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Article de revue

Colloques et Journées d'études

Pages 258 à 264

English version

Patrimoine et identité rurales, Seconde journée d’études « Mémoire et identité rurales », Le Puy-en Velay, 20 septembre 2003

1Comme pour « M.i.r. 1 », les actes seront mis en ligne sur le site de l’association d’histoire du village : http:// www. chez. com/ lpcornu/

2 Organisé par « Villanelle, Association d’Histoire du Village », ce colloque se tint le jour où, un peu partout, les curieux se pressaient sur les sites et monuments ouverts au public à l’occasion de la Journée du Patrimoine. La date et le cadre superbe de la Commanderie Saint-Jean fraîchement restaurée (prêtée par la municipalité du Puy) invitaient à parler du patrimoine. Terme dont le sens ne cesse de s’élargir. Il s’agissait d’étudier le rôle que peut jouer ce patrimoine dans la construction ou la reconstruction d’une « identité rurale ». Notion qui, encore plus élastique, « se perçoit mieux qu’elle ne se définit », comme le dit Lætitia Cornu, même dans une région où l’usage du patois se maintient avec vigueur. Les acteurs de cette journée avaient été recrutés, comme lors du premier colloque (M.i.r. 1) dans les milieux et professions les plus variés (compte rendu de la première journée d’études tenue à Angers en 2002 dans Histoire et Sociétés Rurales n° 17, 1er semestre 2002, p. 252-254). Entre universitaires et élus locaux, historiens et géologues, ethnologues et représentants du mouvement associatif, le dialogue s’établit sans peine et le public participa activement aux discussions. « Le mélange a pris », constata Antoine Follain à l’issue de la rencontre, entre les « penseurs de patrimoine » et les « bâtisseurs de patrimoine ». Les interventions peuvent être groupées sous trois rubriques.

3Comment a-t-on inventé le patrimoine rural ? Jean-Luc Mayaud rappelle tout d’abord que l’intérêt pour le patrimoine se fait jour dès le xix e siècle chez les savants et chez des érudits locaux qui collectèrent une masse impressionnante de documents écrits (Arnold Van Gennep, Robert-Henri Rivière) et d’objets (Musée des Arts et Traditions Populaires). Les géographes participèrent activement à cette quête (cf. les thèses de géographie régionale de la première moitié du xxe siècle). Le mouvement se modifia au cours des trois dernières décennies du xx e siècle. Les trente glorieuses s’achèvent, la confiance mise dans le progrès, l’industrie, la technique, fléchit. Le public se tourne vers les campagnes, comme en témoigne le succès d’ouvrages comme Le Cheval d’Orgueil. Répondant à cette demande sociale, les ethnologues lancent de grandes enquêtes sur des villages ou des « pays », les historiens se partagent l’hexagone en régions dont ils scrutent le passé pour en tirer une nouvelle génération de thèses. En même temps, comme l’explique Annie Bleton-Ruget, la manière de se référer au passé a changé. À côté du modèle historique, qui s’insère dans des cadres valables pour toute la France, se développe le modèle ethnographique, qui étudie un passé sans dates, qui collecte des traditions sans se soucier de leur contexte, et qui expose ses résultats dans les écomusées, comme celui de la Bresse Bourguignonne dès les années 1970. La littérature agrarienne est un cas particulier de l’histoire du patrimoine. Elle est en effet devenue, comme le montre Pierre Cornu, partie intégrante de ce patrimoine et elle contribua puissamment à cristalliser les identités régionales. Maurice Barrès et René Bazin lui donnèrent d’emblée l’idéologie qui resta la sienne : refus de la civilisation urbaine, volonté de prouver que l’auteur connaît intimement la terre, les outils, les pratiques et les croyances de sa région. Cette littérature a de fortes affinités avec l’idéologie de la droite, qui se reconnaît en Henri Pourrat, déjà entre les deux guerres, puis au temps de Vichy. Bien que Pourrat ait acquis sa légitimité littéraire sur la scène parisienne, bien qu’il écrive en français et non en patois, son audience fut grande chez les déracinés regrettant le pays, chez les enfants de paysans immigrés en ville. Pourrat est devenu un monument inamovible du patrimoine auvergnat. Les cars promènent les touristes « sur les pas de Gaspard des Montagnes » dans le Parc Régional du Livradois-Forez. On oublie qu’à l’époque du héros, le Livradois avait un paysage bien différent de celui que lui a donné le reboisement opéré dans la seconde moitié du xxe siècle.

4 Qu’ajoute-t-on de nos jours à ce patrimoine ? Les historiens sont accusés, paraît-il, de vouloir tout patrimonialiser. Ils n’ont pas l’exclusivité de ce penchant, comme le montrent les deux exemples qui suivent. Jean-Noël Borget rappelle que dès 1750 des géologues commencèrent à étudier les reliefs volcaniques de l’espace qui forme les actuels départements de l’Ardèche et de la Haute-Loire. Ces formes originales, d’une grande variété, constituent des paysages dont la saisissante beauté laissa longtemps indifférents les habitants. Depuis 1995 est entré en application un programme de valorisation parti des universités et des musées. Il consiste à étudier certains sites choisis, puis à leur donner l’équipement nécessaire (sentiers balisés, cartes, visites guidées, etc.) pour attirer les touristes ainsi que les écoles. Lac d’Issarlès, coulée de Chilhac, volcan de Langeac avec ses anciennes carrières, et d’autres sites encore, font partie de ce programme. Tout projet doit avoir des retombées économiques, touristiques ou pédagogiques. Mais la patrimonialisation du paysage fait surgir des problèmes nouveaux, car elle paraît introduite d’en haut (cf. le Gerbier de Jonc). Le recours aux associations locales, comme on le verra plus loin, est sans doute le meilleur moyen d’éviter les conflits entre propriétaires des sites et organisateurs de visites, entre promoteurs venus d’ailleurs et population locale. La lentille verte du Puy peut-elle contribuer à fixer une identité régionale ? La première trace écrite de sa culture en Velay date de 1630. Cette légumineuse a fait l’objet d’une savante étude par Jean-René Mestre (Jean-René Mestre, La Lentille verte du Puy, une aoc particulière, Saint-Julien-Chapteuil, éditions du Roure, 2002, 253 p., compte rendu dans Histoire et Sociétés Rurales, n° 18, 2e semestre 2002, p. 236-237). Les qualités alimentaires de la lentille verte « anicia », rappelle l’auteur, ne sont point dues au sol mais au climat. Plante d’origine méditerranéenne, la lentille a besoin d’un été chaud et sec. Or dès la fin du mois de juin, le fœhn qui descend des montagnes méridionales sur le plateau vellave lui assure le microclimat souhaitable. Son prestige est grand : c’est la première légumineuse qui ait obtenu une aoc (1996). Elle joue un rôle important dans l’économie rurale. Un hectare de lentilles rapporte trois ou quatre fois plus qu’un hectare de céréales. Aussi la nouvelle vedette bénéficie-t-elle d’un engouement bien orchestré. Point de fête au village sans des marmitées de lentilles décorées de saucisses. Mais ce phénomène est-il du patrimoine ou du marketing ? Les 88 communes de l’aoc n’ont que la lentille comme trait d’union et il n’y a jamais eu au Puy de « maison de la lentille ».

5 Comment gérer ce patrimoine de manière à conforter l’identité rurale ? Deux élus locaux firent part d’expériences menées à des niveaux différents. Franck Brechon, maire d’une commune ardéchoise, intervint comme membre du Conseil Syndical du Parc Régional des Monts d’Ardèche. Gérard Rivet, adjoint au maire d’une commune vellave, préside l’association « Mémoire pour Demain ». Le Parc des Monts d’Ardèche est un des rares exemples de parc contenu dans un seul département. Ses 132 communes, qui rassemblent 56 000 habitants, ont en commun partage la raideur des pentes, ce qui en fait un espace fragile, difficile à gérer et où se poursuit la déprise. La protection du patrimoine fait partie des cinq priorités inscrites dans la charte fondatrice. Mais il ne s’agit pas d’une « mise sous cloche ». Le conseil se donne pour règle d’associer recherche et mise en valeur. Témoins les actions en cours de réalisation, dont la plus connue concerne la châtaigneraie (musée à Joyeuse, relance de la culture, projet d’école). Un plan du même genre concerne les variétés fruitières anciennes (avec production de jus de fruits). On peut citer aussi la recherche sur les terrasses de culture, dont certaines pourraient accueillir la pomme de terre, et le château de Brion (au Cheylard-d’Ardèche) où les fouilles archéologiques furent dès le début accompagnées d’une ouverture au public (sentiers fléchés, panneaux explicatifs, conférences, etc.). Par ailleurs le conseil veille à impliquer les habitants, leurs élus, leurs associations. Il s’agit, autant que possible, non pas de faire mais de faire faire. Ce qui suppose une dose considérable de dynamisme et de dévouement à tous les niveaux.

6 La « communauté de communes du Mézenc » s’efforce de retrouver son unité sur les pentes du massif que l’histoire a partagées entre deux cantons (Cantons de Faÿ et du Monastier-sur-Gazeille). Entreprise qui rencontre de grosses difficultés dues à des conditions naturelles très rudes, mais aussi à l’évolution du peuplement.Le nombre croissant des « néo-ruraux » fait craindre pour « l’identité collective » et génère des problèmes inédits. Ainsi la commune du Monastier-sur-Gazeille compte actuellement 4 agriculteurs et 32 actifs non agricoles. Mais le déneigement des routes commence toujours par les fermes… Municipalités et associations lancent des actions qui ont un pouvoir fédérateur très efficace. Par exemple l’initiation à la musique, qui est une réussite (plusieurs centaines de pratiquants de tous niveaux, un festival des cuivres chaque année). La fête du seigle relance la culture de cette céréale dont la paille est indispensable à l’entretien des toits de chaume. Pour étayer le succès du « chemin de Stevenson », on s’efforce de promouvoir l’élevage des ânes. Bien que « faire des projets » ne fasse pas partie des traditions locales, élus et bénévoles lancent des entreprises conçues de manière à ne point faire « perdre son âme » au petit pays des pentes du Mézenc. Matériel et spirituel, fait de sites et d’idées, d’architectures et d’écrits, de valeurs monnayables et de valeurs morales, le patrimoine tend à grossir indéfiniment. Ce faisant il aide à découvrir ou à définir l’identité rurale sans toujours se confondre avec elle. Sa gestion requiert un équilibre à trouver entre les interventions du dehors (ministères, instances scientifiques, etc.) et les initiatives locales. Car chaque action comporte des risques. Dans le premier cas, risques de désappropriation et de dénaturation, dans le second, risque de pullulement de tentatives sans lendemain. Dans l’état actuel des choses, la mise en valeur du patrimoine repose pour une bonne part sur le mouvement associatif et le bénévolat. Elle est portée aussi par l’engouement d’un large public pour tout ce qui est rural, par la mode du tourisme vert qui retient les Français en France, par la place démesurée des loisirs, par le goût de la randonnée, etc.

7Cette seconde réunion, qui donnait la parole à des orateurs très différents, a clarifié des notions au départ assez floues. Elle est aussi le point de départ d’une autre phase pour l’association « Villanelle » : la mise en ligne des ses activités.

8Marie-Thérèse Lorcin

Les 10 ans d’Histoire et Sociétés Rurales. Journée anniversaire, tenue à la Maison de la Recherche en Sciences Humaines de Caen le vendredi 3 octobre 2003

9« D’habitude à l’université, on honore ceux qui partent. Fêter un anniversaire est une manifestation beaucoup plus rare », disait Philippe Madeline dans son propos de clôture. C’est dire si la circonstance est exceptionnelle. « Dix ans déjà ! Dix ans hardiment espérés par les créateurs de cette revue qui embrasse les continents et les siècles, hardiment, paisiblement » (Pierre Goubert, 7 septembre 2003). « Longue vie à l’Association d’Histoire des Sociétés Rurales ! » (Jacques Dupâquier, 2 septembre 2003). Deux témoignages reçus à l’occasion des dix ans d’Histoire et Sociétés Rurales, parmi ceux de Pierre Barral, Pierre Brunet, Robert Fossier, Pierre Toubert…

10 L’assemblée générale annuelle de l’Association d’Histoire des Sociétés Rurales s’est tenue le vendredi 3 octobre 2003, à la maison de la Recherche en Sciences Humaines de l’Université de Caen, au siège même de la revue. M. le Ministre de l’Agriculture, de l’Alimentation, de la Pêche et des Affaires rurales, représenté par Didier Houguet, avait bien voulu parrainer ce dixième anniversaire. Une cinquantaine d’adhérents étaient présents. La matinée fut normalement consacrée aux travaux ordinaires de l’association : rapport moral par le secrétaire, Pierre Jaillette, accompagné en la circonstance par son adjoint, Pierre-Yves Laffont ; bilan financier par le trésorier, Christophe Maneuvrier ; état des publications par Jean-Marc Moriceau ; le point sur les activités scientifiques en cours, en particulier sur le colloque « Transhumance, estivage et déplacement des troupeaux » qui se tiendra à Flaran en septembre 2004.

11Après le déjeuner servi au restaurant universitaire, l’après-midi fut partagée entre deux tables rondes :

12• « Autour d’Histoire et Sociétés Rurales : l’histoire dans les revues ruralistes (public, thématique et orientations actuelles) », sous la présidence de Joseph Goy, avec la participation de Carmen Bernand (Études Rurales), Jean-Luc Mayaud (Ruralia) et Jean-Marc Moriceau (Histoire et Sociétés Rurales). La discussion fut précédée de la projection d’un montage audiovisuel réalisé par le Pôle Sociétés et Espaces Ruraux qui présentait une première rétrospective (1993-2002) de l’association et de sa revue, bientôt consultable sur le site internet.

13 • « L’histoire rurale en France… Dix ans après. Bilans sectoriels et thématiques ». Après la projection d’un second montage réalisé à partir de l’exposé de Jean Jacquart à Rennes, en 1994, sur « Les grandes étapes de l’histoire rurale française », les quatre intervenants ont fait le point sur les thèmes suivants : « Où en est l’archéologie rurale aujourd’hui ? » (Anne Nissen-Jaubert), « Démographie et histoire rurale » (Jacques Dupâquier), « Le paysage rural en histoire » (Annie Antoine), « Les chantiers de l’histoire contemporaine sur les campagnes » (Nadine Vivier). La présidence était assurée par Jean-Michel Boehler.

14Des discussions fructueuses ont suivi chacun des exposés. Pendant toute la durée des travaux, les participants ont pu visiter les espaces d’exposition installés dans le hall d’entrée de la mrsh et consacrés à la presse rurale, ou s’attarder aux stands des publications de l’ahsr et du Pôle Sociétés et Espaces Ruraux de la mrsh de Caen, qui reprenait en particulier les travaux du Centre de Recherche sur la Vie Rurale (cervir), dirigé par Pierre Brunet puis Roger Calmès.

15 À 19 h 45, se déroulait la cérémonie officielle, avec les interventions de Philippe Madeline, co-responsable du Pôle Sociétés et Espaces Ruraux, de Philippe Fleury, directeur de la mrsh de Caen, du représentant du ministre de l’Agriculture, et de Jean-Marc Moriceau, directeur d’Histoire et Sociétés Rurales. Ce dernier a remercié tous ceux qui ont œuvré au succès de l’Association et de sa revue : les soutiens institutionnels de la mrsh, de l’université de Caen et du ministère de l’Agriculture ; l’imprimerie igs et les Presses universitaires de Rennes représentées par leur directeur Pierre Corbel ; les membres du Bureau et du Conseil d’administration de l’Association, ceux du Conseil scientifique et du Conseil de rédaction de la revue ; Roger Calmès, Pierre Brunet et Philippe Madeline qui ont arrimé la géographie à l’histoire rurale… sans oublier Céline Chuiton, Catherine Schlusselhuber et Patrice Lajoye qui ont assuré l’accueil, la réalisation de l’exposition et les montages audiovisuels. Il ne restait plus aux participants qu’à se retrouver autour du buffet.

16Faire un bilan de cette journée s’avère bien difficile, tant ont été riches les différentes interventions. En dehors du bilan, satisfaisant sans autosatisfaction, dressé sur le nombre d’adhérents et d’abonnements, les activités et les finances de l’Association, on retiendra quelques éléments. D’abord les deux montages audiovisuels sur la revue et l’exposé de Jean Jacquart qui dressait, il y a maintenant presque dix ans, un remarquable état de la recherche en histoire rurale et évoquait les pistes qu’il convenait de labourer et qui ont été largement suivies par les chercheurs ruralistes. Qu’on en juge !

17 Fondée en 1993 par un groupe de jeunes historiens parrainés notamment par le regretté Jean Jacquart, l’Association d’Histoire des Sociétés Rurales a vu officiellement le jour le 22 mai 1993, dans l’amphithéâtre Dussane de la rue d’Ulm. Les 63 présents – dont 13 étaient à Caen ce vendredi 3 octobre – ont totalement souscrit au projet présenté alors par Jean-Marc Moriceau et élu un Conseil d’administration qui a pris en charge les destinées de la toute jeune association. L’objectif affiché était de prolonger, tout en la renouvelant, la grande réputation de l’école ruraliste française animée par Marc Bloch, Fernand Braudel, Pierre Goubert, Jean Jacquart, Emmanuel Le Roy Ladurie, entre autres. Il ne s’agissait pas de refaire une histoire rurale telle qu’ils l’avaient conçue, en particulier autour de grandes monographies régionales, mais d’élargir leur propos à tous les aspects et à toutes les périodes de l’histoire rurale. Depuis, que de chemin parcouru ! L’Association réunit son assemblée générale chaque année. Elle fait paraître sa revue, Histoire et Sociétés Rurales, à raison de deux numéros par an. Celle-ci s’est imposée comme l’une des principales revues de référence consacrées aux questions rurales dans le domaine francophone. Et le rythme de parution ne s’est pas démenti. Chaque semestre, c’est en moyenne un volume – remarquablement présenté – de 250 à 300 pages (avec un record à 416 pour le n° 3) qui est offert aux abonnés. Du Néolithique à la période contemporaine, la revue se veut également un lien entre l’étude du passé et l’analyse des problèmes actuels du monde rural, comme l’aménagement du territoire, l’environnement, les nouveaux ruraux… Elle accueille également les diverses disciplines concernées par l’étude du monde rural, de la sociologie à l’archéologie, de la zoologie à la botanique. Et elle fait une large place aux chercheurs étrangers, du Mexique à la Chine, de l’Angleterre à l’Espagne… À la présentation des articles de fonds (cinq à six en moyenne), il convient d’ajouter la publication de sources ainsi qu’un volumineux corpus de comptes rendus d’ouvrages et d’instruments de travail, sans oublier les colloques et les soutenances de thèse. L’Association d’Histoire des Sociétés Rurales édite également une collection d’ouvrages, la Bibliothèque d’Histoire Rurale dont le volume n° 7, consacré aux Contrats agraires de l’Antiquité à nos jours (Actes du colloque de Caen, 1997) vient de paraître.

18 La liste des publications ne serait pas complète si l’on n’y ajoutait Enquêtes Rurales, Cahiers de la mrsh de Caen, dirigés par Jean-Marc Moriceau et Philippe Madeline, qui prolongent ainsi l’activité de leur séminaire mensuel du pôle Sociétés et Espaces Ruraux. Cette présente année, les conférences données à Caen portent sur les « Acteurs et espaces de l’élevage en Europe de l’Antiquité aux débats actuels ». Depuis 1996, Enquêtes Rurales a publié 9 numéros. Le dernier, Réinterroger la France rurale. Huit chercheurs ouvrent leurs frontières, rassemble des études s’appuyant tout aussi bien sur l’anthropologie que l’archéologie, sans oublier l’histoire et la géographie. Le travail du pôle Sociétés et Espaces Ruraux – désormais « Pôle Rural : Sociétés, Environnement, Espaces Ruraux » – ne s’arrête pas là. Faisant travailler ensemble des historiens de toutes périodes, des géographes de diverses spécialités, des archéologues, des sociologues, des linguistes… sur les questions rurales, il est aussi ouvert sur les disciplines des sciences de la nature. Il mène des activités de recherche collectives, comme son programme « Transformations rurales du Pays d’Auge autour du village-observatoire de Camembert, de l’an Mil à l’an 2000 », et fournit un cadre de référence aux travaux d’étudiants de maîtrise, dea et thèse. Toutes ces publications bénéficient du concours du Centre du Recherche d’Histoire Quantitative (crhq) de l’université de Caen, dirigé par Bernard Garnier, et de ses cartographes successifs, en particulier Maguy Desgardin.

19Enfin, on n’aurait garde d’oublier la mise en place du site internet de l’Association (www. unicaen. fr/ socrurales ) et l’organisation de nombreux colloques : Rennes, 1994 (L’Histoire rurale en France) ; Auxerre, 1995 (Les Campagnes bourguignonnes dans l’histoire) ; Caen, 1997 (Les Contrats agraires de l’Antiquité à nos jours) ; Paris, 1998 (Terriers et plans-terriers du xiiie au xviiie siècle) ; Le Pradel, 2000 (Autour d’Olivier de Serres) ; Le Mans, 2003 (Histoire rurale comparée France-Angleterre).

20Lors de la présentation des trois grandes revues rurales à la première table ronde, les animateurs ont insisté sur leur lectorat, les thématiques et les orientations actuelles, et fait apparaître les complémentarités plus que les rivalités de ces publications qui n’ont pas les mêmes préoccupations. Ruralia affiche une approche plus sociopolitique et privilégie la période contemporaine. L’ethnologie est davantage au centre des préoccupations d’Études Rurales qui ne néglige pas pour autant l’histoire et la géographie.

21 La seconde table ronde a mis en évidence les grandes tendances de la recherche en histoire rurale. Anne Nissen-Jaubert a bien montré tout l’intérêt de l’archéologie rurale, qui a connu une évolution exponentielle dans le cadre des fouilles préventives, durant ces dernières décennies. Son apport est à la fois quantitatif, par le nombre de sites fouillés, mais aussi qualitatif par les superficies étudiées qui permettent de connaître l’organisation de l’habitat. Elle a remarqué par ailleurs que durant les quinze dernières années la contribution des recherches paléoenvironnementales éclaire les rapports entre les sociétés rurales et la gestion de leur espace. En dehors des périodes les plus anciennes (Protohistoire et Antiquité), il devient évident que le haut Moyen Âge, loin d’être une simple parenthèse, a joué aussi un rôle décisif dans la configuration des territoires ruraux.

22Jacques Dupâquier a fort logiquement insisté sur la difficile mais nécessaire rencontre entre la démographie historique et l’histoire rurale. Rappelant les travaux initiateurs de Michel Fleury et Louis Henry, et l’enquête nationale menée sur la France de Louis XIV à 1829, il a montré comment les 700 monographies de communes avaient permis de connaître la démographie de la France d’Ancien Régime. Mais la méthode utilisée de reconstitution des familles a pu donner l’impression d’une France immobile. Il a fallu passer du cadre communal à la famille en s’appuyant sur la généalogie, mais en tenant compte du fait que l’étude ascendante aboutit à une surreprésentation des familles aisées, alors que l’étude descendante couvre une population plus étendue et plus diverse, mais doit prendre en compte l’extinction des familles (un tiers de familles survivantes en 1914 par rapport à 1800). Sollicité par Emmanuel Le Roy Ladurie, Jacques Dupâquier a estimé que l’on s’appuyait exagérément sur la courbe des prix pour justifier l’évolution de la population, et que l’on accordait trop d’importance aux céréales et pas assez aux autres productions agricoles, aux jardins en particulier.

23Annie Antoine a évoqué la prise en compte récente de l’espace et de l’environnement par les historiens. Elle a rappelé brièvement les liens anciens existant en France entre historiens et géographes, qu’il s’agisse de la pratique des géographes « humanistes » du début du xx e siècle qui développaient toujours la profondeur chronologique de leurs travaux, ou bien du rôle de l’École des Annales dans la prise en compte par les historiens de « l’épaisseur de l’espace » (travaux de Fernand Braudel ou Pierre Chaunu). Si le bilan qui avait été dressé de l’histoire rurale en France lors du colloque de 1994 ne faisait pas une large place au traitement de l’espace, c’est que les travaux intégrant cette donnée n’avaient pas été les plus nombreux dans les décennies précédentes, dominées par l’histoire économique et sociale puis par l’histoire culturelle. L’analyse des quelque 800 recensions d’ouvrages, de colloques et de soutenances de thèses parues dans Histoire et Sociétés Rurales depuis sa création montre que la situation a changé considérablement. L’espace est pris en compte maintenant dans la plupart des travaux ayant trait à l’histoire rurale. Les éléments les plus novateurs en ce domaine sont largement dus aux archéologues et à tous les historiens qui partagent avec eux des préoccupations communes, qu’il s’agisse des travaux sur les paléo-parcellaires, sur les environnements anciens et la dynamique des paysages, ou encore sur les reconstitutions paysagères.

24 Nadine Vivier a mis l’accent sur le nécessaire décloisonnement des disciplines et la remise en cause, pour l’époque contemporaine, de schémas simplistes accusant le monde paysan d’immobilisme et de soumission envers les notables. Les Légitimistes, contraints à l’exil intérieur, n’ont-ils pas magnifié leur rôle historique et social dans les progrès agricoles ? Elle a également insisté sur le renouvellement des travaux historiques ruralistes vers de nouveaux chantiers : les productions non céréalières, les zones humides, le financement de l’agriculture, l’entrée des paysans en politique, le rôle du clergé et des femmes… Serge Bianchi a fait remarquer que la Révolution a souvent disparu des préoccupations des ruralistes, alors qu’elle est souvent à l’origine de nombreux comportements ultérieurs. Pour Jean-Luc Mayaud, le second xxe siècle est par trop négligé par les historiens qui laissent mourir la mémoire orale.

25Qu’il soit permis, pour finir, de remercier et féliciter tous ceux qui ont permis la bonne tenue de cette journée anniversaire. En attendant le franchissement du « cap de l’adolescence » (Philippe Madeline) ou « les noces d’argent » (Pierre Goubert), il reste à poursuivre le travail initié il y a dix ans et souhaiter donc longue vie à l’Association d’Histoire des Sociétés Rurales comme à sa revue.

26Bernard Bodinier

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