1La contestation de la représentativité des représentants élus est une vieille antienne. Bien qu’elle emprunte des voies diverses, son fondement reste le même : à rebours des principes fondant la démocratie représentative, la légitimité des assemblées élues ne pourrait procéder que d’une similarité de composition entre celles-ci et la société prise dans sa totalité. Dernièrement, dans le cadre de discours diagnostiquant l’existence d’un conflit des générations, c’est l’âge moyen des députés français qui a été présenté comme la marque de leur décalage d’avec la population française.
2La possibilité d’accéder aux dates de naissance des membres de « chambres basses » (Bundestag, Congreso de los diputados, Drzavni zbor) ou d’assemblées uniques (Riksdagen) de certains pays européens (respectivement : l’Allemagne, l’Espagne, la Slovénie et la Suède) permet d’apporter des éléments de comparaison aux discours qui considèrent que l’Assemblée nationale serait « mal composée ».
Des chiffres trompeurs
3Bien que frappant, l’âge moyen des représentants aujourd’hui ne permet pas réellement d’estimer la représentativité des représentants élus. En premier lieu, il convient de le calculer en début de législature. En effet, l’âge moyen d’une assemblée dont la composition reste fixe s’accroît mécaniquement d’un an par année, tandis que l’âge moyen de la population évolue annuellement en fonctions des trois composantes de la démographie (naissances, décès et âge moyen des décès, solde migratoire et âge moyen des immigrants). En second lieu, il ne permet que de comparer les âges moyens des assemblées les uns avec les autres, les statistiques internationales en matière d’âge moyen des populations faisant défaut.
4C’est pourquoi il est préférable d’utiliser l’âge médian, tant de la population (données issues de la révision effectuée en 2006 des World Population Prospects édités par le Département des affaires économiques et sociales de l’ONU) que des assemblées (calcul effectué au sein du Centre d’analyse stratégique). L’âge médian est celui qui partage les groupes étudiés en deux parties égales : 50% des individus ont un âge supérieur à celui-ci, 50% sont plus jeunes. Les résultats obtenus figurent dans le tableau n? 1, en annexe.
5La situation française semble spécifique. L’Assemblée nationale est ainsi caractérisée par des membres d’un âge médian supérieur à celui de tous les autres pays étudiés. De plus, avec une population relativement plus jeune que celle des autres pays, deux effets se combinent pour faire de l’écart entre âge médian des députés et âge médian de la population française l’écart le plus important des cinq pays étudiés.
6Il convient de ne pas attribuer une trop grande importance explicative à l’âge minimal requis par la loi électorale pour faire acte de candidature. La France se caractérise par une différence entre l’âge de l’éligibilité (23 ans pour la députation) et l’âge conférant la qualité d’électeur (18 ans). Dans les quatre autres pays, l’âge pour élire et l’âge pour être élu est le même. Toutefois, dans aucun de ces pays, un membre du Parlement n’a été élu à un âge inférieur à celui de 23 ans (un membre du Bundestag et une membre du Riksdagen ont été élus à cet âge précis).
Aucune des assemblées étudiées n’a la même composition par âge que la population qu’elle représente
7Déduire de cette situation que la représentation politique en France est affectée d’un biais « âgiste » particulièrement important est pourtant une conclusion trop rapide. Si l’on souhaite examiner la validité des contestations de la représentativité des assemblées, il convient en effet d’approcher de manière fine la composition des Parlements avant de la comparer à celle de la population. Les chiffres relatifs à l’âge de la population sont issus de données Eurostat.
8Les tableaux n? 2a-e en annexe indiquent respectivement la composition en pourcentage par tranche d’âge des Parlements étudiés, les pourcentages équivalents de la population d’abord en excluant les moins de 18 ans puis en les intégrant. Les chiffres entre parenthèses correspondent aux « manques » ou « surplus » de membres des assemblées relevant de cette catégorie par rapport aux chiffres concernant la population de plus de 18 ans. Ainsi, en Allemagne, il « manque » 101 Abgeordnete (sur 603 membres du Bundestag actuel) pour que la classe d’âge 18/30 ans soit présente dans les mêmes proportions au Bundestag et dans la population.
9Il peut être déduit en premier lieu de ces chiffres qu’aucune assemblée ne serait considérée comme représentative par les tenants d’une théorie faisant de la représentativité le caractère de ce qui est composé de manière identique. En effet, toutes ces assemblées voient au moins deux catégories d’âge clairement surreprésentées (51/60 ans dans tous les pays, 41/50 ans dans tous les pays sauf en France où ce sont les 61/70 ans qui sont en surnombre), pour lesquelles on constate un écart de plus de 50% entre le nombre de parlementaires effectivement élus et le nombre de parlementaires qu’une composition identique à celle de la population impliquerait et deux catégories qui sont sous-représentées dans les mêmes proportions.
10En deuxième lieu, l’exceptionnalité française se voit clairement atténuée. Si l’âge médian des députés français est marqué par une telle différence au regard de celui de la population prise dans sa globalité, ce n’est pas tant du fait d’une composition particulièrement biaisée à l’Assemblée nationale mais plutôt en raison d’une surreprésentation spécifique à la France de certaines catégories. Dans les quatre autres pays, une composition des chambres identique à celle de la population conduirait à fortement réduire le nombre d’élus de 41 à 60 ans. En France, ce sont les élus de 51/70 ans qui seraient en surnombre si l’on souhaitait que la chambre ait la même pyramide des âges que la population française. L’Assemblée nationale n’est donc pas « mal composée » mais marquée par une structure par âges qui diffère à la fois de la population française et des autres chambres basses en Europe.
Quelques explications générales à faire valoir
11La catégorie d’âge qui se trouve surreprésentée dans tous les Parlements étudiés est celle des 51/60 ans. Ce résultat n’est pas surprenant, parce que les mécanismes de la démocratie représentative obligent à prendre en compte les critères de sélection des candidats par les partis politiques en plus de ceux déterminant le choix des électeurs. Au moins deux éléments liés au déroulement des carrières politiques tendent dès lors à favoriser une surreprésentation de ce groupe d’âge.
12D’abord, l’existence de schémas de carrière assez longs avant d’être choisi comme candidat pour un mandat national peut expliquer en partie pourquoi la catégorie la plus jeune est sous-représentée. Quel que soit le profil de la carrière politique d’un individu, l’obtention d’un mandat électif national est tardive : consécutive à une implantation locale lente dans le cas de parcours « traditionnels », décidée après un exercice réussi de responsabilités exécutives nationales dans le cas de schémas de carrière « modernes ». Il n’entre pas dans le cadre de cette étude d’en apprécier la robustesse, mais ce type d’arguments pourrait peut-être expliquer pourquoi les femmes ont un âge moyen inférieur à celui des hommes dans presque tous les pays étudiés, sauf en Suède. En effet, leurs parcours politiques sont sans doute différents de ceux des hommes du fait, en partie, des mesures adoptées afin d’accroître leur place dans les instances représentatives. Dès lors, la durée de leur accès au statut de candidat peut être raccourcie.
13De plus, le choix de se porter candidat pour une élection, quelle qu’elle soit, implique des coûts liés à la campagne électorale mais également des coûts d’opportunité occasionnés par la renonciation temporaire à l’exercice d’une activité professionnelle. La stabilité financière acquise au fil du temps permet sans doute aux 51/60 ans de se porter plus souvent candidats à la députation que d’autres catégories d’âge qui n’ont pas encore suffisamment assuré leur situation professionnelle.
14Il apparaît donc que le caractère singulier de la situation française n’est pas à chercher dans une différence de composition particulièrement marquée entre la chambre basse de son Parlement et celle de la population mais dans une sur-représentation spécifique des 61/70 ans, quand les autres Parlements étudiés connaissent le même phénomène mais pour leurs membres âgés de 41 à 50 ans. Ceci peut être dû à des processus particuliers d’accession à la candidature en France, mais il n’entre pas dans le cadre de ce propos de discuter de telles assertions, qu’une étude sur les âges moyens des candidats permettrait éventuellement d’asseoir, sans pour autant les expliquer.
La force du mécanisme représentatif
15Considérer que l’Assemblée nationale est un Parlement trop âgé apparaît donc comme un argument excessif au regard des données disponibles. En effet, aucun Parlement en Europe n’est composé de manière identique à la population, et les 18/30 ans sont systématiquement sous-représentés.
16De plus, un biais de composition d’une Assemblée ne contribue pas nécessairement à orienter les décisions qu’elle adopte. Des études menées sur des partis politiques aux intitulés affirmant clairement leurs liens avec une classe d’âge concluent à un attachement certain aux mécanismes de la démocratie représentative.
17Ainsi, l’existence de partis faisant appel au critère de l’âge en Slovénie (le Parti démocratique des retraités slovènes et le Parti des jeunes slovènes) ne vise pas à répondre à une déception croissante de la population du fait d’une faible représentativité de l’assemblée slovène, la Drzavni zbor [1]. Il apparaît en effet que le parti des retraités, de même que celui des jeunes, a très vite décidé de rechercher les votes de tout l’électorat slovène, s’efforçant dès lors d’adopter un programme couvrant l’ensemble des besoins de la population. Ainsi, si le parti des retraités revendique un renforcement du système de protection sociale dans le pays, cette intensification de l’effort national de solidarité sociale est souhaitée pour l’ensemble de la population et pas simplement les plus âgés [2].
18De la même manière, en Israël, les mouvements de retraités n’ont jamais réussi à établir une base électorale suffisamment solide pour s’imposer à la Knesset [3]. Parmi les raisons invoquées figure la confiance qu’ont les personnes âgées dans les partis traditionnels pour incarner leurs revendications spécifiques relatives aux systèmes de retraite ou de soins.
En guise de conclusion : les implications du choix d’un mode de représentation.
19Il est fréquent d’expliquer la mauvaise, ou supposée telle, situation socio-économique d’un groupe spécifique par le fait qu’il soit proportionnellement sous-représenté au Parlement.
20Appliquée au critère de l’âge, cette contestation de la représentativité bute pourtant sur deux écueils. D’abord, la proximité des âges médians de l’assemblée et de la population peut masquer des biais de composition de même ampleur, comme les chiffres présentés ici permettent de le constater.
21Mais surtout, la démocratie représentative électorale repose sur la conviction que ni les caractéristiques individuelles du représentant ni celle de ses électeurs n’interfèrent avec les décisions qu’il adopte en tant que représentant de la Nation. Cette idée est illustrée très concrètement aujourd’hui, dans l’attachement de citoyens à des partis généralistes plutôt qu’à des mouvements représentant une seule catégorie d’intérêts, comme le souligne l’expérience slovène (et israélienne) de partis de retraités.
22Elle doit être rappelée à l’heure où certains croient pouvoir ôter au Parlement son caractère représentatif afin de le chercher dans la personne de chacun de ses membres, oublieux en cela de traditions politiques séculaires. Le choix des révolutionnaires français et américains a explicitement été celui d’une démocratie représentative électorale, ce qui exclut de donner une légitimité autre que celle issue des suffrages populaires aux représentants de la Nation. Les débats au sein de la Convention en France, la démonstration de Madison exposée dans le numéro 10 des Federalist Papers (23 novembre 1787) font partie des documents historiques prouvant que cette option a été préférée à d’autres, qui voulaient voir dans le Parlement une « miniature » de la société, ou qui proposaient un retour au système du tirage au sort utilisé dans certaines assemblées de la Grèce antique.
23Si selon Siéyès, « le peuple ou la nation ne peut avoir qu'une voix, celle de la législation nationale », il faut rappeler que cela exclut de voir dans ses décisions la somme des intérêts défendus par ses membres pris individuellement.
Annexes
Âges moyen et médian en début de législature des représentants élus et des populations des cinq pays étudiés
Composition par tranche d’âge des chambres basses et des populations des cinq pays étudiés
Calculs : avril 2007
Âges moyen et médian en début de législature des membres des chambres basses étudiées selon leur genre
Calculs : avril 2007
Âges médian et moyen des membres des partis représentés dansles chambres basses étudiées
Calculs : avril 2007