Notes
-
[1]
Boutruche, 1963, p. 247.
-
[2]
Au sud du département de la Dordogne.
-
[3]
Renouard, 1965, p. 538.
-
[4]
Thomas, 1879, p. 330-333.
-
[5]
Corbin R., 1888, p. 244-245.
-
[6]
Vigié, 1910, p. 37.
-
[7]
Vigié, 1990, p. 131.
-
[8]
Higounet-Nadal, 1983, p. 149.
-
[9]
Arch. dép. Gironde, G185 et G186.
-
[10]
Ibid., G177.
-
[11]
Fossier, 1978, p. 51.
-
[12]
La foliotation en chiffres romains débute au numéro 38 correspondant au numéro 1 de la foliotation en chiffres arabes et s’achève au numéro 157 correspondant au numéro 117 de la foliotation en chiffres arabes.
-
[13]
Nous utilisons la foliotation en chiffres arabes, plus récente et continue, pour citer le document.
-
[14]
Un feuillet est manquant.
-
[15]
Un feuillet est manquant.
-
[16]
Arch. dép. Gironde, G177 folios 25, 31, 32, 37, 38, 40, 41, 42, 46, 49, 50, 51, 52, 55, 58, 59, 62, 64, 65, 67, 69, 70, 72, 73, 75, 78, 81, 82, 85, 87, 90, 96, 97, 99, 100, 101, 104, 105, 108, 109, 113, 116, 117, 118, 119, 120.
-
[17]
Ibid., folios 2, 3, 9, 10, 11, 12, 18, 22, 23.
-
[18]
Arch. dép. Gironde, G177 folios 28 et 29.
-
[19]
Ibid., folio 1.
-
[20]
Briquet, 1907, p. 658.
-
[21]
Nicolaï, 2006, p. 247.
-
[22]
Arch. dép. Gironde, G177, folios 10, 11 et folios 31, 32.
-
[23]
Ibid.
-
[24]
Fossier, 1978, p. 15.
-
[25]
Fournier, 2002, p. 9.
-
[26]
Fossier, 1978, p. 47.
-
[27]
Fournier, 2002, p. 12.
-
[28]
Bauchet-Cubadda, 2002, p. 200.
-
[29]
Angers, 2002, p. 24.
-
[30]
Ibid., p. 25.
-
[31]
Bonnefond, 1972, p. 113.
-
[32]
Ibid., p. 113-114.
-
[33]
Vigié, 1990, p. 76-77.
-
[34]
Bonnefond, 1972, p. 117-121.
-
[35]
Ibid., p. 121.
-
[36]
Vigié, 1990, p. 89-103.
-
[37]
Éloquin, 2008-2009, p. 29.
-
[38]
Bonnefond, 1972, p. 117.
-
[39]
« Étrangers » en langue d’oc.
-
[40]
Bonnefond, 1972, p. 122.
-
[41]
Fournier, 2002,p. 21-22.
-
[42]
Angers, 2002, p. 25.
-
[43]
Bauchet-Cubadda, 2002, p. 201.
-
[44]
Muzerelle, 1985 [En ligne] http://vocabulaire.irht.cnrs.fr/pages/vocab1.htm
-
[45]
Levêque, 2008, p. 15.
-
[46]
Bec, 1963, p. 73.
-
[47]
Brun, 1923, p. 113.
-
[48]
BnF, nal, n°1922.
-
[49]
Fossier, 1978, p. 45.
-
[50]
Bec, 1963, p. 83.
-
[51]
Bourciez, 2004, p. 25.
-
[52]
Bec, 1963, p. 81-83.
-
[53]
Brun, 1923, p. 95.
-
[54]
Ibid., p. 113.
-
[55]
Ibid., p. 116.
-
[56]
Arch. dép. Gironde, G185, n°19.
-
[57]
Angers, 2002, p. 31.
-
[58]
Arch. dép. Gironde, G177, folio 1r.
-
[59]
Ibid., folios 25r, 29r, 31r, 33r, 36r, 37r, 39v, 41r, 42v, 45r, 77r.
-
[60]
Fossier, 1978, p. 50.
-
[61]
Angers, 1993.
-
[62]
Lannaud, 2009, p. 319.
-
[63]
Lavaud, 2009, p. 204.
-
[64]
Arch. dép. Gironde, G3324.
-
[65]
Ibid.
-
[66]
Ibid., G177.
-
[67]
Ibid., G185.
-
[68]
Ibid., G197.
-
[69]
Arch. dép. Gironde, G565.
-
[70]
Actuel Hôtel de Ville de Bordeaux.
-
[71]
Lavaud, 2009, p. 312.
-
[72]
Ibid., p. 314.
-
[73]
Betge-Brezetz, 1973, p. 54.
-
[74]
Allain, 1893.
-
[75]
Pierre.
-
[76]
Commune de Belvès, chef lieu du canton du même nom, Dordogne.
-
[77]
Serment.
-
[78]
Châtellenie.
-
[79]
Lieu.
-
[80]
Chevalier, noble.
-
[81]
Rue.
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[82]
Terre rectangulaire à l’intérieur de la ville (terme utilisé dans les bastides).
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[83]
Castrum de Belvès : partie la plus ancienne de la ville.
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[84]
Jardin.
-
[85]
Faubourg.
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[86]
Paroisse.
-
[87]
Vigne.
-
[88]
Chemin.
-
[89]
Chapelain.
-
[90]
Chapellenie.
-
[91]
Abbaye.
-
[92]
Abbaye cistercienne de Cadouin, commune de Cadouin, canton du Buisson-de-Cadouin, Dordogne.
-
[93]
Frères Prêcheurs de Belvès.
-
[94]
Mailles (monnaie).
-
[95]
Commune de Sagelat, canton de Belvès, Dordogne.
-
[96]
Fongauffier, village rattaché à la commune de Belvès, Dordogne.
-
[97]
Manse.
-
[98]
Pré.
-
[99]
Sexterade ou sextérée.
-
[100]
Rivière, ruisseau.
-
[101]
Guillaume.
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[102]
Commune de Villefranche-du-Périgord (ancienne bastide), chef lieu du canton du même nom, Dordogne.
-
[103]
Abbaye cistercienne de Cadouin, commune de Cadouin, canton du Buisson-de-Cadouin, Dordogne.
-
[104]
Commune de Saint-Amand-de-Belvès, canton de Belvès, Dordogne.
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[105]
Commune de Rocamadour, canton de Gramat, Lot.
-
[106]
Rature.
-
[107]
Commune de Saint-Amand-de-Belvès, canton de Belvès, Dordogne. On remarque ici deux orthographes différentes pour le même nom.
-
[108]
Paragraphe difficile à lire car certains passages sont presque effacés.
-
[109]
Commune de Sagelat, canton de Belvès, Dordogne.
-
[110]
Un espace blanc a été laissé.
-
[111]
Rature.
-
[112]
Rature.
1Au lendemain de la guerre de Cent Ans, le Périgord est profondément meurtri et désorganisé. En plus de pertes humaines considérables, dues aux guerres, aux maladies, aux famines et aux migrations, ce conflit majeur a entraîné une remise en cause des enjeux politiques et économiques tant à petite échelle qu’au niveau local. Certaines seigneuries ont changé de mains, d’autres ont vu leurs territoires empiétés par les voisins. Les terres des personnages les plus influents de Guyenne n’échappent pas au marasme général. De nombreux espaces sont laissés vacants car la population n’est plus assez nombreuse pour les cultiver, ce qui entraîne une baisse importante des revenus des seigneurs fonciers. Robert Boutruche parle d’une véritable « crise des fortunes » [1]. C’est aussi ce que vivent les archevêques de Bordeaux qui, depuis le xiiie siècle, étaient, entre autres, seigneurs de châtellenies situées le long de la Dordogne : Montravel, Couze, Millac, Bigaroque, et Belvès plus excentrée, au sud de la sénéchaussée du Périgord [2]. Ces châtellenies ont longtemps été placées au cœur des conflits jusqu’à ce qu’en 1448, elles entrent définitivement aux mains de la couronne française. Néanmoins, ce n’est qu’ en 1454, après la bataille de Castillon, que Pey Berland, dernier archevêque gascon de Bordeaux, a pu récupérer son temporel, toujours sous l’œil des hommes du roi, méfiants vis-à-vis de cet homme populaire longtemps allié de la couronne anglaise. Le vieil homme n’eut pas le temps de reprendre véritablement en mains ses terres. Avec la fin du conflit, de nombreux hauts dignitaires ont fui l’Aquitaine ou ont été contraints de le faire. Les plus prestigieux offices sont vacants et le roi de France ne tarde pas à y placer ses hommes, souvent des Français de langue d’oïl, comme Olivier de Coëtivy qui devient sénéchal de la Guyenne. L’archevêque gascon devient gênant et il est poussé à la démission [3]. En 1456, il il se résigne et abandonne son bénéfice et c’est Blaise de Gréelle, un sous-diacre méconnu, qui est propulsé à la tête de l’Église d’Aquitaine. Nous ne savons que peu de choses à son propos : nous ne connaissons ni sa date de naissance ni sa région d’origine, mais nous savons que cet homme de loi a évolué pendant longtemps dans l’entourage du roi Charles VII et qu’il est français [4].
2Une fois en place, le nouvel archevêque ne tarde pas à faire preuve d’autorité et d’ambition. Très vite, il entre en conflit avec les chanoines de Saint-André et le collège de Saint-Raphaël à Bordeaux, l’affaire finissant par remonter jusqu’au roi de France et au Pape [5]. Pour la gestion de son temporel périgourdin, le prélat fait preuve de la même détermination. Après une enquête préalable effectuée sur place en 1459, Blaise de Gréelle intente des procès à tous ses voisins ou vassaux usurpateurs [6]. Il utilise les mêmes méthodes pour contraindre certaines communautés à payer le commun de paix, un impôt de capitation spécifique à certaines de ses seigneuries périgourdines [7]. À côté de ces mesures plutôt autoritaires, l’archevêque s’emploie à promouvoir une véritable reconstruction, notamment en lançant des campagnes de repeuplement [8]: de nombreux contrats d’arrentement, signés lors de cette période, l’attestent et les effets s’en font rapidement sentir [9]. Le nouvel archevêque de Bordeaux se trouve donc face à des seigneuries qu’il ne connait que très peu, dont la langue, l’occitan, lui est très probablement inconnue, et dont un grand nombre d’archives ont disparu au cours de la guerre. Pour gérer au mieux ce patrimoine, Blaise de Gréelle fait alors appel à l’écrit et choisit, comme d’autres seigneurs au même moment, de faire rédiger un « livre-foncier ».
3La source qui est au centre de notre propos est inscrite dans un manuscrit datant de 1462, conservé aux Archives départementales de la Gironde, dans le fond du clergé séculier et coté G 177 [10]. Cet ouvrage est qualifié de « dénombrement » des tenanciers et des vassaux de l’archevêque. Cette dénomination n’est pas contemporaine à la rédaction de ce dernier, elle date probablement du xviie voire du xviiie siècle. Il s’agit d’un document composite, qui contient effectivement les dénombrements de certains vassaux, mais dans une seconde partie. La première partie du registre, celle qui nous intéresse ici, contient les déclarations relevées au cours de l’été 1462 des tenanciers des différentes seigneuries périgourdines de l’archevêque de Bordeaux. Le texte est précis, donnant le nom et la profession du tenancier, la nature des biens détenus par celui-ci, leur emplacement exact, leur superficie, ainsi que le nom du seigneur foncier (qui peut être l’archevêque lui-même) à qui est dû le cens ou la redevance en nature. Une formule engage systématiquement le déclarant, qui reconnaît solennellement détenir des biens dans les différentes châtellenies du seigneur-archevêque.
4Tout ceci ne correspond pas à un dénombrement de vassal puisque le tenancier déclare tous ses biens, quelle qu’en soit la provenance. Cet ensemble ne s’apparente pas non plus à un terrier « classique » qui ne contiendrait que les terres de l’archevêque. Ici, c’est bien la déclaration du tenancier qui est au centre du propos. Nous avons malgré tout fait le choix de qualifier ce document de « terrier » parce que les descriptions des terres y sont précises (on connaît la nature de chaque bien, sa superficie, ses « confronts »), et parce qu’il regroupe toutes les caractéristiques matérielles de ce genre documentaire. Nous savons d’ailleurs, comme l’a montré Robert Fossier, que la notion de terrier médiéval reste flexible puisque les seigneurs fonciers l’adaptent fréquemment à leurs besoins [11].
5L’archevêque de Bordeaux n’a donc pas créé un terrier pour les seuls biens dont sur lesquels il perçoit des rentes directes, mais un ouvrage couvrant l’ensemble de ses châtellenies – et des hommes qui y vivent – dont il est le seigneur châtelain, inventant ainsi son propre genre documentaire.
6Le manuscrit se présente sous la forme d’un codex, de 300 millimètres de longueur sur 220 millimètres de largeur, et comprend 170 feuillets. La couvrure souple est composite, témoignant de plusieurs remaniements dans le temps : on remarque à l’arrière, sur la tranche et sur une partie de l’avant, l’emploi d’un défait en parchemin du début du xve siècle auquel a été agrafé ultérieurement une feuille de papier cartonné datant probablement du xixe siècle. Cette couvrure solidarise l’ensemble qui est composé de quinze cahiers inégaux faits de feuillets de papier. Cependant, le manuscrit ne contient pas uniquement le terrier, on trouve à sa suite des dénombrements de plusieurs vassaux périgourdins de l’archevêque de Bordeaux. Le terrier ne remplit que les six premiers cahiers qui ont la particularité d’avoir, en plus d’une foliotation en chiffres arabes commune à l’ensemble, une foliotation en chiffres romains incomplète [12]qui semble contemporaine de la rédaction du terrier [13]. Cette observation, ainsi que la composition des cahiers, nous ont amené à définir le terrier comme une unité codicologique. Les cahiers du terrier sont de taille très variables : le premier est un ternion, le second contient 19 feuillets [14], le troisième est composé de 36 feuillets, le quatrième en a 27 [15], le cinquième est un binion et le sixième a 32 feuillets. Le papier utilisé est en partie filigrané. Nous pouvons y observer quatre filigranes différents : une roue dentée reliée à une clé [16], une main bénissant festonnée [17], une tête de bœuf surmontée d’une croix [18], une feuille de chêne [19]. Aucun d’eux n’est répertorié précisément par Charles-Moïse Briquet, cependant, la roue dentée est assez commune en Auvergne [20]et la main bénissant festonnée est abondamment présente dans les papiers d’archives de Bordeaux issus de moulins de l’Angoumois et du Périgord [21]. Neufs scribes différents ont participé à la rédaction de ce document. Au-delà d’un nombre important de participants, c’est le caractère bilingue du terrier qui est inédit. En effet, sur une période relativement courte – puisque le terrier a été rédigé en un peu plus de deux mois – certains ont écrit en occitan (cinq sur neuf ), d’autres en français (quatre sur neuf ), de manière simultanée ou quasi-simultanée, comme le montre les deux déclarations publiées ici [22]. Chacune a été rédigée le même jour, le 10 août 1462, toutes deux à Belvès, en présence de l’archevêque. Elles présentent les biens de deux habitants de la paroisse de Belvès, Peyre Miquel et Guillem de Lugnat, en suivant une présentation, un plan et des formules identiques. La longueur est assez équivalente, la seule différence notable étant la langue utilisée pour la rédaction : la déclaration de Peyre Miquel est rédigée en occitan, tandis que celle de Guillem de Lugnat est en français. L’emploi de la langue occitane paraît approprié : le Périgord est traditionnellement une terre de langue d’oc, utilisée régulièrement dans les archives au côté du latin. Mais que dire de cette intrusion de la langue d’oïl au cours du xve siècle ? Il est vrai que le nouveau seigneur des châtellenies de Couze, Millac, Bigaroque et Belvès, Blaise de Gréelle, est français. Il est donc plus facile pour lui d’utiliser un outil de gestion écrit en français. Cependant, étant très occupé et peu présent en Périgord, l’archevêque possède une administration sur place qui, pour communiquer avec la population locale, utilise la langue d’oc. Au-delà d’un aspect purement pratique, l’emploi de la langue d’oïl dans ce terrier n’est-il pas le reflet de l’affirmation du pouvoir de l’archevêque français, représentant de l’État royal au cœur d’un Périgord nouvellement acquis ? Et ne faut-il pas voir avant tout la rédaction de ce terrier comme un moyen d’affirmer localement le nouveau pouvoir royal ? Ce terrier ne devient-il pas ici un outil de pouvoir autant ou davantage qu’un outil de gestion ?
7Pour étayer cette réflexion, nous étudierons, d’abord, les moyens mis en œuvre pour l’élaboration du terrier, puis nous analyserons de plus près les conditions de sa mise par écrit, et nous nous interrogerons ensuite sur sa fonction réelle. Enfin, nous proposerons une édition des deux déclarations présentées précédemment [23].
Les moyens investis pour l’élaboration du terrier
8Le terrier est le résultat de plusieurs siècles d’évolution du genre. Le Moyen Âge a connu plusieurs types de « livres fonciers » [24]: d’abord les polyptiques carolingiens, puis les censiers des xie-xiie siècles et enfin les terriers, dès le xiiie siècle [25]. Ce type d’outil de gestion devient incontournable pour les seigneurs fonciers qui l’adaptent à leurs besoins. Le seigneur qui souhaitait réaliser un tel document devait, théoriquement, s’en remettre au roi pour qu’il lui donne le droit de convoquer ses tenanciers. Cette demande débouchait en principe sur la réception d’une « lettre à terrier » [26]qui, en plus d’octroyer un droit au seigneur, pouvait également servir à contraindre les tenanciers de collaborer à sa réalisation sous peine de réprimandes [27]. Nous n’avons, dans le cas présent, aucune trace d’une telle lettre. Cependant, Blaise de Gréelle était un proche du roi de France et l’obtention de celle-ci n’a, assurément, pas dû être un problème majeur. Une fois cette lettre obtenue, la procédure pouvait être lancée. Généralement, le seigneur commençait par envoyer des arpenteurs accompagnés d’un procureur, d’un notaire ou d’un clerc, devancés par un sergent à cheval qui prévenait la population [28]. Cette équipe était chargée de mesurer la terre, puis de relever les « aveux » des tenanciers [29]. Là encore, nous n’avons pas de trace d’une opération d’arpentage. Pourtant, les superficies sont presque systématiquement mentionnées pour chaque parcelle de terre, en utilisant les unités de mesures du pays : sextérée, cartonnée, journal de pré et journal de vigne. Mais ces mesures sont rarement précises ce qui peut nous conduire à penser qu’elles ont seulement été estimées, ce qui pourrait expliquer la rapidité avec laquelle ce terrier a été élaboré. Nous n’avons pas non plus relevé l’existence d’un registre d’aveux. La dernière phase du travail est celle de la rédaction du terrier proprement dite sur laquelle nous reviendrons plus précisément. Même si certaines de ces étapes sont passées sous silence, l’élaboration d’un tel document nécessitait « la mise en place de moyens d’enquête importants, une méthode de travail suivie, une convocation régulière et fréquente des plaids paroissiaux » [30]. L’entreprise était coûteuse et demandait un personnel important et de confiance, ce dont pouvait facilement disposer l’archevêque.
9Pour gérer efficacement ses seigneuries périgourdines, éloignées du siège archiépiscopal, Blaise de Gréelle pouvait compter sur une administration locale structurée. Tout d’abord, les châtellenies de Couze, Millac, Bigaroque et Belvès formaient une entité administrative à la tête de laquelle se trouvait un « procureur général aux diocèses de Périgueux et Sarlat » [31], nommé directement par l’archevêque et choisi dans son entourage pour quatre ans. Son rôle était essentiellement celui d’un gestionnaire : c’est lui qui récoltait les cens, les redevances et les diverses taxes du seigneur-archevêque. C’est lui qui devait aussi régler les dépenses occasionnées par l’archevêque au sein de ses châtellenies [32]. Le procureur représentait l’archevêque au niveau de la seigneurie domaniale, mais il possédait également le pouvoir de choisir ses subalternes comme le receveur comptable de Belvès qui l’aidait dans sa tâche [33]. L’entité administrative dirigée par le procureur était elle-même divisée en baylies, au nombre de sept : baylie de Couze, baylie de Millac, baylie de Bigaroque, baylie de Saint-Cyprien (châtellenie de Bigaroque), baylie de Belvès, baylie de Paleyrac (châtellenie de Belvès), baylie de Fontgauffier (châtellenie de Belvès). À la tête de chacune de ces baylies se trouvait un bayle. Contrairement au procureur, il n’était pas nommé par l’archevêque mais cette fonction était affermée à des tarifs élevés pour une année renouvelable. Le rôle du bayle est bien différent de celui du procureur : choisi au sein de la population locale, il connaît les terres, la population de sa circonscription, et il sert d’intermédiaire entre le seigneur-archevêque et les habitants des châtellenies. Responsable de la police et de la basse justice jusqu’à 60 sous, il détient également des fonctions d’intendant, le bayle ayant la charge d’entretenir et de garder les châteaux du prélat. Enfin, il est le représentant, l’« ambassadeur » local auprès des seigneurs voisins ou auprès du sénéchal du Périgord. Tous ces bayles ne travaillaient pas seuls et étaient accompagnés d’agents locaux, probablement choisis par leurs soins [34]. Enfin, c’est à eux que revenait la mission de désigner les juges archiépiscopaux [35].
10À Belvès, l’administration était encore plus complexe car le bourg était doté d’un consulat. Ainsi le bayle devait partager ses pouvoirs et donc ses revenus. En effet, la direction du consulat était collégiale : quatre consuls et le bayle, représentant de l’archevêque, le présidaient. Le bayle conservait quelques privilèges comme le droit de faire sonner la cloche, possédait un sceau personnel, et défendait les intérêts du seigneur tandis que le consulat en avait d’autres, comme celui de garder les clés de la ville en l’absence de l’archevêque. L’ensemble des décisions concernant la ville et la police appartenait au consulat (consuls et bayle) ainsi que la basse justice au-dessous de 60 sous. La plupart des produits financiers étaient alors partagés entre les consuls et le bayle [36]. Le consulat disposait par ailleurs de sa propre administration composée d’un receveur comptable, d’un assesseur, de scribes et d’un servent [37].
11La présence de cette administration, sans doute efficace, a sûrement facilité l’élaboration du terrier de Blaise de Gréelle, réalisé probablement sous l’égide de son procureur. En effet, il est difficile d’imaginer qu’il n’ait pas eu un rôle important à jouer, étant celui qui recevait les redevances seigneuriales et devait les exiger en cas de non-paiement. Il était dans son intérêt de connaître au mieux les territoires qu’il gérait fiscalement. De plus, le procureur était l’homme de confiance de l’archevêque en Périgord, et si ce dernier fut parfois présent lors de la rédaction du terrier, il ne resta sur place que quelques jours. Tout laisse donc croire qu’en son absence, c’était le procureur qui supervisait le bon déroulement des opérations. L’archevêque pouvait également s’appuyer sur les bayles, ces hommes de terrain qui connaissaient les habitants et qui étaient capables de dire à qui appartenait telle ou telle parcelle de terre puisque le bayle « circule et sillonne en tous sens sa juridiction » [38].
12Blaise de Gréelle était un seigneur lointain, considéré comme étranger sur des terres occitanes où la majorité de la population ne parlait pas la langue du roi et n’accueillait pas toujours avec enthousiasme ces gavachs [39]. Il était difficile pour lui de bien connaître ses terres et de communiquer avec les populations. L’administration locale était donc indispensable au prélat. Le procureur et les bayles se complétaient parfaitement « dans le souci commun qu’ils ont d’une gestion efficace et saine » [40]et permettaient au prélat, à travers eux, de s’imposer à la population et de mener à bien la confection de son terrier.
13L’administration archiépiscopale n’était pas la seule à être mise à contribution. L’écriture d’un terrier était indissociable de la figure du notaire [41]. L’archevêque devait faire appel à ses services pour l’écriture et l’authentification de son terrier. En effet, un tel document devait normalement être rédigé par, ou en présence, d’un notaire et signé de sa main. Pourtant, dans le cas présent, aucun indice ne révèle une quelconque intervention de ce type, mais il faut se souvenir que le registre comprend d’importantes lacunes.
La mise par écrit du terrier de l’archevêque
14Après l’arpentage et la prise d’aveux, les notaires pouvaient rédiger des minutes à partir des informations recueillies, éventuellement complétées par des contrats ou des actes anciens puis mettaient le tout au propre. C’est la méthode qui fut généralement utilisée, selon Denise Angers, pour la confection des terriers normands [42]. Dans d’autres cas, les tenanciers venaient déclarer leurs biens en apportant les preuves écrites qu’ils avaient à leur disposition. S’ils n’en possédaient pas, ils devaient être accompagnés de témoins attestant sous serment la véracité des dire du déclarant [43].
15Dans le cas du terrier de l’archevêque de Bordeaux, l’analyse codicologique a mis en évidence la simplicité du registre qui ne contient aucun élément d’ornementation, dispose d’une réglure rudimentaire, et d’écritures peu soignées. De nombreux scribes ont participé à son élaboration, tous y ont laissé de nombreuses ratures, les déclarations n’ayant pas été mises au propre par un seul et même scribe. Ces constatations montrent que la rédaction fut rapide et qu’elle suivit de très près les déclarations orales des tenanciers. Un certain nombre d’éléments contenus dans le registre permettent de mieux comprendre les circonstances de la rédaction du terrier qui fut écrit en plusieurs temps mais sur une période assez courte : quelques jours, d’abord, au début du mois de juillet 1462 à Belvès, puis plusieurs journées autour du 20 juillet 1462 à Couze et à Mauzac, enfin du 7 au 19 août 1462, à nouveau à Belvès. Toutefois, les déclarations ne sont pas ordonnées de manière chronologique dans le registre comme nous aurions pu nous y attendre, ce désordre apparent du manuscrit résultant des conditions même de sa rédaction.
Dates, lieux, mains, et langues des déclarations des différents cahiers
Dates, lieux, mains, et langues des déclarations des différents cahiers
nb : Chaque main correspond à une graphie nettement différente des autres16Si le registre ne respecte pas un ordre strict, la lecture de ces tableaux montre qu’il en va autrement des cahiers qui le composent. Chaque cahier constitue une unité dans lequel les déclarations furent reportées au fur et à mesure des déclarations. La mise en relation des dates et lieux d’écriture, des mains qui en sont les auteurs, et de leur place dans les différents cahiers vont nous aider à comprendre les moments de la rédaction du terrier. Lors de la première période d’écriture, au début du mois de juillet, à Belvès, trois mains différentes sont intervenues, soit trois scribes, écrivant tous en langue occitane. Les deux premiers ont rédigé quatre déclarations inscrites dans le cahier 2. Le troisième a écrit trois déclarations dans le cahier 4, mais leur ordre est assez singulier puisque les deux premières sont au début de ce cahier, et la troisième dans le dernier folio. Cette observation pourrait remettre en question le fait que le terrier ait été composé de déclarations authentiques effectivement rédigées à la date indiquée. Mais la composition du cahier 4 conforte notre hypothèse : ces déclarations ont dû être inscrites les unes après les autres sur ce cahier qui formait à l’origine un quaternion auquel a été ajouté des feuillets en son centre. C’est ce qui explique qu’une déclaration du 4 juillet se trouve placée à la suite de déclarations établies en août.
17Lors de la deuxième période d’écriture, le lieu de rédaction a changé : les déclarations, mises au propre par deux scribes, concernent les paroisses de Couze et Mauzac. Ici encore, nous constatons une anomalie : une déclaration du 21 juillet 1462 est placée entre plusieurs autres du 20 juillet 1462. Le papier étant alors une fourniture couteuse, le scribe a dû revenir en arrière et compléter un feuillet laissé en blanc.
18La troisième campagne de rédaction, réalisée à nouveau à Belvès, fut la plus importante puisque c’est celle qui comporte le plus grand nombre de déclarations et qui a duré le plus longtemps. Cinq scribes y ont participé. Certains jours, plusieurs scribes ont travaillé en parallèle :
- le 7 août 1462 ils sont deux (mains 1 et 4) ;
- le 10 août 1462, ils sont trois (mains 2, 4 et 6) ;
- le 11 août 1462, ils sont deux (mains 2 et 4) ;
- le 12 août 1462, ils sont trois (mains 2, 4 et 9) ;
- le 16 août 1462, ils sont trois (mains 2, 4 et 9) ;
- les 17 et 18 août 1462, ils sont deux (mains 4 et 9).
19C’est à partir de cette analyse que nous pouvons entrevoir les moyens déployés pour la rédaction de ce terrier. Nous constatons d’abord que l’archevêque engagea une véritable équipe, sorte de théâtre, visant à réparer l’autorité de l’archevêque, à donner à voir et à impressionner les spectateurs. Le prélat assista lui-même à une partie au moins des opérations puisqu’il est mentionné présent du 7 au 12 août 1462. Cette démarche légitimait l’action des personnels de l’administration locale. Sa présence renforce l’idée que ce sont les tenanciers qui se déplacent et qui viennent déclarer leurs biens devant les deux ou trois scribes disponibles ; il est en effet difficile d’imaginer que l’archevêque se soit déplacé sur les terres des paysans. De plus, le seul lieu mentionné est celui de Belvès alors que certains tenanciers ne résidaient pas dans la ville. Nous pouvons donc penser que la rédaction du terrier s’est déroulée dans le château de l’archevêque à Belvès. Comme dans tout château, une salle devait permettre au prélat de recevoir (aula), spécialement aménagée pour l’occasion, chaque scribe étant installé sur une table avec son écritoire et tout le matériel nécessaire : plumes, couteau pour les tailler, encre [44]. Chacun avait en sa possession un cahier vraisemblablement constitué par lui-même, qu’il pouvait ensuite réemployer ou compléter. Les tenanciers défilaient ensuite devant les scribes pour effectuer chacun leur déclaration. Cette équipe administrative a permis de prendre jusqu’à douze déclarations en une seule journée. Le scribe 4 fut le plus productif : il a rédigé plus de 48 feuillets du registre dont 27 au cours de la seule journée du 13 août 1462.
Le terrier de l’archevêque : outil de gestion ou outil de pouvoir ?
Le bilinguisme du terrier : la langue comme marque du pouvoir
20Les scribes du terrier ont écrit, tour à tour, en occitan et en français. L’usage de l’occitan peut paraître naturel. En effet, le Périgord est une terre occitane où l’on rencontre différents dialectes : le nord-occitan dans le nord et le centre du Périgord, que l’on parle également dans le Limousin, l’occitan moyen ou languedocien dans le sud de la sénéchaussée [45]. C’est « pendant tout le Moyen Âge et même après, la seule langue véhiculaire orale » [46]. Cependant, beaucoup d’actes et de documents produits par les notaires périgourdins, même au xve siècle, étaient rédigés en latin [47]. Le notaire belvèsois Guillaume Philipparie rédigea, par exemple, ses mémoires entièrement en latin en 1496 [48]. Le terrier, qui se devait d’être un outil de gestion simple d’utilisation, « devient plus accessible, plus proche du quotidien, et aussi de l’assujetti, l’emploi de la langue vulgaire […] y a trouvé sa principale raison d’être » [49]. Même s’il est attesté par un notaire, le terrier n’était pas aussi figé dans sa forme que les autres actes. L’usage de l’occitan semblait donc le plus approprié. Or, la majorité des déclarations sont produites en français : 53 sur 66, contre 13 en occitan.
21Cette intrusion du français en terre occitane s’explique par un phénomène politique d’ampleur nationale. En effet, la fin de la guerre de Cent Ans unifia la majorité des terres du sud avec les pays de langue d’oïl et le roi français implanta ses hommes dans tout le royaume. De plus, en 1462, date du terrier, le roi Louis XI créa le parlement de Bordeaux. Petit à petit, cette présence fait « de la connaissance du français sinon une nécessité, du moins une commodité pratique » [50]. Charles VII et Louis XI exigèrent que les mandements et les lettres patentes soient rédigés en français et non plus en latin [51]. Le français devint la langue administrative et ne pas la connaître pouvait s’avérer très handicapant. Un bilinguisme apparut, même si cela restait le fait des gens cultivés : le peuple, lui, continuait de ne connaître et de ne parler que l’occitan [52]. Cette pénétration du français se fit d’abord par le nord du domaine : le Limousin fut le premier touché [53]. Le Périgord résista plus longtemps : la majorité des actes et documents continuèrent à être produits, le plus souvent, en latin et parfois en occitan [54]. Les terriers, eux, étaient normalement rédigés en occitan [55].
22Mais un autre paramètre s’ajoute pour expliquer le bilinguisme du terrier. L’origine de son commanditaire a dû être déterminante. En effet, Blaise de Gréelle était français, probablement originaire de Bourges. Il ne devait donc absolument pas maîtriser la langue du sud et de ses nouvelles seigneuries. Il était donc normal que le prélat ait exigé la rédaction du terrier en français afin de pouvoir l’utiliser plus facilement. Quand l’archevêque est mentionné comme présent, les déclarations sont d’ailleurs en français et rédigées par le scribe 4. L’écrit n’est donc pas le parfait reflet de la parole du tenancier.
23Ce que nous percevons aujourd’hui, plus encore que la voix des tenanciers venus déclarer leurs biens, c’est la voix du seigneur qui s’impose grâce à sa langue, en l’occurrence ici le français, et à l’écrit.
S’imposer grâce à l’écrit
24La question de la langue ne change pas le contenu du texte qui vise à donner un état détaillé des terres des différentes châtellenies. Cependant, un certain nombre d’éléments renforcent l’idée de l’utilisation de ce terrier comme un outil de pouvoir. L’archevêque pouvait contrôler les hommes. Le détail du registre lui permettait de connaître l’étendue des seigneuries et les revenus de ses seigneurs locaux. Il était ainsi en mesure de vérifier si la réalité du terrain correspondait bien aux dénombrements qu’avaient établis les vassaux à la suite des hommages rendus à Blaise de Gréelle. Beaucoup de ces derniers furent effectués en 1459, où il était mentionné que le dénombrement de leurs biens devait être effectué dans les quarante jours. C’est ce dont témoigne le registre dit de Philiparie des archives de la Gironde : le 3 août 1459, Radulphe de Saint-Clair rendait hommage à l’archevêque et devait lui fournir son dénombrement dans les quarante jours [56]. Cette même année, tous les vassaux des châtellenies de Belvès et Bigaroque prêtaient hommage. L’archevêque et ses agents devaient donc être en possession de ces dénombrements avant l’écriture du terrier.
25Dans le même registre que le terrier, nous retrouvons d’ailleurs le dénombrement du même Radulphe de Saint-Clair, datant de 1462, ainsi que celui de Bertrand de Vizareil qui a, lui aussi, prêté hommage en 1459, et celui des Frères Prêcheurs de Belvès également fait en 1462. Nous pouvons constater, au passage, que le délai des quarante jours n’était pas respecté et que les vassaux tardaient à fournir un document qui les soumettait à leur seigneur. Cette attitude rendait donc nécessaire une mise à jour émanant du seigneur-archevêque. Avec ce terrier, il cherche à renforcer son autorité seigneuriale, « le seigneur, dans son terrier pose souvent d’abord un geste politique » [57]. Ceci est confirmé par la structure même du terrier centré sur la déclaration du tenancier et où la formulation a toute son importance : même si un paysan tenait chaque parcelle de terre des vassaux de l’archevêque, il était avant tout sur les terres, seigneuries et châtellenies du prélat ; Étienne de la Pourerye « tenoit en la terre sur la chastellenye de Coze appartenant a monseigneur l’arcevesque de Bourdaux, les héritages qui s’en suivent » [58].
26Ces mêmes tenanciers devaient également se déplacer et effectuer leur déclaration à Belvès, parfois même en présence de l’archevêque, ce qui est un geste politique fort [59]. Là encore, le prélat renforçait son pouvoir sur les hommes des différentes châtellenies, contrôlant la population laborieuse et les seigneurs fonciers locaux, dans une période de reconstruction de son temporel mais, surtout, de son autorité. À travers la rédaction de ce terrier, nous pouvons entrevoir une véritable mise en scène de ce pouvoir nouvellement acquis.
27Le terrier « devient aux mains du maître l’arme du rétablissement de sa tutelle seigneuriale » [60].
28*
29La rédaction du terrier de l’archevêque de Bordeaux, Blaise de Gréelle, en 1462, présente un certain nombre de spécificités qu’il convenait de souligner. Tout d’abord, le commanditaire, le contexte historique et le contexte géographique en font un document unique : il est le reflet d’un seigneur qui, pour prendre en main un temporel nouvellement acquis, s’est s’appuyé sur une administration locale bien organisée, capable de lui fournir un « livre foncier » efficace de ses terres. L’étude de la mise par écrit révèle aussi toute l’originalité de ce terrier vis-à-vis de documents du même type rédigés dans d’autres régions : nous avons ainsi remarqué que ce document possède une structure inhabituelle, a été réalisé rapidement et qu’il utilise simultanément deux langues. Et c’est là tout l’intérêt de ce terrier. Au-delà d’un outil de gestion pour son seigneur, ce document témoigne des premiers pas du français en pays occitan, dès la seconde moitié du xve siècle. La langue devient ici le symbole de la toute nouvelle emprise d’un seigneur sur des terres étrangères mais aussi, à travers lui, d’un roi français sur une nouvelle province. La portée et la force de ce document se perçoivent plus encore dans l’acte lui-même comme le démontrent les circonstances de sa rédaction et les moyens mis en œuvre pour celle-ci. Ce fait est renforcé par l’histoire du manuscrit après sa rédaction. En effet, on constate quelques annotations inscrites l’année suivante mais le terrier n’a subi, ensuite, aucune modification dans le texte, contrairement à d’autres terriers, comme celui de la famille d’Orbec à Cideville qui, rédigé en 1429, fut utilisé et modifié jusqu’à la fin du xvie siècle [61]. Les seules modifications sont d’ordre matériel. Le manuscrit a probablement été relié deux fois et il a été amputé d’une partie. Cependant, on s’attache tout de même à conserver ce document, et probablement très rapidement, au sein du palais archiépiscopal [62]. Ce dernier est un monument très ancien à Bordeaux : il est mentionné dès le xie siècle [63]. Le volume des documents conservés par l’archevêché, déjà au xve siècle, nécessitait forcément une pièce consacrée aux papiers d’archives. Nous n’en avons pas la trace pour l’époque qui nous concerne mais des « archives » sont mentionnées plusieurs fois avant la construction du nouveau palais archiépiscopal, le palais Rohan. Des travaux ont été effectués dans la salle des archives en 1762 et 1763 : on blanchit la pièce et on employa un menuisier pour l’aménager [64]. Des boîtes furent achetées pour ranger les documents [65]. C’est à cette même époque que semble avoir été établi un système de classement élaboré et qui a laissé sa marque sur le registre du terrier. Sur la couvrure, à l’arrière du registre apparaissent les mentions suivantes : « Cab.1, Et. 3, Liasse 9 » qui correspondent à la cote du document au xviiie siècle [66]. Cette datation nous est permise grâce à la comparaison avec d’autres documents, notamment avec la table du registre de Philipparie, également issue du fond de l’archevêché, datant de 1748 et nous avons retrouvé le même système de cotation : « Cab. 6, Eta.5, n°2 » [67]. De même, sur une lettre concernant la ville de Belvès, datant de juin 1770, la cotation inscrite est la suivante : « Cab.1, Eta.3, Liasse 13, n°1 » [68]. La salle des archives était donc divisée en cabinets et dans ceux-ci chaque étagère était numérotée.
30Il est difficile en analysant si peu de documents de comprendre le système de classement qui prévalait au xviiie siècle mais nous pouvons remarquer que deux documents concernant Belvès et les châtellenies périgourdines sont stockés dans le même cabinet et sur la même étagère (Cabinet 1, Étagère 3). Mais en novembre 1778, le secrétariat, et probablement les archives, emménagèrent dans le nouveau palais archiépiscopal commandé par Mériadeck de Rohan [69]. Le terrier de Blaise de Gréelle est lui aussi transporté en ce lieu. Nous ne savons pas où se trouvait exactement la salle des archives mais elle devait être à l’image du palais Rohan [70]: spacieuse et majestueuse. À la Révolution française, le palais fut très vite investi et, dès 1791, il est fait hôtel du département [71], puis tour à tour préfecture, palais impérial, château royal pour devenir en 1835 ce qu’il est encore aujourd’hui, l’hôtel de ville [72]. Malgré une loi de 1795, instituant la création d’archives départementales, elles ne suscitèrent que peu d’intérêt. On les déplaça en de nombreuses occasions, parfois dans des conditions déplorables, « les jetant par les fenêtres pour aller plus vite » [73]. Il faut attendre 1866 et l’inauguration des Archives départementales de la Gironde pour qu’enfin les archives de l’archevêché retrouvent une place. Il fallut encore quelques décennies pour les voir inventoriées par le chanoine Allain, inventaire qui est encore l’outil de base pour toute recherche concernant l’archevêché de Bordeaux [74]. Le registre du terrier porte également les marques de cette époque. Une nouvelle cote y fut inscrite : « G177, Belvez ».
31C’est un « voyage » tumultueux qu’a effectué ce terrier dans le temps. Il nous permet d’avoir un témoignage, utile et original, de la prise de pouvoir d’un Français, qui utilise l’écrit comme acte de pouvoir et où la langue, le français, devient une démonstration de cette domination, nouvellement acquise en Périgord au xve siècle.
274. 10 août 1462. Le terrier de l’archevêque de Bordeaux
32Source : Arch. dép. Gironde, G 177.
33Pour une meilleure lisibilité nous avons ajouté pour chaque tenancier son nom placé en titre et gras au début de chaque déclaration. Nous avons respecté la présentation du manuscrit et édité les annotations présentes dans les marges.
34Certains mots sont restés mystérieux voir illisibles à nos yeux. Les mots de lecture incertaine sont entourés de parenthèses : (Le Greix). Ceux que nous n’avons pu transcrire que partiellement sont également entourés de parenthèses (…erte). Les termes que nous n’avons pas du tout réussi à transcrire sont présentés ainsi : (…). Certaines parties du texte ont été effacées avec le temps, elles sont marquées par ce signe : « * ».
35Nous avons traduit en note certains mots occitans importants qui sont essentiels à la compréhension du texte.
Pierre Miquel [75] [76] [77] [78] [79] [80] [81] [82] [83] [84] [85] [86] [87] [88] [89] [90] [91] [92] [93] [94] [95] [96] [97] [98] [99] [100]
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Mots-clés éditeurs : Périgord, français, archevêque de Bordeaux, terrier, pouvoir, écrit, occitan
Date de mise en ligne : 27/12/2012.
https://doi.org/10.3917/hsr.038.0153Notes
-
[1]
Boutruche, 1963, p. 247.
-
[2]
Au sud du département de la Dordogne.
-
[3]
Renouard, 1965, p. 538.
-
[4]
Thomas, 1879, p. 330-333.
-
[5]
Corbin R., 1888, p. 244-245.
-
[6]
Vigié, 1910, p. 37.
-
[7]
Vigié, 1990, p. 131.
-
[8]
Higounet-Nadal, 1983, p. 149.
-
[9]
Arch. dép. Gironde, G185 et G186.
-
[10]
Ibid., G177.
-
[11]
Fossier, 1978, p. 51.
-
[12]
La foliotation en chiffres romains débute au numéro 38 correspondant au numéro 1 de la foliotation en chiffres arabes et s’achève au numéro 157 correspondant au numéro 117 de la foliotation en chiffres arabes.
-
[13]
Nous utilisons la foliotation en chiffres arabes, plus récente et continue, pour citer le document.
-
[14]
Un feuillet est manquant.
-
[15]
Un feuillet est manquant.
-
[16]
Arch. dép. Gironde, G177 folios 25, 31, 32, 37, 38, 40, 41, 42, 46, 49, 50, 51, 52, 55, 58, 59, 62, 64, 65, 67, 69, 70, 72, 73, 75, 78, 81, 82, 85, 87, 90, 96, 97, 99, 100, 101, 104, 105, 108, 109, 113, 116, 117, 118, 119, 120.
-
[17]
Ibid., folios 2, 3, 9, 10, 11, 12, 18, 22, 23.
-
[18]
Arch. dép. Gironde, G177 folios 28 et 29.
-
[19]
Ibid., folio 1.
-
[20]
Briquet, 1907, p. 658.
-
[21]
Nicolaï, 2006, p. 247.
-
[22]
Arch. dép. Gironde, G177, folios 10, 11 et folios 31, 32.
-
[23]
Ibid.
-
[24]
Fossier, 1978, p. 15.
-
[25]
Fournier, 2002, p. 9.
-
[26]
Fossier, 1978, p. 47.
-
[27]
Fournier, 2002, p. 12.
-
[28]
Bauchet-Cubadda, 2002, p. 200.
-
[29]
Angers, 2002, p. 24.
-
[30]
Ibid., p. 25.
-
[31]
Bonnefond, 1972, p. 113.
-
[32]
Ibid., p. 113-114.
-
[33]
Vigié, 1990, p. 76-77.
-
[34]
Bonnefond, 1972, p. 117-121.
-
[35]
Ibid., p. 121.
-
[36]
Vigié, 1990, p. 89-103.
-
[37]
Éloquin, 2008-2009, p. 29.
-
[38]
Bonnefond, 1972, p. 117.
-
[39]
« Étrangers » en langue d’oc.
-
[40]
Bonnefond, 1972, p. 122.
-
[41]
Fournier, 2002,p. 21-22.
-
[42]
Angers, 2002, p. 25.
-
[43]
Bauchet-Cubadda, 2002, p. 201.
-
[44]
Muzerelle, 1985 [En ligne] http://vocabulaire.irht.cnrs.fr/pages/vocab1.htm
-
[45]
Levêque, 2008, p. 15.
-
[46]
Bec, 1963, p. 73.
-
[47]
Brun, 1923, p. 113.
-
[48]
BnF, nal, n°1922.
-
[49]
Fossier, 1978, p. 45.
-
[50]
Bec, 1963, p. 83.
-
[51]
Bourciez, 2004, p. 25.
-
[52]
Bec, 1963, p. 81-83.
-
[53]
Brun, 1923, p. 95.
-
[54]
Ibid., p. 113.
-
[55]
Ibid., p. 116.
-
[56]
Arch. dép. Gironde, G185, n°19.
-
[57]
Angers, 2002, p. 31.
-
[58]
Arch. dép. Gironde, G177, folio 1r.
-
[59]
Ibid., folios 25r, 29r, 31r, 33r, 36r, 37r, 39v, 41r, 42v, 45r, 77r.
-
[60]
Fossier, 1978, p. 50.
-
[61]
Angers, 1993.
-
[62]
Lannaud, 2009, p. 319.
-
[63]
Lavaud, 2009, p. 204.
-
[64]
Arch. dép. Gironde, G3324.
-
[65]
Ibid.
-
[66]
Ibid., G177.
-
[67]
Ibid., G185.
-
[68]
Ibid., G197.
-
[69]
Arch. dép. Gironde, G565.
-
[70]
Actuel Hôtel de Ville de Bordeaux.
-
[71]
Lavaud, 2009, p. 312.
-
[72]
Ibid., p. 314.
-
[73]
Betge-Brezetz, 1973, p. 54.
-
[74]
Allain, 1893.
-
[75]
Pierre.
-
[76]
Commune de Belvès, chef lieu du canton du même nom, Dordogne.
-
[77]
Serment.
-
[78]
Châtellenie.
-
[79]
Lieu.
-
[80]
Chevalier, noble.
-
[81]
Rue.
-
[82]
Terre rectangulaire à l’intérieur de la ville (terme utilisé dans les bastides).
-
[83]
Castrum de Belvès : partie la plus ancienne de la ville.
-
[84]
Jardin.
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[85]
Faubourg.
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[86]
Paroisse.
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[87]
Vigne.
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[88]
Chemin.
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[89]
Chapelain.
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[90]
Chapellenie.
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[91]
Abbaye.
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[92]
Abbaye cistercienne de Cadouin, commune de Cadouin, canton du Buisson-de-Cadouin, Dordogne.
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[93]
Frères Prêcheurs de Belvès.
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[94]
Mailles (monnaie).
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[95]
Commune de Sagelat, canton de Belvès, Dordogne.
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[96]
Fongauffier, village rattaché à la commune de Belvès, Dordogne.
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[97]
Manse.
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[98]
Pré.
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[99]
Sexterade ou sextérée.
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[100]
Rivière, ruisseau.
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[101]
Guillaume.
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[102]
Commune de Villefranche-du-Périgord (ancienne bastide), chef lieu du canton du même nom, Dordogne.
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[103]
Abbaye cistercienne de Cadouin, commune de Cadouin, canton du Buisson-de-Cadouin, Dordogne.
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[104]
Commune de Saint-Amand-de-Belvès, canton de Belvès, Dordogne.
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[105]
Commune de Rocamadour, canton de Gramat, Lot.
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[106]
Rature.
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[107]
Commune de Saint-Amand-de-Belvès, canton de Belvès, Dordogne. On remarque ici deux orthographes différentes pour le même nom.
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[108]
Paragraphe difficile à lire car certains passages sont presque effacés.
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[109]
Commune de Sagelat, canton de Belvès, Dordogne.
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[110]
Un espace blanc a été laissé.
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[111]
Rature.
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[112]
Rature.