Couverture de HOMI_1323

Article de revue

‪Résidence Frontières‪

Des réalisateurs au Palais

Pages 162 à 171

Notes

  • [1]
    Voir son portait ci-après.

Une collection

1La collection « Frontières » est issu d’une rencontre en 2013. Celle de deux structures avec la même envie de faire vivre les premiers films de jeunes réalisateurs sur une thématique aujourd’hui au cœur des débats de société.

2Le musée de l’histoire de l’immigration a ouvert en 2007 avec l’objectif de faire évoluer les regards et les mentalités sur l’immigration. L’exposition permanente Repères présente, dans une approche croisée des regards et des disciplines, deux siècles d’histoire de l’immigration : témoignages, documents d’archives, photographies et œuvres d’art se répondent au rythme d’un parcours historique et thématique qui relate les temps forts de l’histoire de France depuis le XIXe siècle.

3Quoi de plus parlant que le cinéma pour raconter ces parcours migratoires, cette richesse des cultures, cette douleur de l’exil, cette nécessité de garder une trace de ces parcours de vies qui s’effacent avec la disparition des personnes. Véritable trésor immatériel, ces témoignages sont précieux pour aborder les questions liées à la migration en insufflant de l’humain dans un phénomène trop souvent montré comme un flux organique déshumanisé.
Katia Usova pour le Groupe de recherches et d’essais cinématographiques (Grec) dirigé par Anne Luthaud, Stéphanie Alexandre et Lucile Humbert Wozniak pour le Musée se rencontrent en 2013, dans un premier temps pour recenser les films réalisés par le Grec. Cette structure aux origines prestigieuses a été créée en 1969 par Jean Rouch (cinéaste), Pierre Braunberger et Anatole Dauman (producteurs), en vue de développer la création de premiers films de court métrage. Le Grec a soutenu plus de 1 000 films et produit une vingtaine de films par an, permettant de découvrir de nombreux cinéastes. La collecte fait apparaître plus de 40 films sur les thématiques du Musée, parmi lesquels Seconde épouse de Manuela Frésil (1992), Embrasser les tigres de Teddy Lussi-Modeste (2004), Chroniques de Clément Cogitore (2006), La nuit remue de Bijan Anquetil (2012), Le jour où tu partiras d’Emma Benestan (2013), Jours intranquilles de Latifa Saïd (2016)…
L’idée première était de proposer une seconde vie à ces films, de vraies pépites, rarement éditées, qui, bien souvent, sans une nomination dans les festivals prestigieux retournent assez vite dans l’obscurité.

Une résidence

4Afin d’approfondir les relations entres les deux institutions, une résidence de réalisation au sein du Musée voit le jour. Son objectif est d’encourager les jeunes réalisateurs à travailler au cœur de cette institution, en mettant à leur disposition de nombreuses ressources matérielles et immatérielles (chercheurs, historiens, militants, associations, artistes) sur la mémoire des migrations. Cette résidence s’inscrit dans la volonté commune au Crec et Musée national de l’histoire de l’immigration de favoriser et valoriser des projets artistiques audacieux et innovants sur la thématique de l’immigration, en s’appuyant sur l’offre patrimoniale, muséale, documentaire, scientifique et culturelle du Musée.

5Durant cette résidence de six mois, le résident s’engage à finaliser l’écriture, préparer et réaliser un court métrage autour des thèmes de l’exil, de la migration ou des frontières. Sa proposition peut prendre des formes variées : fiction, documentaire, animation, expérimental, film d’art… Le résident doit produire un carnet de résidence en ligne, composé de vidéos, de textes, d’images, et d’denregistrements, afin de présenter régulièrement l’avancée de son projet diffusé sur les sites Internet du GREC et du Musée. Le résident propose également des ateliers au sein du Musée et y organise deux rencontres avec les invités de son choix (artistes, écrivains, réalisateurs, musiciens, historiens, scientifiques) autour du projet de résidence.

6Le prochain appel à projets est ouvert en septembre 2018.

« Les réalisateurs ont l’envie et le besoin de traiter le sujet de l’immigration »

7Entretien avec Katia Usova, coordinatrice de la résidence Frontières au sein du Groupe de recherches et d’essais cinématographiques (Grec), réalisé par Lucile Humbert Wozniak.

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Lucile Humbert Wozniak : En quoi cette résidence est elle différente de celles que vous menez habituellement ? Qu’avez vous appris aux contacts des réalisateurs et sur les sujets développés par le Musée ?
K. U. : Le Grec propose depuis plusieurs années des ateliers-résidences d’écriture en régions, mais celles-ci sont consacrées essentiellement à la réécriture du scénario d’un film court et durent deux semaines. La résidence du Musée a pour objectif la réalisation d’un film court produit par le Grec. Le Grec accompagne le réalisateur dans toutes les étapes de la réalisation de son film, jusqu’à la diffusion. Le réalisateur perçoit aussi une bourse pendant les six mois de sa résidence lui permettant de se concentrer sur son film. Cela n’existe nulle part ailleurs. Le réalisateur dispose également d’un espace de travail à la médiathèque Abdelmalek Sayad et reste en lien étroit avec les équipes pour organiser des rencontres et des ateliers au Musée.
L. H. W. : Avez vous douté parfois de l’utilité de cette résidence ou étiez-vous d’emblkée convaincue de l’importance de traiter ce sujet dans le contexte politique actuel ?
K. U. : Comme dans chaque projet, il y a des moments de doute. Cependant, le nombre de projets que nous recevons pour cette résidence ne cesse d’augmenter et cela prouve son importance : les réalisateurs ont l’envie et le besoin de traiter le sujet de l’immigration.
L. H. W. : Quels sont vos meilleurs souvenirs de la résidence ?
K. U. : Il y en a beaucoup, mais ce sont surtout les rencontres et les échanges entre le réalisateur et les publics qui sont des moments très forts. Comme, par exemple, les ateliers avec un groupe d’adultes (de primo-arrivants, je n’aime pas ce terme) en apprentissage du français menés par Anne-Lise Maurice (résidence 2014), le travail avec des collégiens autour des objets de Laetitia Tura (résidence 2015) ou l’atelier Les inconnus (se) regardent que Federico Francioni a organisé cette année. Federico a installé un paravent au Musée à travers lequel les visiteurs étaient invités à raconter leurs origines sans se voir. C’était très surprenant et très beau de sentir la confiance entre deux personnes inconnues qui ne se seraient jamais rencontrées dans la vie courante.
L. H. W. : Avez-vous des anecdotes à nous raconter ?
K. U. : Chaque résidence a ses propres anecdotes, mais je pense au tournage du film Seulement l’inconnu d’Anne-Lise Maurice, la première résidente. Il avait eu lieu dans les sous-sols du Musée, là où étaient abrités les bassins de l’Aquarium, dont celui avec des alligators albinos. Il fallait faire très attention pour ne pas les perturbrer et c’était en même temps drôle pour l’équipe du tournage de partager l’espace avec les habitants de l’Aquarium.
L. H. W. : Quels types de débats les dossiers suscitent-ils entre les jurés ?
K. U. : La commission est composée d’un réalisateur-parrain de la résidence, de producteurs, de compositeurs et d’autres professionnels du cinéma, ainsi que de l’équipe du Grec et du Musée. Les candidats doivent envoyer leur projet sous forme de note d’intention ou d’extraits de scénario, l’idée étant de finaliser l’écriture au cours de la résidence. Les jurés sont surtout attentifs à la qualité des projets soumis, à l’originalité avec laquelle le sujet de l’immigration est traité, à la faisabilité du projet par rapport au budget (15 000 euros pour le film) et à la proposition de résidence (ateliers, rencontres). Ce n’est donc pas toujours évident pour les jurés de prendre en compte tous ces critères. La prise de décision est facilitée par l’entretien avec les cinq-six candidats retenus.

9L. H. W. : Quelles sont les perspectives pour Frontières ?

10K. U. : Depuis sa création en 2014, la résidence a évolué. Nous aimerions intégrer davantage les ateliers et les rencontres de la résidence dans la programmation générale du Musée. Plusieurs structures se sont jointes au cours des années, notamment la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (Sacem) pour la composition de la musique originale du film, Le Fresnoy-Studio national des arts contemporains pour le mixage de Trajectory Drift d’Ivan Castineiras (résidence 2017), ou Périphérie Centre régional création cinématographique qui accueille Federico Francioni (résidence 2018) dans ses locaux à Montreuil pour le montage des images.

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L. H. W. : Quelle est la vie des films après la résidence ?
K. U. : Comme tous les autres films produits par le Grec, les films de la résidence sont diffusés dans des festivals, dans des cartes blanches et des projections du Grec. Ils sont aussi intégrés au fonds de la médiathèque et bénéficient des réseaux de diffusion du Musée. Chaque année, nous organisons l’avant-première du film de la résidence à l’occasion du lancement de la résidente suivante. Deux films de la résidence, Seulement l’inconnu d’Anne-Lise Maurice et Ils me laissent l’exil. Les objets de Laetitia Tura ont été projetés cet été au festival Zsiget à Budapest dans une programmation spéciale du Musée.

« Le court métrage est mon laboratoire de travail »

12Entretien avec Slimane Dazi, parrain de la 6e édition de la résidence de réalisation Frontières 2019, réalisé par Lucile Humbert Wozniak.

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Lucile Humbert Wozniak : On vous connaît entre autres pour être l’acteur de films comme Un prophète, Les Hommes libres, Rengaine, Fièvres, Only Lovers Left Alive, Les Derniers Parisiens, Le Caire confidentiel… Pouvez-vous nous raconter votre parcours, et votre arrivée dans le monde du cinéma ?
Slimane Dazi : J’ai fait 36 métiers avant de vivre de ma passion. Le seul point commun avec le métier de saltimbanque est que j’ai toujours été artisan indépendant. Je dois ma rencontre avec le métier d’acteur à Rachid Djaïdani qui m’a convaincu que j’étais fait pour l’image. Avant de passer devant la caméra, j’ai réservé les places sur de nombreux tournages en France, à Paris, en province et à l’étranger dans la société de ventouse de mon frère, VIP.
L. H. W. : Sur votre fiche wikipedia, il est écrit : « acteur algérien ». Pourtant, vous êtes Français… Le plus Parisien des Parisiens… Vous avez d’ailleurs inspiré le titre du premier long métrage de Hamé et Ekoué Les Derniers Parisiens.
S. D. : Je suis né en France à Nanterre en 1960 ! En janvier 1963, après les accords d’Évian, quand mes parents ont choisi la nationalité Algérienne à l’indépendance de l’Algerie, j’ai perdu ma nationalité française. Mes frères et sœurs, nés après le 1er janvier 1963, sont eux resté français. Voilà pourquoi je suis un acteur parisien pur jus, avec une carte de résidence.
L. H. W. : On vous connaît plus récemment pour votre autobiographie romanesque et politique. Comment êtes vous arrivé à l’écriture d’Indigène de la nation (éd. Don Quichotte, 2018) ?
S. D. : Indigène de la nation est né après mon infarctus fin novembre 2016, un an après que mon père nous ait quittés et aussi à cause des nombreux râteaux et humiliations que j’ai essuyés aux abords des aéroports, des consulats, dans le pays où je devais voyager pour mon travail. Le livre a été écrit en quelques mois, comme un acte politique pour atténuer un trop plein d’injustice. Mais aussi pour faire découvrir le parcours d’un Titi parigot banlieusard avec des fafios algériens.
L. H. W. : Depuis Le Thé au harem d’Archimède de Mehdi Charef (1985), la découverte de Rengaine (2012) a constitué pour nous un choc. Ce film marque un tournant dans l’histoire du cinéma sur la banlieue et l’immigration, notamment en renversant la perspective, en donnant à voir le contre-champ, le point de vue de ceux qui y vivent ou qui en viennent, leur façon de vivre et de survivre au jour le jour. Que pensez-vous des films actuels sur la banlieue et l’immigration en général ?
 S. D. : Les films qui, aujourd’hui en France, traitent de la banlieue ou des quartiers sont le plus souvent des stéréotypes dégoulinant de caricatures vulgaires, comme l’Arabe ou le Noir-délinquant-dealer-terroriste-macho bête et cruel. Pour faire court, ce sujet est le plus souvent traité d’une manière qui transpire le néocolonialisme, pour pas dire raciste.
L. H. W. : Quelle est selon vous l’importance du cinéma comme moyen de transmettre, d’alerter et de faire réfléchir sur ce qu’il se passe dans le monde, chaque jour ?
S. D. : L’importance du cinéma est considérable. Il doit être, à mon sens, un art libre, indépendant et personnel qui parle de la réalité de notre monde en utilisant la création artistique sous forme de fiction... sinon autant faire des documentaires. Cela doit contribuer à briser le discours des médias qui infligent partout, sur les chaînes de télé, à la radio ou dans la presse écrite, un vulgaire matraquage qui finit par nous lobotomiser.
L. H. W. : Quelles sont pour vous les luttes actuelles qui vous touchent le plus aujourd’hui ?
S. D. : L’injustice sous toutes ses formes ! Mais je mettrai l’accent sur le fait qu’un quart de la population mondiale vit dans la richesse en exploitant le reste du monde. La nouvelle vague, aujourd’hui, n’est pas du cinéma... c’est de laisser crever au milieu des mers et des océans des millions de personnes qui fuient la misère créée par des dictatures mises en places par l’Occident.
L. H. W. : Vous avez tourné dans une multitude de très bons courts métrages. Quel est votre regard sur le court métrage d’aujourd’hui ?
S. D. : Le court métrage est mon laboratoire de travail. Quand je ne tourne pas sur des productions de longs ou de séries qui sont rémunérées, je me réjouis de rejoindre des équipes de courts métrages, d’abord par ce que j’adore ce format, ensuite parce que c’est certainement là que j’ai eu à interpréter mes plus beaux personnages. La liberté d’échange est plus grande, plus sincère, la pression économique est moindre, du coup le 7e art devient un acte gratuit, un échange généreux.
L. H. W. : En quoi cette résidence de réalisation Frontières vous tient-elle à cœur ?
S. D. : La résidence me tient à cœur pour la thématique qui y sera traité, mais aussi pour la responsabilité qui m’est proposée : sélectionner un réalisateur sur 14 candidats.Je ferai ce travail sans jugement, en essayant de garder un regard vierge et objectif.
L. H. W. : Qu’attendez-vous de cette expérience ?
S. D. : Comme de toutes mes expériences... j’attend d’être surpris, car seules les bonnes surprises en sont...

Les parrains de 2014 à 2018
Elisabeth Leuvrey, La Traversée, 2014.
Alice Diop, La Permanence, 2015.
Hassen Ferhani, Dans ma tête un rond-point, 2016.
Olivier Babinet, Swagger, 2017.
Farid Bentoumi, Good Luck Algéria, 2018.
Les lauréats de 2013 à 2018
Anne-Lise Maurice
Originaire de la région Centre, elle migre vers Paris pour étudier les lettres modernes à Jussieu et le cinéma à l’École supérieure de réalisation audiovisuelle (ESRA). Pendant les dix années suivantes, elle est assistante mise en scène dans une compagnie théâtrale et voyage de villes en villes, au gré des tournées. Depuis, elle travaille en collaboration avec des théâtres et des associations de quartiers au cours de résidences mêlant plusieurs disciplines artistiques dont la vidéo. Elle a réalisé son premier court métrage documentaire au GREC en 2013, Le Tablier bleu.
Seulement l’inconnu, avec Nicole Dogué et Christophe Mie (fiction, 2015, 16 minutes).
Une femme fait irruption dans un monde réduit à une vie souterraine. Elle se heurte à l’organisation stricte d’un poste-frontière, gardé par un homme qui contrôle chaque jour les migrants en attente d’un ailleurs. Un rituel immuable et absurde, que la présence de cette femme va lentement bouleverser.
Laetitia Tura[1]
Ils me laissent l’exil. Les objets (documentaire, 2016, 28 minutes).
Une carte mémoire, un imperméable, une voiture miniature, un béret : objets sauvés de la traversée des frontières, objets donnés ou oubliés. C’est aussi dans ces fragiles traces qu’une transmission de la mémoire de l’exil est possible. Ils me laissent l’exil raconte ce passage de l’objet familial en possible objet patrimonial. Car l’enjeu est bien de faire une pleine place dans le récit national aux mémoires minorisées, reléguées dans l’arrière-cour de l’Histoire
Ce film a été présenté dans les festivals suivants : Festival F.O.U., Black Moon Rising (2016), Festival Entre d’eux, documentaire et migrations (2016), Rencontres Internationales Science et Cinéma (RISC) (2016), DOC en courts (2017).
Martina Magri
Martina Magri est née en 1985 à Modène, en Italie. Après des études en cinéma à la Sorbonne, elle commence à travailler pour la société de production Idéale Audience, où elle épaule Pierre-Olivier Bardet et Delphine Camolli dans la création du label DVD Idéaleaudience. C’est pendant cette période qu’elle rencontre Frederick Wiseman et intègre de l’équipe de production du film La Danse.Après un bref parcours de scénariste, elle se consacre à la réalisation de films documentaires et expérimentaux. Après La Plaie, sélectionné au SESIFF de Séoul en 2012, La tentation de la forteresse est son deuxième court métrage.
La tentation de la forteresse (documentaire expérimental, 2017, 12 minutes).
« Un jour j’ai été surprise par une image. Un détail. C’était un homme dans un chantier. Il était au bord du cadre, éloigné du centre de l’action. Le point n’était p0as sur lui, on pouvait voir à travers son corps. Il semblait m’appeler. Mais je n’entendais pas sa voix. L’homme venait de loin. Jeté dans le ventre de la terre, il marchait en silence au milieu d’une construction qui gardait la trace de ses mains. Les yeux écarquillés, j’observais les ruines qui l’entouraient. Je voulais retrouver sa voix. La route témoigne encore du labeur de l’homme que je cherche, mais a enseveli sa voix. Qu’est-ce qu’il attendait de moi ‘ Peut être, simplement, que je le regarde. » Ce film a été présenté dans les festivals suivants : Lago Film Fest (2017), L’Alternativa. Festival de cinéma independant de Barcelona (2017).
Iván Callego Castineiras
Iván Castiñeiras Gallego est né en 1980 en Galice (Espagne). Son travail comme réalisateur se situe à mi-chemin entre le documentaire et la fiction. Suite à cinq mois passés dans le camps de migrants de Calais (« la Jungle »), il a réalisé une application, Chemins battus, permettant à l’internaute de se déplacer dans une double géographie : la géographie virtuelle de Calais et un espace réel, en utilisant le smartphone comme outil et interface. Le court métrage Trajectory drifts est la suite de ce travail.
Trajectory drifts (documentaire-fiction, 2018, 24 minutes).
Dans un container, entre les caisses de marchandises, deux hommes racontent leur exil. Leurs récits et leurs passages des frontières infinis se rejoignent dans un rêve commun : atteindre l’Angleterre. Ce film a été présenté dans les festivals suivants : IndieLisboa. Festival international du cinéma indépendant (2018).
Federico Francioni
Né en Italie en 1988, il est diplômé de l’École nationale de cinéma, le Centro Sperimentale di Cinematografia. Durant sa formation, il a réalisé avec son collègue Yan Cheng les moyens métrages, documentaires de création : Tomba del Tuffatore (Tombe du Plongeur) et The First Shot. Il est aussi l’auteur d’un livre d’entretiens avec le réalisateur Eugène Green, à l’occasion de la 35e édition du Film Festival de Turin, paru aux éditions italiennes Artdigiland.
Rue Garibaldi
En France depuis un an, Inès et Rafik, frère et sœur de 19 et 20 ans, à la fois siciliens, italiens, tunisiens, s’interrogent sur le sens de leur identité. Lui est chauffeur Uber la nuit et elle travaille à domicile le jour. Leur rapport au monde passe à travers les écrans : les appels vidéo avec leurs parents restés en Sicile et avec le reste de la famille en Tunisie, mais aussi sous forme de journal intime enregistré. Ils habitent à 30 minutes de Paris, à Villeneuve-Saint-Georges, vers Orly. Dans le ciel, les avions passent. À mon arrivée, ils me montrent fièrement le nom de leur rue, rue Garibaldi.

Laetitia Tura, photographe et documentariste

14Paris, il est 10h. Le ciel est bleu à Barcelone en ce mois de mai. La connexion Skype avec Laetitia Tura s’établit. La réalisatrice de 39 ans nous reçoit dans son appartement situé au cœur de la ville. Le choix de s’installer début 2018 dans la capitale catalane n’est pas anodin. « C’est en arrivant ici que j’ai réalisé que la langue maternelle de mon grand-père, c’était le catalan, pas l’espagnol », raconte-t-elle. Son grand-père, Juan, est arrivé en France, à Doulcon dans la Meuse, après un passage par le camp d’Argelès, que le gouvernement français avait établit en février 1939 pour les réfugiés espagnols. Près de 220 000 réfugiés de la Retirada ont transité par ce camp fermé en 1941. Juan était l’un d’entre eux. « Il est né dans la banlieue ouvrière de Barcelone en 1918. Je ne l’ai pas connu, il est mort avant ma naissance", explique Laetitia. « À Doulcon, c’était le seul espagnol du village. Il s’est marié avec Paulette qui tenait un café", raconte encore la réalisatrice. Aucun de leurs quatre enfants ne parlera espagnol. « Je ne sais même pas dans quelle langue on disait son prénom. Juan, Joan, Jean, Djouan ? Je trouve ça intéressant qu’on n’arrive pas à bien prononcer le prénom de son ancêtre, ça dit plein de choses sur les failles de la transmission, et aussi sur l’effacement imposé par la dictature... », témoigne Laetitia. Elle sait peu de choses sur son grand-père. « Comme l’histoire n’est pas racontée ou très peu, tu te fabriques toi-même des histoires avec des bribes, tu te fais l’image d’un héros », précise Laetitia. Et bien qu’elle répète que son histoire personnelle ne soit pas une préoccupation centrale, la transmission est au cœur de son travail de documentariste. Aujourd’hui, elle commence un nouveau film, Desterrar, sur le réhabilitation de la mémoire des vaincus post-dictature, en Espagne.

15Née à Nancy, Laetitia Tura a grandit en Dordogne. Depuis 2001, elle mène à la fois un projet photographique et audiovisuel autour de la mise en scène des frontières, l’invisibilité et la mémoire des parcours migratoires. Après Jnoub qu’elle a photographié à la frontière du Sud-Liban (2001), Linewatch qui revient sur le dispositif frontalier entre le Mexique et les États-Unis (2004-2006), elle continue ses explorations au Maroc et à Melilla où elle aborde la thématique de la mise à l’écart des exilés (2007-2012). Avec Les Messagers, son premier long-métrage qu’elle coréalise en 2014 avec Hélène Crouzillat, elle s’intéresse à la disparition des corps de migrants en méditerranée. En 2015, elle est lauréate de la résidence Frontières, dispositif qui offre à un réalisateur la possibilité de travailler sur un projet de film au sein du Musée national de l’histoire de l’immigration, durant 6 mois, en partenariat avec le Groupe de recherches et d’essais cinématographique (Grec).

16C’est en visitant la galerie des Dons, au Musée de l’histoire de l’immigration, que travailler avec les objets est apparu pour elle comme une évidence. « L’exil est un mouvement lent et long, il ne laisse que peu, voire pas, de traces matérielles » précise Laetitia. « Pour Ils me laissent l’exil. Les objets (2016), le film tourné pendant la résidence, j’ai filmé des personnes qui étaient dans une démarche de dons pour le musée. Mon projet initial faisait écho au Musée, mais le Musée n’était pas un personnage dans le film ! Finalement, il en a été le décor et l’espace principal ».

17Recueillir les témoignages des jeunes avec qui elle a travaillé tout au long de la résidence et plus tard pour le second volet du diptyque, Ils me laissent l’exil. Les adolescents, n’a pas été si facile. Comme celui d’Aissata, l’une des adolescentes qui sera l’un des personnages du film, qui lui a dit : « Mon histoire ressemble à toutes les histoires d’enfants d’immigrés. Pour moi, une histoire doit être extraordinaire pour être racontée. » Il y a beaucoup de résistance, de pudeur et le sentiment de ne rien avoir d’intéressant à dire. La réalisatrice a voulu emmener ces jeunes sur les traces de l’exil de leurs parents ou grands-parents conservées dans leur mémoire. Chacun a choisi un objet pour raconter un bout de son histoire familiale. L’objet permet de déclencher le récit de quelqu’un qui ne sait pas forcément qu’il le porte. « Ils sont les héritiers de ces histoires de traversées, d’exil, trois générations après, dont je suis aussi. »

18Elle a dû, elle aussi se livrer un peu, parler d’elle, de son parcours, il fallait bien montrer l’exemple. « J’ai apporté mes conserves de calamars… C’est mon Espagne à moi » conclut Laetitia amusée. Peut-être la séquence initiale de son prochain film Desterrar

Le calendrier de la résidence « Frontières » du 7 janvier au 5 juillet 2019
- 17 septembre : appel à projet.
- 27 octobre : date limite du dépôt de candidatures.
- 2 janvier 2019 : annonce du lauréat.
- Samedi 12 janvier : performance de Slimane Dazi et de Régis Figarol, photographe, autour de l’ouvrage du comédien Indigène de la Nation - dédicace à l’issue.
- Jeudi 14 février : soirée de lancement de la résidence 2019, restitution de la résidence 2018, avant-première du film de Federico Francioni, Rue Garibaldi, en présence des parrains Farid Bentoumi et Slimane Dazi.

Notes

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    Voir son portait ci-après.
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