot pour le Bourbonnais du début du XXe siècle. Ce dernier est d’ailleurs certainement davantage dans le vrai lorsqu’il parle de la réticence encore prévalente des paysans à consulter sans tarder le médecin [75] :
« […] le paysan du Bourbonnais hésite de faire venir le médecin ; quand lui, ou l’un des siens se trouvent malades, l’on attend patiemment les derniers jours, et parfois il est trop tard ; tandis que quand un animau est triste, l’on a hâte d’envoyer chercher le r’bouteu des bêtes. »
44De la part des observateurs extérieurs, l’affirmation rapportée d’une priorité accordée par le paysan aux soins du gros bétail malade sur ceux de la famille (épouse en particulier) relève peut-être du poncif ou d’une casuistique orientée pour la « démonstration » (mère et bétail tombant malades en même temps ; mort des vaches davantage déplorée que celle de l’épouse). Elle témoigne en tout cas du rôle crucial de ce bétail dans la vie et la survie des familles et des communautés rurales, rôle dont les élites citadines ne sont pas forcément capables de prendre toute la mesure. En accentuant la fragilité économique du groupe laborieux, la maladie grave et la mort sont souvent les fourriers de conséquences dramatiques.
45Sans qu’il soit dans ce cas question de bestiaux, on peut encore verser à cette partie du dossier un bref passage des Misérables (1862) de Victor Hugo cité par Jacques Léonard. Il illustre, selon le romancier, « la passivité narquoise du paysan ». Quelqu’un ayant demandé au Père Untel pourquoi il avait laissé mourir sa femme de maladie sans appeler un médecin, le paysan répondit : « Nous autres, pauvres gens, j’nous mourons nous-mêmes [76]. »
La question du coût des soins
46Le succès des empiriques locaux ou ambulants s’explique certes pour une large part par la relative médiocrité des résultats de la médecine « savante » et par l’implantation encore limitée des médecins, même dans les campagnes du milieu et de la fin du xixe siècle, mais on aurait tort de négliger ou de minimiser l’importance d’un autre facteur. Dans la France des anciennes provinces, les médecins diplômés sont non seulement rares, mais surtout leurs actes médicaux et les médicaments qu’ils prescrivent sont souvent hors de portée de la plupart des bourses paysannes et ouvrières. La cherté des médecins et des soins médicaux selon les paysans est par suite un motif récurrent non seulement dans le discours des médecins de l’époque, mais aussi dans la sagesse populaire : « La note du médecin est plus chargée que l’âne du meunier [77] » (Languedoc). Le raisonnement du paysan lozérien vu par le Dr Jules Barbot en 1899 est exemplaire à cet égard et pourrait, à quelques nuances près, s’appliquer à bien d’autres provinces françaises (on en verra d’ailleurs d’autres exemples) [78] :
« Dès que le mal terrasse le paysan, il ne songe point tout d’abord à recourir à l’homme de l’art ; d’ailleurs ce dernier est un luxe, les remèdes une dépense, et puis il faut souvent aller quérir les deux fort loin, nouveaux frais. Or le paysan n’aime pas à donner le lard aux chiens : ignorance et avarice, il consulte d’abord les savants et les commères du village dont l’arsenal pharmaceutique se borne à des emplâtres ou pommades et à quelques tisanes. Si le mal ne cède pas, le malade ne plaint plus son argent et, exhorté par les proches et les amis, se met en route pour aller trouver le rebouteur. En dernier et quand les circonstances l’y obligent, il fait appeler le médecin, dont la science ne peut alors rien pour entraver la marche de la maladie. »
48D’autant qu’inversement, les guérisseurs réclament rarement de l’argent à leurs malades, ce que reconnaît même le Dr Jean-Marie Tiffaud en 1899 pour le Poitou, qui ajoute toutefois, parlant du marcou [79] :
« S’il n’est pas payé en espèces sonnantes et trébuchantes, c’est que les plus beaux poulets ou les canards les plus dodus sont allés grossir sa basse-cour. On comprend combien cette position est lucrative et partant si enviée [80]. »
50Au vu de cette dernière déclaration, on se rend compte que le « lucre » procuré par ces activités est tout relatif : il améliore tout au plus le quotidien. En 1871, une certaine Francine Justin, empirique à Coray (Finistère), déclare lors de son procès avoir reçu du lard, du beurre et du lait en témoignage de reconnaissance pour des guérisons et justement parce qu’elle refusait tout argent. Certains, toujours au tribunal, reconnaissent cependant avoir réclamé une somme d’argent, mais ajoutent que c’était pour payer le prix de simples ou pour un remède acheté en pharmacie. D’autres encore, sans demander de l’argent prennent ce qu’on leur donne [81]. Il est vrai que certains empiriques, rebouteux ou panseurs, ont pu faire fortune, mais ils ont dû être rares. Tel est le cas d’un rebouteux de Gennes en Maine-et-Loire mort peu avant 1890 en laissant une fortune estimée à 500 000 francs d’alors [82]. On cite aussi le cas d’un panseur de carreau des Côtes-d’Armor qui demande 4 francs en 1884 pour chaque signe de croix [83]…
51Les plaintes des paysans concernant la cherté des honoraires du médecin doivent cependant elles aussi être relativisées. Normalement, les soins sont gratuits pour les vrais indigents, les pauvres recueillis en hospice, les aliénés, etc. : reversé au médecin, le coût modeste de leurs soins est pris en charge par la sous-préfecture. En outre, les médecins de cette époque ne pratiquent pas de tarifs fixes : le prix varie en fonction de la fortune du patient [84]. Jusqu’à un certain point, les plus riches paient pour les plus pauvres. Évidemment, il faut éventuellement ajouter le prix des « drogues » dispensées en propharmacie, c’est-à-dire directement par le médecin, ainsi que l’indemnité de déplacement (à partir de 2 ou 3 km du domicile) devant laquelle les paysans rechignent, argumentant « que l’entretien du cheval ne revient pas plus cher quand il circule que s’il reste à l’écurie ». À quoi, « le médecin répond que l’indemnité rétribue le temps perdu et la fatigue du cavalier [85] ». La nuit, ces indemnités peuvent être doublées, voire triplées.
52Dans certains cas (crise économique, défaut de numéraire), les paysans payent aussi le médecin en œufs, volailles, lard, beurre, fromage, fruits, tonnelets de cidre, bouteilles de vins, fagots et bûches, paille et avoine pour le cheval du médecin, etc. Des artisans ruraux s’acquittent de leurs dettes en fabriquant un meuble ou en travaillant sur la propriété du médecin de campagne [86]. Remboursées par acomptes successifs, les dettes pour soins peuvent s’étaler sur un, voire deux ans en vertu de l’article 11 de la loi du 30 novembre 1892. C’est alors pratique normale dans les milieux modestes : d’où la lourdeur de la note [87]. Certains arriérés sont même parfois abandonnés par « oubli ». Dès lors, comme le note J. Léonard, « l’ingratitude des familles est un thème classique des jérémiades médicales [88] ». Tout compte fait, sans rouler sur l’or, une bonne partie des médecins appartient souvent à la « petite bourgeoisie parcimonieuse ». Certains médecins plus fortunés possèdent toutefois, indépendamment de leur statut professionnel, des biens fonciers, des revenus industriels ou financiers [89].
53On voit donc qu’aussi bien sur la question de l’incompétence thérapeutique que sur celle de « l’arnaque » financière chacun des deux camps affute ses arguments pour tenter de désarçonner le concurrent. Il faudrait même se demander si tous les médecins qui se plaignent si acrimonieusement par écrit de la concurrence déloyale des guérisseurs empiriques sont véritablement installés à la campagne.
Les empiriques vus par les médecins
Les rebouteux
54Cet ordre de préférence et d’urgence dans les soins exprimés par les populations rurales étant constaté (mais en rejetant l’exagération des médecins selon qui le paysan ne consulte jamais le médecin ou l’officier de santé), examinons à présent le regard porté par les médecins sur la « concurrence redoutable » [90] que constituent à leurs yeux les guérisseurs empiriques, voire leurs « ignobles rivalités », selon le Dr Charles Labrune en 1859 [91]. Au nom de la science et sans nul doute aussi par un réflexe corporatif, les médecins ne manquent pas de brocarder les empiriques et leurs clients, paysans et artisans ruraux pour l’essentiel, mais également, à un moindre degré, citadins peu fortunés. En fonction de la nature du mal, le paysan fait appel à divers « spécialistes », qu’il ne faut toutefois pas concevoir comme relevant nécessairement d’une stricte compartimentalisation : le rebouteux peut parfois fabriquer des remèdes par les simples ou /et accompagner ses manipulations de formules et de prières. Chaque guérisseur, notamment le panseur de secret, est potentiellement susceptible de combiner plusieurs approches thérapeutiques (principe de polyvalence).
55Selon une statistique partielle de 1860 compilée par l’Association générale des Médecins de France portant sur 32 départements, sur un total de 853 guérisseurs sédentaires, le nombre de ceux qui ne s’occupent que de reboutage s’élève à 242, mais le reste pratique à l’occasion cette discipline [92]. Pour les entorses, luxations, fractures, « tours de reins », accidents des ligaments et des muscles, le rebouteux est incontestablement aux yeux des paysans le plus qualifié. Telle n’est pas, on s’en doute, l’opinion des médecins qui ne manquent pas de mettre en avant l’ignorance crasse et les risques encourus par les malheureuses victimes de ces manipulateurs improvisés et non diplômés. L’opinion du Dr Anthelme Richerand décrivant en 1812 l’activité d’un renoueur (rebouteux) est à ce sujet représentative de la piètre estime dans laquelle les médecins tiennent ces concurrents [93] déclarés illégaux depuis la loi du 19 ventôse an XI (10 mars 1803) [94] :
« C’est surtout à traiter les fractures qui n’existent point, que les renoueurs excellent ; lorsqu’elles sont réelles, il est impossible que leur ignorance ne soit point reconnue aux horribles difformités qu’elles entraînent. Le renoueur en accuse toujours l’épanchement imaginaire du suc osseux ; mais on sait bien maintenant que la difformité dépend, dans tous les cas, du rapport vicieux dans lequel les fragments sont consolidés ; qu’il n’y a pas de suc osseux qui réunisse et soude l’un à l’autre, à la manière de la colle, les bouts d’un os cassé […]. Mais c’est principalement à relever les côtes prétendues enfoncées que le renoueur est habile. »
57Ignorance de l’anatomie, traitements de routine et invention de termes et de causes imaginaires (« suc osseux ») au mal ou aux malades, voilà bien là l’essentiel de la litanie des sarcasmes et des plaintes que les médecins diplômés adressent à leurs « rustiques [95] » concurrents.
58On retrouve une bonne partie de ces griefs dans le tableau pittoresque – à sa façon – du travail et de l’appareillage des rhabilleurs dressé par le Dr Élise Pauc [96] :
« […] Ils tirent à outrance en tous sens, ploient, retournent, compriment, étirent, élèvent, frottent, abaissent, malaxent, sans rime ni raison, ces pauvres membres endoloris, soit par un accident véritable, soit pour toute autre cause.
Rarement appelé pour les fractures graves, à cause de la divulgation forcée qui s’ensuivrait, il appliquera dans tous les cas un appareil bien simple et toujours le même : quatre planches étroites, placées sur les quatre côtés du membre, et une longue chevillière enduite de poix ou de térébenthine, pour serrer le tout par des tours circulaires, comme on ficelle un saucisson. Après quelques jours d’application de cet appareil, les douleurs deviennent tellement violentes, que le médecin, appelé en toute hâte, trouve les planchettes enfoncées dans les chairs, par suite du gonflement considérable qui s’en est suivi, et le membre en grand partie sphacélé [97]. La foi robuste du paysan n’en est pas ébranlée : “Les eschares gangréneuses sont attribuées à du sang meurtri qui s’en va par la peau !” »
60Armé d’appareillages bricolés de sa façon et de « systèmes D », le rebouteux est au mieux un ignorant inefficace, au pire un dangereux individu. Même son de cloche dans cette description du Dr Alphonse Legendre datant de la fin du xixe siècle [98] :
« Le rebouteur […] est, d’ordinaire, un homme dans la force de l’âge, dépourvu de toute instruction, ne sachant, le plus souvent, ni lire ni écrire, n’ayant pas la moindre notion d’ostéologie, trouvant partout une côte brisée ou enfoncée et, de ses mains grossières, transformant souvent une simple entorse ou une contusion en véritable luxation, quelquefois même en fracture. Il applique sur le mal qu’il a souvent produit lui-même, des étoupes imbibées de blanc d’œuf et de térébenthine, maintenues par des bandages très serrés, exerçant une constriction affreuse sur le membre malade, empêchant la circulation et pouvant amener la gangrène [99]. »
62Autrement plus efficace et implacable que les portraits-charges pour la défense du corps médical est, vers la même période, le réquisitoire du Dr Fritz Anton Suter contre les rhabilleurs de Genève et de Haute-Savoie. Tout en reconnaissant, contrairement à ses confrères, que beaucoup ont, par expérience, acquis une assez bonne connaissance de l’anatomie des membres et peuvent réduire des fractures simples ou des luxations, il décrit par le menu 90 cas (certains avec photos et radiographies à l’appui) de malades étant passés, non seulement sans succès, mais avec des séquelles importantes (fistules, purulences, nécroses, gangrènes par compression [100], etc.), entre les mains d’empiriques avant de se faire soigner dans une clinique. Parfois, l’amputation est la seule solution qui reste au médecin [101].
63Le romancier et photographe des mœurs des paysans bretons Charles Géniaux (1870-1931) offre en revanche un tableau plus uniformément positif des rebouteux : leur savoir-faire est, dit-il, fondé sur une longue observation et pratique du reboutage des épaules ou des chevilles et il ajoute : « Aussi simples que soient les paysans, ils ne tarderaient pas à se détourner d’un renoueur maladroit qui les estropierait [102]. »
64L’écart de perception entre le « rebouteux ignorant, voire dangereux » des médecins et « l’habile rebouteux » des paysans est particulièrement frappant. Bien des rebouteux ou guérisseurs locaux sont tenus en grande réputation par ces derniers. Le cas de Pierre Brioude, dit Pierrounel (1832-1907), buronnier [103], puis cantonnier de son état et rhabilleur à Nasbinals (Lozère), est à cet égard exemplaire. Voici ce qu’en dit, avec une certaine aigreur, le Dr Barbot :
« […] C’est pour toute la contrée celui qui guérit… celui vers qui s’élève la supplication, monte l’espoir dernier des malades, celui devant qui l’obstinée confiance de toute une population fait appel des jugements les plus irrévocables, des condamnations implacables de la science… c’est à Pierrounel qu’ils s’adressent, lorsque le médecin se récuse, avoue l’impuissance humaine en face de l’effroyable fatalité… Et tous vous affirmeront que Pierrounel triomphe où le savant échoue. — Je trainais depuis des mois… J’avais consulté tous les médecins, vous disent-ils… alors je suis allé à Nasbinals et Pierrounel m’a enlevé ça tout de suite [104]. »
66Comme d’autres rebouteux célèbres, Pierrounel passe pour avoir reçu du Ciel son don de guérison après avoir réparé un crucifix brisé (en l’occurrence par un vandale). Il soigne environ 30 à 35 personnes par jour, venues non seulement de toute la Lozère et des départements voisins (Aveyron, Cantal), mais encore de tout le Midi et même de Paris, voire de Londres. « Aussi bien Pierrounel est-il considéré comme la fortune du pays [105]. » La tradition locale l’élève presque au statut de héros légendaire à l’occasion de son conflit avec le corps médical. On raconte en effet que poursuivi en justice par des médecins, il désarticula un mouton vivant, puis les mit au défi de le remettre « en état de marche ». Aucun n’y réussit. Pierrounel le rebouta sans aucune difficulté. Les médecins quittèrent alors la salle sous les huées du public [106]. Après son décès en 1907, la reconnaissance publique lui éleva un monument sur la place du village [107].
67On comprend mieux aussi dans ces conditions l’amertume du Dr Pauc affirmant en 1882 que les paysans mettent sur un pied d’égalité les médecins et les empiriques de tous bords, rancœur qui s’épanche dans cette longue tirade acrimonieuse :
« Pour beaucoup de personnes peu éclairées de nos campagnes, un médecin est celui qui s’occupe de médecine ; toute personne qui passe pour conseiller des remèdes est qualifiée de médecin. Le charlatan qui vend son onguent sur la place publique ; le colporteur qui va dans les campagnes offrir, avec les épices et les aiguilles, le vermifuge ou l’élixir de longue vie ; le rebouteux qui prétend à la science des fractures et des luxations ; les médicastres accrédités dans les villages, qui vendent des paquets de simples bons à guérir tous les maux ; les empiriques de toute sorte, qui rançonnent l’ignorance et la superstition ; les illuminés, les prétendus sorciers, tous, indistinctement, sont désignés sous le nom de médecin ! Au milieu de tout cela, le médecin lui-même, le vrai, n’est qu’un privilégié, favorisé entre tous, par suite de quelque faveur spéciale qu’il tient probablement des relations sociales que sa position et sa fortune lui ont procurées et qui lui ont valu la place qu’il occupe ! Cette erreur, cette confusion grossière de l’homme instruit et honnête avec tous les charlatans connus, ne peut être que très-préjudiciable au médecin [108]. »
69En Bretagne, la situation décrite par l’historien Jacques Léonard est identique, sinon plus haute en couleur, si l’on peut dire :
« Le préfet du Morbihan écrit en 1893 au Ministre de l’Intérieur : “Le paysan ne connaît que la bonne sœur et le rebouteux.” Chaque canton possède en outre une ou deux matrones dont l’influence impose aux hommes de l’art une coexistence bougonnante. La tolérance paraît la norme, même si les relations se font plus difficiles avec les remettoux, les pansoux de feu, les pansoux de venin, les dormeuses [109] ou les coupeurs de hunes [110]. Les poursuites judiciaires, pour exceptionnelles qu’elles soient [111], révèlent des agissements particulièrement scandaleux ou dangereux. C’est ainsi qu’en 1889, les médecins des Côtes-du-Nord se plaignent d’un charlatan itinérant, soi-disant comte et duc et diplômé de la Faculté de Gennes, qui fait de nombreuses dupes à travers le pays en se vantant de guérir tous les cancers. Le cercle syndical des médecins de Nantes dénonce au parquet un empirique qui “aurait trouvé le moyen de diagnostiquer le ver solitaire, en l’entendant siffler, par l’auscultation à nu des cuisses de la malade” [112]. »
71En dépit de l’hostilité et de la rivalité quasi constantes entre praticiens officiels et empiriques [113], on rencontre quelques rares cas d’association ponctuelle recouvrant des pratiques douteuses. En Bretagne, en 1880, un rebouteux récidiviste est dénoncé pour s’être associé à un officier de santé ; peu après, une « herboriste » voit son activité couverte par un médecin qui n’examine pas même les clients [114]. À Piolenc (Vaucluse), lors de la Restauration, un médecin marron sert de caution à un « illuminé » qui pratique la « médecine mystique » ; des médecins en titre se font même « gyrovagues » (ambulants) dans les provinces durant l’époque de la crise de « l’encombrement médical » (1815-1855) [115]. Plus près de notre époque, les folkloristes picards Jacques de Wailly et Maurice Crampon signalent l’exemple contemporain « d’un célèbre guérisseur d’Amiens, bienfaisant et original, [qui] dut s’adjoindre un docteur en médecine pour éviter les poursuites. Il établissait son diagnostic en examinant les yeux des patients et les guérissait par les simples. Sa renommée s’étendait à la France entière [116] ». Dans tous ces cas, c’est le thérapeute officiel qui sert de caution scientifique au guérisseur. Nul doute que les deux partenaires devaient y trouver leur compte, tout comme certains pharmaciens peu regardants qui préparaient des « ordonnances » pour des rebouteux de foire [117]. Plus étonnant encore a priori, puisqu’aucun gain matériel n’était en jeu, est, au début du xxe siècle, le recours d’un médecin renommé de Vannes à un renoueur réputé, maire de la commune de Berric, pour réduire la fracture d’une cheville de l’un de ses enfants [118]. Mais J. Léonard signale que « plus souvent qu’on ne l’imagine, des médecins du xixe siècle envoient des clients, et même des proches, chez des rebouteux expérimentés [119] ».
Le bestiaire des rebouteux
72Outre leur ignorance et leur dangerosité, les empiriques et rebouteux vus par les médecins sont souvent laids, crasseux, parfois à l’haleine fétide. Un rebouteux du Bourbonnais est décrit comme « boiteux, les paupières rouges et les yeux chassieux ». Une « sorcière rebouteuse » de la même province est « grande, sèche, la peau parcheminée tendue sur ses os en saillie […], la bouche édentée, en partie masquée par son nez qui faisait carnaval avec son menton… ». En 1831, un reboutou qualifié de frotteur par le Dr J. Borianne « tire de sa poche bien sale un papier encore plus malpropre » et, de « sa large main crasseuse », frictionne le patient [120]. Un autre décrit par Bernard Lewis, pseudonyme du médecin-archéologue Louis Batissier (1813-1882), n’a guère été plus favorisé par la nature, tout en étant un habile comédien :
« Le sorcier […] était un gros homme, à figure d’ivrogne, chauve, aux yeux gris et perçants. Il avait mis d’énormes lunettes sur son nez, et tenait un vieux volume in-folio d’anatomie rempli de planches gravées. Il en tournait rapidement les feuillets, feignant de lire à rebours, et frappant dessus avec force [121]. »
74On voit même, sous la plume du Dr Antonin Brisson (1858-1932), s’esquisser dans ces descriptions une sorte de « bestiaire des rebouteux ». Si certains d’entre eux pavoisent au grand jour comme des coqs de village, d’autres plus timides « l’air sournois, avec leurs figures de fouine » opèrent « la nuit, de préférence, pour se glisser comme des ombres auprès des malades ». Il n’est guère surprenant dès lors, selon le médecin, que ces praticiens signalent aux passants leurs demeures par des animaux – corbeaux ou hiboux – cloués sur leurs portes [122]. On est à deux doigts de la sorcellerie, une sorcellerie ayant quasiment pignon sur rue.
75Le portrait par Pierre Petitjean d’un certain Chacaton, vivant dans une ferme isolée de ce même Bourbonnais, va dans le même sens, à savoir vers le stéréotype : il est « aussi dépenaillé qu’un mendiant » ; on ne peut distinguer la couleur d’origine de sa veste qui est d’ailleurs reprisées de « pièces de toutes les nuances » ; il porte toujours un « long foulard jaunâtre, noué à la diable autour de son cou maigre » ; ses deux sabots sont rarement « frères » ; quant à ses chaussettes, elles ne sont jamais de la même teinte. Avec cela, un visage plutôt rébarbatif, un nez en bec d’aigle, un léger strabisme, une barbe broussailleuse, une bouche édentée aux trois-quarts, etc. [123]. En fait, comme le note justement l’historien Stéphane Hug, « la figure du panseur ou du rebouteur est donc devenue peu à peu un type littéraire décliné autour de quelques poncifs corporels, vestimentaires et sociaux [124]. »
Les guérisseurs ambulants
76Les rebouteux, les panseurs de secret et les paysans ne sont pas les seuls à faire les frais de l’ire et du sarcasme du corps médical : les guérisseurs ambulants (arracheurs de dents, oculistes, vendeurs de « spécifiques » [125], dits aussi « remèdes secrets [126] », etc.) qui se déplacent de village en village ou de bourg en bourg sont aussi l’une des cibles favorites de ses attaques. Les préfets ne manquent pas non plus de les épingler en des termes plus administratifs. Voici comme le préfet du Finistère s’exprime à leur sujet dans un rapport du 25 octobre 1810 adressé au ministre de la Police générale :
« […] Il n’est peut-être pas un département dans l’empire où le charlatanisme de remèdes exerce une influence plus funeste. L’ignorance profonde des habitants de nos campagnes, leur éloignement des secours de l’art éclairé, les idées de superstition et de pratiques occultes généralement répandues et puissamment fomentées par d’adroits bateleurs, ont singulièrement accrédité dans ces contrées les fourbes des deux sexes qui mettent à contribution la crédulité populaire. Aussi n’est-il pas un pays où les empiriques soient plus nombreux. Ils circulent sans cesse dans toutes les réunions publiques, dans les foires, dans les marchés, à l’issue des grand-messes, dans les assemblées religieuses [127]. »
78Mais il revient le plus souvent aux médecins de dresser le portrait en action d’un de ces empiriques ambulants. Un bon exemple en forme de « tableau vivant » nous est fourni par la description d’un médecin bourguignon nommé Naville qui signe en 1822 un long pamphlet de plus de 350 pages contre les guérisseurs, commères et matrones de villages (mais aussi contre les médecins orgueilleux et cupides, les officiers de santé et les sages-femmes ignorants, les pharmaciens et herboristes véreux et ceux qui jouent aux médecins, etc.). Dans ce jeu du fourbe et de la dupe, le « bateleur d’estrade » est croqué en deux temps par son censeur, d’abord sur la place publique, puis en consultation privée (sans doute dans une arrière-salle de cabaret) :
« [Il est] monté sur un tréteau, revétu d’un habit doré sur toutes les coutures, les doigts garnis entier de bagues, avec une mine hardie, effrontée, un sang-froid imperturbable ; il pèse chaque parole, prononce chaque mot avec un air de dignité, fait mille questions, comme si véritablement il avait le désir ou le pouvoir de guérir, et vous examine avec une sorte d’attention recherchée. Voilà le tableau [128] de tous les guérisseurs ambulans ; si vous vous fiez à eux, si vous les laissez vous éblouir, vous êtes bientôt dupes, et vous l’êtes d’une manière d’autant plus fâcheuse et dispendieuse, qu’ils ont découvert plus d’admiration et de confiance peintes sur votre physionomie : un guérisseur ambulant sait déjà, pendant que vous lui racontez l’histoire détaillée de vos maux, la réponse qu’il doit vous faire, il la savait il y a dix ans ; car à tous et toujours il tient le même langage, c’est une leçon qu’il sait par cœur, et qu’il débite comme une tireuse d’horoscope. » »
« Les gens de la campagne sont ceux qui écoutent le plus souvent les sermons étudiés des guérisseurs ambulans, et comme pour la plupart, ils ne sont pas au fait de ces sortes de fourbes, ils ne manquent pas de se rendre à l’heure indiquée dans le lieu des consultations ; ces bonnes gens sont toujours les dupes de ces charlatans qui profitent adroitement de la terreur que leurs raisonnemens leur a inspirée ; les pauvres sots reçoivent pour l’ordinaire des consultations verbales, accompagnées de beaucoup de remèdes insignifiants, ils payent le tout fort cher ; mais le ton d’assurance, le maintien ferme joint à un raisonnement qui paraît d’autant plus juste qu’il est débité avec le plus d’emphase, font tout passer pour précieux.
Tel charlatan, qui sur la place publique, promet de traiter les pauvres gratuitement, ne connaît plus de pauvres quand on vient le consulter chez lui ; ce n’est point votre santé qui l’intéresse, ce n’est point pour elle qu’il vous étourdit de ridicules conseils débités avec assurance, c’est votre bourse qui est l’objet de sa seule sollicitude, c’est là le malade qu’il lui importe de purger jusqu’à vacuité [129]. »
81Autant le rebouteux est crasseux, presque bestial, autant le guérisseur ambulant est haut en couleur, chamarré ; l’un est fouine sournoise, l’autre est phénix au plumage éblouissant ; autant l’un peut être « taiseux », autant l’autre est verbeux ; l’un en impose au paysan par une parole rare et mystérieuse (comme le panseur de secret), l’autre par son bagout étourdissant ; tous deux sont des fourbes qui rançonnent les paysans. La question des empiriques ambulants deviendra d’autant plus aiguë que, comme le note Joël Coste, à partir de 1830, ces derniers perdirent leur crédit en milieu urbain et se replièrent sur les foires et marchés des campagnes.
82Mais en 1904, le Dr Darmezin se risque déjà presque à regretter le « bon vieux temps » des ambulants, bateleurs d’estrade :
« Hélas ! le “charlatan” de notre enfance, au casque empanaché, à cuirasse étincelante et à carrosse doré et miroitant surmonté d’un orchestre étourdissant, et qui jetait au moins une note gaie et pittoresque au milieu de ces sottises, a déjà disparu ou est en train de disparaître en Touraine [130]. »
84De fait, ces ambulants chamarrés disparurent progressivement des campagnes entre 1870 et 1914 [131]. Encore dut-il y avoir des exceptions.
85Cette disparition est en partie liée aux nouvelles techniques de recrutement des clients par les ambulants. Ces derniers savent s’adapter aux évolutions et progrès des moyens de diffusion de l’information et des moyens de locomotion. Le Dr Adolphe Lunel mentionne en 1853 un accroissement de la publicité des empiriques pour leurs « remèdes secrets » dans la presse périodique [132]. Pour sa part, le folkloriste et érudit local Jean Seguin (1893-1954) observe à ce propos une autre intéressante évolution dans les pratiques des ambulants. Pour la Normandie de la fin du XIXe siècle, il note d’abord que les « charlatans professionnels » se déplacent de marché en marché, de foire en foire, « avec de riches voitures avec tambour, leurs estrades garnies de grands bocaux où nageait du macaroni en guise de vers solitaires, et ornées de bouquets de plantes médicinales » [133]. Mais par la suite, de nouvelles pratiques se firent jour grâce à la pénétration massive de l’automobile de location qui permit de faire venir le client à soi. Seguin déclare en 1930, toujours pour la Normandie :
« De nos jours, ces individus consultent et soignent chez eux. Leur publicité se fait en partie à l’aide de rabatteurs, dont les plus actifs sont les loueurs d’automobiles. En dehors du bénéfice sur la course payée par le voyageur, ils reçoivent une commission du guérisseur. »
87Inversement, dès 1900, on voit une célèbre rebouteuse de Quimper, la veuve Talédec, se déplacer en train jusqu’à Rennes pour donner des soins à un haut fonctionnaire [134].
Des devins, sorciers et panseurs de secret « comme au temps des Gaulois »
88Au regard des images et des jugements précédents, l’opinion du Dr Victor Tixier exerçant dans le Bourbonnais de la seconde moitié du xixe siècle fait – au premier abord – figure de quasi-exception du seul fait qu’elle ne met pas d’emblée « dans le même sac » tous les empiriques. Après avoir noté que « la médecine illicite se pratique à la campagne sur une vaste échelle, [et que] tout le monde en fait », il distingue d’abord ceux qui se croient « dépositaires de quelque baume merveilleux » et en font usage sur les malades. Et d’ajouter de façon un peu inattendue par rapport à ses confrères précités : « Comme il résulte toujours de leurs visites aux pauvres gens des consolations et des secours, ces personnes ont droit au respect [135]. » Il s’en prend toutefois bientôt – assez mollement, il est vrai – aux curés de campagne qui « dépassent les limites » dans leurs prescriptions. Mais cette mansuétude étonnante cesse rapidement et son discours revient dans la norme de l’époque avec des critiques beaucoup plus acerbes contre les empiriques. Elles concernent, sans surprise, ceux qui sont mus par l’appât du gain et qui ne reculent devant aucun remède, aussi dangereux soit-il, pour s’enrichir en asseyant momentanément leur réputation.
89Mais la suite est plus étonnante et inattendue encore : il cite cette fois pêle-mêle rebouteux, gougneurs [136], panseurs des hommes et des bêtes, « tous sorciers possédant des arcanes terribles et ténébreux, jetant des sorts aux hommes et aux animaux ». Il s’attarde sur les termes sorcier et sorcière et ajoute : « Rien ne distingue le sorcier des autres hommes, si ce n’est peut-être ses allures sournoises, sa parole rare et sentencieuse. L’étude de ses mœurs est fort curieuse et nous ramène au temps de nos aïeux les Gaulois [137]. » Après ces considérations d’une piètre perspicacité historique (le traditionnel Moyen Âge « moyenâgeux [138] » étant ici abandonné au profit des Gaulois remis à la mode par Napoléon III) [139], il décrit comme chose bien connue et courante de son temps une cérémonie qui rappelle les initiations diaboliques types : on y voit défiler carrefour en forêt, invocation au diable, couverture rougeâtre ou bourrat, crapaud noir, etc. Et de conclure en grand style : « Libres alors d’exercer leur genre, les sorciers, selon que l’hérédité en a décidé, deviennent meneurs de loups ou de chats, gougneurs, panseurs ou enfin jettateurs [140]. » En définitive, le guérisseur-sorcier bourbonnais du Dr Tixier est un être totalement fantasmé ! Reconnaissons au moins à ce médecin le mérite de nous avoir livré au passage un brin de savoir des panseurs pour bêtes, « ensorceleurs qui “charment et décharment les établesˮ [141] ». Ceux-ci se targuent en effet de savoir mieux déterminer que les vétérinaires le sexe de l’animal à naître dans le ventre de sa mère : une vache est pleine d’une génisse si elle porte une paille suspendue à sa vulve ; elle est pleine d’un taureau, si elle porte un morceau de fumier desséché qu’ils appellent cathole [142].
90Les panseurs de secret ou « gens à secret », comme on disait encore au xviiie siècle, ne sont pas non plus épargnés. Nombreux sont ceux qui se targuent de spécialités, en particulier en rapport avec les affections de la peau (brûlures, dartres, verrues, furoncles, gale, eczéma, kystes, etc.), les retards de marche des petits enfants, les anémies, les maladies dentaires, les saignements, les diarrhées, les fièvres, etc. Voici à ce sujet, parmi tant d’autres, l’opinion du Dr Legendre exprimée vers la fin du xixe siècle à propos d’un diseur de cautère :
« Dans le Morvan, lorsqu’un enfant est pris de convulsions, les paysans ne font pas appeler le médecin. À quoi bon, disent-ils, c’est le cautère [143] ! qu’y peut le médecin ? Alors, on porte l’enfant auprès de quelque vieux berger crasseux et dégoûtant, ou bien de quelque individu vivant d’aumônes, et ajoutant aux produits de la charité publique le revenu qu’il prélève sur la crédulité des paysans. Il prononce quelques paroles, marmotte quelques prières, fait des signes de croix avec le pouce sur différentes parties du corps ; puis, après avoir reçu ses honoraires, il renvoie chez eux l’enfant et les parents. Si le pauvre petit guérit par les seules forces de la nature : oh ! alors, triomphe du diseur de cautère ! Sa réputation s’accroît ; on lui apporte des enfants de fort loin, et sa bourse s’arrondit. Si l’enfant succombe, le sorcier n’est point pris au dépourvu : c’est que l’on a fait dire le cautère trop tard [144] ! »
92De toute façon, ajoute Legendre, les paysans déclarent péremptoirement : les médecins n’ont pas le don… On ne saurait mieux exprimer la différence de conception de l’acte thérapeutique entre médecins et guérisseurs : résultat de la science acquise dans les écoles vs le don reçu du Ciel, d’un personnage sacré (curé, moine, mage, « Dame blanche », Vierge Marie, etc.) ou encore d’un ancêtre direct initié ; le soin effectué en référence écrite au précis d’anatomie ou de physiologie vs des rites, des signes et des prières para-chrétiennes ou des formules de conjuration transmis et reçus oralement comme des secrets ; bref, la Science « éclairée » par la raison vs le don mystérieusement accordé à un individu…
93Cependant là encore, il faut nuancer, car divers observateurs signalent chez les guérisseurs la présence de livrets (tel Le Médecin des Pauvres), d’almanachs (Du Bon Laboureur, des Bergers…), de cahiers de remèdes manuscrits, voire de manuels d’hygiène ou de vulgarisation encourageant l’automédication écrits par… des médecins [145]. Quelques devins peuvent se prévaloir de posséder des livres de magie blanche ou noire (Le Grand Albert, Le Dragon rouge, La Poule Noire, Les Clavicules de Salomon, etc.). Certains rebouteux, panseurs de secret ou désensorceleurs savent lire [146] ; d’autres qui sont illettrés ne s’en servent que pour impressionner leurs patients.
94Le portrait du diseur de cautère dressé par le docteur morvandiau est loin d’être dépourvu d’une dimension idéologique dans la mesure où il constitue une généralisation abusive quant à la sociologie des guérisseurs empiriques telle qu’elle se dégage des relevés pour la même période du xixe siècle [147]. Une bonne partie d’entre eux en effet, loin d’être des mendiants ou de complets marginaux, occupent très souvent des métiers relevant d’une solide implantation locale. Outre les cultivateurs, laboureurs et bergers, on rencontre parmi les panseurs de secret (et les rebouteux) beaucoup d’artisans fixes ayant pignon sur rue : meuniers, forgerons, menuisiers, maréchaux-ferrants (qui se font aussi souvent dentistes [148]) ; et à un degré moindre des tonneliers, carriers, couteliers, tôliers, vanniers, verriers… Certains autres guérisseurs sont des ambulants locaux : taupiers, chasseurs de vipères, opérant dans un rayon plus limité que les colporteurs d’herbes médicinales. Ces métiers sont pour les uns en rapport direct avec la nature et les animaux ; pour les autres en rapport avec des matériaux et des techniques spécifiques et traditionnelles (martelage de la rate par les forgerons corréziens et picards, etc.). Les professions des guérisseuses, quand elles en ont une, sont en revanche rarement mentionnées ; ces dernières sont souvent simplement qualifiées de « ménagères », de « femme Untel », de « fille Untel » ou, le cas échéant, de « veuve » Untel. Seules les matrones (accoucheuses) font exception.
Les colporteurs d’herbes médicinales
95Les rebouteux locaux et les guérisseurs ambulants ne sont pas les seuls empiriques à encourir les foudres des médecins et des pharmaciens. En Isère, la vallée de l’Oisans, par sa richesse florale exceptionnelle, fournit au xixe siècle un grand nombre de colporteurs d’herbes et de plantes médicinales. Il y a parmi eux bon nombre de charlatans. Ils se munissent en général de remèdes anodins, juste bons à faire des cataplasmes et des vésicatoires, de l’aloès, de l’huile de cade, des purgatifs, du sirop vermifuge et l’inévitable arnica (Arnica montana L.). Beaucoup de paroles et de signes cabalistiques. Pour le reste,
« Jamais de chirurgie ni de rhabillage [« reboutage »], tout au plus quelques-uns ont-ils pratiqué l’arrachage des mauvaises dents. On allait souvent à deux, on tâchait de ne pas repasser trop vite dans les communes où l’on avait fait des dupes. Parfois, pour inspirer confiance on se munissait de diplômes de fantaisie sur lesquels l’empreinte d’une pièce de cent sous imitait le cachet officiel [149]. »
97Leur « bouteille magique », un flacon contenant un mélange d’eau et d’éther, permettait de diagnostiquer, mais aussi d’éluder les cas difficiles. La différence de densité de ces liquides permettait, par un habile mouvement du poignet, de verser l’un ou l’autre sur le dos de la main du patient : « L’évaporation lente de l’eau signifiait qu’il avait besoin de remède, l’évaporation rapide de l’éther attestait qu’il était guéri… » Certains se vantaient même de préserver à bon marché de la grossesse ou de la conscription. « Il y avait aussi les vétérinaires et les désensorceleurs d’écuries. Un compère se chargeait le matin d’incommoder les vaches ou les chevaux d’un village avec des épines peu visibles, et le voyageur de l’Oisans les guérissait triomphalement le soir, il en coûtait quarante francs [150]… »
98Écrivant vers le milieu du xixe siècle, Bernard Lewis nous apprend pour sa part que ces colporteurs d’Oisans portent les surnoms de Dauphinés et d’habits-verts (en raison de leur costume uniforme). Ils passent l’hiver dans le Bourbonnais, se fournissent à Moulins, notamment en droguerie ; ils vendent de l’éther, de l’ammoniaque et de la thériaque. Lewis livre encore d’autres détails intéressants à leur sujet :
« Ils se font préparer par les pharmaciens de Moulins une espèce de pâte composée d’une foule de plantes aromatiques, et qui est très recherchée des habitants de la campagne. Ceux-ci la mélangent avec du vin blanc et de l’eau-de-vie, et la conservent dans un pot. Le jour de Noël, au coup de minuit, le paysan va à son étable, et barbouille avec cette drogue le museau de ses bœufs, pour leur donner de la force, et celui de ses vaches, pour leur donner du lait. Quand une de ses bêtes est malade, il lui en fait avaler. C’est un remède bon pour toute sorte de maladies. Enfin, l’habit-vert vend encore du mercure à l’état métallique, et voici comment on l’emploie : on l’introduit dans la corne des bœufs, sous prétexte de leur donner de l’ardeur au travail. En effet, le pauvre animal, dès qu’il se remue, sent un liquide fort lourd qui semble s’agiter dans son cerveau. Il mugit et s’impatiente ; il court plutôt qu’il ne marche. C’est là un acte de stupide cruauté [151]. »
100De tout ce qui précède, il ressort que les médecins du XIXexixe siècle et du début du xxe siècle ont, comme leurs confrères des siècles précédents, une très piètre estime des talents thérapeutiques des guérisseurs empiriques, qu’ils soient rebouteux, panseurs de secret, guérisseurs sédentaires ou ambulants. Dénoncés dans les pamphlets ou devant les tribunaux, de façon plus frontale que les prêtres et religieuses qui dispensent des soins et des remèdes, ils sont aussi perçus comme de sérieux concurrents qui les privent potentiellement d’une partie de leurs revenus et qui, selon eux, empêchent « les progrès de la science et de l’hygiène ». Ils tendent aussi à en faire des portraits-charges qui se répètent au fil des publications et de thèses de médecine dénonciatrices fort en vogue durant cette période.
Lieux et temps de consultations des guérisseurs et des médecins
101Il est aussi intéressant de confronter la manière dont les patients ruraux sont accueillis par les guérisseurs et par les médecins. Appelé en urgence pour une blessure ou pour une maladie prenant une mauvaise tournure, le guérisseur local peut intervenir assez rapidement : il quitte temporairement son travail et se rend au domicile du patient qui peut d’ailleurs être un voisin. Outre ces interventions à domicile, les empiriques du xixe siècle et du début du xxe siècle continuent à pratiquer comme dans les époques précédentes la consultation au bourg ou les jours de grande foire au chef-lieu de canton. Charles Géniaux, qui a côtoyé, observé et photographié ces guérisseurs locaux [152] pendant une quinzaine d’années et qui leur a consacré en 1912 un chapitre entier de sa Bretagne vivante, déclare qu’ils s’installent ces jours-là chez des aubergistes, leurs compères : « Jamais ils ne se rendent chez les blessés afin d’éviter des surprises, car de temps en temps, le parquet, sur une dénonciation, informe contre ces médicastres. » Ils louent pour la journée une chambre à l’étage. Les malades entrent dans l’auberge, boivent une bolée, puis d’un clin d’œil interrogent l’aubergiste. « Un signe de tête et ils comprennent ; les voilà qui escaladent l’escalier [153]. »
102Par manière de comparaison, si on laisse de côté les « courses » à cheval ou en cabriolet, tournées de visite au domicile des malades qui constituent une bonne part de l’activité des médecins de campagne, il est surprenant de constater que les conditions d’accueil des patients par ces derniers ne sont guère différentes de celles que les empiristes locaux ou de passage réservent à leurs consultants :
« Le rythme professionnel du médecin de campagne au xixe siècle est en général fort lent. Les périodes d’attente à son domicile sont longues car les consultations sont rares, excepté les jours de foire et de marché et le dimanche après la messe. Aucun intérêt donc à prévoir des consultations à heures fixes, ni à aménager une salle d’attente ; si plusieurs personnes se présentent en même temps, elles patientent dans la cour ou dans la rue, sous la remise ou dans le vestibule, dans la cuisine ou dans la salle à manger [154]. »
104Parfois, pour une tournée éloignée, le médecin s’installe pour une journée dans une chambre d’hôtellerie, de presbytère ou de « demi notable » [155].
105Installés dans les bourgs, les médecins de campagne ont un énorme territoire à couvrir, ce qui ne facilite pas la rapidité de leurs interventions. On entend en leitmotiv : « À la campagne, on a le temps de mourir dix fois avant être secouru par le médecin [156]. » Il entre évidemment une part d’exagération et de stéréotype dans ce dernier jugement, surtout à partir de la seconde moitié du xixe siècle, comme le souligne J. Léonard :
« La route et le chemin vicinal, de mieux en mieux réparés et embellis, favorisent davantage le médecin de campagne qui, se déplaçant plus rapidement, perd moins de temps et peut multiplier les visites et les “courses lointainesˮ, fort rémunératrices ; en un demi-siècle, il double environ le rayon de sa clientèle, qui passe de 9 à 18 km [157]. »
107Le reproche de lenteur des médecins est un thème récurrent en particulier à propos de ceux qui, comme les médecins débutants sans fortune personnelle, ne disposent pas (encore) d’un cheval ou d’une mule pour se déplacer. Ce grief a fait en Limousin l’objet d’un proverbe caustique : « Médecin à pied fait la plaie vénéneuse. » Au tribunal de l’opinion populaire, le médecin est rarement vainqueur ou absous, car comme on l’a vu, le paysan ne fait appel au médecin qu’en dernier recours… La question du cheval du médecin est aussi matière à jugement sur la science du praticien : « Le mauvais médecin arrive à cheval et s’en retourne à pied [158] » (Limousin). Quant au médecin à pied, il est soit un débutant dont il faut se méfier (il n’est pas savant et n’a pas d’expérience) [159], soit un mauvais médecin qui ne peut (plus) se payer une monture.
108Parmi les guérisseurs locaux, certains se font eux-mêmes débitants de boissons, petits épiciers ou jardiniers. « Ainsi, les visites qui leur sont faites par leurs clients mélangés ne sauraient être suspectées. Un homme entre dans la boutique, demande du sel ou un verre de vin, puis il avoue son mal, et passe dans une seconde salle où on l’opère, tandis que la femme du rebouteur monte la garde devant le comptoir. » Charles Géniaux ayant pu assister à une série de consultations d’un rebouteux de Muzillac (Morbihan), nous fournit quelques scènes croquées sur le vif [160].
« Un marin entre appuyé sur deux cannes.― De quoi souffrez-vous ? ― Voilà ! un tonneau de rogue [161] m’est tombé sur le pied. Voyez comme il est enflé. »
110Le rebouteux enfonce rapidement ses index de part et d’autre de la cheville.
« Soudain, il saisit le talon et les doigts de pied, esquissant un mouvement de rotation. Le sardinier hurle qu’on lui veut sa mort !― Chut ! Tais-toi ! C’est fini. Tu es renoué.Et l’homme de demander combien il devait.― Dix sous… Merci et à la prochaine. […]On heurtait déjà l’huis. Une paysanne apportait dans ses bras son garçonnet. »
112Le rebouteux déclare la jambe cassée.
« ― Jésus ! mon Dieu ! gémit la mère tout à coup pleurante.― Allons, la mère, du silence ; ce n’est pas vous qui souffrez. »
114Puis le rebouteux frotte avec du vinaigre le tibia de l’enfant sans se soucier de ses hurlements. Il ôte ensuite de la cheminée un vieil almanach et le transforme en gouttière de fortune. Il en enduit l’intérieur d’un bon morceau de beurre, applique l’appareil sur la jambe du gamin et ficèle le tout avec des cordons de soulier.
« ― La mère, tenez votre gars couché et s’il brait, laissez-le braire, mais n’enlevez pas cet appareil avant un mois.― Combien c’est-y ?― À votre convenance.Sou par sou la fermière compta un franc et s’éloigna avec son blessé [162]. »
116Géniaux mentionne encore une certaine Julienne L., « oculiste » spécialiste des taies à l’œil, qui, pour opérer, se sert d’une plume de poulet qu’elle mouille de sa salive, puis frotte l’instrument sur la cornée du patient maintenu [163].
117L’autre contexte dans lequel on a un accès direct à la parole des guérisseurs [164] – parole justificatrice et défensive devant le juge – est celui des procès qui leur sont intentés par les médecins. Dans le Finistère, Yves Tourmen, journalier et bandagiste (guérisseur de hernies), du Cloître-Saint-Thégonnec déclare en 1854 : « Je n’ai pas cru faire mal. Je n’exige pas de salaire. Quand on me donne librement, j’accepte […]. Jamais du reste je ne donne de drogues ». En 1871, une « veuve Justin », de Coray, affirme pour sa part : « Je n’ai point exercé la médecine […], j’ai donné des soins à quelques personnes, mais en le faisant, je ne croyais pas exercer la médecine. » Le premier est déclaré de bonne foi, la seconde est confondue par des témoins. En 1853, le cultivateur-uromante Louis Cloarec, de Saint-Ségual, se défend en argumentant : « Jamais je ne fais la médecine, je m’occupe à labourer mes champs. Je fais du bien aux malheureux, en leur donnant des consultations gratuites [165]. »
118Ainsi, le guérisseur fait le bien, il aide gratuitement les pauvres ; il n’est pas médecin, étant donné qu’il exerce une autre profession. Cependant pour les ruraux, peut être « médecin » toute personne qui soulage la douleur et soigne. À preuve, Pierre Paugam, un riche fermier et guérisseur. Il a une clientèle imposante dans les Monts d’Arrée. Selon un rapport de gendarmerie, il « passe parmi les gens de la campagne comme bon médecin, il y a des personnes qui viennent de très loin pour le consulter [166] ». Et c’est là où le bât blesse doublement pour les docteurs en médecine…
Les médecins vus par les paysans
Observer et duper les médecins
119« Médecine sans médecin » que la médecine rurale ? Cette formule frappante n’est bien sûr que partiellement vraie. Elle ne veut surtout pas dire que les paysans ne croisaient jamais la route du médecin, lui qui jadis sillonnait à cheval à longueur d’année les routes et chemins du canton, parfois jusque dans un rayon de 25 km. Les ruraux avaient maintes occasions d’observer, directement ou « indirectement » (par ouï-dire), le médecin dans ses manières et dans sa pratique thérapeutique. Comme on l’a vu, certains personnages charnières (artisans ruraux, marchands de bois, marchands de bestiaux, etc.) purent même influencer l’opinion en faveur du médecin, faire passer aux ruraux des conseils et des innovations en matière d’hygiène.
120Mais si la gratitude et la reconnaissance individuelles envers un médecin particulier pouvaient être au rendez-vous, le regard collectif était plutôt à la raillerie, voire à la satire. De fait, les paysans savaient à l’occasion, tout comme ils le faisaient avec les ministres du culte, railler, duper ou, plus souvent encore, « remettre à leur place » ceux d’entre ces « doctes » qui se montraient un peu trop arrogants ou méprisants à leur goût (car un bon médecin, c’est un médecin « qui n’est pas fier »). Généralement près de leurs sous en matière de soins du corps, les ruraux attribuaient aussi parfois en retour un manque de générosité aux médecins. Ainsi, en Limousin, on disait encore au xixe siècle que pour faire disparaître les tumeurs, il fallait appliquer sur celles-ci un crapaud âgé de sept ans. Or, bien des gens ajoutaient – conviction ou raillerie – que tous les médecins en avaient un, mais qu’ils ne voulaient pas le prêter [167]…
Formes traditionnelles de raillerie contre les médecins : proverbes et chansons de menterie
121Il a souvent été question de dupes dans le discours des médecins : les paysans seraient presque invariablement la dupe des guérisseurs de tous poils. Or, le médecin peut à son tour être dupé par le paysan. Pour ce qui concerne la rouerie ou duperie paysanne, très simplette à vrai dire, on peut citer le cas d’un médecin de l’Indre qui fut dans le premier quart du xxe siècle appelé au chevet d’un enfant malade. Le médecin diagnostiqua un érysipèle et s’apprêtait à écrire l’ordonnance quand il fut promptement interrompu par la famille : « On vous remercie bien Docteur, mais maintenant qu’on sait que le petit a un résipel, on va l’emmener au panseur [168]… » Dans le prolongement de cette escroquerie peu finaude, on peut noter cette croyance (ou maxime malicieuse ?) relevée en Gironde : « Pour ne pas être malade, il faut toujours devoir [de l’argent] àson médecin [169]. »
122Plus encore toutefois que ce genre de roublardise doublée de malhonnêteté, ce qui ressort de la tradition populaire sous sa forme « parémique », c’est la raillerie, voire le sarcasme, à l’égard des médecins et de leur prétendue science. Elle s’exprime surtout à travers une multitude de dictons et proverbes (rimés ou non) qui insistent sur le caractère superflu de leur art ou sur leur incompétence.
123À vrai dire, il s’agit là de la version populaire d’un courant ancien qui plonge ses racines dans une longue tradition de satire des médecins répandue parmi les clercs et le public en général.
124Un bon exemple nous est fourni par la Bible du trouvère Guiot de Provins. Composée entre 1204 et 1209, elle ressortit au genre caustique de la revue des Estats du Monde. Il s’agit donc d’un portrait-charge [170] qui, assurément, force le trait pour mettre les rieurs de son côté. Ignorance, cautèle et cupidité sont les principales « qualités » des fesicïens (« médecins ») (v. 2523) que le peuple appelle mires (v. 2529). Il est douteux qu’il y en ait un seul qu’on ne doive redouter : Ja ocïent molt de la gent (« Assurément, ils tuent beaucoup de gens », v. 2547). Bien malheureux celui qui tombe entre leurs mains ! Ils conjuguent adroitement leur pseudo-science à un langage obscur et menteur. D’ailleurs, savoir mentir et faire bonne contenance, voilà à quoi se résume toute leur science… Il faut voir comment ils examinent les urines (orinent, v. 2561), comment ils mentent et inventent ! Précurseurs du Knock de Jules Romain, ils trouvent en chaque homme un malade : que ce soit fièvre ou toux sèche, ils disent indifféremment que c’est phtisie, enfonture [171] ou hydropisie, mélancolie ou fic (chancre). Et il faut les entendre débattre de « colérique » ou de « flegmatique » : pour les uns, c’est le foie qui est échauffé, pour les autres ce sont des flatulences (ventosetei) ! D’ailleurs, les médecins coûtent trop cher et font commerce de leur art afin de se réserver les plus fins aliments (v. 2609-2610). S’ils reviennent de Montpellier, leurs électuaires sont hors de prix (v. 2613-2614). In fine, Guiot reconnaît toutefois que tous les médecins ne sont pas semblables : il en est d’honnêtes, de bons et de savants qui lui ont donné maints bons conseils (v. 2637-2640). Ceux-là doivent être appréciés, honorés et aimés.
125Pour le début de la période moderne, Laurent Joubert, médecin et chancelier de l’université de Montpellier, en ses Erreurs populaires rapporte sur ce sujet deux dictons du « vulgaire » :
Qui bien dort, pisse et *crolle (*« [se] remue, bouge »)N’a besoin de *Maistre Micolle. (*« du médecin » ; var. M. Nicolle)
127ou encore :
Pisse clair et fais la figue au médecin [172].
129Ce dernier dicton est encore connu au xxe siècle en Roussillon sous la forme suivante :
Orina clara, figas al metge.Urine claire, figue au médecin [173].
131Ces trois exemples confirment l’importance des urines dans la perception populaire de la santé (et de la maladie) [174]. Mais en cela, cette perception trouvait, comme on vient de le voir, un relais dans l’ancienne médecine savante qui avait longtemps fondé son diagnostic principal sur l’uroscopie ou examen des urines. L’urine claire est signe de bonne santé. Jadis, en Basse-Normandie, quand le malade « s’en allait d’usance », on ne se souciait plus guère de « porter son dat chez le mière ». Traduction : quand il était à l’article de la mort, on n’avait cure de montrer son urine au médecin [175].
132D’autres rimailleries font passer les remèdes à base de plantes avant la consultation du médecin ou soulignent malicieusement l’incapacité des médecins et chirurgiens, ces « aveugles » incompétents (cf. « le mire n’y voit goutte ») :
134Avec les expressions faire la figue et faire la nique, on voit que ces énoncés empreints d’une défiance moqueuse incluent la mention d’une gestuelle spéciale. Dans le premier cas, c’est montrer le pouce placé entre le doigt du milieu et l’index pour narguer quelqu’un avec en sus une connotation obscène [178]. Dans le second, c’est faire de la tête un signe de moquerie, voire de mépris.
135Les simples (herbes médicinales), les légumes et les fruits du jardin valent tous les médecins du monde :
137Le chou est particulièrement prisé comme remède… au médecin. En Anjou, au xviiie siècle, on affirmait avec aplomb : « Un bouillon de chou fait perdre cinq sols au médecin », ce que la Basse-Normandie exprimait à sa façon par : « Une soupe aux choux, / Au médecin fait perdre cinq sous [182] » ou bien « Chaque jour, un peu de chou / Ôte au médecin cent sous » [183]. En Ariège, on disait narquoisement en guise de proverbe : « De l’ail et des oignons le matin, / Perte pour le médecin [184]. » Mais en cela point de nouveauté : déjà Galien (129-ca 216) parlait de l’ail comme de la « thériaque des paysans » [185].
138De façon plus crue, en Bretagne, on dit encore à Saint-Thégonnec (Finistère) : « Un pet du matin / C’est un sou détaché du derrière du médecin » (« Eur bramm deuz ar mintin / Eur gwenneg distaget deuz revr ar medesin [186] »). Toute perte d’argent pour le médecin est un gain bienvenu pour le paysan ! Mais d’un autre côté, on affectait de croire que le médecin était loin d’être perdant à tous coups, car on disait aussi en Bretagne : « Dieu guérit la maladie / Et le profit va au médecin » (« An aotrou Doue a gas ar c’hleñved kuit / Ha gant ar medisin eo e ya ar gounid [187] »). Ou bien : « Dieu guérit et le médecin encaisse [188] » (Gascogne). Que croire alors ?
139En tout cas, le paysan dispose toujours d’un médecin fidèle et surtout gratuit à la maison si l’on en croit le dicton suivant : « Langue de chien [189], langue de médecin » et ses variantes : « Langue de chien vaut médecin », « Langue de chien vaut main de médecin. » (Ambierle, Loire).
140Le malade peut toujours par ailleurs se réconforter et se fortifier avec une rasade de bon vin. C’est toujours cela que le médecin n’aura pas :
142Mets rare ou mets de fête dans les demeures paysannes des Landes, la viande et le bon plat mijoté valent tous les médecins :
Lou toupinQu’es lou melhe medecin.Le pot-au-feuEst le meilleur médecin.
144Dans cette même région, à défaut de mets d’exception, il vaut toujours mieux s’occuper du pain quotidien que du médecin :
146En définitive, vin, pain, viande valent bien tous les médecins du monde, si l’on en croit la sagesse populaire : « Il vaut mieux prévenir que guérir, donner son argent au boucher et au boulanger qu’au médecin [193]. »
147Après l’inutilité du médecin face aux bons remèdes naturels, voici son incompétence et même sa dangerosité, « retour à l’envoyeur » des critiques des médecins adressées aux empiriques :
149Heureusement, parfois, comme l’assure ce proverbe gascon, c’est paradoxalement l’incompétence même du médecin qui est salvatrice : Mieux vaut condamnation de médecin que de juge [196]. Car ils se trompent souvent dans leur diagnostic !
150Et voici le coup de grâce donné par ce proverbe normand :
Qui court après le *mière, (*« médecin »)Court après la *bière [197]. (*« cercueil »)
152Certains adages généraux servaient aussi bien de conduite de vie que de pense-bêtes destinés à éviter le médecin. Dans les Cévennes et sur le Causse gardois, on disait jadis : « Se vos viure cent ans, béo o la calo de ton sang. » (« Si tu veux vivre cent ans, bois à la chaleur de ton sang »), ce qui engage à éviter aussi bien l’eau froide que la soupe trop chaude. Une bonne hygiène du sommeil est aussi nécessaire : « Cochar de galine, levar de cropatas requiolo l’ora de la mort. » (« Coucher de poule, lever de corbeau recule l’heure de la mort ») [198].
153Comme si proverbes et dictons ne suffisaient pas, on ne se privait pas non plus de brocarder les médecins dans un genre d’histoires traditionnelles qualifiées de « malices ». Ainsi, faisant d’une pierre deux coups, l’historiette populaire qu’on va lire, rapportée par un folkloriste de la première moitié du xxe siècle, veut à la fois montrer l’incompétence ou l’impuissance des médecins à guérir les malades et la collaboration involontaire du médecin et du bedeau [199] :
« Près de Moulins-Engilbert (Nièvre), le bedeau de la paroisse, après une épidémie qui avait fait de cruels ravages, vint trouver le médecin qui avait soigné les victimes pour lui offrir un magnifique dindon.— Mais, Monsieur, dit le docteur, je ne vous connais pas !— Monsieur, je suis le sacristain de la paroisse de…— Mais vous n’avez pas été malade, je ne vous ai pas soigné !— Oh ! non Monsieur, grâce à Dieu ! Mais vous m’avez fait gagner assez d’argent cette année ; ça vaut bien une petite honnêteté ! »
155Notée au moins depuis la fin du xvie siècle, la « chanson des menteries », une chanson traditionnelle et populaire encore en vogue au xixe siècle, sait aussi parfois se gausser des doctes docteurs. Dans certaines versions, le médecin au lieu de guérir la plaie d’un patient lui en fait une autre [200]. Ce n’est guère étonnant, car ce médecin exerce en fait toutes sortes de métiers : il est notamment… faiseur de chaises [201] ; ailleurs, il est « relieur de seilles [202] », confectionneur de toile ou bien encore… fondeur de cloches [203] ! C’est peut-être là une façon narquoise de renvoyer la balle aux médecins qui accusent les guérisseurs empiriques de faire tous les métiers, sauf celui de guérir. Inversement, les récits de guérison populaire semblent prendre un malin plaisir à noter que tel malade irrémédiablement condamné par les médecins a été guéri in extremis par un guérisseur [204]… Là encore, la malice populaire s’amuse à prendre le contrepied des accusations lancées par les médecins.
156Le paysan considère avec une certaine ironie le savoir des médecins ou en tout en cas, il se plaît à remettre ces derniers à leur place en exaltant les pouvoirs des guérisseurs à leurs dépens. Charles Géniaux rapporte sa conversation avec un paysan breton conduisant en charrette chez un « charlatan champêtre » un patient aux membres sommairement bandés :
« ― Pourquoi ne le conduisez-vous pas chez le docteur ?― Bah ! c’est trop coûteux. Mathurin ne prend qu’une pièce de dix sous et un “ancien” de son espèce en sait bien autant que le petit jeune médecin [205]. »
158D’autres observateurs, tel Camille Gagnon pour le Bourbonnais, plus neutres ou plus sceptiques vis-à-vis des guérisseurs, notent en revanche, plus récemment il est vrai (1948) :
« Le sorcier [= « guérisseur »] acquérait vite une grossière expérience, et quand le cas lui paraissait désespéré, il ne manquait pas de déclarer indispensable une visite du médecin, qui endossait la responsabilité du décès [206]. »
160Quelle que soit dans chaque cas la part du vrai et du faux, on voit que chaque camp cherchait de toute façon par ces mises en récit à endosser le mérite de la guérison et, inversement, à imputer au concurrent l’échec du traitement, voire la mort du patient…
En guise de conclusion : permanences et évolutions
161Cette étude se voulait essentiellement consacrée aux « regards croisés », d’une part des médecins du xixe siècle sur les pratiques et demandes thérapeutiques des diverses catégories de guérisseurs empiriques et de leur clientèle rurale, et d’autre part, en retour, des populations rurales sur les médecins. Ce faisant, d’autres observateurs ont aussi été sollicités à des degrés divers : folkloristes, juges et représentants administratifs de l’État. Du strict point de vue des perceptions des uns et des autres, les choses ne semblent guère avoir évolué au fil du siècle. En effet, la demande croissante de médicalisation des populations rurales, objectivement observée par les historiens, notamment par Olivier Faure, n’est guère reflétée dans ces genres narratifs que sont le pamphlet médical et le proverbe ou le dicton émanés de la « Sagesse populaire ». Polémiques ou satiriques par nature, ces modes d’expression ne sont guère propices aux nuances et perméables aux évolutions.
162Dans les pamphlets médicaux, les guérisseurs empiriques, outre le fait d’être des concurrents financiers déloyaux et illégaux, sont quasi invariablement ignorants (du dernier cri de la science médicale, ce qui est l’évidence même), routiniers dans leurs « traitements », dangereux pour la santé de leurs clients (séquelles, gangrène, amputation, voire mort), âpres au gain, bien qu’en même temps taxés d’être dispensateurs de soins gratuits. Ces caractères généraux se précisent de portraits-charges par spécialité : les ambulants sont à la fois fourbes et effrontés, vendeurs de boniments et de « poudres de perlimpinpin » [207] ; les rebouteux, « devins » et panseurs de secret peuvent être laids, crasseux, dépenaillés, confrérie de vagabonds vivant d’aumônes, marginaux pourvus de traits physiques animalisés. Tous sont de vrais obstacles à la diffusion des « lumières » de la science médicale auprès des populations rurales, voire des classes pauvres des villes [208].
163Corollairement, dans ces écrits, pour les médecins, les paysans sont de façon atavique rétifs aux soins du médecin et aux mesures d’hygiène, résignés et fatalistes, fermés aux innovations, crédules et soumis aux « devins », ignorants et avares, à quoi s’ajoute la difficulté à communiquer avec eux linguistiquement et conceptuellement.
164Le regard des paysans porté sur les médecins à travers les proverbes et dictons, ainsi qu’à travers les propos rapportés par les médecins et les folkloristes, est tout aussi figé : les médecins sont impuissants face à nombre de maladies, donc inutiles ; dans bien des cas, ils sont beaucoup trop chers, sans compter qu’ils sont lents à venir au chevet du malade ; enfin, issus d’un milieu socio-culturel différent, ils s’expriment dans un jargon peu compréhensible. Ces traits saillants dessinent en creux le portrait positif des guérisseurs empiriques locaux dressé par les paysans : gratuits ou très peu chers, possédant le « don », connus de tous dans le village ou le bourg voisin ; d’un abord personnel facile et immédiat. L’optique est différente avec les ambulants de passage rencontrés sur les foires et marchés : ils ont pour eux – du moins jusqu’à l’éventuelle désillusion – le prestige de l’origine exotique qu’ils se donnent, des titres ronflants [209], le verbe haut, des bocaux remplis de substances scintillantes et miraculeuses, des habits chamarrés, etc. Le spectacle est insolite et envoûtant.
165Ainsi, ces regards croisés, regards essentiellement saisis dans des genres figés, ne reflètent pas la demande progressivement croissante de médicalisation qui se manifeste tout au long du xixe siècle et notamment au cours de sa seconde moitié. Ce que l’on peut bien appeler le « regard idéologique » [210] des médecins comme des paysans est en retard sur la réalité des faits médicaux qui tend à s’imposer.
166Est-ce à dire qu’au xxe siècle et en début de xxie siècle les guérisseurs ont disparu ? En dépit de la pénétration croissante de la médecine officielle dans les campagnes tout au long des xixe et xxe siècles, les guérisseurs empiriques sont loin d’avoir été éliminés en milieu populaire, comme l’attestent les quelques observations suivantes qui pourraient être aisément multipliées. À l’occasion d’une enquête effectuée en 1950 parmi les mineurs de fer de Rougé et de Teillay à la limite de la Loire-Atlantique et de l’Ille-et-Vilaine, Claude Ory conclut pour montrer l’attachement de ce milieu social aux pratiques et croyances du passé que « chaque commune a son rebouteux, son sorcier, son puits maudit, sa source bienfaisante et sa maison hantée [211] ». De même, Pierre Dumoulin, qui avait naguère encore sondé la mémoire des anciens de certains villages de Saône-et-Loire sur les rebouteux et panseurs de secret abonde dans ce sens au détour de cette remarque révélatrice : « Dans nos villages, on connaissait mieux leurs noms que ceux de nos hommes politiques [212]. » Vers la fin des années 1990, Dominique Camus déclare, d’après enquête de terrain, qu’en Haute-Bretagne (Ille-et-Vilaine, Côtes-d’Armor), tout un chacun peut dans un rayon de moins de dix kilomètres être soigné par des guérisseurs de la plupart des maux susceptibles d’entraver l’activité (dermatoses, douleurs de ventre, rhumatismes, entorses, luxations, brûlures, fièvres, envenimations vipérines, abcès dentaires…) [213].
167Éviter le médecin est encore l’un des grands principes de vie d’un vieillard en 1966. Mais signe des temps, son remède est la lecture d’un livre de médecine. Vielleux de son état, ce nonagénaire installé aux confins du Poitou et du Berry « avait pour tout compagnon, outre son épouse et sa vielle, un unique ouvrage d’anatomie et de médecine populaire qu’il ne se lassait jamais de lire et relire de la première à la dernière page. Il expliquait ainsi le fait de n’avoir jamais eu recours à un médecin avant son très grand âge [214]. »
168En fin de compte et sur la longue durée, tout comme l’espoir de l’Église d’éradiquer le recours aux phylactères et aux conjurations thérapeutiques au sein des populations christianisées avait été cruellement déçu, de même l’espoir de multiples générations de médecins et de pharmaciens d’éliminer complètement et définitivement les guérisseurs empiriques s’est soldé par un échec cuisant. Ainsi, comme l’observe en 2017 Annick Le Douget en réponse à la question d’un journaliste, après la publication de son livre Guérisseurs et sorciers bretons au banc des accusés (Finistère, 1800-1950) :
« Les praticiens de l’ombre sont toujours là : ils ont pignon sur rue, un site internet, leur adresse dans les pages jaunes. Certaines médecines non conventionnelles sont désormais reconnues comme l’ostéopathie ou la chiropractie. D’autres sont remboursées par les mutuelles comme la naturopathie. En 2012, la Miviludes (mission interministérielle de lutte contre les dérives sectaires) a recensé 400 pratiques alternatives différentes dont certaines sectaires. Quatre Français sur dix recourent à des pratiques alternatives [215]. »
170Rien n’a donc changé ? Pas exactement. On peut déjà noter une certaine évolution du vocabulaire : il est question de médecines alternatives ou non conventionnelles, de médecines douces ou holistiques, etc. [216]. Fini aussi le temps des « rebouteux », « panseurs de secret » et autre « sorcier » ou « devin ». Les guérisseurs contemporains se sont dotés de nouveaux noms (tradipraticiens, naturopathes, iridologues, lithothérapeutes, reboutologues, etc.) ou de nouvelles méthodes issues pour partie de traditions non-occidentales (reiki, médecines chinoise, ayurvédique ou chamanique, etc.) ; les consultations et les soins sont désormais tarifés ; des ateliers et des stages de formation et même des conférences sont régulièrement organisés. Même si les articles L4161-1 à L4161-6, L372 et L378 du Code la santé publique restent en vigueur, articles définissant l’exercice illégal de la médecine et stipulant les peines encourues en cas d’infraction, les praticiens « alternatifs » ont désormais pignon sur rue (notamment en ville), voire pignon sur Internet, à travers des structures aux titres imposants : Institut français de magnétisme, Institut supérieur de reboutement, Groupement national pour l’organisation des médecines alternatives, etc.
171En outre, depuis plus d’un demi-siècle déjà, le nouveau regard porté par les ethnologues et chercheurs en anthropologie culturelle sur les médecines alternatives et sur les savoirs et pratiques populaires en matière de soins, a modifié à son tour le regard porté par les professionnels de la biomédecine sur ces anciennes pratiques et sur celles qui ont pris leur suite. Il s’inscrit désormais dans une « histoire culturelle de la santé et de la maladie » [217].
172Nul doute que les jugements des Dr Moniez et Boucher auraient été impossibles un siècle plus tôt. En conclusion de leur étude de 1976 sur les « Sorciers, croyances et formules magiques relatives à la maladie en Limousin au xixe siècle », ils affirment en effet voir un certain effet positif dans ces pratiques : « Aucune statistique, à notre connaissance, n’a été et ne sera faite ; cependant il est incontestable que des résultats remarquables ont été enregistrés. De nombreux praticiens ont eu l’occasion de constater de véritables guérisons. »
173Au-delà de cette affirmation [218] qui aurait fait frémir ou bondir leurs confrères du siècle précédent, c’est en fait toute la problématique de la maladie et de la cure populaires qui est repensée : ces mêmes médecins sont amenés à se demander si ces guérisons correspondent « à de véritables maladies », avant de déclarer que même si ces maladies sont « fausses au sens clinique du terme, elles n’en ont pas pour autant été moins réelles pour le malade ». Ils observent en outre que le « sorcier » ou le guérisseur ne se plaçant pas sur le terrain médical, « sa thérapeutique empirique pourra avoir une certaine efficacité ». Raisonnant dans le contexte de la congruence de mentalité entre les patients et les guérisseurs, ils notent que même les échecs de ces derniers n’entament guère leur crédibilité au sein des communautés : ces revers sont perçus moins comme la preuve de leur incompétence que comme celle de la surpuissance des agents surnaturels ou occultes (saints, sorciers, esprits, morts…). « Si “ça n’a pas marchéˮ, il faut recommencer, changer de formule ou de saint et “si ça ne réussit encore pasˮ et si la mort survient malgré tout, c’est que les rites n’ont pas été accomplis comme il convenait, “le sort était trop fortˮ » [219]. Ce regard nouveau se traduit parfois même de nos jours par l’acceptation de la présence de certains guérisseurs alternatifs en milieu médical. Ainsi, des coupeurs ou barreurs de feu sont parfois admis dans certains hôpitaux quand le brûlé en fait la demande.
174Quelque peu tempéré et apaisé (mais avec toutefois des pics de tension intermittents [220]), le face à face des médecins et des guérisseurs – quels que soient leurs nouveaux noms – existe toujours sous d’autres formes. Les sarcasmes et les rancœurs perceptibles dans les regards croisés de jadis se sont quelque peu émoussés : le temps n’est plus à se toiser dans une posture simplement agressive ou méprisante. Entre apaisement et tensions, le dialogue de la biomédecine avec les médecines désormais dites parallèles, alternatives ou douces, est loin cependant d’être terminé.
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Mots-clés éditeurs : médecins, guérisseurs ambulants, rebouteux, proverbes, colporteurs-herboristes, médecine rurale
Date de mise en ligne : 27/06/2019
https://doi.org/10.3917/hsr.051.0069Notes
-
[1]
Voir à leur sujet Favret-Saada, 1977 et 1981.
-
[2]
J’ai toutefois de propos délibéré laissé de côté le rôle important joué par les religieux (curés, moines, sœurs des congrégations) dans le cadre des soins en milieu rural (sur ce, voir notamment Léonard, 1980, p. 503 ; Faure, 1993, p. 56, 189 ; Coste, 2002, p. 475-477 ; Le Douget, 2017, p. 101-116).
-
[3]
Munaret, 1837 ; Thiaudière, 1839, qui critique en partie le précédent.
-
[4]
Erreurs populaires au fait de la medecine et de régime de sante, Bordeaux, S. Millanges, 1578.
-
[5]
Voir à ce sujet, l’ouvrage-somme de Joël Coste (2002), qui porte sur la littérature des « Erreurs populaires » en tant que genre médico-littéraire. Illustré par une trentaine d’auteurs-médecins, il s’étend sur trois siècles et représente un corpus de près de 6 000 pages imprimées. Le titre de presque tous ces ouvrages inclut les termes « Erreurs populaires », parfois remplacés par « Préjugés » ou « Erreurs et préjugés ». Non dépourvu d’esprit corporatiste, ce genre était destiné à un large public lettré.
-
[6]
En 1836, une guérisseuse-rebouteuse de Riec (Finistère) est surnommée lasorcière. À Carhaix, une femme de 75 ans qui soigne le urlou (« engorgement des membres inférieurs ») en faisant des incisions au voile du palais est connue comme étant « la sorcière » : Le Douget, 2017, p. 94-95 ; Coste, 2002, p. 500. Sur le urlou, variante des hunes, voir aussi Merceron, 2014a. Une autre catégorie de « sorciers / sorcières » affirme détenir des pouvoirs surnaturels employés en magie amoureuse ou pour désensorceler. Ceux-là se font payer en argent sous divers prétextes : vente de sacs talismaniques, de « drogues bleues », etc. Comme certains d’entre eux menacent de mort les victimes qui refusent de payer quand les « remèdes » ne marchent pas, l’affaire peut être portée devant les tribunaux : Le Douget, 2016, p. 62-63 et 64-65.
-
[7]
Le détail des localisations, quand il a été fourni par les auteurs, sera précisé en cours d’article ou /et dans la bibliographie.
-
[8]
Bonnemère, 1890.
-
[9]
Moulis, 1961.
-
[10]
Laisnel de La Salle, 1875.
-
[11]
Gilbert, 1895 ; Pérot, 1903 ; Brisson, 1912 ; Gagnon, 1948.
-
[12]
Géniaux, 1912 ; Auray, 2011 ; Giraudon, 2013.
-
[13]
Caillet, 1967.
-
[14]
Daleau, 1889.
-
[15]
Arnaudin, 1996 [= ca 1875-1920].
-
[16]
Desforges, 1997 [= ca 1930-1940].
-
[17]
Seguin, 1980 [= 1941] ; Maneuvrier, 2008.
-
[18]
Wailly et Crampon, 1968.
-
[19]
Chauvet, 1947.
-
[20]
Moniez et Boucher, 1976 ; Bos, 1992 ; Bontoux, Couturier et Merkès, 2013 ; Sionneau, 2013.
-
[21]
Léonard, 1977 et 1984 ; Faure, 1993 ; Hug, 2008 ; Guillemain, 2009.
-
[22]
Le Douget, 2016 et 2017. Je n’ai pu consulter l’ouvrage récent publié sous la direction de Marie Bolton, Patrick Fournier et Claude Grimmer, Médecine et santé dans les campagnes. Approches historiques et enjeux contemporains, Bruxelles, Peter Lang, 2019.
-
[23]
Faure, 1993, p. 6.
-
[24]
Ibid.Le titre de l’ouvrage de Faure renverse le point de vue habituel qui est le plus souvent centré sur les médecins pour embrasser celui des patients et insiste sur l’acte de prise en charge de la demande de soins par ces derniers (« leur médecine »).
-
[25]
Coste, 2002, p. 116.
-
[26]
Le Douget, 2017, p. 49.
-
[27]
Ibid., p. 50.
-
[28]
Sur les guérisseurs bretons et mainoligériens trainés en justice à partir de la loi du 10 mars 1803 déclarant illégal l’exercice sans diplôme de la médecine, de la pharmacie et de l’art d’accoucher, voir Le Douget, 2016 et surtout 2017, ainsi que Sionneau, 2015.
-
[29]
Par contraste, la sagesse populaire affirme : « Le riche est douillet », « Mal de riches, mal de cris » (Loux et Richard, 1978, p. 317, nos 3227-3228).
-
[30]
DrsMoniez et Boucher, 1976, p. 121. Sur les remèdes magiques contre ces maux et d’autres : ibid., p. 125-129.
-
[31]
Arnaudin, 1996, t. ii, p. 258, no 1670. Simon Arnaudin (1844-1921), dit Félix, est le plus grand collecteur-folkloriste des Landes.
-
[32]
Il pourrait s’agir de la pleurésie.
-
[33]
Rivière-Sestier, 2000 [1942], p. 29.
-
[34]
Mais pas seulement les paysans. Vers 1780, non loin de Versailles, un paysan illettré devenu « médecin » le jour de sa communion reçoit en consultation dans sa chaumière des gens de toutes conditions, y compris des dames venues en carrosse. Une grande dame de la cour le fait même venir toutes les semaines à Versailles pour être traitée (Coste, 2002, p. 496-497). Un siècle plus tôt, Madame de Sévigné (1626-1696), sans cesse assaillie de « vapeurs » et d’angoisses, nous apprend qu’elle était fort sceptique à propos de ce que les médecins lui ordonnaient et elle conseillait même à sa fille Françoise de ne rien faire de ce qu’ils préconisaient ! Adepte de « l’eau de mélancolie », elle préférait se tourner vers les fabricants de potions de tous acabit, mais aussi vers les vendeurs de vipères (Caillet, 1967, p. 80 et 83 ; voir aussi Pouliquen, 2006).
-
[35]
Parmi les maladies que les médecins ruraux sont amenés à soigner figurent les affections pulmonaires et catarrhales (hiver), les rhumatismes et maladies inflammatoires (mars), les fièvres paludéennes, les maladies gastro-intestinales (fin d’été-début d’automne), etc., sans compter la petite chirurgie (abcès, tumeurs, gangrènes, fractures, arrachage de dents, etc.). Pour ce qui est des « maladies des femmes », des grossesses et des accouchements, ils restent encore souvent la prérogative des matrones et sages-femmes : Bos, 1992, p. 27-30.
-
[36]
Léonard, 1984, p. 289.
-
[37]
Le Douget, 2016, p. 53.
-
[38]
Barberet, 1889, p. 328.
-
[39]
Par contraste, « dans le milieu bourgeois “il est de bon tonˮ d’être souvent visité par son médecin, et les prescriptions onéreuses sont bien acceptées » : Bos, 1992, p. 22 (voir aussi p. 27 et 34-35).
-
[40]
Bos, 1992, p. 31. Gustave Flaubert, Madame Bovary, 1966, p. 235. Ce roman parut d’abord en 1856 dans le journal La Revue de Paris avant d’être édité l’année suivante chez Michel Lévy frères.
-
[41]
Bos, 1992, p. 36.
-
[42]
Durant cette période de transition, on désigne ainsi des praticiens qui ayant exercé depuis au moins trois ans peuvent continuer leurs activités en se munissant « d’un certificat délivré par le sous-préfet sur l’attestation du maire et de deux notables de leur commune. » Ce certificat constatant « qu’ils pratiquent depuis l’époque indiquée, leur tiendra lieu de diplôme d’officier de santé » : Faure, 1993, p. 15.
-
[43]
Ibid., p. 16.
-
[44]
Sur cette proximité à la fin du xviiie siècle, mais qui se poursuit encore au moins jusque vers 1840, voir Goubert, 1977, p. 909. Ce dernier insiste sur « le mythe qui oppose [alors] médecine savante et médecine populaire. […] En effet, les deux “mondes” de la médecine sont si proches qu’ils se touchent, se haïssent et se pénètrent à la fois. Un même patient peut en effet se tourner successivement ou conjointement vers tel médecin, tel chirurgien, ou bien encore vers son guérisseur : vers le diable et/ ou le Bon Dieu. » Goubert excepte de ce tableau « ces dizaines de milliers d’hommes qui participent alors à la Société des Lumières » (id.). Sur les « guérisseurs à antécédents médicaux » faisant le pont entre les médecins et les empiriques à travers des réseaux de liaisons personnelles, culturelles et commerciales, voir Léonard, 1980, p. 512.
-
[45]
Faure, 1993, p. 20.
-
[46]
Habasque, 1832, t. i, p. 311.
-
[47]
Guillemain, 2009, p. 116, 117.
-
[48]
Léonard, 1980, p. 511, 512.
-
[49]
Guillemain, 2009, p. 110.
-
[50]
Cité d’après Léonard, 1984, p. 303.
-
[51]
Entre autres, le Dr Monfalcon en 1826 cité dans Édeine, 1974, t. i, p. 541 et le folkloriste Pérot, 1903, p. 306 (cf. infra).
-
[52]
Guérisseur empirique qui traite le mal en marmottant des conjurations « secrètes » ou des prières à panser (ou pansements) accompagnées de signes de croix. Il peut en outre prononcer un nombre impair d’Ave et de Pater ou en prescrire au patient la récitation pour une neuvaine. Certains d’entre eux peuvent aussi prescrire des remèdes confectionnés à partir de simples ou de parties d’animaux.
-
[53]
Bos, 1992, p. 34, note que beaucoup de médecins de campagne du xixe siècle possèdent un jardin où ils font pousser leurs propres plantes médicinales, notamment pectorales (mauve, guimauve) et digestives (angélique, camomille, menthe, sauge), avec lesquelles ils fabriquent des vins fortifiants, des vinaigres médicinaux, etc. dont eux seuls ont le secret. Ils cueillent aussi des plantes dans la nature. En cela, ils ne diffèrent pas des paysans et des guérisseurs empiriques.
-
[54]
Le voyage est un pèlerinage individuel à but thérapeutique. Il est généralement effectué par une voyageuse après un « tirage des saints », rituel destiné à déterminer quel est le saint qui a envoyé le mal et qui peut donc, seul, le guérir : voir à ce sujet Merceron, 2014b.
-
[55]
Aubry, 1892, p. 599-600 ; Géniaux, 1912, p. 106-107 ; Merceron, 2017, p. 18-20.
-
[56]
Nore, 2001 [1846], p. 86 ; Piniès, 1984, p. 69-73.
-
[57]
Ainsi, enveloppé dans une étoffe rouge, le marron d’Inde, graine toxique du marronnier d’Inde (Aesculus hippocastanum L.) qui ressemble au bourrelet hémorroïdaire, passe pour être souverain pour les hémorroïdes : Didelot, 1979, p. 60. La guérison des verrues peut s’effectuer avec des animaux dont la peau présente un aspect verruqueux (crapauds, grenouilles), écaillés (serpents, lézards, poissons) ou craquelé (pattes de poule) : Saintyves, 1913, p. 37-38. Cette médecine des signatures a ses racines théoriques et pratiques dans l’Antiquité : Coste, 2002, p. 115. Sur les plantes et les lois de la magie sympathique dans l’Antiquité (contiguïté, similarité, contrariété), voir Ducourthial, 2003, p. 182-184, qui affirme toutefois l’absence de théorisation poussée en ce domaine. Pour lui la théorie des signatures ne fut construite en système qu’à la Renaissance (notamment par Paracelse).
-
[58]
Bos, 1992, p. 35.
-
[59]
Faure, 1993, p. 274.
-
[60]
Léonard, 1977, p. 199. C’est ainsi qu’on lutte désormais notamment contre la crasse, la vermine et les immondices. Dès la seconde moitié du xixe siècle, la théorie de l’infection avait déjà eu le mérite de stimuler les mesures d’hygiène contre les « miasmes putrides » et les virus alors mystérieux.
-
[61]
Bos, 1992, p. 24, 42 et 58.
-
[62]
Qu’il touche les humains ou les animaux de ferme, le mal, surtout mystérieux et persistant ou bien à répétition, peut être l’effet du « mauvais œil », d’un sort jeté par un sorcier. Dans ce cas, le médecin est déclaré impuissant ; seul un contre-sorcier ou un désenvoûteur plus fort que le sorcier peut annihiler le maléfice : Rougier, 1946, p. 67.
-
[63]
Tiffaud, 1899, p. 37-38.
-
[64]
Leproux, 1954, p. 147-148.
-
[65]
Tiffaud, 1899, p. 37.
-
[66]
Lalanne, 1868, p. 80-81. Voir aussi les remarques du DrDarmezin, 1904, p. 15-18, pour la Touraine.
-
[67]
Le Douget, 2017, p. 63, 64 et 69.
-
[68]
Munaret, 1837, t. i, p. 42.
-
[69]
Bos, 1992, p. 18.
-
[70]
Ce dernier déclare s’adresser aux paysans dans le dialecte local afin de les arracher à « l’archaïsme agricole et mental » : Léonard, 1977, p. 198.
-
[71]
Bos, 1992, p. 18.
-
[72]
Cité d’après Auray, 2011, p. 10.
-
[73]
Anonyme, 1803, p. 84, 88.
-
[74]
Cité d’après Édeine, 1974, t. i, p. 541.
-
[75]
Pérot, 1903, p. 306.
-
[76]
Les Misérables, Paris, s.d., éd. Thomas Nelson & Sons, t. ii, p. 269, cité d’après Léonard, 1977, p. 198.
-
[77]
Loux et Richard, 1978, p. 161. Ces auteurs ont recueilli de très nombreux autres proverbes concernant les médecins et la médecine : ibid., p. 320-322, nos 3394-3477.
-
[78]
Barbot, 1899, p. 51.
-
[79]
Dans de nombreuses régions de France, le marcou, septième garçon né d’un mariage légitime (même père, même mère) sans interruption d’une fille, avait jadis, comme les rois de France, l’insigne privilège de guérir les écrouelles par simple toucher. Il existe aussi, plus rarement, des filles marcous (5e ou 7e fille d’une matrie). Par la suite, leurs dons de guérison ont été étendus à d’autres « spécialités » : foulures, zona, ulcères, loupes, engelures, etc. Dans les Landes, ces individus s’appellent le seton et la setine.
-
[80]
Tiffaud, 1899, p. 34.
-
[81]
Le Douget, 2016, p. 55-56.
-
[82]
Bonnemère, 1890, p. 675. Vérification faite, c’est bien la somme indiquée par Bonnemère.
-
[83]
Léonard, 1980, p. 510, qui cite d’autres cas de guérisseurs qui se font payer cher.
-
[84]
Dans certains cas, la famille et le médecin s’entendent à l’avance sur le montant des honoraires. Après les soins, en fonction du résultat, des rabais sont envisageables : Léonard, 1977, p. 107-108.
-
[85]
Ibid., p. 112.
-
[86]
Bos, 1992, p. 45-47. À la campagne, la comptabilité du médecin est encore rythmée par des échéances liées aux rentrées d’argent dépendantes des moissons, vendanges, foires, fermages, etc., eux-mêmes en rapport avec les grandes fêtes chrétiennes (Saint-Michel, Saint-Jean, Noël, Pâques, etc.) : Léonard, 1977, p. 108.
-
[87]
Loux et Richard, 1978, p. 161.
-
[88]
Léonard, 1977, p. 110. « Les paysans sont loin de rendre aux médecins la sympathie et la compréhension qu’ils en reçoivent » : ibid., p. 198.
-
[89]
Léonard, 1977, p. 102. Sur la disparité des revenus entre les officiers de santé et les médecins, ainsi que sur la diversité des revenus (honoraires, indemnités) des médecins en fonction des régions et des périodes au cours du xixe siècle, cf. ibid., p. 104-153.
-
[90]
Les affaires portées devant le tribunal correctionnel permettent seules de faire le départ entre l’exagération rhétorique de la concurrence déloyale et sa réalité constatée : voir à ce sujet, deux cas rapportés dans Le Douget, 2016, p. 48-49. Celle-ci peut même entraîner le départ d’un médecin ou d’un officier de santé.
-
[91]
Les malades et les médecins…, Paris, J.-B. Baillière et fils, 1859, p. 19, cité d’après Guillemain, 2009, p. 116.
-
[92]
Léonard, 1980, p. 506-507.
-
[93]
Richerand, 1812, p. 139-140.
-
[94]
Elle fut mise en application le 1er vendémiaire an XII (24 septembre 1803). Cette loi accorde de facto aux médecins et officiers de santé un monopole sur l’exercice de la médecine. Elle sera modifiée et aggravée par la loi du 30 novembre 1892 : Le Douget, 2016, p. 46-47.
-
[95]
J. Coste, 2002, p. 492 et 495-496, a raison de noter que les rebouteux / renoueurs ne sont pas spécifiques du milieu rural, mais cela est surtout vrai aux xvie et xviie siècles. Un seul exemple : sous François Ier, on note l’admission officielle de rebouteux parmi les commensaux de la Couronne. Parmi les huit chirurgiens du roi, on relève dans un registre de comptes de l’année 1522 la présence d’un rhabilleur et renoueur nommé Guillaume Thoreau ou Tahureau gagé à raison de 240 livres par an, au même niveau que les chirurgiens Claude Bourgeois, Pierre de La Maison et Jacques de Passy notamment, et un peu mieux payé que l’arracheur de dents de Sa Majesté, Guillaume Coureil. En fait, cette charge royale se perpétuera longtemps de père en fils au sein de cette dynastie des Thoreau : un Timoléon Tahureau renouait et rhabillait encore les os cassés à la cour de Louis XIII : Chéreau, 1863, p. 387-388.
-
[96]
Pauc, 1882, p. 29.
-
[97]
Spacèle, n. f. « Nécrose d’un tissu qui s’élimine par fragments. » Spacéler « gangréner » : Trésor de la Langue Française en ligne = TLFi, s.v. Spacèle.
-
[98]
Legendre, 1883, p. 51.
-
[99]
Cas réel de gangrène et de mort en 1857 à Motreff (Finistère) consécutif au refus du patient de changer des attelles ayant été trop serrées sur une fracture par une rebouteuse, en dépit des recommandations d’un médecin appelé le lendemain en urgence : Le Douget, 2016, p. 49.
-
[100]
Cas rapporté dans Le Douget, 2017, p. 76-77.
-
[101]
Suter, 1905, passim.
-
[102]
Géniaux, 1912, p. 87-88.
-
[103]
Berger-fromager d’alpage (Aubrac).
-
[104]
Barbot, 1899, p. 52-53.
-
[105]
Voir aussi le portrait de M. Vignes, paysan aisé et calviniste fort pieux, dit le « sorcier de Vialas » en Lozère : ibid., p. 54-55. Il a dû soigner environ 4 000 personnes dans sa vie. Des centaines de Suisses des cantons allemands venaient aussi le consulter au point qu’en 1895, la Compagnie du P.-L.-M. fut sollicitée d’établir des trains de Genève à Genolhac, ville desservant Vialas : Mazel, 1896, p. 509.
-
[106]
Moniez et Boucher, 1976, p. 125.
-
[107]
On rencontre un cas similaire avec Jean-Marie Sizorn (1900-1956), meunier à Pont-Quéau en Landrévarzec et rebouteux à domicile et sur consultation à Quimper et Douarnenez. L’Ordre des Médecins lui ayant intenté un procès en 1951, il s’ensuivit une manifestation de soutien d’un millier de personnes à Quimper. Plus de 2 000 personnes assistèrent à ses obsèques. Sa mémoire a été honorée en avril 2014 en présence du maire par l’apposition d’une plaque dédiée au « meunier rebouteux bienfaiteur de l’humanité » (https://quimper.maville.com/actu/actudet_-la-memoire-de-jean-marie-sizorn-rebouteux-honoree_53511-2527412_actu.Htm ; consulté le17-03-2019).
-
[108]
Pauc, 1882, p. 16.
-
[109]
Les dormeuses, somnambules ou rêveuses sont des femmes qui se mettent en transe ou en état cataleptique afin de découvrir l’origine d’un mal mystérieux et prescrire un remède : voir Merceron, 2017.
-
[110]
Le terme hunes (pl.) désigne en Bretagne des rhumatismes articulaires qui s’accompagnent de fatigue, d’engourdissement des membres. Les coupeurs de hunes soignaient ce mal en faisant des incisions, notamment au voile du palais. Sur cette catégorie de guérisseurs très particuliers, voir Merceron, 2014a.
-
[111]
Entre1843 et 1860, dans l’arrondissement de Cherbourg, on ne relève que seize cas d’exercice illégal de la médecine portés au tribunal (colporteurs vendant des remèdes miraculeux, accoucheuses, rebouteux), soit 0,4 % du total des actes délictueux de cette période, ce qui est évidemment très largement au-dessous du nombre d’actes médicaux tombant sous le coup de la loi de 1803 : Ménard, 1981, p. 178, 184.
-
[112]
Léonard, 1984, p. 292.
-
[113]
Voir à ce sujet les propos du DrPauc, 1882, p. 25-26 et Coste, 2002, p. 497, sur le zouave Jacob, trombone de la garde et guérisseur fameux en son temps. Il eut d’ailleurs maille à partir avec la justice pour exercice illégal de la médecine. Pour une autre condamnation, voir Danan, 1933, p. 271-273 et plus généralement Le Douget, 2016 et 2017.
-
[114]
Léonard, 1984, p. 292-293.
-
[115]
Léonard, 1980, p. 515 (avec d’autres exemples d’abus).
-
[116]
Wailly et Crampon, 1968, p. 324.
-
[117]
Brisson, 1912, p. 681.
-
[118]
Géniaux, 1912, p. 86.
-
[119]
Léonard, 1980, p. 514.
-
[120]
Coste, 2002, p. 494.
-
[121]
Lewis, s. d. [1842], p. 152.
-
[122]
Brisson, 1912, p. 679.
-
[123]
En glanant sur les campagnes, Moulins, Cahiers Bourbonnais, 1982, cité d’après Hug, 2008, p. 3.
-
[124]
Ibid.
-
[125]
C’est-à-dire remèdes spécifiques à telle ou telle maladie. Sur les guérisseurs ambulants et sur les charlatans confrontés à la justice, voir Le Douget, 2017, p. 117-137.
-
[126]
J. Léonard, 1980, p. 514, note – exemples à l’appui – que la plupart ont été au départ créés et officiellement estampillés par les droguistes, pharmaciens, chirurgiens et médecins.
-
[127]
Le Douget, 2016, p. 47.
-
[128]
Voici par comparaison le « tableau » attendu du médecin diplômé : dans son apparence, le professionnel doit être « grave sans austérité, fier sans hauteur et toujours sérieux » : Guillemain, 2009, p. 115. Bos, 1992, p. 20, note par ailleurs que pour le jeune médecin rural l’acquisition « d’objets inutiles ou d’instruments inconnus passe pour traduire une profonde expérience et ne peut pas nuire ». Il peut donc y avoir là aussi une part de « mise en scène » destinée à impressionner le patient-client.
-
[129]
Naville, 1822, p. 113-114 (orthographe d’origine conservée).
-
[130]
Darmezin, 1904, p. 24. Les « sottises » sont les affiches et encarts publicitaires insérés dans les journaux par des prêtres et abbés fabricants de tisanes et autres élixirs de jouvence :ibid., p. 23-24.
-
[131]
Coste, 2002, p. 484.
-
[132]
Ibid., p. 485.
-
[133]
Seguin, 1980 (1941), p. 37.
-
[134]
Le Douget, 2017, p. 60.
-
[135]
Tixier, 1872, p. 338.
-
[136]
Gougneur (gougneux) est le nom du rebouteur en Bourbonnais. On trouve regougneux, rengougneux pour le Berry et le Sancerrois. Pour le portrait d’un gougneux bourbonnais et la description de son habitation à la fin du xixe siècle, voir Gilbert, 1895, p. 100-103.
-
[137]
Tixier, 1872, p. 339.
-
[138]
Il revient toutefois initialement en 1951 sous la plume d’un journaliste à l’occasion du procès du rebouteux Jean Sizorn. Parlant de ses nombreux patients, il déclare : « Je m’attendais à trouver une sorte de cour des Miracles, et j’étais en présence d’une assemblée bien disciplinée et fort tranquille » : Le Douget, 2017, p. 51.
-
[139]
Il avait en cela été précédé par le Dr J. Borianne qui, dans une thèse de 1831 portant sur la médecine en milieu rural dans la Haute-Vienne, déclarait à propos d’un frotteur appelé pour soigner un homme ayant reçu des coups sévères : « Celui-ci arrive, met bas son chapeau, dit ses prières, découvre le malade, et avec autant de gravité que le plus anciens des druides, il invite à conserver le silence […] » : Coste, 2002, p. 494.
-
[140]
Tixier, 1872, p. 339.
-
[141]
Ibid, p. 341.
-
[142]
Ibid.Une catole est une bouse séchée sur les cuisses d’une vache ; un grumeau au fond d’une casserole (Travaux de linguistique et de littérature, 1985, xxiii, p. 160). Catèle en Mâconnais et catole en Lyonnais désignent les crottes de lapin et de chèvre : Rossi, 2004, p. 163.
-
[143]
Ce cautère-convulsion a son exact correspondant dans lou catari, convulsions en Limousin (Saint-Yrieix, Saint-Junien) : Goursaud, 1978, t. iii, p. 691. C’est le même mal que le caterre (catherre, catarne), en français catarrhe, « congestion cérébrale chez les enfants ; toute affection assez grave pour obliger à garder le lit ; fièvre de catherre ou fièvre décatherre « fièvre quotidienne ; fièvre de catharre » : Jaubert, 1864, p. 130. Germain Laisnel de La Salle, 1875, t. i, p. 299, déclare pour le Berry que le caterre (ou catarne) des enfants est une congestion cérébrale qui détermine des convulsions suivies ou non de paralysie. Depuis le mot catharre, encore que vieilli aujourd’hui, s’est spécialisé dans le sens d’« inflammation des muqueuses des voies respiratoires » (catarrhe bronchique).
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[144]
Legendre, 1883, p. 19-20.
-
[145]
Le Douget, 2017, p. 66 ; Léonard, 1980, p. 513, qui cite notamment la Médecine sans médecin (1824) du Dr Audin-Rivière…
-
[146]
J. Léonard, 1980, p. 512, déclare que « Presque tous les guérisseurs savent lire ». À défaut de statistiques et de dates, l’affirmation doit être considérée avec prudence.
-
[147]
Léonard, 1980, p. 508 ; Faure, 1993, p. 38 ; Le Douget, 2017, p. 60 et passim.
-
[148]
Un cas cité à Ploéven (Finistère) en 1856 dans Le Douget, 2016, p. 56.
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[149]
Rivière-Sestier, 2000 [1942], p. 26.
-
[150]
Ibid., p. 26-27.
-
[151]
Lewis, s.d. [1842], p. 153-155.
-
[152]
On peut voir certaines de ces photos à l’adresse : https://fr.wikipedia.org, s.v. Charles Géniaux (consulté le 15-01-2018).
-
[153]
Géniaux, 1912, p. 86.
-
[154]
Bos, 1992, p. 23-24.
-
[155]
Ibid.
-
[156]
Ce dicton se rencontre dans une Enquête agricole, 1867, p. 249, à l’occasion d’une discussion portant sur les raisons de l’exode des jeunes campagnards à la ville et sur la nécessité d’instaurer des caisses rurales d’assistance mutuelle. On le trouve aussi chez Guillaumin, 1922, p. 277. Il est repris dans Loux, 1990, p. 250.
-
[157]
Léonard, 1977, p. 117.
-
[158]
Proverbes cités d’après Loux et Richard, 1978, p. 159-160.
-
[159]
Cf.le proverbe gascon « Ni jeune médecin ni vieux barbier » : ibid., p. 321 no 3422.
-
[160]
Géniaux, 1912, p. 89-94.
-
[161]
« Appât constitué par les œufs de certains poissons, et principalement de morue, employé pour la pêche des poissons de mer, et surtout de la sardine » : TLFi, s.v.Rogue.
-
[162]
Citations dans Géniaux, 1912, p. 90-92.
-
[163]
Ibid., p. 93.
-
[164]
Retranscrite toutefois par les greffiers.
-
[165]
Le Douget, 2017, p. 40, 89.
-
[166]
Ibid., p. 90.
-
[167]
Moniez et Boucher, 1976, p. 127.
-
[168]
Bouteiller, 1966, p. 84.
-
[169]
Daleau, 1889, p. 42.
-
[170]
Orr, 1974, p. 88-93 (v. 2523-2686).
-
[171]
Il s’agit apparemment d’une variété d’hydropisie. Enfondu veut dire « mouillé, trempé ».
-
[172]
Joubert, cité dans l’éd. de 1601, p. 117, no 59.
-
[173]
Chauvet, 1947, p. 228.
-
[174]
Annick Le Douget, 2017, p. 83-91, signale pour le Finistère plusieurs cas d’« uromantes » ou « jugeurs d’urine » vers 1850. Dérivée de l’uroscopie antique, l’uromancie, lecture à distance des urines (en l’absence du patient), est déclarée en 1867 « escroquerie » pure et simple dans un arrêt de la cour d’appel de Rennes.
-
[175]
Seguin, 1980 [1941], p. 79.
-
[176]
Le premier proverbe est cité dans un cahier de remèdes de François Hommeril (Lessay, Manche, ca 1719). La seconde variante est une adaptation française d’un distique de l’École de Salerne : Lelégard, 2008, p. 25, n. 255. Joubert, 1601, p. 117, no 59, connaît déjà le premier sous la forme : « Qui a de senicle & de la bugle, il fait au Medecin la nicque. »
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[177]
Cet exemple et les suivants sont tirés du site internet http://histoirepharmacie.free.fr/main05.htm (consulté le13-01-2018).
-
[178]
Cf.https://artifexinopere.com/?p=13363 (consulté le 12-03-2019).
-
[179]
En Ariège, on dit : « Le qu’a salbio dins l’ort / Se salbo de la mort. » (« Celui qui a de la sauge dans le jardin / Évite la mort ») : Moulis, 1961, p. 115. Ce dicton est en fait repris d’un axiome de l’École de Salerne : « Pourquoi mourir si l’on a de la sauge dans son jardin ? » : Bilimoff, 2011, p. 48. C’est pour cela que la sauge officinale ou sauge sclarée (Salvia sclarea L.) est appelée Toute bonne :Lucas, 2015, p. 68.
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[180]
Causse de Blandis (Gard) : Durand-Tullou, 1972, p. 226.
-
[181]
Loux et Richard, 1978, p. 69-70. Mais inversement, « Le médecin se réjouit au temps des cerises », car il y a beaucoup de malades en été : ibid., p. 161.
-
[182]
Seguin, 1980 (1941), p. 37.
-
[183]
Maneuvrier, 2008, p. 41.
-
[184]
Moulis, 1961, p. 115. « Alh è cebos le maiti, / Pèrto pel medici. » Le folkloriste et historien A. Moulis (1896-1996) précise que son terrain d’enquête personnelle s’est limité à Bélesta, Villeneuve-d’Olmes, Fougax-et-Barrineuf et Freychenet.
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[185]
De la Méthode thérapeutique, livre XII, 866K : cf. Galen, 2014, t. iii, p. 307.
-
[186]
Giraudon, 2013, p. 90.
-
[187]
Lossec, 2013, p. 10.
-
[188]
Bos, 1992, p. 56 ; Loux et Richard, 1978, p. 321, no 3411.
-
[189]
En référence à son utilisation concrète dans certains remèdes populaires. Outre les simples, la pharmacopée rurale faisait usage de vers de terre, araignées, grenouilles, limaces, rats, souris, vipères, taupes, blaireaux, pigeons, etc. Les fientes animales (bouses de vache, fientes de souris, etc.) et les excréments humains sont aussi utilisés. Cela à côté ou en parallèle avec des cierges bénits, du buis bénit, etc.
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[190]
Ces deux derniers exemples sont cités d’après Sionneau, 2013, p. 50.
-
[191]
Couhé, 1808, p. vii.
-
[192]
Arnaudin, 1996, t. ii, respectivement p. 258, no 1671 et p. 128, no 776. Ce dernier proverbe est aussi connu en Champagne.
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[193]
Bos, 1992, p. 56.
-
[194]
Ce dicton et le précédent sont cités par Bos, 1992, p. 56.
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[195]
Loux, 1990, p. 72.
-
[196]
Loux et Richard, 1978, p. 321, no 3449.
-
[197]
Pluquet, 1834, p. 122.
-
[198]
Durand-Tullou, 1985, p. 241.
-
[199]
Desforges, 1997, p. 55. Cet ouvrage posthume est la réunion d’études dispersées dans diverses revues. Antoine Desforges est un folkloriste nivernais (1866-1943).
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[200]
Ms. Poésies populaires de la France, VI, fo 244v.
-
[201]
Manuscrit Victor Smith, vol. iii, p. 3, cité d’après Coirault, 1955, p. 198.
-
[202]
« Seau de bois ou de toile, muni d’oreilles dans lesquelles on passe une corde en guise d’anse et qui sert à transporter de l’eau, du vin, du lait et, en particulier, le moût tiré du pressoir que l’on verse dans la cuve » : TLFi, s.v.Seille.
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[203]
Beauquier, 1894, p. 360-362.
-
[204]
Piniès, 1983, p. 157-158.
-
[205]
Géniaux, 1912, p. 84.
-
[206]
Gagnon, 1948, p. 163.
-
[207]
Mais pas toujours ! Certains vendent des poisons drastiques ou caustiques, manient des sondes de fortune, des rasoirs et des bistouris. « Il n’est pas vrai que tout le guérissage appartienne à une contre-culture antibourgeoise et se cantonne dans les technologies douces » : Léonard, 1980, p. 511, avec exemples.
-
[208]
Mais pas seulement des pauvres citadins. À Paris, en 1836, selon un journal de médecine, des gens instruits ou de haut rang, des avocats, des artistes distingués « négligent les conseils d’un homme de l’art et font magnétiser leurs enfants » : Léonard, 1980, p. 511.
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[209]
L’un se déclare « oculiste honoraire de Sa Majesté », un autre, nommé Lallemand, se présente comme « dentiste du roi de Prusse », un autre encore est « embassadeur [sic] du roi de Perse, privilégié de MM. les préfets du Nord et du Calvados » : Faure, 1993, p. 34.
-
[210]
Olivier Faure, 1993, p. 11, caractérise les poncifs de la littérature médicale antérieure à la révolution pasteurienne qui dénonce sans relâche « avec des accents tragiques, les méfaits redoublés de l’exercice illégal [de la médecine], la concurrence déloyale des religieuses, les crimes des charlatans », un « peuple demeuré sauvage à ses yeux, muré dans sa routine et des préjugés, inaccessible à tout raisonnement et réfractaire à toute intervention extérieurs », comme un « discours largement idéologique ».
-
[211]
Ory, 1951, p. 179.
-
[212]
Dumoulin, 1996, p. 140.
-
[213]
Camus, 1997, p. 41-42.
-
[214]
Valière, 2007, § 31 (en ligne).
-
[215]
Site Internet : http://aieux-bretons-et-normands.eklablog.com/guerisseurs-et-sorciers-en-bretagne-a132288372 (consulté le 16-03-2019).
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[216]
Voir une liste (qui n’est sans doute pas complète) sur le site Internet : https://fr.wikipedia.org, s.v. Liste des médecines non conventionnelles (consulté le 20-03-2019).
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[217]
Coste, 2002, p. 503.
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[218]
Cette opinion est réaffirmée plus loin, mais précédée cette fois d’une semonce qui se situe sur un autre plan : « On est contraint de condamner ces pratiques, probablement parce que l’on prend confusément conscience de leur caractère irrationnel ; cependant si une étude statistique pouvait être faite, on ne manquerait certainement pas d’être étonné par les résultats » : Moniez et Boucher, 1976, p. 134). Autrement dit, ces pratiques sont condamnables sur le plan de la rationalité, mais leur degré de réussite ne peut être éludé et doit être expliqué hors du cadre de la stricte rationalité.
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[219]
Ibid., p. 131-132.
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[220]
Voir par exemple le rapport des DrsBontoux, Couturier et Menkès, membres de l’Académie nationale de médecine, 2013.