1Je suis originaire de Mossoul, en Irak, une ville jadis paisible, carrefour de civilisations, un havre de paix où se côtoyaient harmonieusement différentes religions monothéistes. Mais à cause de la bêtise humaine, la ville a changé : elle est devenue laide. Il semblerait que l’homme ait voulu tout mettre en œuvre pour anéantir ce que portait cette ville en histoire riche et millénaire. Les séquelles de cette guerre, qui fut terrible et meurtrière, sont visibles partout : maisons, immeubles et bâtiments sont délabrés ou ont été rasés, nombre de civils ont été tués et d’autres rendus handicapés à vie, et la ville se désemplit tragiquement. Le sens de l’humain semble avoir disparu à jamais. Cependant, malgré ce sombre tableau, l’espoir demeure.
2Le contexte de la guerre en Irak, avec toutes ses horreurs, avec tant de morts, de déplacés et de migrants qui ont quitté le pays, ne m’a pas laissé insensible. Quelle solution à ces drames humains, dont les séquelles sont nombreuses et indélébiles ? L’homme aspire à la paix. Continuer à travailler sur cette problématique des traumatismes par l’approche artistique parmi des personnes issues de régions en guerre m’a poussé à mener des recherches sur ce sujet.
3Après ma formation et de nombreux stages portant sur le développement personnel, la formation d’acteur, le training théâtral et la sophrologie, j’ai forgé mon esprit d’analyse et de projection dans les arts de la scène. En m’imprégnant des théories du théâtre autour des sujets de la thérapie de groupe et des individus par le biais de l’art, des connaissances de la psychanalyse et de la psychologie, je me suis posé la question de savoir comment le théâtre pouvait jouer un rôle dans le travail sur la personne et sur le groupe, en termes de « reconstruction et de développement ». Je ne pouvais pas soupçonner la capacité d’action du théâtre sur le changement des individus et des groupes. Je suis issu d’un pays, voire d’une région, qui a souffert des affres de la guerre, et le sujet qui m’intéresse donc tout particulièrement est la manière dont le théâtre, en tant que pratique vivante, peut être un outil pédagogique efficace pour la « reconstruction des personnes qui ont vécu le drame de la guerre ». Un sujet qui m’interpelle et me motive.
4Je me suis demandé ce que je pourrai faire à l’avenir en tant que metteur en scène de théâtre ? Cette interrogation est devenue une question d’existence, un rêve. Grâce à mon directeur de recherche Jean-François Dusigne, j’ai pu commencer une thèse intitulée « Les potentialités du travail théâtral comme facteur de reconstruction individuelle et collective dans un cadre post-traumatique ». Et grâce au programme PAUSE, je peux poursuivre la réalisation de ce rêve.
5Pour maintenir un équilibre entre la théorie et la pratique, je poursuis mes recherches à travers de nombreuses lectures tout en travaillant à la réalisation d’un projet artistique mettant en scène des comédiens européens aux côtés de réfugiées récemment arrivées en France. Depuis le début de l’année 2017, un groupe de comédiens – amateurs et professionnels, migrants et résidents français – s’est peu à peu constitué lors d’un travail d’ateliers prenant la forme d’un laboratoire hebdomadaire. Je propose des exercices issus de plusieurs disciplines, telles que le théâtre, la sophrologie et la programmation neurolinguistique (PNL), avec un groupe composé de personnes originaires de différents pays du Moyen-Orient (Irak, Iran, Liban, Syrie, Turquie), d’Asie du Sud (Afghanistan), d’Afrique du Nord (Algérie, Soudan), d’Europe (Espagne, France, Italie, Suisse) et d’Amérique du Nord (État de New York).
6Nous travaillons depuis 2017 en laboratoire expérimental interdisciplinaire et transculturel autour des questions de résilience et d’empathie au théâtre. Ce laboratoire a été initié dans le but de nourrir la dimension théorique des situations de migrations et des traumatismes de guerre, et d’en faire bénéficier dès à présent les participants et les publics.
7En partant des écrits et des notes pris après les sessions de travail et avec l’aide de deux écrivains et dramaturges irakiens reconnus dans le monde arabe, ce projet a été écrit – les textes « Couleurs de vies » de Nahid Ramadhani et « La pluie noire » de Talal Hassan – dans le but de témoigner de trajectoires qui ont été portées sur scène par le groupe.
8Ce travail préparatoire a suscité un travail d’improvisations exploratoires, ce qui fut nécessaire à la mise en place des séances de répétition qui ont permis de créer un vocabulaire commun. Il s’agissait également de mettre en place une pratique physique et vocale au moyen de nombreux exercices dont l’objectif était la mise en confiance, l’écoute, la présence, le rythme et le développement des capacités d’expression.
9Le laboratoire, lieu d’expérimentation, d’intégration sociale et d’échanges culturels (et souvent, de prise de conscience de la richesse culturelle propre à chacun), est avant tout un terrain collectif et individuel. Les questionnements particuliers viennent nourrir un objectif de création commune où les singularités de chacun s’expriment en composant une forme artistique unifiée.
10Les deux spectacles « Couleurs de vies » et « La pluie noire » ont été présentés le 23 septembre 2018 au Théâtre du Soleil, dans le bois de Vincennes. La création « Pluie noire » a été sélectionnée pour le festival d’Avignon et a été présentée du 18 au 23 juillet 2019.