Couverture de HSR_041

Article de revue

Les contestations paysannes autour de 1968

Des luttes novatrices mais isolées

Pages 89 à 136

Notes

  • [1]
    Dreyfus-Armand, Frank, Lévy et Zancarini-Fournel, 2000 ; Ross, 2005 ; Damamme, Gobille, Matonti et Pudal (dir.), 2008 ; Zancarini-Fournel, 2008 ; Dreyfus-Armand (dir.), 2008. Mes remerciements à Yannick Drouet et Vincent Flauraud pour leurs lectures et leurs conseils. Les erreurs et maladresses restantes me sont entièrement imputables.
  • [2]
    Pinol, 1975 ; Martin, 2010.
  • [3]
    Cette première tentative de synthèse sur la question s’appuie à la fois sur les ouvrages d’historiens, de sociologues et de politistes mais aussi sur des sources multiples, consultées pour ce travail ou d’autres recherches qui sont indiquées en fin d’article.
  • [4]
    Un exemple de lutte contestataire dans : Roullaud, 2013.
  • [5]
    Müller, 1984 ; Cordellier, 2008.
  • [6]
    Debatisse, 1963.
  • [7]
    Au milieu des années 1960, dans un ouvrage connu des syndicalistes agricoles, Michel Gervais, Claude Servolin et Jean Weil (1965, p. 9), écrivaient qu’entre 1954 et 1962, « près d’un million et demi de personnes avaient quitté le monde paysan ». Mouvement qui s’est poursuivi, on le sait, après cette date.
  • [8]
    Martin, 2005 ; Martin, 2012.
  • [9]
    Tartakowsky, 1992.
  • [10]
    Ibid., p. 152.
  • [11]
    Ibid.
  • [12]
    Vercherand, 1994.
  • [13]
    Bourrigaud, 1992.
  • [14]
    Guin, 1969 ; Guilbaud, 2004.
  • [15]
    Comme l’atteste une photographie célèbre dans Chavagne, 1988.
  • [16]
    Vercherand, 1994.
  • [17]
    Rapport du crjao, 1968.
  • [18]
    Entretien avec Jean Cadiot et sa femme Annick, Béziers, 6 juillet 2001.
  • [19]
    Chavagne, 1988, p. 162. Plusieurs anciens militants ont participé à la rédaction de cet ouvrage.
  • [20]
    Tous au Larzac, film de Christian Rouaud, 2011.
  • [21]
    Tristan et Lebot, 1995.
  • [22]
    Ibid., p. 80 ; Bourrigaud, 2001.
  • [23]
    Vercherand, 1994, p. 319.
  • [24]
    Pelletier, 2002.
  • [25]
    Prudhomme, 2012, p. 330.
  • [26]
    Prudhomme, 2012, p. 330.
  • [27]
    Vigna et Vigreux, 2010.
  • [28]
    Drouet et Martin, 2010, p. 126.
  • [29]
    Frères du monde, n°54-55 (Une agriculture au service des paysans). Deux autres numéros écrits avec l’aide de militants de l’ujc(ml) seront publiés ensuite (n°59, Une ligne révolutionnaire pour les paysans, et n° 71, L’État contre les paysans).
  • [30]
    Le premier numéro analyse quelques expériences de lutte ainsi que le congrès du cnja d’octobre 1969, alors que le deuxième consacre la majorité de ses articles à la question de l’alliance des travailleurs paysans et ouvriers à partir d’exemples.
  • [31]
    Un article souvent attribué à Marcel Colin affirme ainsi « la structure syndicale, par rapport aux responsables, a une double fonction : elle attire les éléments pourris, elle pourrit les éléments sains ».
  • [32]
    Renseignements aimablement fournis par Yannick Drouet. Voir aussi Drouet et Martin, 2010.
  • [33]
    Le mouvement de la jeunesse et les paysans de l’Ouest, in ibid.
  • [34]
    Entretien de Yannick Drouet avec Gérard Loquais, le 11 septembre 2009, à Cheméré (Loire-Atlantique) : ibid.
  • [35]
    Les amis de Tribune socialiste, n°11, juillet 2003, p. 26, cité in ibid.
  • [36]
    Vigna, 2007.
  • [37]
    Damame, Gobille, Matonti, et Pudal (dir.), 2008.
  • [38]
    Vent d’Ouest, n° 1, nov. 1969 ; Bulletin pour l’action des paysans-travailleurs, n° 1.
  • [39]
    Bulletin pour l’action des paysans-travailleurs, n°1.
  • [40]
    Site Le Nouvelobs.com. « Je ne vous dis pas qu’il y avait une poule faisane dans le coffre », affirme Joseph Potiron devant plusieurs centaines de personnes, le 20 novembre à La Chapelle-sur-Erdre. Et le journaliste de poursuivre : « L’assemblée rit. La cause est entendue. Ce soir l’autorité de l’État en prend un coup ». (1/12/1969).
  • [41]
    Vercherand, 1994 ; Le Monde du 28/9/1970.
  • [42]
    Plusieurs exemples dans l’Ouest et le Sud-Ouest dans Lambert et Leclerc, 1972.
  • [43]
    VO, n°63, juin 1975.
  • [44]
    « Dans ma vie politique et militante, c’est certainement l’homme dont je me suis senti le plus proche », affirme Henri Leclerc (membre un temps du psu) quand il évoque Bernard Lambert dans son livre : Leclerc, 1994, p. 121.
  • [45]
    Ibid., p. 123-136. H. Leclerc écrit qu’il est devenu l’avocat des Paysans-Travailleurs. Puis il évoque la façon dont il travaillait : « Dans ces réunions paysannes, j’annonçais une répartition des rôles : ?Moi je suis le technicien du droit ; vous vous êtes les techniciens de la terre et des hommes qui la possèdent ou la travaillent […] il faut m’éclairer?. J’avais établi comme principe que les conclusions juridiques devaient être aussi claires qu’un tract. […] Nous avons vécu de nombreux procès, accompagnés de manifestations. Je me souviens d’un jour. […] Nous avons fait une sorte de procès dans la rue. » (p. 127-128).
  • [46]
    Vent d’Ouest, n°11, oct. 1970.
  • [47]
    Bourrigaud, 1990, p. 377.
  • [48]
    Paysans en lutte, n°2, oct. 1970.
  • [49]
    Lambert et Leclerc, 1972, p. 11-13.
  • [50]
    Ibid., p. 13.
  • [51]
    Déclaration commune ouvrière et paysanne de Loire-Atlantique, 6 avril 1960 (fdsea 241, cht, Nantes).
  • [52]
    Déclaration commune ouvrière et paysanne du Finistère, 1er septembre 1960 (fdsea 241, cht, Nantes).
  • [53]
    Bourrigaud, 1990 ; Bougeard, Porhel, Richard et Sainclivier, 2012.
  • [54]
    Bougeard, 2012, p. 24.
  • [55]
    Ibid., p. 23-36.
  • [56]
    Ibid., p. 26.
  • [57]
    Bougeard, 2012, p. 27.
  • [58]
    Martin, 2005, p. 43-44 ; Bougeard, 2012, p. 34.
  • [59]
    Chavagne, 1988, p. 123.
  • [60]
    Porhel, 2008, p. 148.
  • [61]
    Flauraud, 2003, p. 551-555.
  • [62]
    Vercherand, 1994, p. 283-284.
  • [63]
    Lambert, 1970.
  • [64]
    Cordellier, 2008, p. 53.
  • [65]
    Lambert, 1970.
  • [66]
    Ibid.
  • [67]
    René Bourrigaud, « Paysans et prolétaires », in Lambert, 1970 (2003), p. 186.
  • [68]
    Ibid., p. 188.
  • [69]
    Ibid.
  • [70]
    Lambert, 1970 (2003), p. 28.
  • [71]
    Drouet et Martin, 2009, p. 291-304.
  • [72]
    Il semble cependant que certains, proches de la gop, aient pu y entrer.
  • [73]
    On trouvera de très nombreux documents dans Barres, Coulomb et Nallet, 1973.
  • [74]
    Sainclivier, 2012, p. 31 ; Jalabert et Patillon (dir.), 2013, en particulier les articles de Paul Bonhommeau, « De la grève du lait de 1972 à celle de 2009 », p. 125-140, René Bourrigaud, « Le plan Mansholt pour l’agriculture européenne (1968) et les mouvements paysans de l’Ouest », p. 67-96, Georges Dauphin, « La grève du lait en Bretagne. Témoignage », p. 141-165.
  • [75]
    Sainclivier, 2012, p. 34.
  • [76]
    Fort et Davalo, 2008, p. 63-64.
  • [77]
    Bourrigaud, 2001.
  • [78]
    Bretonnière, Colson et Lebossé, 1997.
  • [79]
    Chavagne, 1988, p. 163.
  • [80]
    Le film La Guerre du lait (1972, 52 mn) de Guy Chapouillié et Claude Bailblé, du collectif Front paysan (de sensibilité maoïste), rend bien compte de cette participation nouvelle des femmes puisqu’il donne la parole à plusieurs d’entre elles. Participation évoquée aussi dans Faut que ça bosse, pièce de théâtre militante écrite et jouée par des militants rennais proches de L’Humanité rouge (groupe pro-chinois) qui porte sur la « grève du lait ».
  • [81]
    Même si cette dénonciation de la trahison des luttes par les directions syndicales est une constante du discours des « maoïstes » des années 1968, il semble bien que certains paysans ont trouvé le soutien ouvrier trop limité.
  • [82]
    Porhel, 2008. Des grévistes du Joint français font, en 1972, la quête auprès de la population dans ce drapeau (p. 160) et certains ont entonné La Blanche hermine, du chanteur régionaliste Gilles Servat.
  • [83]
    Pôle Sud, n°9, La « grande transformation » du Midi rouge, nov. 1998. Les actifs agricoles représentent en 1968, environ 30 % des actifs dans l’Aude et 18 % dans l’Hérault.
  • [84]
    Bartoli et Boulet, 1989.
  • [85]
    Bardissa, 1976 ; Guillemin, 1990 ; Pech, 1994 ; Martin, 1994 ; Gavignaud-Fontaine, 2000 ; Le Bras, 2013.
  • [86]
    Martin, 1997, 1998, 2003, 2005, 2008. Un film évoque cette lutte : N’i a pro (1976, 68 mn), du collectif Front Paysan (Guy Chapouillié avec Robert Boarts, Dominique Bricard, Juliette/Janine Caniou, Nadine Charesson, Hubert Guipouy, Yves Lachaud, Bernard Pellefigue).
  • [87]
    Zancarini-Fournel, 1997. Voir aussi à ce propos les articles écrits « à chaud » par Alain Rollat alors journaliste au Midi libre.
  • [88]
    Dans une bibliographie très riche : Le Bris, 1975 ; Martin, 1987 ; Alland Jr, 1995 ; Pottier, 2001 ; Roux, 2002 ; Martin, 2005 ; Vuarin, 2005 ; Terral, 2011 ; Lynch, 2012.
  • [89]
    Terral, 2011, p. 18.
  • [90]
    Ibid., p. 46.
  • [91]
    Entretien avec Amand Chatellier, le 17 août 2000.
  • [92]
    « Nous nous félicitons de la décision prise par les Paysans-Travailleurs d’organiser une marche sur le Larzac […] et nous y donnons notre plein accord », texte signé Les paysans du Larzac, dans Vent d’Ouest, n° 40, juin 1973.
  • [93]
    Terral, 2011, p. 55-56.
  • [94]
    Georgi, 2012.
  • [95]
    Voir le film Tous au Larzac.
  • [96]
    Elle est un peu oubliée dans le film Tous au Larzac alors que son auteur la connaît bien.
  • [97]
    Bernard Lambert et Henri Leclerc se sont connus au psu, nous l’avons vu, où ils ont appartenu, un temps, à cette tendance sans rejoindre ensuite l’oc-gop.
  • [98]
    Terral, 2011, p. 58.
  • [99]
    Martin, 2008b, p. 318-330.
  • [100]
    L’association Les amis de la Confédération paysanne y a d’ailleurs organisé des journées en juillet 2013.
  • [101]
    Pelletier et Schlegel, 2012.
  • [102]
    Ce que confirme la fraction non négligeable des ouvriers qui étaient alors proches des partis de droite et du centre.

1Il y eut bien, dans les années 1960-1970, des paysans contestataires pour peu qu’on ne limite pas l’étude aux mois de mai et juin 1968 comme nous y invitent nombre d’historiens qui ont travaillé sur le « moment 68 » [1]. Par ailleurs, si ceux-ci sont en phase avec les mouvements de contestations des autres secteurs sociaux, ils veulent rester indépendants et diriger eux-mêmes leurs actions. Enfin, des paysans ont bien mené des luttes déterminées mais souvent restées localisées, isolées, sans liens entre elles. Dans les années 1968, certains ne sont pas restés à l’écart du mouvement de contestation. Des luttes et des revendications paysannes ont contesté la politique agricole du gouvernement, voire la société dans son ensemble et la place des paysans dans celle-ci. Même si ces contestataires furent une minorité, il s’agit d’une minorité agissante et parfois influente. Certains d’entre eux s’affirmaient même de gauche, anticapitalistes, voire révolutionnaires, recourant parfois à un langage marxisant.

2Contrairement à une idée assez largement répandue, les paysans ne sont pas forcément corporatistes. Les courants paysans que nous allons étudier, comme certains de ceux auxquels ils s’opposent, sont en lien avec d’autres catégories sociales et avec les mouvements d’idées qui traversent le pays. Ces paysans ne sont pas forcément « dominés », ils ne reproduisent pas des idées et des thèmes élaborés en dehors d’eux par des idéologues urbains (gauchistes ou non). Il y a au contraire, chez les paysans contestataires, la volonté d’élaborer eux-mêmes une analyse originale, de réfléchir aux thèmes mobilisateurs et de diriger leurs luttes.

3Manifestations des années 1960 dans l’Ouest, grève du lait (1972), guerre du vin (1970-1976), lutte du Larzac (1971-1981), luttes foncières, défense des éleveurs intégrés, etc. : il ne saurait être question ici de faire un panorama de l’ensemble des luttes paysannes. Il s’agit plutôt de rappeler que certaines de ces luttes ont entraîné massivement des paysans décidés. Souvent animées par des syndicalistes proches de la « nouvelle gauche paysanne », fréquemment défaites, plus rarement victorieuses, elles ont eu un large écho sur le plan régional voire national. Leurs thèmes, le discours produit à leur occasion, le répertoire d’actions, les alliances tissées ont évolué révélant les mutations des mouvements contestataires. Le combat du Larzac, un des rares victorieux, semble couronner ces actions mais occulte peut-être l’importance et le sens des autres luttes.

4Les contestations paysannes se sont en particulier affirmées dans l’Ouest (régions Bretagne et Pays de Loire) et en Languedoc-Roussillon où les luttes ont été fréquentes, massives et déterminées comme le signale Marc Pinol pour les années 1960 [2]. Cependant ce qui nous amène à étudier plus précisément les luttes paysannes dans ces régions, c’est qu’elles y ont souvent pris une dimension politique : critique des gouvernements de droite, rapprochement avec les gauches politiques, recherche d’alliances avec le mouvement ouvrier, affirmation de la dimension régionale du combat mené. Par ailleurs, nombre de ces agriculteurs y ont eu la volonté de faire évoluer le répertoire d’actions traditionnel des mobilisations et se sont rapprochés de militants d’autres milieux sociaux (ouvriers, employés, avocats mais aussi acteurs du monde culturel). Devenus contestataires, ils ont renouvelé leur discours en intégrant et adaptant des thèmes portés par les mouvements sociaux des années 1968 dont ils se sentaient proches : antimilitarisme, anticapitalisme, critique des autorités traditionnelles, opposition au pouvoir central, voire régionalisme. C’est cette proximité pendant plusieurs années avec les contestations des années 1968 qui nous semble faire l’originalité de ces mouvements [3].

Des paysans dans le chaudron soixante-huitard

5Il y eut donc des paysans contestataires et tous ne furent pas effrayés par le mouvement de mai-juin 1968 [4]. De plus, pour peu que l’on élargisse l’étude à ce que plusieurs historiens ont appelé « les années 1968 » (entre 1962 et 1981 environ), il est possible de repérer l’émergence d’un courant contestataire à l’intérieur (puis à l’extérieur) du syndicalisme agricole et le développement de luttes paysannes qui rompent avec le répertoire d’actions traditionnel de celui-ci, avant comme après le mois de mai 1968. Ce qui amène certains paysans qui y participèrent à affirmer qu’ils vécurent au cours de celles-ci « leur mai 1968 ».

L’émergence d’un courant contestataire

6Qui sont les militants paysans contestataires qui s’affirment dans les années 1960-1970 ? Pour la plupart, ils ne sont pas issus de la tradition paysanne de gauche et du Mouvement de défense des exploitations familiales (modef), animé par des communistes et des socialistes depuis 1959, présent en particulier dans le Centre, le Sud-Ouest et le Sud-Est de la France. Les « nouveaux » contestataires ont été souvent formés par la jac (Jeunesse agricole catholique) à partir des années 1950 puis sont passés par le cnja (Centre national des jeunes agriculteurs) et la fnsea (Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles). Ces exploitants moyens, de tradition catholique, souvent éleveurs, sont issus surtout de l’Ouest et de la région Rhône-Alpes, où ils animent souvent les structures départementales du syndicalisme majoritaire. Les plus anciens d’entre eux sont nés dans les années 1930 (tel Bernard Lambert, en Loire-Atlantique, né en 1931) ; ils ont été rejoints par de plus jeunes, nés dans les années 1940 (tel Antoine Richard, du Rhône, né en 1941).

7Les mouvements d’action catholique (jac puis à compter de 1961 Mouvement rural de la jeunesse chrétienne, mrjc) ont joué un rôle décisif dans la réflexion de ces militants. Ces associations diffusent un idéal chrétien qui n’hésite pas à bousculer l’ordre établi et les traditions. Pour elles, l’homme agit et transforme le monde. De la jac puis du mrjc, par lesquels la plupart sont passés, ces militants ont retenu l’exigence de formation, la volonté de constituer une élite agricole, la fierté d’être paysan et ont repris et diffusé un discours réformateur : modernisation et agrandissement des exploitations, développement du machinisme, recours aux nouvelles techniques agronomiques, nécessité de se regrouper face aux firmes, défense de la coopération, ouverture au marché… Ils ont défendu la nécessité de réformes de structure afin que les agriculteurs voient leur revenu augmenter, ne soient plus « esclaves » de leur travail, atteignent la parité avec les autres catégories sociales et restent des travailleurs indépendants [5]. En bref, le paysan doit devenir un entrepreneur. Ces paysans veulent aussi s’ouvrir au monde et aux autres couches sociales. La « révolution silencieuse » repose sur un travail d’analyse des exploitations et une réflexion visant à leur transformation (en s’appuyant sur la démarche résumée par la formule : « voir, juger, agir »). Elle passe aussi par la décohabitation avec les parents, la modernisation de l’habitat, l’amélioration des conditions de vie et la volonté d’instaurer de nouvelles relations dans les familles et les couples. Les jeunes agriculteurs veulent entrer dans la modernité, désirent ne plus être en marge et entendent peser sur les décisions politiques les concernant [6].

8Dans le cours des années 1960, ces syndicalistes constatent que les agriculteurs sont de moins en moins nombreux [7], que le revenu augmente moins rapidement que la charge de travail et que les inégalités entre eux perdurent, en particulier entre les éleveurs de l’Ouest et les céréaliers du Bassin parisien. Ils ont le sentiment que les directions du syndicalisme majoritaire défendent en priorité ces producteurs et ils créent en réaction des structures syndicales régionales (Centre régional des jeunes agriculteurs de l’Ouest, crjao, en 1965, Fédération régionale des syndicats d’exploitants agricoles de l’Ouest, frseao, en 1966). Une partie des syndicalistes qui les animent s’oppose aux choix de la fnsea et du cnja, impulse des mobilisations de masse, développe des revendications propres, tisse des alliances sociales et politiques inédites et organise une tendance oppositionnelle. Dès avant les événements de mai-juin 1968, les syndicalistes de l’Ouest ont fait le choix de recourir quand ils le jugeaient utile à l’action directe pour peser sur les négociations. De grandes manifestations sont organisées sur le plan régional afin de défendre les éleveurs de l’Ouest. Elles sont massives (dès le début des années 1960 et en particulier en juin puis octobre 1967, à Redon) et sont parfois accompagnées de déprédations et de violences envers les forces de l’ordre (Quimper, octobre 1967) que ne désavouent pas ces responsables, voire qu’ils légitiment.

9Une partie de ces dirigeants syndicaux de l’Ouest refusent de rester à part dans la société, se veulent non corporatistes et entendent s’ouvrir à d’autres couches sociales. Cette démarche trouve son débouché dans l’organisation d’une journée régionale d’action, organisée avec les syndicats ouvriers, autour du mot d’ordre « L’Ouest veut vivre ». Préparée fin 1967-début 1968, elle se déroule le 8 mai 1968 et rassemble des milliers de manifestants dans plusieurs villes de la région. Peu à peu, ces responsables de l’Ouest contestent la politique agricole du gouvernement et la politique agricole de la cee (Communauté économique européenne). Ils défendent la nécessité de mesures compensatrices pour les éleveurs de l’Ouest puis critiquent les orientations des directions de la fnsea et du cnja jugées favorables aux grands exploitants, aux céréaliers et aux betteraviers. Ils ont le sentiment que, quand ils manifestent, les éleveurs de l’Ouest, ou d’ailleurs, fournissent la base militante afin d’obtenir gain de cause pour des revendications favorables aux grands exploitants, aux céréaliers. Ils en viennent alors à se regrouper et à constituer une sensibilité oppositionnelle qui se manifeste avec éclat lors du congrès du cnja, à Blois, en 1970, en présentant un contre-projet porté par Antoine Richard (Loire) intitulé Pour un syndicalisme de travailleurs. Une tendance Paysans-Travailleurs s’affirme alors [8].

10Ces syndicalistes sont minoritaires mais ce sont des cadres syndicaux très actifs et bien formés. Ils ont aussi parfois une influence importante dans certaines régions, en particulier dans l’Ouest et dans la région Rhône-Alpes. Enfin, après mai-juin 1968, même si leur courant a du mal à s’implanter, les idées qu’ils défendent, le répertoire d’actions qu’ils préconisent ou les combats qu’ils impulsent, ont marqué le monde agricole et mobilisé bien au-delà.

En mai-juin 1968

11Pendant les événements de mai-juin 1968, les positions de la fnsea, du cnja mais aussi des agriculteurs ont évolué. Dans un premier temps, les jeunes agriculteurs ont témoigné leur sympathie envers les étudiants. Au lendemain de la première nuit des barricades, le cnja a dénoncé la répression policière, le manque d’écoute du gouvernement et témoigné de la sympathie envers les étudiants. Dans certains départements, des structures syndicales (fdsea, cdja ou modef) ont appelé à rejoindre les manifestations organisées par les confédérations ouvrières et le syndicat étudiant ou ont manifesté séparément. Ainsi, cdja et fdsea se joignent aux défilés du 13 mai, à Nantes, Clermont-Ferrand et Toulouse [9]. La fnsea décide de ne pas rester inactive et appelle à une journée de mobilisation le 24 mai afin de protester contre la baisse des prix communautaires de la viande et du lait. Cette journée est dirigée « contre Bruxelles, non contre le gouvernement » [10]. Cet appel est suivi d’effets : D. Tartakowsky a ainsi recensé 52 manifestations à l’appel d’organisations paysannes entre le 22 et la 26 mai [11]. Le syndicalisme majoritaire a, d’une certaine manière, tenté d’utiliser les événements pour faire entendre ses revendications. Selon le journal Le Monde, le succès fut mitigé. Reste que ces manifestations ont regroupé environ 200 000 manifestants, ce qui est loin d’être négligeable. Peu à peu, cependant, un retournement s’affirme et les directions du syndicalisme agricole, ainsi que nombre d’agriculteurs, deviennent hostiles au mouvement. Le développement des grèves, les violences, de plus en plus fréquentes lors des manifestations fin mai, la politisation du conflit et, pour certains, la peur du communisme ont fait que la fnsea a soutenu le général de Gaulle : soutien symbolisé par la rencontre de Michel Debatisse avec le président de la République le 28 mai. Le cnja, selon Jean Vercherand, se divise, certains prenant position pour Pierre Mendès France alors que d’autres manifestent en faveur du général de Gaulle [12].

12Néanmoins, une minorité de syndicalistes paysans a approuvé le mouvement et s’y est engagée, en particulier dans l’Ouest. Bernard Lambert se rend dans les universités nantaises, y est écouté avec un grand intérêt et va même à Paris où il rencontre Pierre Mendès France [13]. En Loire-Atlantique, des syndicalistes participent à ce que Yannick Guin a appelé « la Commune de Nantes » (comité de grève intersyndical qui a permis des distributions de produits agricoles dans la ville et a rendu possible l’alimentation en essence des camions transportant des produits agricoles aux coopératives) [14]. Le 24 mai, à Nantes, des agriculteurs (en nombre limité certes) participent à la manifestation, rebaptisent la place royale « place du Peuple » et certains tiennent même une banderole proclamant « Non au régime capitaliste. Oui à la révolution complète de la société » [15].

13D’autres vont voir et rencontrent les jeunes contestataires étudiants dans les universités, à Montpellier ou dans d’autres villes. De jeunes paysans contestataires publient des brochures sur le mouvement de la jeunesse. Pendant les événements, le cdja de Loire-Atlantique diffuse un texte intitulé : En quoi les agriculteur, sont-ils concernés par les manifestations des étudiants ? En juillet, celui de l’Hérault avance des Propositions pour rebâtir l’université de l’école primaire à l’enseignement secondaire. Le cdja de la Loire publie un communiqué et distribue des tracts dans les usines en grève [16]. En septembre 1968, le crjao présente un rapport fort critique envers le système libéral et le « processus de concentration capitaliste » [17]. Pour une partie des jeunes agriculteurs contestataires, mai 1968 a bien constitué un événement fondateur.

14Surtout, l’onde de choc des événements se propage les années suivantes bien au-delà de ceux qui, dans l’Ouest et ailleurs, s’étaient sentis solidaires du mouvement de contestation ouvrier et étudiant. Certains, sans approuver le discours politique porté par les mouvements soixante-huitards, pensent qu’il est nécessaire d’utiliser des moyens d’action énergiques, spectaculaires, pour se faire entendre des pouvoirs publics et vont piocher dans cette palette. D’autres reprennent tel ou tel élément du/des discours porté(s) par les mouvements contestataires qui se développent les années suivantes (marxisme, ouvriérisme, régionalisme, féminisme…). Un certain nombre disent qu’ils ont connu leur mai 68 au cours d’une lutte ou d’un combat syndical, qui ont changé leur regard sur le monde.

15Pour Jean Cadiot (Loire-Atlantique, alors l’un des dirigeants des Paysans-Travailleurs), les paysans contestataires ont vécu leur mai 1968 pendant les journées d’Orléans des Paysans-Travailleurs (21 et 22 mai 1972) au cours desquelles d’autres questions que celle du strict combat syndical classique ont émergé (place et lutte des femmes, questions sur la famille…) [18].

16Lors de ces journées, nombre de militants sont animés d’un spontanéisme vif qui leur fait se défier de toute organisation trop structurée qui pourrait donner naissance à une nouvelle bureaucratie. Le fonctionnement collectif est privilégié par crainte de l’émergence d’un leader qui confisquerait les débats. Bernard Lambert, plus expérimenté et plus âgé, intervient peu et pas de la tribune. Ces journées, qui se déroulent peu de temps avant le congrès du cnja, ne sont pas du tout axées sur la construction d’une opposition interne à la direction de ce syndicat. Elles évoquent assez peu la lutte du lait, pourtant animée par des syndicalistes de cette tendance, qui commence alors dans l’Ouest, et consacrent de longs moments aux questions de société, au refus des appareils et des leaders.

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« [Il] est révélateur que les trois quarts des participants aient préféré se précipiter dans les carrefours qui voulaient : ‘changer de vie’, ‘changer la société’, ‘lutter contre les aliénations’. La religion, la famille, la justice bourgeoise, l’oppression subie par les femmes…sont vertement dénoncées. Il est beaucoup question de libération sexuelle [19]. »

18Un ancien Paysan-Travailleur nous confiait que les jeunes militants avaient alors connu leur mai 1968 et que les responsables de l’organisation, dont lui, avaient été débordés lors de ces journées au cours desquelles les femmes avaient largement pris la parole. Pour Léon Maillé, paysan du Larzac, catholique et traditionnel, c’est la lutte contre l’extension du camp militaire qui lui a ouvert les yeux et l’a fait changer [20].

19En mai-juin 1968, parfois avant ou plus souvent après, ont eu lieu des rencontres avec des hommes et des femmes d’autres univers sociaux et politiques, parfois même avec des contestataires aguerris ou en train de le devenir, qui ont donné lieu à des débats et fait évoluer les uns et les autres, aboutissant à des métissages inattendus.

Rencontres, débats et rapprochements

20La sensibilité paysanne contestataire défend la nécessité de l’ouverture aux autres groupes sociaux, en particulier aux ouvriers et à leurs organisations syndicales.

21Certaines rencontres sont facilitées par l’appartenance à des univers culturels proches, plus particulièrement par une formation liée au catholicisme social. Ainsi ceux qui sont passés par la jac ont connu des jeunes d’autres milieux, passés par la joc (Jeunesse ouvrière chrétienne) mais aussi par la jec (Jeunesse étudiante catholique) dans laquelle ont milité des ingénieurs ou techniciens agronomes en formation à Paris comme en province. Les liens sont plus faciles avec la cfdt (Confédération française démocratique du travail) issue de la déconfessionnalisation de la cftc (Confédération française des travailleurs chrétiens) dont les animateurs sont souvent passés par la joc. Ils sont plus difficiles avec la cgt ou fo. En Loire-Atlantique, Médard Lebot, infatigable animateur de la fdsea de 1956 à 1972, « croise à la messe [en 1957] l’un des dirigeants des grèves de 1955 : Gilbert Declercq », ancien jociste, responsable de la cftc puis de la cfdt, et entre en contact avec lui [21]. Si l’accueil est froid au départ, les relations démarrent vraiment en 1958. Raphaël Rialland, président de la fdsea de 1959 à 1964 (qui fut un temps ouvrier, membre de la joc), est invité au congrès départemental des métallurgistes cftc en avril 1959 et des contacts sont même noués avec la cgt[22]. La venue du général de Gaulle, en avril 1960 à Nantes, débouche sur un tract commun entre ces organisations qui souligne la convergence d’intérêts entre les travailleurs des villes et ceux des campagnes. Parfois, les liens sont familiaux : Antoine Richard, de la Loire, responsable du cdja, est issu d’une famille dans laquelle plusieurs membres appartiennent au courant cftc-cfdt[23] ; le beau-père de Jean Huillet, dans l’Hérault, a été proche du psu.

22Or, dans les années 1960, l’Église catholique est confrontée, avec difficulté, à la modernisation et tente un aggiornamento. Les organisations de jeunesse, jac (puis mrjc) et jec, en particulier, sont confrontées à des crises, à l’émergence de contestations et à une tentative de reprise en main par la hiérarchie qui contribue à rapprocher les contestataires de ces organisations [24]. Plusieurs dirigeants nationaux quittent ainsi le mrjc (Mouvement rural de la jeunesse chrétienne) en décembre 1965 (dont Jean-Bernard Mabilais, Marcel Colin, Michel Bertin) en plein congrès du mouvement.

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« Ce geste spectaculaire est la conclusion d’une épreuve de force entre dirigeants nationaux et évêques, mais aussi entre aumôniers qui porte essentiellement sur les modes d’engagement et sur la subordination à l’épiscopat [25]. »

24Ces dirigeants auraient voulu élargir le mouvement sur le plan social, prendre des contacts internationaux, se déterminer eux-mêmes et mener une « action politique, au sens large » [26]. Ils quittent le congrès et de nouveaux responsables sont désignés mais le mrjc est à nouveau confronté à de vives tensions dans les années 1970. Les responsables qui rompent avec le mrjc, en 1965, sont en relation avec ceux qui ont dû quitter la jec (tel Henri Nallet et Pierre Le Strat) mais parfois aussi avec d’autres jeunes contestataires.

25C’est en 1965-1966 aussi que la crise de l’Union des étudiants communistes atteint son paroxysme avec l’exclusion de ceux qui allaient fonder la jcr (Jeunesse communiste révolutionnaire) avec Alain Krivine, Daniel Bensaïd et Henri Weber et celle de ceux qui furent à l’origine de l’ujc(ml) (Union des jeunesses communistes marxistes léninistes), groupe pro-chinois [27]. Appartenance à une même génération (pour certains), communauté de destins (exclusion d’une organisation « adulte » et rupture avec la hiérarchie) : autant d’éléments qui ont pu faciliter les relations entre les militants de ces petites organisations d’extrême-gauche et des permanents d’organisations paysannes qui ont pu servir de « passeurs » depuis Paris.

26Une partie des paysans contestataires débattent et développent des liens avec des étudiants contestataires entre 1966 et 1968, se rapprochant de la petite équipe de l’ujc(ml). Cette attirance pour la gauche et les extrêmes-gauches, dont les maoïstes, n’est pas limitée alors à ces militants mais concerne aussi d’autres catholiques minoritaires mais actifs, ainsi que des protestants. Des franciscains de Bordeaux et Toulouse jouent un rôle important dans la publication et l’évolution de la revue Frères du monde qui, après avoir consacré un numéro spécial à la guerre du Vietnam en 1964, se rapproche d’un marxisme à la sensibilité pro-chinoise. L’ujc(ml) porte un intérêt réel au monde paysan et aux questions agricoles. Elle publie, en 1967, un article d’une trentaine de pages intitulé Éléments sur la question agraire. Même si elle tend à plaquer des analyses maoïsantes (défense des paysans pauvres, nécessaire alliance de ceux-ci avec les ouvriers, critique de la coopération, dénonciation de la bourgeoisie…), elle essaie d’organiser des stages, des enquêtes auprès de paysans dès l’été 1967 et, de manière plus ample, pendant les étés 1968 et 1970. Les liens entre ces militants (catholiques ou anciens catholiques et maoïsants) se resserrent. Jean-Bernard Mabilais, exclu du mrjc en 1965, vit à Paris ; il développe les relations avec des responsables de la jec, de l’uec, du psu, se détache de la religion et, intéressé par la publication de la revue de l’ujc(ml) sur la question agraire, se rapproche de cette sensibilité [28]. En 1967, la revue Frères du monde demande aux anciens de la jec et du mrjc d’écrire un numéro consacré aux questions agricoles. Les événements de mai-juin 1968 intervenant avant qu’elle soit publiée, elle est alors réécrite avec l’aide de militants de l’ujc(ml) dont Raphaël Larrère, Benny Lévy et Jacques Theureau, et en tenant compte de ces événements [29]. Les mêmes, rejoints par des chercheurs de l’Institut national de la recherche agronomique (inra) de Paris (Claude Servolin, Michel Gervais, Pierre Coulomb) et des paysans comme Joseph Potiron (Loire-Atlantique), seront à l’initiative du Bulletin pour l’action des paysans-travailleurs (deux numéros fin 1969-début 1970) [30]. Ces militants et ceux de la Commission nationale agricole du psu (Parti socialiste unifié), animée en particulier par Bernard Lambert entre 1966 et 1972, tentent d’unir leurs forces et publient pendant quatre ans la revue Paysans en lutte qui est diffusée à environ trois mille exemplaires. Cette revue se veut un lieu de débats et d’analyse des luttes des paysans-travailleurs et a, un temps, un écho indéniable auprès d’une partie des cadres syndicaux contestataires. Elle privilégie les luttes à la base et est marquée par un certain spontanéisme. Elle est animée par des militants membres ou proches du psu ou, pour d’autres, proches de la Gauche prolétarienne (issue en partie de la crise de l’ujc(ml) après 1968). Ces derniers se défient de toute organisation, privilégient les luttes à la base et ne veulent pas créer une nouvelle force syndicale alors que ceux du psu se placent dans cette optique. La rupture a lieu en 1972 : les proches du psu quittent la revue après une affirmation jugée par eux trop antisyndicale primaire [31]. Par ailleurs, des désaccords théoriques opposent ceux qui défendent l’idée d’une prolétarisation des paysans moyens et petits à ceux qui considèrent qu’ils sont affectés par un processus de paupérisation.

27Les événements de mai-juin 1968 et les années suivantes ont été le théâtre de « rencontres improbables » entre personnes issues de milieux sociaux et culturels différents y compris avec des syndicalistes paysans contestataires. Un certain nombre d’étudiants, parisiens ou non (dont beaucoup se disent « maos »), rencontrent des syndicalistes agricoles, notamment pendant l’été 1968. Michel Tarin, Gérard Loquais, Joseph Potiron ont aussi hébergé des étudiants qui venaient apprendre la vie à la campagne. M. Tarin a hébergé Jean-Paul Cruse et Joseph Potiron a accueilli Gérard Miller. Le nombre total est difficile à chiffrer : peut-être une trentaine dans la région nantaise mais des militants étudiants se sont aussi rendus dans les campagnes du Maine-et-Loire, de la Sarthe, du Finistère, du Morbihan, dans la Loire, la Drôme, l’Aude, l’Hérault [32]… Ce mouvement, qui avait commencé dès l’été 1967, s’est poursuivi pendant plusieurs années. En 1970, selon la Gauche prolétarienne, « 120 étudiants et jeunes ouvriers révolutionnaires » auraient participé à de tels stages [33].

28Ce bouillonnement et cette contestation ne touchent pas seulement quelques cadres paysans influencés par des intellectuels parisiens mais est perceptible dans de nombreuses régions. Il ne faut pas imaginer des paysans passifs qui recevraient un enseignement politique de la part de maoïstes zélés. Gérard Loquais, qui avait accueilli des étudiants en Loire-Atlantique, affirme ainsi :

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« Les étudiants venaient au début pour persuader et ont cherché à influencer politiquement les paysans. Mais ils ont vite compris qu’il fallait avant tout dialoguer. On a appris à leur contact, ils ont appris à notre contact [34]. »

30Pour Marcel Colin, des Vosges, les étudiants « ont contribué au débat, peut-être de façon maladroite, mais au moins ils ont posé des questions et ont permis que des choses soient mises en évidence » [35].

31Les militants paysans sont très jaloux de leur indépendance, ne veulent pas être les simples relais d’idées nées ailleurs (chez des intellectuels ou dans des partis politiques) et affirment élaborer leurs analyses à partir de leur expérience, quitte à revisiter les analyses marxistes. Il est notable qu’on trouve des intellectuels et des paysans dans les deux tendances de la revue Paysans en lutte (même si les intellectuels sont peut-être un peu plus nombreux parmi les proches de la gp). Reste que ce n’est pas cette sensibilité qui fut majoritaire parmi les paysans contestataires.

Une insolence paysanne ?

32Concernant les années 1968, Xavier Vigna parle de l’insubordination ouvrière pour évoquer cette période de contestation dans les usines qui voit s’affirmer « une seconde jeunesse de la grève » et un refus de l’autoritarisme [36]. Boris Gobille parle d’une « crise du consentement » et, dans le même ouvrage, Dominique Memmi analyse ce qu’elle appelle une « crise de la domination rapprochée » [37]. Peut-on pour les paysans ou une fraction d’entre eux évoquer de telles crises et une telle insubordination dans ces années-là ? Il nous semble bien que oui, en particulier après mai-juin 1968. Dans plusieurs lieux, au cours de certaines luttes, une partie des paysans, jeunes et moins jeunes, fait montre d’une belle insolence envers les pouvoirs publics (locaux ou nationaux), contestant les choix de certaines institutions piliers du pays (l’armée, l’Église catholique), s‘opposant aux propriétaires des terres qu’ils travaillent, rompant avec l’idéologie traditionnelle qui était celle de leur milieu (critique de la religion, dénonciation de la famille traditionnelle). Cette insolence se repère dans les discours, dans le ton adopté, dans les attitudes d’une fraction des paysans et au cours de certains combats menés par ceux-ci.

33Les ministres en font parfois les frais. Des syndicalistes de plusieurs régions quittent la salle lors du discours du ministre de l’Agriculture (Jacques Duhamel) pendant les journées d’étude du cnja, en octobre 1969, pour montrer qu’ils n’attendent rien de celui-ci [38]. Ils dénoncent une politique agricole qui supprime les mesures destinées aux marchés animaliers alors qu’elle soutient céréaliers et betteraviers, et qui restreint les prêts du Crédit agricole. Le 16 novembre 1969, le ministre de l’Éducation, Olivier Guichard, est interpellé, en Loire-Atlantique, par plusieurs centaines d’agriculteurs qui lui imposent « une visite de ferme » non prévue au programme, au cours de laquelle ils lui font part des difficultés de la profession. Le ministre a été contraint de marcher derrière une banderole affirmant : « Contre le cumul des terres et l’encadrement du crédit, utilisez le débourgeoisant Jacquou » [39]. Quand le ministre entend regagner sa voiture, des manifestants veulent l’obliger à marcher encore sous la pluie. Des œufs et de la boue sont lancés, le costume du ministre est maculé, des pancartes sont brandies, des cris hostiles fusent… Il s’agissait là de rompre avec un syndicalisme privilégiant la concertation et la responsabilité. La « visite de ferme » renverse l’ordre symbolique, met le représentant de l’État en position inférieure et marque la force des syndicalistes. L’autorité de l’État ayant été bafouée, cette action débouche sur des arrestations et des condamnations les jours suivants, ce qui entraîne des manifestations massives qui rassemblent plusieurs milliers de paysans, d’ouvriers et de jeunes à Saint-Nazaire et Nantes, en particulier, mais marque et divise les syndicalistes bien que les personnes condamnées soient libérées assez rapidement. Quelques jours auparavant (le 18 octobre), des paysans avaient intercepté la voiture du préfet (Émile Vié) qui se rendait à dîner chez le comte de La Billais. À la suite de l’arrestation de leurs camarades, interviewés par des journalistes, ils laissent sous-entendre, de manière moqueuse, qu’ils avaient vu une poule faisane dans le coffre de la voiture, alors que le préfet avait pris un arrêté en interdisant la chasse [40]. En septembre 1970, à l’appel de la fédération départementale des producteurs de lait de la Loire, 2000 d’entre eux bloquent par surprise, à Boën-sur-Lignon, Robert Boulin, alors ministre de la Santé publique et de la Sécurité sociale et ancien ministre de l’Agriculture. Ce rassemblement a été organisé dans le secret et le ministre, dans un certain chahut, accepte d’écouter les syndicalistes. Ceux-ci lui font part de la « situation catastrophique et scandaleuse qui est la leur », critiquent une politique économique qui pressure « les plus misérables » et semblent douter des choix gouvernementaux [41]. Les paysans contestataires ne s’opposent pas qu’aux pouvoirs publics, ils dénoncent aussi ceux qu’ils appellent les « notables », en particulier les propriétaires non exploitants issus de la noblesse, les « châtelains ». Ils critiquent enfin, vivement, ceux qu’ils considèrent comme des « cumulards » et qui veulent agrandir de manière inconsidérée, selon les syndicalistes, une exploitation ou ont déjà une autre profession [42]. Ils défendent les droits des fermiers et entendent favoriser l’installation de jeunes.

34Ces actions témoignent d’une insolence nouvelle dans une partie de la paysannerie. Pour ces agriculteurs, la légitimité des revendications est jugée supérieure au respect dû envers les représentants de l’État qui sont interpellés, critiqués voire moqués dans la presse diffusée par ces militants.

35Cette insolence est, en effet, nettement perceptible dans les journaux diffusés par les paysans contestataires. Le ton impertinent caractéristique d’une partie des médias dans les années 1968 est manifeste dans la presse de l’opposition syndicale paysanne, en particulier dans Vent d’Ouest ou Paysans en lutte. L’humour est féroce. Les firmes agro-alimentaires sont représentées par un homme, en costume trois pièces, portant un chapeau haut de forme, symbole du capitalisme. Celui-ci tient parfois une balance dans sa main (suggérant ainsi que la justice est au service du capital) ou un petit chien en laisse portant un casque policier (la police serait au service des possédants). Les firmes empocheraient des profits considérables sans se préoccuper ni des revenus des agriculteurs ni de leur santé et encore moins des consommateurs. L’armée est, elle aussi, moquée dans les affiches appelant à défendre le Larzac, que ce soit dans les premières affiches réalisées par le mouvement Paysans-Travailleurs ou dans celles conçues sous la direction des paysans du Larzac. Dans un numéro de Vent d’Ouest de 1973, sous le titre, « Nous garderons le Larzac », un poing broie un char. L’ironie est parfois grinçante comme dans ce dessin de la première page de vo qui dénonce la condition des agriculteurs modernisés. Il montre l’enterrement d’un paysan qui, nous dit-on, a produit, a investi, a consommé, s’est endetté et a été un grand chef d’entreprise ; malgré ce, il faut procéder à une collecte afin de couvrir les frais de l’enterrement [43]. Les adversaires dans le champ syndical sont aussi moqués. En particulier, Michel Debatisse, ancien de la jac puis du cnja qui a obtenu la présidence de la fnsea dans un cadre d’alliance avec les céréaliers et est présenté comme s’opposant aux luttes à la base, comme complice du gouvernement.

36L’insubordination est aussi perceptible par l’emploi de moyens d’action qui enfreignent la légalité. Ces illégalités ne sont pas le propre de ce courant mais elles se multiplient et sont valorisées. Confrontés à la justice, les militants se défendent avec l’aide d’avocats favorables à leur cause (dont le plus connu est Henri Leclerc) [44], transformant parfois des tribunaux en tribunes pour défendre leurs droits ; ils utilisent parfois la justice de manière plus offensive pour faire reconnaître un droit, tout en articulant cette action avec des mobilisations de masse [45]. Au cours de luttes foncières, des ventes aux enchères sont troublées par des membres du cdja, comme dans le Finistère en février 1970 ou en Meurthe-et-Moselle, en mai de la même année [46]. Ce qui leur vaut d’être entendus par la justice. Des terres acquises ou en voie d’acquisition de manière jugée injuste par ceux que ces militants appellent des « cumulards » sont labourées et occupées. Entre 1968 et 1978, se déroulent 110 conflits fonciers en Loire-Atlantique. Leur but est d’éviter l’expulsion d’un fermier, de permettre l’installation d’un jeune sur des terres en friche ou d’empêcher le cumul des terres. Le droit au travail y est opposé au droit de propriété et les syndicalistes y alternent « rassemblements, défilés, pique-nique, ‘piquets de garde’… qui durent parfois des semaines ». Certains de ces conflits se sont prolongés sur plusieurs années et ont mis de nombreux paysans en mouvement, mobilisant parfois largement au-delà du milieu agricole [47].

37En 1969-1970, dans les Vosges, des militants remettent en cause durement la structure syndicale et l’inaction des responsables de la fdsea. Soutenus par des centaines d’agriculteurs, ils parviennent à prendre en main ce syndicat et mènent un travail d’information auprès des éleveurs sur la question du prix du lait. Ils mobilisent les éleveurs et préparent l’« assèchement » d’une laiterie, ce qui amène les laiteries à négocier et à accepter de payer le prix demandé [48]. En juin 1971, un camion transportant du lait est vidé dans le Morbihan et un militant (Jean Carel) est emprisonné. Quelques mois plus tard, en mars 1972, des camions de plusieurs laiteries sont interceptés dans plusieurs communes de Loire-Atlantique (avant même la grève du lait de mai 1972). De l’action énergique (bloquer les livraisons), les militants passent à l’action illégale avec atteinte à la propriété. Des militants saisissent de la viande et, pour légitimer leur action et ne pas être accusés de vol, la redistribuent dans des quartiers populaires (Loire-Atlantique, 1974) ou la déposent devant des bâtiments publics (Finistère, 1978). Parfois, le contenu de wagons ou de camions est répandu (fruits et légumes, dans la Drôme, en 1976 ; vin italien dans l’Aude et dans l’Hérault, en 1975-1976).

38Pour les militants contestataires les luttes foncières remettent en cause concrètement le droit de propriété, d’où des formes de combat qui s’expriment « en dehors de la légalité bourgeoise ». De plus, les paysans ne peuvent faire grève et sont souvent endettés, soulignent Henri Leclerc et Bernard Lambert. « L’affrontement direct avec le patronat passe donc par des voies illégales.[…] Il en est de même avec les pouvoirs publics » [49]. Les actions illégales sont justifiées par l’absence du moyen d’action qu’utilise le monde ouvrier (la grève), par le rappel que les acquis sociaux ont été le fruit d’actions illégales mais aussi par la légitimité du combat mené, du droit à conquérir ou à conserver : légitimité qui doit permettre de faire évoluer le droit. Parfois les décisions judiciaires qui ont favorisé un « cumulard » face à un fermier ou un jeune qui voulait s’installer, sont contestées. Cependant, les auteurs soulignent le souci d’éviter « une violence minorisante » qui isolerait les militants de la base paysanne [50].

39Une partie minoritaire des paysans conteste la société capitaliste dans son ensemble et ce qu’elle pense être ses fondements idéologiques. Ils sont plus nombreux cependant à remettre en cause l’autorité et la justesse des choix des pouvoirs publics, à bafouer les lois, à moquer les représentants de l’État dans telle ou telle situation et à dénoncer ceux qui cumulent les terres ou empêchent des jeunes de s’installer (même s’ils le font plus volontiers, semble-t-il, quand le « cumulard » est extérieur à la société locale).

40Au début des années 1968, nombre de luttes paysannes, qui ont rencontré un large écho, ont eu pour thème la défense du revenu assimilé à un salaire. Le référent ouvriériste est prégnant, des alliances sont tentées en direction du mouvement ouvrier et le répertoire d’actions utilisé s’inspire, en partie, de celui-ci.

Des luttes paysannes teintées d’ouvriérisme

41Au lendemain de la grève générale de mai-juin 1968, la nécessité de rechercher des liens avec le monde ouvrier semble une évidence pour beaucoup de militants. Il en est de même pour les paysans contestataires qui privilégient la recherche d’alliances avec le mouvement ouvrier et insèrent parfois dans leur discours des thèmes issus de celui-ci. Cette évolution, commencée avant 1968, est particulièrement perceptible dans l’Ouest, probablement car les luttes y ont été amples, fréquentes et précoces, dans l’immédiat après 1968. La thématique régionaliste s’impose un peu plus tard, comme en Languedoc ou sur le Larzac, sans pour autant effacer entièrement l’ouvriérisme.

La recherche d’alliances avec les syndicats ouvriers

42Le début des années 1960 a vu le cnja moderniste rechercher des liens avec d’autres couches sociales au nom de l’efficacité, de l’ouverture sur la société et de la volonté de désenclaver le monde paysan. Des dirigeants du syndicat participèrent même à la constitution d’un parti politique à la vie brève.

43Ceux qui, peu à peu, s’opposent aux choix de la direction du cnja et de la fnsea ont aussi ce souci d’ouvrir les agriculteurs au reste de la société et de ne pas paraître corporatistes. Ils privilégient cependant l’alliance avec le monde ouvrier et les confédérations syndicales qui le représentent. C’est dans l’Ouest que ce processus est le plus poussé. Des dirigeants de fdsea et de la Fédération régionale des syndicats d’exploitants agricoles de l’Ouest (frseao) nouent des liens avec ces syndicats. Ceux-ci débouchent sur une déclaration commune ouvrière et paysanne dans la Loire-Atlantique (6 avril 1960). Dans cette déclaration la fdsea de Loire-Atlantique considère, avec la cgt, la cfdt et fo, que les conditions de vie des paysans comme celles des autres travailleurs « se dégradent sans cesse ». Ces syndicats, mettent en cause la politique gouvernementale au service des grandes puissances financières. Ils affirment que les intérêts des ouvriers des paysans et de l’ensemble des travailleurs sont liés, que leur union est nécessaire pour obtenir « une rémunération juste et équitable de leur travail ». Le texte affirme qu’un changement de politique économique du gouvernement est nécessaire, changement qui passerait par « une réduction des dépenses improductives » (armée, nucléaire ?), ce qui permettrait de financer « l’expansion économique et industrielle du département », ainsi que son « aménagement rural » [51]. Une déclaration du même type est diffusée dans le Finistère, à l’occasion de la venue du président de la République, les 7 et 8 septembre 1960. Elle dénonce la dégradation du pouvoir d’achat, le chômage et son corollaire, l’exode rural, ainsi que la baisse des cours des produits agricoles qui ne profite pas aux consommateurs. Elle réclame l’expansion industrielle du département et une réforme des circuits de distribution pour assurer un revenu équitable pour tous [52].

44L’alliance avec les ouvriers et les confédérations ouvrières (cfdt, cgt, fo) devient un axe important et se poursuit, tout au long des années 1960, en Loire-Atlantique et dans tout l’Ouest, quoique de manière inégale selon les départements [53].

45En Loire-Atlantique, des actions communes sont organisées. Le 11 mai 1960, à l’occasion de la venue du président de la République pour le lancement du paquebot France, un tract commun est diffusé. Il dénonce les tentatives de division « des travailleurs des villes et des campagnes », « les profits exagérés réalisés par les grandes firmes industrielles », ainsi que les « taxes et les impôts toujours plus lourds », et il met en cause l’État, les grandes firmes, voire certains intermédiaires : soit un ennemi extérieur à la région qui permet d’obtenir l’unité sur une base interclassiste. Le 20 juin 1961, à Saint-Nazaire, des ouvriers et des agriculteurs manifestent de concert derrière une banderole « Ouvriers et paysans unis pour les libertés syndicales ». Le 19 février 1964, une manifestation regroupe une foule considérable à Nantes (50 000 à 80 000 participants selon les sources) « pour le droit à la vie, pour l’avenir des jeunes, pour du travail pour tous », à l’appel des syndicats ouvriers, enseignants, de la cgc et de la fdsea.

46Cette manifestation crée un précédent que les syndicats vont tenter de rééditer en l’étendant aux régions Bretagne et Pays-de-Loire [54], les autres départements de ces régions étant alors aussi confrontés à un départ massif des jeunes et à des difficultés causées par leur situation périphérique vis-à-vis de la capitale. Le 8 avril 1965, une manifestation rassemble 70 000 personnes de neuf départements de l’Ouest sous le slogan « L’Ouest veut vivre », à Paris, ce qui représente un réel succès. Ce choix de l’alliance régionale des syndicats paysans avec les syndicats ouvriers s’affirme nettement avec la préparation courant 1967 de la grande journée régionale d’action prévue pour le 8 mai 1968, « L’Ouest veut vivre ! » [55].

47Cette démarche d’alliance dans l’Ouest dépend cependant des départements et des équipes syndicales (fdsea, cdja). Des réunions intersyndicales se sont tenues les années précédentes visant à dépasser les méfiances entre les diverses traditions (crainte des violences paysannes pour les syndicalistes ouvriers, anticommunisme d’une partie des responsables paysans). Par ailleurs, selon Ch. Bougeard, les « méthodes d’action violente des agriculteurs sont reprises par des fractions ouvrières qui remettent en question les mobilisations traditionnelles » [56]. Fin 1967, « à l’initiative de la frseao, un front syndical régional ouvrier et paysan se met en place à Nantes le 6 novembre 1967 » [57]. Une déclaration est élaborée qui critique la politique du gouvernement défavorable « aux classes laborieuses ouvrières et agricoles » et conduisant à accroître « le profit des groupes industriels, agricoles et financiers dominants ». Sont réclamés : la mise sous responsabilité publique des secteurs clés de l’économie, une réforme démocratique de la fiscalité et des investissements publics qui permettent un développement économique et social de la région. Le 13 mars 1968, la date du 8 mai est choisie mais toutes les équipes départementales des syndicats d’agriculteurs ne sont pas autant investies. Les fdsea de Vendée, du Maine-et-Loire, d’Ille-et-Vilaine et du Finistère sont fort réticentes, rejoignant parfois le mouvement au dernier moment (Finistère). À l’opposé, celle de Loire-Atlantique est très investie dans cette démarche. Le cdja de Vendée organise des réunions préparatoires et participe au défilé (mais non la fdsea du département). Le modef, quant à lui, est actif dans les régions où il a une certaine influence (Maine-et-Loire, Mayenne, Sarthe, centre Bretagne bretonnante).

48Du côté du syndicalisme ouvrier, fo est présente seulement en Loire-Atlantique et en Vendée, seulement. cgt et cfdt sont par contre très actives. Ch. Bougeard signale le soutien des évêques de Quimper et Saint-Brieuc ainsi que les courriers de ceux de Nantes et Angers qui font part de leur inquiétude concernant l’emploi. Des manifestants paysans sont présents dans le Finistère, la Loire-Atlantique (plusieurs milliers). Ils sont environ un millier dans le Maine-et-Loire et autour de quelques centaines dans les autres départements. Si les manifestations interclassistes du 8 mai ont été un succès (plusieurs dizaines de milliers de manifestants au total sur les deux régions), la participation des agriculteurs a été moindre qu’espérée par les organisateurs. Plusieurs raisons contribuent à l’expliquer. Si les cdja ont appelé à ces défilés, certaines fdsea ne l’ont pas fait (ce qui témoigne de divisions entre syndicalistes paysans). La crainte d’une politisation de la journée a pu y contribuer (surtout après les événements parisiens de début mai). Les réticences envers les salariés et les syndicats (en particulier la cgt) ont pu aussi jouer [58]. Les auteurs du livre sur Bernard Lambert insistent, eux, sur le décalage entre le noyau dirigeant du syndicalisme agricole régional et la base paysanne beaucoup moins prête à manifester avec les syndicats ouvriers [59].

49En 1972, pendant la grève au Joint français à Saint-Brieuc (février-mai), des syndicalistes agricoles apportent leur soutien aux grévistes ouvriers. Des distributions de produits sont organisées à l’initiative de militants de la fdsea et du cdja, des Côtes-du-Nord, à partir du 20 mars. Ces actions qui participent, nous dit Vincent Porhel, de la médiatisation du conflit sont le fait d’une minorité de paysans proches de la tendance Paysans-Travailleurs [60].

50Au-delà de l’Ouest, les liens sont moins poussés et souvent plus tardifs. La grève des mineurs de Decazeville, en 1961-1962, avait suscité des sympathies et des marques de solidarité du syndicalisme agricole. Dans l’Aveyron, des agriculteurs se joignent aux manifestations, dans d’autres départements les syndicats agricoles envoient des messages de soutien et des dons mais cela n’a pas débouché sur des initiatives prolongées et des relations approfondies [61]. Après mai-juin 1968, dans plusieurs départements, les convergences entre paysans et ouvriers sont recherchées et des actions en commun sont menées. Dans la Loire, affirme Jean Vercherand, « une quinzaine d’opérations de solidarité ont lieu » de 1972 à 1979. Certaines prennent la forme de soutiens alimentaires par dons ou de vente à prix réduits lors de grèves. fdsea et cdja participent à une manifestation avec la cgt, la cfdt et la fen contre l’austérité imposée par le gouvernement, en octobre 1976 à Saint-Étienne. Enfin, parfois, les centrales ouvrières furent invitées à des assemblées générales mais, précise cet auteur, « ces actions de solidarité n’ont mobilisé » qu’une partie des agriculteurs « les plus progressistes » [62]. En Languedoc-Roussillon aussi, une partie du mouvement viticole plaida, nous le verrons plus loin, en faveur d’une alliance avec le mouvement ouvrier.

51Ces proclamations de solidarité avec les ouvriers d’une partie des militants du syndicalisme agricole sont plus précoces dans l’Ouest puis touchent d’autres régions. Elles s’accompagnent de références de certains contestataires paysans aux idées de Marx.

Des paysans marxisants… mais indépendants

52« Je ne pense pas que Lambert ait beaucoup lu Karl Marx… », affirmait Michel Rocard dans la préface du livre de Bernard Lambert en 1970. Mais, ajoutait-il, « il est frappant de voir à quel point une analyse rigoureuse […] amène un militant expérimenté à retrouver spontanément les méthodes d’analyse et les formes de raisonnement qui demeurent un des outils essentiels du mouvement ouvrier » [63].

53En réalité, les militants formés par la jac ont découvert les idées de Marx dans des stages organisés par cette organisation. Des aumôniers les ont présentées, dans les années 1950, et des marxistes hétérodoxes (Henri Lefebvre, Gilbert Mury) sont intervenus, dans les années 1960 [64]. Bernard Lambert souligne, par ailleurs, que la découverte du marxisme ne s’est pas tant faite dans les livres que « sur le terrain » [65]. Cette découverte est liée, pour lui, à la pénétration du capitalisme dans l’agriculture :

54

« On a découvert (vers les années 60), dans la pratique, que le capitalisme ça existait, qu’il s’intéressait à l’agriculture […] que le capitalisme pouvait exploiter les paysans, que les paysans n’étaient pas indépendants […] mais devenaient au contraire de plus en plus dépendants du capitalisme. Concrètement, on a vu apparaître de grandes firmes qui dans le domaine des productions animales […] se mettaient à organiser la production des plus petits d’entre nous. »

55Et ce en envoyant des techniciens qui poussaient les paysans à s’équiper, à construire des bâtiments d’exploitation, à se spécialiser et pour ce faire à emprunter. Le paysan dépendant des firmes devient « un façonnier travaillant à domicile ». Là réside la nouveauté des apports de B. Lambert qui « s’exprime dans les formes les plus claires mais non les plus classiques du marxisme », écrit Michel Rocard.

56Le marxisme a permis, dit Bernard Lambert, de comprendre les transformations subies par le monde paysan. Pour lui, il ne s’agit pas d’appliquer une théorie sur le réel mais il considère le marxisme comme une base de réflexion et un outil d’analyse, même si les idées qu’il défend apparaissent fort iconoclastes aux yeux de certains marxistes (membres du pcf ou d’autres groupes).

57

« L’analyse marxiste nous a permis de comprendre que le processus de prolétarisation qu’avaient connu les canuts de la région lyonnaise avait des points communs étonnants avec celui dans lequel nous étions nous-mêmes engagés [66]. »

58Il souligne dans le même texte que cela lui a permis de découvrir « notre place dans les classes sociales de ce pays », les moyens de lutte à mettre en œuvre, la nécessité de changer un système « basé sur l’exploitation des hommes par les puissances d’argent », la perspective d’une autre société où le pouvoir appartiendrait aux travailleurs et l’obligation de sortir « de notre ghetto corporatiste ». D’où le refus du réformisme et la volonté de participer à l’édification du socialisme. Pour René Bourrigaud cependant, Bernard Lambert retient certains aspects de l’œuvre de Marx mais en opérant une sélection parmi eux, développant plutôt le thème de l’aliénation (du fait de l’Église, des médias, de l’école…) que celui de l’exploitation économique [67]. Selon cet auteur, l’apport de Bernard Lambert réside essentiellement dans une nouvelle théorie de la prolétarisation d’une fraction du monde paysan. Au lieu d’une décomposition de cette couche de paysans qui quitteraient les campagnes pour rejoindre les cohortes ouvrières des villes (théorie de la paupérisation défendue par des marxistes plus orthodoxes), il estime que des paysans se prolétarisent sur place en travaillant pour des firmes. Ils perdent la propriété réelle de leurs moyens de production même s’ils en conservent la propriété formelle, apparente. Ils sont devenus des travailleurs salariés à domicile, rémunérés à la tâche mais supportant seuls les risques de la production [68].

59Pour les paysans contestataires, le syndicalisme doit tenir compte de cette dépendance envers les firmes agro-alimentaires et ne plus défendre la perspective, illusoire, que l’agriculteur puisse, un jour, devenir un chef d’entreprise. Un des actes collectifs fondateurs de cette sensibilité est le texte « Pour un syndicalisme de travailleurs » proposé au congrès du cnja en 1970 qui affirme :

60

« Nous sommes des chefs d’entreprise sans pouvoir et sans grande responsabilité. Nous nous exploitons nous-mêmes. Nos intérêts sont des intérêts de travailleurs. […] Nous refusons la compétitivité présentée comme une fin en soi. […] Nous voulons la possibilité pour tous d’innover, de créer, de se réaliser dans son travail. […] Nous voulons que le droit au travail soit le droit premier et fondamental dans notre société. »

61Et non le droit de propriété, est-il sous-entendu. Pour cette sensibilité, les paysans sont des travailleurs exploités, ils doivent donc se mobiliser pour leur revenu comme les ouvriers pour leur salaire. L’agriculteur ne devrait plus s’adresser en priorité aux pouvoirs publics mais revendiquer auprès des firmes un prix rémunérateur qui lui permette de vivre de son travail. Ainsi, affirme Bernard Lambert :

62

« au lieu de revendiquer contre tout le monde et personne (en barrant des routes ou en s’adressant au gouvernement) […] il revendique directement auprès de ses employeurs réels [69]. »

63Par ailleurs, ces militants dénoncent ce qu’ils appellent le mythe de l’unité paysanne et critiquent les grands exploitants du Bassin parisien, céréaliers et betteraviers, qui dirigent le syndicalisme agricole majoritaire et profitent des politiques agricoles du gouvernement et de la cee. Les paysans sont dans la lutte des classes mais la lutte des classes traverse aussi le monde paysan qui va connaître des évolutions différenciées. Bernard Lambert considère que ceux qui sont en retard vont se paupériser, que la majorité de ceux qui se sont modernisés vont se prolétariser mais qu’une partie d’entre eux peut participer à la création d’une agriculture capitaliste. C’est pourquoi, pour lui, le combat des paysans en voie de prolétarisation doit rejoindre « celui de tous ceux qui cherchent la voie vers le socialisme » [70].

64Cette réflexion est présentée comme partie du réel : Lambert et ses compagnons de combat insistent sur ce point. Il y eut bien des discussions et des débats avec des techniciens et des intellectuels, parfois proches de la gauche, des extrêmes-gauches ou du psu[71], intéressés par les questions agricoles, mais les syndicalistes ont tenu à conserver leur indépendance et ont défendu leurs idées parfois contre ces « intellectuels » compagnons de route. Cela a donné lieu à des tensions et à des débats vifs entre ces militants. Ainsi, lors des journées d’Orléans, en 1972, les Paysans-Travailleurs veillent à filtrer l’entrée dans la salle afin que les groupes d’extrême-gauche ne la remplissent pas [72]. Ce qui n’empêche pas leurs adversaires syndicaux ou gouvernementaux de les accuser d’être manipulés par des groupes d’extrême-gauche, en particulier ceux dits « maoïstes ».

La « grève du lait » (1972)

65L’expression « grève du lait » s’impose d’abord dans les médias. Les syndicalistes ne semblent l’utiliser que dans un second temps et pas tous ni systématiquement [73]. L’agriculture bretonne a connu, à partir des années 1960, des mutations considérables. « C’est le secteur laitier qui connaît l’évolution la plus brutale », les producteurs y deviennent dépendants du prix fixé par les entreprises, qu’elles soient privées ou coopératives [74], d’où le sentiment d’avoir perdu leur indépendance. Le paiement du lait au mois qui s’impose fait que certains parlent même de « salaire » du lait [75]. Nombre de paysans attendent un revenu suffisant de cette activité. Des syndicalistes contestataires, qui animent les fdsea du Finistère et du Morbihan, diffusent l’idée que le prix du lait doit tenir compte du prix de revient et du travail paysan. Ces responsables ont suivi avec intérêt la lutte de producteurs de lait des Vosges qui, en 1970, ont obtenu un relèvement des prix fixés par les laiteries après avoir fait pression sur celles-ci. Le 22 février 1972, le Centre régional des jeunes agriculteurs de l’Ouest demande ainsi par tract un prix du lait qui « permette une rémunération du travail des agriculteurs ». Quelques camions sont interceptés en mars 1972 mais la lutte démarre vraiment en mai.

66La lutte des producteurs de lait dans plusieurs départements bretons au printemps 1972 est souvent présentée comme un des actes fondateurs de la tendance Paysans-Travailleurs. Observateurs et militants syndicaux ont alors insisté sur son caractère novateur : du fait du discours avancé, du répertoire d’actions utilisé, de la mise en cause des coopératives et de la place qui y a été acquise par les femmes. Quatre ans après mai 1968, deux ans après l’affirmation de l’opposition dans le cadre du congrès du cnja, les analyses de B. Lambert semblaient validées par cette « grève » et des paysans nombreux paraissaient acquis aux idées et aux pratiques des paysans contestataires. Les agriculteurs ne mettent plus en cause seulement les pouvoirs publics mais les responsables directs de leurs difficultés : les laiteries et l’industrie agro-alimentaire dont la logique capitaliste tend à les pressurer, à les exploiter disent certains contestataires. Les coopératives sont accusées de ne pas défendre réellement les agriculteurs et de suivre la même logique.

67Cette lutte se déroule dans des départements où des militants contestataires participent activement à l’animation des syndicats agricoles. Dans le Finistère, les dirigeants syndicaux sont proches de cette sensibilité (alors unie) : Jean-Charles Jacopin, est président du cdja et Georges Dauphin de la fdsea (de 1969 à 1973). Ces responsables sont entourés de militants nombreux et dynamiques : Jean Noël Le Du (président du crjao de 1968 à 1970), Alain Jacob, François Gourmelon, Marie-Renée Morvan, etc. Gilles Possémé (qui ne rejoindra pas les pt) est à la tête de la fdsea du Morbihan et Jo Guénanten anime le cdja. Le premier n’était pas favorable à la grève du lait au départ mais s’y est rallié du fait de la détermination de nombre de paysans à la base [76]. Pourtant si la grève est puissante dans ces deux départements, elle touche moins la Loire-Atlantique dont les syndicats agricoles sont eux aussi animés par des militants de cette tendance. Joseph Chevalier est président de la fdsea d’octobre 1971 à décembre 1972, Henri Baron, Gérard Loquais, Henri Morille et Joseph Potiron y sont aussi fort actifs. Le cdja est quant à lui animé en particulier par Bernard Deniaud et Jean Bréhéret [77]. Enfin, l’influence de Bernard Lambert et de Bernard Thareau y est sensible [78]. Dans ce dernier département, le mouvement fut moindre que dans les deux autres. Preuve d’un décalage entre base et sommet ? De tensions vives entre syndicalistes ? Signe d’une plus grande implication des syndicalistes pt dans la coopération (Bernard Thareau est alors administrateur de la cana) ? Quoi qu’il en soit, la « grève du lait » touche essentiellement trois départements et plus particulièrement le Finistère et le Morbihan. Elle n’acquiert pas une dimension régionale et les producteurs de lait des autres départements (Côtes-du-Nord, Ille-et-Vilaine) n’y participent pas. De plus, des dirigeants syndicaux y sont hostiles, les tensions furent sensibles et faillirent déboucher sur des violences entre producteurs dans certains de ces départements. Dès février 1972, le cdja d’Ille-et-Vilaine avait été repris en main par une équipe favorable à la direction du cnja dans des conditions jugées douteuses par les Paysans-Travailleurs. C’est d’ailleurs au lendemain de ce mouvement que des responsables de fdsea de l’Ouest, membres par ailleurs de la frseao, restés favorables à la direction nationale du syndicat, publient et diffusent un texte fort critique envers la tendance contestataire.

68Ce combat, perçu comme novateur, s’inscrit dans une série d’initiatives des producteurs de lait de l’Ouest ou d’autres départements (Vosges en particulier) pour réclamer un meilleur paiement du lait et défendre l’idée que le prix doit permettre la rémunération du travail des agriculteurs. Ces actions sont popularisées, un travail d’information est fait en 1971-1972 par les syndicats et quand des laiteries décident unilatéralement et de manière coordonnée une baisse du prix payé aux producteurs en mai 1972 (il passe de 60 cts à 56 cts alors que la frseao avait établi le prix de revient à 75 cts [79]), ceux-ci passent à l’action dans le Finistère et dans le Morbihan. À partir du 14 mai, des camions de ramassage sont bloqués dans ces deux départements. Dans la nuit du 17 au 18 mai, après une vive discussion, quatre dirigeants de la coopérative de Landerneau sont déposés de nuit en pleine campagne. Cette coopérative décide alors de sanctionner des syndicalistes et exclut sept de ses sociétaires, dont le président du cdja et le responsable de la section laitière de la fdsea du Finistère. Le mouvement se durcit et s’amplifie. Un blocage généralisé est décidé dans le Finistère, à partir du 24 mai, et dure une dizaine de jours. Les paysans sont nombreux à y participer. Au total, plusieurs centaines de camions sont bloqués, certains sont parfois vidés. Des paysans les surveillent et, pendant ces « gardes », les discussions sont nombreuses et vives. Évidemment, il faut continuer de traire mais le lait est jeté ou parfois transformé. Des femmes, à l’initiative de Marie-Renée Morvan et d’autres, ressortent les barattes et produisent du beurre. Des manifestations ont lieu, elles se dirigent parfois vers les laiteries, privées ou coopératives, à Quimper (entreprise Entremont), à Landerneau (coopérative). Des meetings sont organisés, des locaux sont parfois occupés, des responsables sont séquestrés. Des paysans accompagnés de militants syndicaux se rendent dans les laiteries et en interpellent les dirigeants de manière parfois énergique. D’autres dirigeants de coopératives (anciens syndicalistes) sont chahutés, parfois même à leur domicile, ce qui choque une partie des responsables syndicaux. La participation des femmes au mouvement apparaît comme une grande première. Des manifestations de femmes sont organisées devant des laiteries (Quimper, Landerneau) ainsi qu’une à Brest le jour de la fête des mères (ce que ne manquent pas de relever les observateurs). Certaines participent à des piquets de grève ou tentent de s’opposer à des réquisitions de camions [80]. Le mouvement dure, des violences entre producteurs apparaissent et les forces de l’ordre interviennent rudement à plusieurs reprises. Un syndicaliste (François Gourmelon) est blessé à l’œil par un tir tendu de grenade lacrymogène, à Saint-Renan (Finistère), le 1er juin. Le mouvement est ample, des moyens d’action différents (mais non entièrement nouveaux) sont utilisés. Les paysans suivent les négociations qui débouchent début juin sur un accord qui voit les laiteries accorder le prix demandé (remis en cause un peu plus tard).

69Le discours développé (par les syndicalistes mais aussi par les journalistes qui rendent compte de cette lutte) puise dans les thèmes du mouvement ouvrier. Les médias et les militants parlent de « grève », de « piquets de grève », de « rémunération du travail », de « salaire » (un des slogans est : « Dans le prix du lait notre salaire »). Ils soulignent les convergences (réelles ou supposées) entre les producteurs de lait et les ouvriers des laiteries. Certains parlent même de « salaire minimum » afin d’assurer un revenu garanti décent.

70Ce discours ouvriériste choque une partie des syndicalistes agricoles qui critiquent aussi les formes de lutte utilisées, ainsi que la mise en cause des coopératives créées au départ par des agriculteurs pour conquérir le pouvoir économique. La fnsea (avec Michel Debatisse) ainsi qu’une partie des syndicats agricoles de l’Ouest ne soutiennent pas le mouvement voire s’y opposent. C’est au lendemain de ce mouvement que la direction de la fnsea prend des mesures de rétorsion à l’encontre des militants Paysans-Travailleurs et cherche à les marginaliser et à les éliminer des postes de responsabilité dans les fdsea et les cdja de nombre de départements, soutenus par certains responsables de l’Ouest, ce qui débouche sur l’éclatement du syndicalisme agricole régional.

71Ce mouvement fait événement. Il est commenté par la presse régionale et nationale, et les pouvoirs publics mettent en cause des responsables syndicaux accusés d’être politisés. Michel Cointat, ministre de l’Agriculture, affirme que les « meneurs » s’intéressent plus à ce qui se passe à Pékin qu’aux intérêts de la Bretagne : allusion à un supposé « maoïsme » d’une partie de ces militants, qui a pour fonction de les délégitimer auprès de la base paysanne. Les producteurs moquent le ministre et se portent volontaires pour un stage à Pékin. En réalité, les militants politiques, dits « maoïstes », suivent le conflit avec intérêt et le soutiennent mais y jouent un rôle négligeable, ce qui n’empêche pas qu’ils l’analysent (à leur manière) et tentent de se faire entendre par leur action politique et culturelle après celui-ci.

72Dans cette mobilisation, les militants paysans contestataires de la sensibilité Paysans-Travailleurs (alors unie) ont joué un rôle moteur dans ce combat essentiellement professionnel. Les ouvriers et leurs syndicats, même s’ils approuvent celui-ci, ne font pas preuve d’une grande solidarité avec les paysans en lutte, ce que déplorent d’ailleurs les auteurs du film La guerre du lait qui critiquent l’attitude de la cgt et de la cfdt, restées, disent-ils, indifférentes à ce combat même si, localement, des militants de ces syndicats ont tenté de prêter main forte aux paysans [81]. Par ailleurs, ce mouvement massif dans une partie des départements de l’Ouest ne prend pas de teintes régionalistes (ni slogan « Vivre et travailler au pays », ni utilisation de la langue bretonne, ni références à la région dans les discours), à la différence des luttes menées par les vignerons du Midi quelques années plus tard. Il n’y a pas de jonction massive avec les mouvements culturels et politiques régionalistes et le drapeau breton n’apparaît pas, alors qu’il fut utilisé quelquefois lors de la grève du Joint français, quelques semaines auparavant (14 février-8 mai 1972) [82] et que la croix occitane jaune sur fond rouge est massivement présente lors des manifestations de rue des vignerons du Languedoc en 1975-1976.

Des luttes paysannes à dimension régionaliste dans le Midi

La lutte, oubliée, des vignerons du Languedoc (1970-1976)

73À la fin des années 1960, la culture de la vigne est encore largement dominante dans les plaines et les coteaux des quatre départements littoraux du Languedoc-Roussillon. La « mer de vigne », particulièrement présente dans l’Hérault et dans l’Aude, emploie des dizaines de milliers de personnes qui en vivent exclusivement ou en partie, et marque de son empreinte les villages mais aussi les villes du Midi rouge qui n’a pas encore connu sa « grande transformation » [83]. Ces vignerons, dont une part importante livrent leur raisin à des caves coopératives de village, produisent un vin de consommation courante destiné aux couches populaires du Nord de la France, vin parfois coupé avec des vins d’Algérie ou d’ailleurs. En effet, il est alors plus rentable de produire une grande quantité de vin de consommation courante qu’un vin de qualité supérieure avec une vigne ayant des rendements plus bas.

74À partir des années 1960, les vignerons du Midi sont confrontés à des difficultés liées à l’évolution du marché du vin en France. Le recul de la consommation de vin de consommation courante est sensible et structurel, d’où des prix à la baisse. À cela s’est ajoutée la concurrence des vins d’Algérie et, à partir de 1970, l’entrée en vigueur de la législation européenne sur les vins, plus libérale, qui transforme profondément le marché viti-vinicole.

75Depuis le début du xxe siècle, la production et le marché du vin en France sont très réglementés. Des mesures portant sur la définition du produit et visant à limiter la fraude (interdiction du mouillage, du sucrage) ont été prises en 1907. Dans les années 1930, l’État intervient sur le marché du vin afin d’éviter la surproduction (interdiction de nouvelles plantations, prime à l’arrachage) et protéger les petits producteurs (blocage et échelonnement de la récolte, taxes sur les forts rendements). Les vignerons sont attachés à ce cadre réglementaire qui permet à tout un peuple de vivre. Dans les années 1960, la législation française tend à devenir plus libérale et surtout, à partir de 1970, la législation communautaire libère les échanges à l’intérieur de la cee. Les importations de vins italiens à bas prix augmentent, le sucrage est autorisé dans le Nord de l’Europe et les plantations de vigne ont été importantes en Italie. La viticulture du Midi, non seulement n’exporte pas autant qu’elle l’espérait, mais est confrontée à de fortes importations en provenance d’Italie qui pèsent sur les prix et ce alors que le lieu de décisions n’est plus Paris, où elle bénéficiait de l’appui des élus de la région, mais Bruxelles, où ses relais sont limités et où la viticulture n’est qu’un élément second dans des négociations inter-étatiques [84].

76Les prix du vin diminuent et les vignerons du Midi, par l’intermédiaire de leurs organisations traditionnelles (Confédération générale des vins du Midi et coopération), demandent le retour à une réglementation plus contraignante, une limitation des importations et des mesures de soutien à leur profession et à leur activité. La profession voudrait étendre la réglementation française à l’ensemble de la cee. Elle souligne le fait que la fiscalité est moindre en Italie, voudrait contingenter les importations de vin italien et dénonce des fraudes sur le produit dans ce pays. En 1976, la création d’un office des vins qui interviendrait, en France, sur le marché afin de protéger les producteurs est demandée. Ces revendications sont portées à partir de 1970 et on ne peut comprendre l’exaspération qui s’empare peu à peu des vignerons du Languedoc si on oublie qu’ils demandent une aide depuis plusieurs années et qu’ils ont le sentiment de ne pas être écoutés, voire d’être méprisés, par les pouvoirs publics ainsi que par les médias nationaux. Au-delà, c’est aussi une façon de vivre qui est défendue face à des urbains parisiens [85].

77Commence, en effet, à partir de 1970 une mobilisation qui se développe et s’étend peu à peu sans que les vignerons aient le sentiment d’obtenir des acquis réels. On retrouve, dans ce cycle de mobilisations, le fantôme de 1907. Les vignerons renouent avec des moyens d’action classiques en ces terres. Des manifestations sont organisées dans les différentes villes de la région : douze entre 1970 et 1976. Le répertoire d’actions évolue cependant et à ces défilés s’ajoutent quinze journées de barrages sur le plan régional, d’innombrables initiatives localisées, des actions de commando visant des voies de communication, des infrastructures de la sncf ou des perceptions, des occupations symboliques (chambre d’agriculture de l’Hérault, chambre de commerce de Sète, consulat d’Italie, cathédrale de Montpellier comme en 1907)… Ces actions regroupent de nombreux vignerons. Ceux-ci bénéficient du soutien d’une partie importante de la population locale et de celui d’une partie de la jeunesse scolarisée, alors sensible aux idéaux contestataires de l’après 1968 ou issue de familles viticoles. Elles sont organisées par les organisations traditionnelles de la viticulture du Languedoc, coopération et Confédération générale des vignerons créée en 1907 (devenue cgv du Midi après-guerre). Ces organisations, indépendantes du syndicalisme agricole général (fnsea et cnja), sont secondées depuis les années 1960 par des structures de mobilisation, les Comités d’action viticole (cav), « bras armés » du syndicalisme viticole chargés d’organiser l’action et de préparer des initiatives d’éclat, accompagnées parfois de déprédations (barrages, coupe d’arbres pour entraver la circulation, destructions d’infrastructures routières, vidages de cuves de négociants soupçonnés de recourir à des importations). Ces organisations sont souvent animées par des militants proches du Parti socialiste, quelquefois par certains proches du Parti communiste mais aussi par des militants indépendants des partis politiques. Elles n’ont pas tissé de liens avec les paysans contestataires de l’Ouest qui ont donné naissance à la sensibilité Paysans-Travailleurs. Seul un petit groupe dans l’Hérault, le mivoc (Mouvement d’intervention de la viticulture occitane), en est proche mais son influence est limitée et il teinte par ailleurs ses analyses d’un vif régionalisme. Le mouvement viticole bénéficie du soutien appuyé des élus de la région (socialistes, communistes mais aussi, de manière plus nuancée, élus de droite) qui sont présents avec leurs écharpes tricolores dans les défilés [86].

78Le problème est que les manifestations accompagnées d’actions énergiques, qui ont longtemps permis d’obtenir des mesures de soutien des gouvernements français, ne donnent plus, à partir de 1970, les résultats espérés. Le mécontentement croît, les manifestations s’amplifient, les actions menées se multiplient et se radicalisent alors que le discours des responsables viticoles s’infléchit (avec des nuances entre les départements cependant). À partir de 1975, les manifestations sont plus systématiquement accompagnées de heurts avec les forces de l’ordre, les opérations coups de poing deviennent plus nombreuses et plus dures (interceptions et vidages de camions transportant du vin italien, utilisation d’explosifs contre des installations, mise à sac de perceptions, vidage de cuves de négociants). Les membres des cav quadrillent l’Aude et à un moindre niveau l’Hérault, et supportent de plus en plus mal la présence et la réponse des forces de l’ordre à leurs actions, surtout après que celles-ci ont pris à partie des femmes de vignerons. Des armes à feu sont plusieurs fois signalées dans les coffres des voitures des activistes à partir de fin 1975.

79En parallèle, le discours d’une partie significative des responsables viticoles évolue. Ces derniers se rapprochent des courants régionalistes dans leur versant culturel (chanteurs tel Marti, groupe de théâtre tel le théâtre de la Carriera) ou politique (Lutte occitane, Volem viure al païs) qui les soutiennent activement et participent à l’élargissement de la cause défendue par les vignerons. L’idée se répand que la viticulture méridionale est sacrifiée par un pouvoir parisien, lointain, technocratique, favorable aux négociants ou aux grandes firmes agro-alimentaires et de droite. Pour les régionalistes et nombre de vignerons, c’est la région dans son ensemble qui est sacrifiée. Sa culture, sa langue, sa façon de vivre sont niées et elle est transformée par Paris en une zone touristique, « bronze-cul » de l’Europe, comme l’affirment les plus critiques. Le sursaut doit venir d’une alliance de toutes les forces vives de la région, d’une action inter-catégorielle afin de pouvoir « vivre et travailler au pays ». En parallèle, le discours devient plus politique. L’hostilité aux gouvernements de Valéry Giscard d’Estaing augmente et les liens avec les partis politiques de gauche, alors unis, se resserrent. Malgré les réticences des responsables les plus traditionnels, hostiles à une trop forte politisation et à une alliance avec les régionalistes et les syndicats ouvriers (en particulier la cgt), au début de l’année 1976, cette démarche est mise en œuvre par les responsables viticoles régionaux. Elle débouche le 5 février 1976 sur une journée d’action régionale qui rencontre un grand succès et regroupe des dizaines de milliers de personnes aux côtés des vignerons dans les villes du Languedoc-Roussillon. Dans ces manifestations unitaires, interclassistes, en défense de l’économie régionale, flottent des drapeaux français mais aussi de nombreux étendards occitans. Les élus de gauche sont massivement présents et les syndicats ont mobilisé largement. Ouvriers, employés et fonctionnaires défilent en nombre dans toute la région. Les manifestants réclament du travail dans le pays où ils vivent et se défient d’un pouvoir central jugé arrogant, lointain et autoritaire.

80Cette nouvelle stratégie n’empêche cependant pas l’irréparable de se produire quelques semaines plus tard car une partie des activistes privilégient toujours l’action illégale, voire violente. La situation dérape après l’interpellation de plusieurs membres des cav de l’Aude à la suite d’une action commando menée, le 1er mars 1976, bien au-delà du Languedoc, dans l’Ain contre un des principaux importateurs de vin italien, Pierre Ramel, au cours de laquelle 80 000 hl sont détruits. Le maintien en détention de militants audois des comités d’action débouche sur une nuit d’émeute à Narbonne et dans ses environs. L’arrivée de crs, le 4 mars, à Montredon, près de Narbonne, où 3000 manifestants étaient regroupés, débouche sur une fusillade. Les premiers coups de feu sont partis des rangs des manifestants. Le bilan est de deux morts, un membre des forces de l’ordre et un vigneron. Les responsables viticoles appellent à la démobilisation, la région est frappée de stupeur, l’irrémédiable que certains craignaient depuis des mois est arrivé [87].

81Au lendemain du drame, un compromis est proposé par Bruxelles qui reprend certaines des revendications de la viticulture : une distillation est prévue, ainsi que la garantie de bonne fin pour les vignerons souscrivant des contrats de stockage à long terme. Les années suivantes, les responsables viticoles infléchissent leur discours, privilégient la négociation, soulignent peu à peu la nécessité de développer l’action économique, ainsi que l’obligation d’améliorer la qualité. L’année 1976 a marqué un tournant pour les vignerons du Midi.

82Dans les mobilisations des années 1970, ceux qui étaient proches des contestataires de l’Ouest étaient minoritaires. Ils ont certes joué un rôle d’aiguillon, développant un discours politique et régionaliste, plaidant pour l’union avec d’autres couches sociales, dénonçant les négociants capitalistes. Ce discours est entré en phase avec l’évolution de nombre de vignerons de base et de responsables échaudés par ce qu’ils considéraient comme une absence de réponse des pouvoirs publics, voire du mépris à leur encontre. À la différence de la grève du lait, il y eut bien, après un temps, constitution d’une alliance régionale, à la dynamique régionaliste, avec les syndicats et les acteurs du monde culturel régional, alors qu’au départ les revendications étaient essentiellement professionnelles et relativement classiques (la défense du prix du vin, la définition du produit, la protection face à des importations).

83Par ailleurs, les violences les plus grandes n’ont pas été le fait du groupe le plus politisé, proche par certains côtés de l’extrême-gauche et des courants occitanistes (le mivoc). Ce sont les membres des cav de l’Aude, plus modérés politiquement et dont nombre de militants étaient traditionnellement proches des socialistes, et d’une variante modérée du socialisme, qui menaient les actions les plus violentes. C’est d’ailleurs dans ce département que la fusillade a eu lieu.

84Bien que bénéficiant d’un appui significatif en Languedoc-Roussillon et affirmant défendre la région, les vignerons n’ont pas réussi, au-delà, à susciter la sympathie des médias et de l’opinion publique. Leur combat a été perçu comme étroitement corporatiste. De plus, la violence désespérée de certaines de leurs actions a choqué et contribué à légitimer les arguments, hostiles aux vignerons, du gouvernement. L’amertume liée à la fin tragique de cette lutte fait qu’aujourd’hui elle est tombée dans l’oubli, voire dénigrée, et que les vignerons ne tiennent pas à ce qu’elle soit évoquée.

Le combat, mythifié, des paysans du Larzac (1971-1981)

85La lutte du Larzac, qui dura une dizaine d’années et qui fut victorieuse, a donné naissance à une abondante littérature qui n’échappe pas toujours à une lecture mythifiée par trop proche de celle diffusée par une partie des acteurs, les paysans-vainqueurs, ou qui gomme certains aspects du conflit [88]. Un petit groupe de paysans du cru aurait réussi à s’opposer à l’armée. Ils auraient par l’action non-violente, du fait de leur détermination, suscité un élan de sympathie et des ralliements nombreux et remporté une victoire sur un adversaire bien plus fort qu’eux. Sans nier la détermination, le courage et le sens politique dont firent preuve les paysans qui devinrent des militants actifs et inventifs, il paraît intéressant de revenir sur ce combat et sur les jonctions qui s’y opérèrent.

86La lutte commence avec l’annonce en 1971 d’un projet d’extension du camp militaire sur le Larzac. Un certain nombre de paysans refusent cette extension et rallient à leur cause la majorité de ceux qui étaient concernés par celle-ci. Commence alors un long combat porté par 103 paysans qui reçoivent peu à peu des soutiens multiples, venant d’horizons fort divers. Ces éleveurs de brebis arrivent à mener un travail militant non seulement dans l’ensemble du pays mais qui a un écho bien au-delà des frontières nationales.

87Une des originalités de cette lutte est la diversité des actions menées pendant dix ans. Certaines ont pour but de rassembler un grand nombre de participants afin de démontrer l’importance des soutiens au combat paysan. Ainsi, des manifestations classiques se déroulent aussi bien localement, à Millau, à Rodez, qu’au-delà de l’Aveyron. Une « montée » à Paris en tracteurs est organisée, en 1973. Les paysans traversent alors une partie de la France et sensibilisent à leur cause de nombreuses personnes tout au long du trajet. De grands rassemblements ont lieu (en 1973, en 1974). Ils permettent de montrer que les paysans ne sont pas isolés, qu’ils disposent d’un large soutien qui leur redonne du tonus alors qu’ils sont parfois bien fatigués par cette longue lutte.

88À ces initiatives s’ajoutent des actions spectaculaires qui visent à toucher les médias et l’opinion publique sur le plan national même si elles mettent en mouvement un nombre plus limité de personnes : jeûnes, campement avec brebis au pied de la tour Eiffel, intrusion dans le camp militaire, appel à refuser 3 % de l’impôt, etc.

89D’autres actions entendent montrer que la vie continue sur le Larzac et que l’agriculture y a un avenir : construction d’une bergerie, installation de militants-paysans.

90Cette lutte s’accompagne de confrontations fréquentes avec les militaires ou les gendarmes. Mais les paysans, entrés en relation avec des militants chrétiens (du cmr) ou de la communauté de l’Arche, ont choisi de mener leur lutte en utilisant la non-violence (ce qui ne signifie pas refus du conflit ou des actions illégales), afin d’obtenir le plus grand nombre de soutiens. De plus, les paysans ont le soutien de juristes qui les aident dans leur combat contre les projets de l’armée. Est alors décidé de mener un combat d’obstruction contre les tentatives de celle-ci de mener à bien l’expropriation des terres en vendant des « confettis de causse » à des sympathisants de la cause larzacienne afin de retarder la procédure. L’action judiciaire est menée en parallèle aux actions de masse ou visant à médiatiser le combat des paysans.

91Humour et impertinence moquant l’armée, non-violence et détermination ont ici créé un élan de sympathie bien au-delà du département de l’Aveyron. Certaines actions cherchent à mettre les rieurs du côté des paysans. Un certain nombre d’entre elles veulent atteindre l’opinion publique nationale par le biais des médias dont l’importance est perçue par les militants les plus actifs. Ainsi, Le Canard enchainé relaie la lutte de ces paysans, achetant même un morceau de terrain

92La particularité de la lutte du Larzac est aussi qu’elle a vu émerger un mouvement social en défense de ces paysans, rendu possible par de multiples rapprochements.

93Un soutien multiforme a été rendu possible par la jonction entre des personnes issues de milieux différents et qui vont, bon an mal an, réussir à travailler ensemble.

94Jonction entre paysans originaires d’Aveyron et paysans qui s’étaient installés quelques années auparavant sur le plateau : Guy Tarlier, qui fut un des leaders de la lutte du Larzac, s’était installé sur le plateau en 1965, alors que Robert Gastal, qui prononce le discours lors de la manifestation du 14 juillet 1972 à Rodez, est natif du plateau. Autant d’agriculteurs qui, avec d’autres, ont participé à un « renouveau agricole » en ces terres [89]. Jonction qui se fait à nouveau, probablement plus difficilement qu’il est parfois dit, avec l’installation de certains militants de la cause du Larzac, dont José Bové dans les années 1970.

95Jonction entre les générations : le premier rassemblement date de l’été 1973 et regroupe de nombreux jeunes contre l’extension d’un camp militaire. Il faut rappeler que cette même année, le printemps vit défiler dans toutes les villes de France des dizaines sinon des centaines de milliers de lycéens puis d’étudiants contre la loi Debré qui visait à supprimer le sursis dont bénéficiaient certains avant d’être incorporés pour effectuer leur service militaire. Ce mouvement à la dynamique anti-militariste, qui rassembla, selon certains, plus de jeunes manifestants que les mois de mai et juin 1968, ne pouvait que susciter des rapprochements avec la lutte des paysans du Larzac.

96Jonction sur le plan local, avec un industriel de Roquefort, très actif dès le départ, Pierre Laur, avec également la recherche de soutiens auprès de la population de Millau : syndicalistes, jeunes, membres du tissu associatif, etc. Le 6 novembre 1971, plusieurs milliers de personnes manifestent dans cette ville [90]. Peu à peu, « un front départemental se dessine » et nombre de personnes en Aveyron prennent parti en faveur de ces paysans têtus qui refusent de quitter leur pays et qui s’opposent à la désertification [91]. Une manifestation à Rodez regroupe des milliers de participants le 14 juillet 1972.

97Les liens noués avec les forces du syndicalisme agricole sont réels et évoluent. Si la fdsea a soutenu à plusieurs reprises le combat des paysans du causse, organisant des manifestations de soutien à Millau comme à Rodez, l’attitude de la fnsea a été plus hésitante sinon ambigüe. Elle affirme sa solidarité avec les éleveurs en février 1972, soutient les marcheurs en janvier 1973… mais jusqu’à Orléans seulement, refusant d’outrepasser l’interdiction de manifester à Paris. Le courant minoritaire contestataire des Paysans-Travailleurs saisit l’occasion et aide les paysans du Larzac à continuer leur marche vers la capitale (c’est d’ailleurs un militant pt qui fournit un tracteur présent à Paris lors de l’arrivée [92]). Bernard Lambert commence à évoquer la possibilité d’une marche sur le Larzac. Le premier rassemblement de l’été 1973 est, en effet, une initiative des Paysan-Travailleurs, soutenue par les paysans du Larzac (et non l’inverse) dont rien n’indiquait a priori qu’elle serait un si grand succès. Tel militant de la cause larzacienne nous indiquait même qu’à la Pentecôte, les paysans du Larzac évoquaient, à son grand dam, encore peu ce rassemblement. D’où la tonalité particulière de l’affiche d’appel (Paysans, ouvriers. Unissons nos luttes contre le capitalisme qui exploite notre travail malgré l’armée nous ne céderons pas un pouce de terre tous au Larzac) et de la banderole de tête de la marche (Paysans Travailleurs non à l’armée au service du capital). Après un temps cependant, si les paysans sont toujours soutenus par cette sensibilité syndicale, ils veillent à leur indépendance, à diriger eux-mêmes leur combat et à ne pas avoir de liens exclusifs avec les Paysans-Travailleurs. Ils essaient au contraire de varier les soutiens pour amplifier le mouvement de solidarité dont ils bénéficient, ce qui déçoit parfois certains Paysans-Travailleurs. Les années suivantes les Larzaciens infléchissent les thèmes mis en avant qui, s’ils restent de tonalité antimilitariste, sont moins anticapitalistes que lors de la marche de 1973.

98Le combat des paysans du Larzac reçoit le soutien des organisations régionalistes, en particulier des Occitanistes politiques du mouvement Lutte occitane mais aussi du mouvement culturel occitan. Lutte occitane refuse dans son premier numéro (mai 1972) que l’Occitanie serve de base à « l’Europe de la répression et des marchands de canons ». Le chanteur Marti interprète lors du premier rassemblement sa chanson, Un païs que vol viure (Un pays qui veut vivre). Patric, autre chanteur occitan, soutient aussi cette cause ainsi que la troupe du Théâtre de la carriera, alors fort connue en Languedoc-Roussillon. Des slogans en langue occitane sont repris : Gardarem lo Larzac, Volem viure al païs. Pour les Occitanistes, le pays à défendre s’étend bien au-delà du plateau du Larzac alors qu’évidemment les paysans défendent avant tout leur pays, le causse du Larzac, et leur mode de vie.

99Les réseaux chrétiens, en particulier ceux des chrétiens de gauche, jouèrent un rôle décisif dans le choix de l’action non-violente ainsi que dans l’extension et la popularisation de ce combat. Dès 1971, des prêtres du Millavois apportent leur soutien aux paysans. En février 1972, Jean Toulat, prêtre, invité à Millau par Chrétiens dans le monde rural (cmr) évoque le combat pour la vie que mènent les éleveurs du causse. Et en mars de la même année, Lanza Del Vasto entame un jeûne de quinze jours auxquel se joignent les évêques de Rodez et de Montpellier durant une journée [93]. Les paysans bénéficient du soutien du cmr et de nombre de militants formés par l’action catholique et actifs dans la cfdt ou le psu[94]. Autant de soutiens qui confortent ces éleveurs, pratiquants pour un grand nombre, dans leur choix de refuser l’extension du camp militaire [95].

100Ce mouvement reçut aussi l’appui d’une partie des syndicats ouvriers, plus particulièrement de la cfdt. Le premier rassemblement, au cours de l’été 1973, se déroule en plein conflit à l’usine Lip, conflit qui prend une ampleur nationale. Une délégation d’ouvriers et d’ouvrières de Lip participe à ce rassemblement et affirme sa solidarité avec les paysans du plateau. Ainsi, B. Lambert dans son discours affirme :

101

« Nous sommes venus dire un certain nombre de choses à ceux qui nous gouvernent […]. La synthèse de la marche, c’est une paysanne qui la disait […] elle disait […] nous allons à un mariage, le mariage des ouvriers et des paysans, le mariage de Lip et du Larzac […]. Au fond toute cette marche nous permet aujourd’hui de comprendre qu’un événement capital se passe dans ce pays, il y a quelque chose qui vient de disparaître de l’histoire, jamais plus, jamais plus […] les paysans ne seront des Versaillais […] jamais plus ils ne s’opposeront à ceux qui veulent changer cette société. »

102Au-delà des ouvrières et des ouvriers de Lip et du mouvement ouvrier organisé, la volonté de populariser ce combat auprès d’autres catégories sociales et d’affirmer des solidarités ont été des atouts pour ces paysans.

103Les soutiens politiques furent divers, provenant cependant essentiellement des gauches et des extrêmes-gauches. Le Parti communiste toutefois fut peu actif, sinon réservé, vis-à-vis des paysans du causse. Deux organisations politiques différentes jouèrent un rôle important. Au départ, en particulier lors de l’organisation du premier rassemblement en août 1973, la gop (Gauche ouvrière et paysanne, tendance du psu puis organisation indépendante ensuite sous le nom d’oc-gop, Organisation communiste - Gauche ouvrière et populaire) [96] a fourni un nombre significatif de bras militants dont certains sont restés très attachés à ce combat même après la fin de ce petit groupe qui ne saurait être confondu avec des maoïstes pro-chinois [97]. Enfin, le Parti socialiste soutint le mouvement et la victoire électorale de F. Mitterrand permit son dénouement. Le vainqueur des élections présidentielles de 1981, qui s’était rendu sur le plateau en 1974 (où il fut chahuté par certains « maoïstes »), fait le choix de mettre un terme à la procédure d’extension du camp militaire. Le « vivre et travailler au pays » fut en l’occurrence rendu possible par une décision du président de la République et donc de l’État central.

104La détermination des paysans, leur choix d’une stratégie non violente, alliant « coups d’éclat médiatiques nationaux » et résistance opiniâtre sur le terrain [98], ont permis à ce combat de bénéficier de très larges soutiens venant de milieux sociaux, culturels et politiques très divers. Ces paysans ont tenu à conserver leur indépendance et ont su faire de ce combat, en défense d’un « petit pays » et d’une catégorie sociale minoritaire dans le pays, le combat de tous, dépassant le cadre corporatiste et construisant leur cause comme une question de société. Les brebis contre les canons, l’agriculture et la vie contre l’armée, l’action des citoyens face à un gouvernement central autoritaire et éloigné, la défense des régions périphériques, ces thèmes sous-jacents ont fait le succès de ce mouvement. Ces paysans ont réussi à faire diffuser l’idée qu’en défendant le particulier, ce sont les droits de tous qu’ils entendaient défendre. Leur attachement à leur région et à la terre n’est pas présenté comme un repli sur soi mais au contraire comme le lieu à partir duquel ils s’ouvrent au monde [99]. Autant d’éléments qui ont contribué, victoire électorale de François Mitterrand aidant, au choix de l’abandon de l’extension du camp militaire et à la construction d’un mythe dont la mémoire a été réactivée à plusieurs occasions : dans les années qui ont suivi la victoire de 1981, en 1999 avec l’action contre le restaurant Mac Donald’s de Millau, en 2000 lors du procès contre José Bové et en 2003 lors du grand rassemblement altermondialiste contre l’Organisation mondiale du commerce [100].

105*

106On le voit, les « années 1968 » ont vu des luttes paysannes importantes se dérouler en France. Des paysans, certes minoritaires, ont participé de manière différenciée au mouvement de contestation des politiques gouvernementales, voire de la société « capitaliste ». Ils ont mené des luttes à partir de revendications professionnelles : défense des producteurs de lait, des vignerons du Midi, des jeunes, opposition aux cumuls de terres, défense de leur exploitation agricole… Ils ont parfois été influencés par les idées dites « soixante-huitardes » : intérêt pour le marxisme, anticapitalisme, affirmation d’une communauté de destin avec les ouvriers, régionalismes (au sens de défense d’un mode de vie, parfois d’une culture, et d’opposition à une trop grande centralisation) et même premières et timides réflexions environnementales.

107Certains ont voulu, en plus du combat professionnel, mener une action pour transformer le syndicalisme agricole. Ils ne sont pas parvenus cependant à lier les différents combats restés souvent dispersés, isolés, décalés dans le temps en fonction des problèmes différents rencontrés et ils n’ont pas pu constituer une force nationale capable de s’opposer à la direction de la fnsea et de construire une alternative à celle-ci. Les différences entre les régions (Ouest, Languedoc…), les générations et les traditions politiques ont empêché la jonction entre les « anciens » contestataires proches du modef (Mouvement de défense des exploitations familiales) ou du Comité de Guéret (de tradition socialiste ou communiste, laïques) apparus dans les années 1950, et les « nouveaux », passés par la jac ou le mrjc puis le cnja, venus du christianisme social, qui s’étaient rapprochés des gauches dans les années 1960. La fnsea, par ailleurs, a veillé au grain et mené une contre-offensive habile et efficace, ce d’autant plus que ces « nouveaux » contestataires se sont divisés.

108Au-delà, plusieurs réflexions peuvent être tirées de l’évolution de ces courants, minoritaires mais actifs, qui ont parfois joué un rôle important. Concernant l’histoire des gauches en France, la place du courant contestataire confirme l’importance, dans certains lieux et dans certains secteurs, des chrétiens de gauche dans les luttes sociales des années 1968, longtemps sous-estimée, qu’ont récemment revalorisée les travaux de Denis Pelletier et Jean-Louis Schlegel [101] : sensibilité qui ne saurait être réduite à ce que certains appellent « la deuxième gauche » réformiste mais qui comportait aussi une aile qui s’affirmait révolutionnaire. Concernant le monde paysan, plusieurs éléments méritent l’attention. Les agriculteurs ne constituent pas un monde homogène, ils ne sont pas tous conservateurs (sur le plan économique, social et politique) et ne sont pas tous à droite, cela est relativement connu. Au-delà, la propriété paysanne ou le travail de la terre ne sont pas synonymes de conservatisme et ont vu naître des révolutionnaires, a contrario de ce que pensent parfois des marxistes primaires. Des courants anticapitalistes de gauche, minoritaires il est vrai, ont émergé, dans les années 1968, dans le monde paysan. Les traditions régionales, les luttes menées, la formation acquise, les convictions de leaders, les évolutions des organisations ont pu favoriser ou non des évolutions politiques significatives [102]. Les paysans ne sauraient être réduits à un groupe dominé culturellement puisque, que ce soit dans les rangs de la jac ou parmi les militants contestataires du cnja, ont émergé des meneurs qui ont tenté d’analyser les évolutions de l’agriculture à partir de leur expérience. Ainsi les contestataires ont voulu mener un travail de réflexion original de manière indépendante, s’opposant parfois à des intellectuels « compagnons de route ». Bernard Lambert a même eu, suprême arrogance, la volonté de renouveler le marxisme sur ces questions. Quant aux paysans du Larzac, s’ils ont bénéficié de soutiens multiples, ils ont absolument tenu à conserver leur liberté de décision.

109Pour conclure, il nous semble qu’il serait utile de replacer ces contestations et ces luttes paysannes à l’échelle internationale. Y a-t-il eu, dans les années 1968, de tels combats dans d’autres pays d’Europe ? Les luttes paysannes au Brésil ou dans d’autres pays d’Amérique latine ont-elles présenté des points communs avec celles qui se sont développées en France ? Autant de pistes de travail qui pourraient s’avérer riches d’enseignement.


Annexes
Figure 1

Vent d’Ouest, Journal des Paysans travailleurs, n°39 de mai 1973

Figure 1

Vent d’Ouest, Journal des Paysans travailleurs, n°39 de mai 1973

Coll. cht Nantes
Figure 2

Paysans en lutte, Bulletin pour l’action des travailleurs de l’agriculture, n°1 de juin 1970

Figure 2

Paysans en lutte, Bulletin pour l’action des travailleurs de l’agriculture, n°1 de juin 1970

Coll. cht Nantes
Figure 3

Paysans en lutte, Bulletin pour l’action des travailleurs de l’agriculture, n°2 d’octobre 1970

Figure 3

Paysans en lutte, Bulletin pour l’action des travailleurs de l’agriculture, n°2 d’octobre 1970

Coll. cht Nantes
Figure 4

Vent d’Ouest, Journal des Paysans travailleurs, n°63 de juin 1975

Figure 4

Vent d’Ouest, Journal des Paysans travailleurs, n°63 de juin 1975

Coll. cht Nantes
Figure 5

Carricature en page 1 de L’Affaire Wessafic, Une firme qui ruine les éleveurs et la santé des consommateurs

Figure 5

Carricature en page 1 de L’Affaire Wessafic, Une firme qui ruine les éleveurs et la santé des consommateurs

Clei et Paysans Travailleurs, 1975, Coll. Paysans Travailleurs 44, cht Nantes

Bibliographie

Sources

  • Les documents internes et publics des divers courants nationaux qui ont participé à la création de la Confédération paysanne, en 1987, ainsi que ceux de ce syndicat, sont conservés au Centre d’Histoire du Travail à Nantes. On y trouve les documents de la tendance en cours de structuration dans le cnja et la fnsea, des Paysans-Travailleurs, de la Confédération nationale des syndicats de travailleurs paysans, de l’Interdépartemental, de l’Interpaysanne, de la Fédération nationale des syndicats paysans, du Mouvement syndical des travailleurs de la terre. Y sont aussi conservés des documents publics de groupes départementaux proches de ces sensibilités ainsi que les documents internes et publics de la fdsea de Loire-Atlantique, du crjao (Centre régional des jeunes agriculteurs de l’Ouest), de la frseao (Fédération régionale des syndicats d’exploitants agricoles de l’Ouest) dont le rôle fut important.
  • Les archives des congrès de ces sensibilités y sont conservées, ainsi que de nombreuses brochures thématiques. Les journaux agricoles suivants peuvent aussi y être consultés : Le Paysan nantais, Liaison Interrégionale jeunes agriculteurs, Vent d’Ouest, Paysans en lutte, Travailleur-paysan, Pays et paysan, Campagnes solidaires.
  • Au fil de nos rencontres avec des militants nous avons pu obtenir de nombreux documents internes, publics ou des journaux du Mouvement d’intervention de la viticulture occitane (Hérault), de la fdsea du Finistère (Fer de lance, dossier de presse de la fdsea du Finistère), du Syndicat démocratique des paysans de Savoie, du Syndicat montagne de l’Aude, du Syndicat des producteurs de lait de brebis d’Aveyron, fdsp de la Drôme et d’autres encore.
  • Paysan du Midi (Archives départementales de l’Hérault) permet de suivre les combats viticoles en Languedoc. Alain Rollat, journaliste qui eut ensuite une carrière nationale, a suivi avec empathie mais beaucoup de sérieux les luttes viticoles pour Midi-Libre.
  • Des revues animées par « des compagnons de route » sont utiles : Nouvelles campagnes (archives personnelles), des numéros d’Alternatives rurales, l’Agence de Presse Libération-Nantes.
  • Les revues de la mouvance chrétienne de gauche, ainsi que les partis de gauche ou régionalistes ont évoqué à de nombreuses reprises ces combats : certains numéros de Frères du monde, Les Cahiers Occitanie rouge (de la Ligue communiste révolutionnaire du Languedoc), Pays d’Oc : une viticulture qui veut vivre (lcr, Montpellier), brochures diverses de l’oc-gop, Lutte occitane, Faut que ça bosse (pièce de théâtre écrite et jouée par des militants rennais d’extrême-gauche, pro-chinois).
  • Un certain nombre de livres écrits dans ces années ont valeur de sources : ils sont mentionnés dans la bibliographie.
  • Bibliographie
  • Alland Jr, Alexander, Le Larzac et après. L’étude d’un mouvement social novateur, Paris, L’Harmattan, 1995.
  • Alranq, Claude, La Guerre du vin, Nîmes, Theâtre de la Carriera, 1973.
  • Bardissa, Jaume, Cent ans de guerre du vin, Paris, Tema action, 1976.
  • Barres, Danièle, Coulomb, Pierre, Nallet, Henri, Le Conflit du lait en Bretagne, mai-septembre 1972, (4 vol.), Paris, inra, oct. 1973.
  • Bartoli, Pierre, et Boulet, Daniel, Dynamique et régulation de la sphère agro-alimentaire : l’exemple viticole, Montpellier, inra, 1989.
  • Bosc, Pierre, Le Vin de la colère, Paris, Galilée, 1976.
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  • Zancarini-Fournel, Le Moment 68. Une histoire contestée, Paris, Seuil, 2008.

Mots-clés éditeurs : paysans du Larzac, syndicalisme agricole, ignerons du Languedoc, nouvelle gauche paysanne, « Grève du lait »

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Date de mise en ligne : 23/07/2014.

https://doi.org/10.3917/hsr.041.0089

Notes

  • [1]
    Dreyfus-Armand, Frank, Lévy et Zancarini-Fournel, 2000 ; Ross, 2005 ; Damamme, Gobille, Matonti et Pudal (dir.), 2008 ; Zancarini-Fournel, 2008 ; Dreyfus-Armand (dir.), 2008. Mes remerciements à Yannick Drouet et Vincent Flauraud pour leurs lectures et leurs conseils. Les erreurs et maladresses restantes me sont entièrement imputables.
  • [2]
    Pinol, 1975 ; Martin, 2010.
  • [3]
    Cette première tentative de synthèse sur la question s’appuie à la fois sur les ouvrages d’historiens, de sociologues et de politistes mais aussi sur des sources multiples, consultées pour ce travail ou d’autres recherches qui sont indiquées en fin d’article.
  • [4]
    Un exemple de lutte contestataire dans : Roullaud, 2013.
  • [5]
    Müller, 1984 ; Cordellier, 2008.
  • [6]
    Debatisse, 1963.
  • [7]
    Au milieu des années 1960, dans un ouvrage connu des syndicalistes agricoles, Michel Gervais, Claude Servolin et Jean Weil (1965, p. 9), écrivaient qu’entre 1954 et 1962, « près d’un million et demi de personnes avaient quitté le monde paysan ». Mouvement qui s’est poursuivi, on le sait, après cette date.
  • [8]
    Martin, 2005 ; Martin, 2012.
  • [9]
    Tartakowsky, 1992.
  • [10]
    Ibid., p. 152.
  • [11]
    Ibid.
  • [12]
    Vercherand, 1994.
  • [13]
    Bourrigaud, 1992.
  • [14]
    Guin, 1969 ; Guilbaud, 2004.
  • [15]
    Comme l’atteste une photographie célèbre dans Chavagne, 1988.
  • [16]
    Vercherand, 1994.
  • [17]
    Rapport du crjao, 1968.
  • [18]
    Entretien avec Jean Cadiot et sa femme Annick, Béziers, 6 juillet 2001.
  • [19]
    Chavagne, 1988, p. 162. Plusieurs anciens militants ont participé à la rédaction de cet ouvrage.
  • [20]
    Tous au Larzac, film de Christian Rouaud, 2011.
  • [21]
    Tristan et Lebot, 1995.
  • [22]
    Ibid., p. 80 ; Bourrigaud, 2001.
  • [23]
    Vercherand, 1994, p. 319.
  • [24]
    Pelletier, 2002.
  • [25]
    Prudhomme, 2012, p. 330.
  • [26]
    Prudhomme, 2012, p. 330.
  • [27]
    Vigna et Vigreux, 2010.
  • [28]
    Drouet et Martin, 2010, p. 126.
  • [29]
    Frères du monde, n°54-55 (Une agriculture au service des paysans). Deux autres numéros écrits avec l’aide de militants de l’ujc(ml) seront publiés ensuite (n°59, Une ligne révolutionnaire pour les paysans, et n° 71, L’État contre les paysans).
  • [30]
    Le premier numéro analyse quelques expériences de lutte ainsi que le congrès du cnja d’octobre 1969, alors que le deuxième consacre la majorité de ses articles à la question de l’alliance des travailleurs paysans et ouvriers à partir d’exemples.
  • [31]
    Un article souvent attribué à Marcel Colin affirme ainsi « la structure syndicale, par rapport aux responsables, a une double fonction : elle attire les éléments pourris, elle pourrit les éléments sains ».
  • [32]
    Renseignements aimablement fournis par Yannick Drouet. Voir aussi Drouet et Martin, 2010.
  • [33]
    Le mouvement de la jeunesse et les paysans de l’Ouest, in ibid.
  • [34]
    Entretien de Yannick Drouet avec Gérard Loquais, le 11 septembre 2009, à Cheméré (Loire-Atlantique) : ibid.
  • [35]
    Les amis de Tribune socialiste, n°11, juillet 2003, p. 26, cité in ibid.
  • [36]
    Vigna, 2007.
  • [37]
    Damame, Gobille, Matonti, et Pudal (dir.), 2008.
  • [38]
    Vent d’Ouest, n° 1, nov. 1969 ; Bulletin pour l’action des paysans-travailleurs, n° 1.
  • [39]
    Bulletin pour l’action des paysans-travailleurs, n°1.
  • [40]
    Site Le Nouvelobs.com. « Je ne vous dis pas qu’il y avait une poule faisane dans le coffre », affirme Joseph Potiron devant plusieurs centaines de personnes, le 20 novembre à La Chapelle-sur-Erdre. Et le journaliste de poursuivre : « L’assemblée rit. La cause est entendue. Ce soir l’autorité de l’État en prend un coup ». (1/12/1969).
  • [41]
    Vercherand, 1994 ; Le Monde du 28/9/1970.
  • [42]
    Plusieurs exemples dans l’Ouest et le Sud-Ouest dans Lambert et Leclerc, 1972.
  • [43]
    VO, n°63, juin 1975.
  • [44]
    « Dans ma vie politique et militante, c’est certainement l’homme dont je me suis senti le plus proche », affirme Henri Leclerc (membre un temps du psu) quand il évoque Bernard Lambert dans son livre : Leclerc, 1994, p. 121.
  • [45]
    Ibid., p. 123-136. H. Leclerc écrit qu’il est devenu l’avocat des Paysans-Travailleurs. Puis il évoque la façon dont il travaillait : « Dans ces réunions paysannes, j’annonçais une répartition des rôles : ?Moi je suis le technicien du droit ; vous vous êtes les techniciens de la terre et des hommes qui la possèdent ou la travaillent […] il faut m’éclairer?. J’avais établi comme principe que les conclusions juridiques devaient être aussi claires qu’un tract. […] Nous avons vécu de nombreux procès, accompagnés de manifestations. Je me souviens d’un jour. […] Nous avons fait une sorte de procès dans la rue. » (p. 127-128).
  • [46]
    Vent d’Ouest, n°11, oct. 1970.
  • [47]
    Bourrigaud, 1990, p. 377.
  • [48]
    Paysans en lutte, n°2, oct. 1970.
  • [49]
    Lambert et Leclerc, 1972, p. 11-13.
  • [50]
    Ibid., p. 13.
  • [51]
    Déclaration commune ouvrière et paysanne de Loire-Atlantique, 6 avril 1960 (fdsea 241, cht, Nantes).
  • [52]
    Déclaration commune ouvrière et paysanne du Finistère, 1er septembre 1960 (fdsea 241, cht, Nantes).
  • [53]
    Bourrigaud, 1990 ; Bougeard, Porhel, Richard et Sainclivier, 2012.
  • [54]
    Bougeard, 2012, p. 24.
  • [55]
    Ibid., p. 23-36.
  • [56]
    Ibid., p. 26.
  • [57]
    Bougeard, 2012, p. 27.
  • [58]
    Martin, 2005, p. 43-44 ; Bougeard, 2012, p. 34.
  • [59]
    Chavagne, 1988, p. 123.
  • [60]
    Porhel, 2008, p. 148.
  • [61]
    Flauraud, 2003, p. 551-555.
  • [62]
    Vercherand, 1994, p. 283-284.
  • [63]
    Lambert, 1970.
  • [64]
    Cordellier, 2008, p. 53.
  • [65]
    Lambert, 1970.
  • [66]
    Ibid.
  • [67]
    René Bourrigaud, « Paysans et prolétaires », in Lambert, 1970 (2003), p. 186.
  • [68]
    Ibid., p. 188.
  • [69]
    Ibid.
  • [70]
    Lambert, 1970 (2003), p. 28.
  • [71]
    Drouet et Martin, 2009, p. 291-304.
  • [72]
    Il semble cependant que certains, proches de la gop, aient pu y entrer.
  • [73]
    On trouvera de très nombreux documents dans Barres, Coulomb et Nallet, 1973.
  • [74]
    Sainclivier, 2012, p. 31 ; Jalabert et Patillon (dir.), 2013, en particulier les articles de Paul Bonhommeau, « De la grève du lait de 1972 à celle de 2009 », p. 125-140, René Bourrigaud, « Le plan Mansholt pour l’agriculture européenne (1968) et les mouvements paysans de l’Ouest », p. 67-96, Georges Dauphin, « La grève du lait en Bretagne. Témoignage », p. 141-165.
  • [75]
    Sainclivier, 2012, p. 34.
  • [76]
    Fort et Davalo, 2008, p. 63-64.
  • [77]
    Bourrigaud, 2001.
  • [78]
    Bretonnière, Colson et Lebossé, 1997.
  • [79]
    Chavagne, 1988, p. 163.
  • [80]
    Le film La Guerre du lait (1972, 52 mn) de Guy Chapouillié et Claude Bailblé, du collectif Front paysan (de sensibilité maoïste), rend bien compte de cette participation nouvelle des femmes puisqu’il donne la parole à plusieurs d’entre elles. Participation évoquée aussi dans Faut que ça bosse, pièce de théâtre militante écrite et jouée par des militants rennais proches de L’Humanité rouge (groupe pro-chinois) qui porte sur la « grève du lait ».
  • [81]
    Même si cette dénonciation de la trahison des luttes par les directions syndicales est une constante du discours des « maoïstes » des années 1968, il semble bien que certains paysans ont trouvé le soutien ouvrier trop limité.
  • [82]
    Porhel, 2008. Des grévistes du Joint français font, en 1972, la quête auprès de la population dans ce drapeau (p. 160) et certains ont entonné La Blanche hermine, du chanteur régionaliste Gilles Servat.
  • [83]
    Pôle Sud, n°9, La « grande transformation » du Midi rouge, nov. 1998. Les actifs agricoles représentent en 1968, environ 30 % des actifs dans l’Aude et 18 % dans l’Hérault.
  • [84]
    Bartoli et Boulet, 1989.
  • [85]
    Bardissa, 1976 ; Guillemin, 1990 ; Pech, 1994 ; Martin, 1994 ; Gavignaud-Fontaine, 2000 ; Le Bras, 2013.
  • [86]
    Martin, 1997, 1998, 2003, 2005, 2008. Un film évoque cette lutte : N’i a pro (1976, 68 mn), du collectif Front Paysan (Guy Chapouillié avec Robert Boarts, Dominique Bricard, Juliette/Janine Caniou, Nadine Charesson, Hubert Guipouy, Yves Lachaud, Bernard Pellefigue).
  • [87]
    Zancarini-Fournel, 1997. Voir aussi à ce propos les articles écrits « à chaud » par Alain Rollat alors journaliste au Midi libre.
  • [88]
    Dans une bibliographie très riche : Le Bris, 1975 ; Martin, 1987 ; Alland Jr, 1995 ; Pottier, 2001 ; Roux, 2002 ; Martin, 2005 ; Vuarin, 2005 ; Terral, 2011 ; Lynch, 2012.
  • [89]
    Terral, 2011, p. 18.
  • [90]
    Ibid., p. 46.
  • [91]
    Entretien avec Amand Chatellier, le 17 août 2000.
  • [92]
    « Nous nous félicitons de la décision prise par les Paysans-Travailleurs d’organiser une marche sur le Larzac […] et nous y donnons notre plein accord », texte signé Les paysans du Larzac, dans Vent d’Ouest, n° 40, juin 1973.
  • [93]
    Terral, 2011, p. 55-56.
  • [94]
    Georgi, 2012.
  • [95]
    Voir le film Tous au Larzac.
  • [96]
    Elle est un peu oubliée dans le film Tous au Larzac alors que son auteur la connaît bien.
  • [97]
    Bernard Lambert et Henri Leclerc se sont connus au psu, nous l’avons vu, où ils ont appartenu, un temps, à cette tendance sans rejoindre ensuite l’oc-gop.
  • [98]
    Terral, 2011, p. 58.
  • [99]
    Martin, 2008b, p. 318-330.
  • [100]
    L’association Les amis de la Confédération paysanne y a d’ailleurs organisé des journées en juillet 2013.
  • [101]
    Pelletier et Schlegel, 2012.
  • [102]
    Ce que confirme la fraction non négligeable des ouvriers qui étaient alors proches des partis de droite et du centre.
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