Notes
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[1]
Ibn manzûr, Jamâl ad-dîn abî al-Fadhl Muhammad ibn Makram, « da’â », in Lisân al-’arab (La langue des arabes), édité et annoté par ’Âmir Ahmad Haydar, Dâr al-kutub al-’ilmiyya, Beyrouth, première édition, 2003, tome XIV, p. 321.
-
[2]
Coran, XXXXVI, 31. Pour la traduction des textes coraniques nous avons utilisé celle de Muhammad Hamidullah et celle de Jacques Berque avec des ajustements personnels.
-
[3]
Coran, V, 67.
-
[4]
Coran, XV, 94.
-
[5]
Coran, LXXIV, 2.
-
[6]
Coran, II, 119.
-
[7]
Coran, III, 138.
-
[8]
Coran, IV, 63.
-
[9]
Coran, 48, 28 et 61, 9.
-
[10]
Coran, 72, 2.
-
[11]
Coran, II, 185.
-
[12]
Coran, XIII, 7.
-
[13]
Coran, XX, 132.
-
[14]
Marius Canard, « Da’wa », dans, Encyclopédie de l’islam, Leyde E.J. Brill, Maisonnneuve & Larose, Paris, 1977, Tome II, p. 173.
-
[15]
Ibidem.
-
[16]
Coran, XXXV, 24
-
[17]
Coran, XXII, 78.
-
[18]
Coran, II, 285.
-
[19]
Coran, XIII, 30
-
[20]
Coran, XXXIII, 45
-
[21]
Coran, IV, 165
-
[22]
Coran, XVII, 105 et Coran, XXV, 56
-
[23]
Coran, XXXXII, 42, 48.
-
[24]
Coran, XXXIII, 40.
-
[25]
Coran, XXI, 107.
-
[26]
Coran, LXII, 2.
-
[27]
Ibn kathîr, Abû al-Fidâ’, Al-bidâya wa an-nihâyah, Dâr al-Manâr li-n- Nashr wa at-Tawzî’, Le Caire, 2001, Tome II, Partie III, p. 87.
-
[28]
Coran : XXVI, 214.
-
[29]
Ibn Kathîr, Tafsîr al-Qur’â al-’Azîm, Dar al-kutub al-’ilmiyya, Beyrouth, 1999, volume III, p. 328-329.
-
[30]
Ibn ishâq, ibn Yasâr Muhammad, Sirat Ibn Ishâq, Kitâb al-Mubtada’ wa-l-Mab’ath wa-l-Maghâzî, édité par Muhammad Hamidullah, Imprimerie Muhamed V, Fès, 1976, p. 128.
-
[31]
Ibn Kathîr, Al-bidâya…, op.cit., Tome II, Partie III, p. 85.
-
[32]
Ibn ’âshûr, Muhammad at-Tahir, At-Tahrir wa-t-Tanwîr, Dâr Sahnûn li-n-nashr, Tunis, 1997, volume IX, chapitre 19, p. 201.
-
[33]
Ibn Kathîr, Al-bidâya…, op.cit., Tome II, Partie III, p.85.
-
[34]
Coran, III, 64.
-
[35]
Coran, XXIX, 46
-
[36]
Ibid.
-
[37]
Coran, VI, 90
-
[38]
Coran, IV, 164.
-
[39]
cf. Extraits traduits par Mohsen Ismail de l’ouvrage de Muhammad Ahmad Khalafallâh, L’art narratif dans le saint Coran. ; Se comprendre, n° 99/07, août-sept. 1999, http://www.comprendre.org/khalaf.htm.
-
[40]
Coran, XVI, 125.
-
[41]
Ibn ’âshûr, op.cit., volume VII, p. 325.
-
[42]
Coran II, 269.
-
[43]
Coran, III, 159.
-
[44]
Coran, XX, 43-44.
-
[45]
Coran, IV, 63.
-
[46]
Al-jurjânî, ’Ali ibn Muhammad al-Sharîf, Kitâb at-Ta’rîfat (Le livre des définitions), Maktabat Lubnân, Beyrouth, nouvelle édition 1990, p. 78. Al-Jurjânî, Le livre des défintions, traduction de Maurice Gloton, Dar Alburaq, Beyrouth, 2006, p. 162.
-
[47]
Ar-Razï, Fakhr Ad-Dîn, At-Tafsîr al-Kabîr ou Mafâtih al-Ghayb, Dâr al-kutub al-’ilmiyya, Beyrouth, première édition, 1990, Tome X, p.112.
-
[48]
Ibn ’Âshûr, op.cit., volume VII, p 330.
-
[49]
Coran, II, 258.
-
[50]
Coran II, 269.
-
[51]
Ar-Râzî, op.cit., tome X, p. 111.
-
[52]
Al-JURJÂNÎ, op.cit., p. 221, 222.
-
[53]
Coran, XVIII, 22.
-
[54]
Ibidem.
-
[55]
Ar-Râzî, op.cit., Tome X, p.112.
-
[56]
Coran, II, 272.
-
[57]
Coran, L, 45.
-
[58]
Coran, XVIII, 29.
-
[59]
ibn ’Ashûr, op.cit., tome III, p 26.
-
[60]
Al-Bukhârî, Abû ’Abd Allah Muhammad ibn Ismâ ’îl, Sahîh al-Bukhârî, Markaz ad-dirâsât wa-l-’i ’lâm, Dâr ishbîlyâ, Riyad, 1997, volume I, chapitre I, p. 11-12.
-
[61]
ibn ’Ashûr, op.cit., tome III, p. 26-27.
-
[62]
Coran, II, 190.
-
[63]
Il s’agit du 11e, du 12e et du 1er mois du calendrier lunaire.
-
[64]
Coran, II, 194.
-
[65]
Coran, XXVIII, 56
-
[66]
at-tabarî, Abû Ja’afar ibn Jarïr, Jâmi’ al-Bayân ’an Ta’wîl al-Qur’ân, Dâr al-Fikr, Beyrouth, 1984, Tome XI, p 91.
-
[67]
At-Tabarî, op.cit., pp. 92, 93 et ibn hishâm, Abû Muhammad ’abd al-Malik, As-sira an-nabawiyya, Dâr al-Hadîth, Le Caire, 2006, Tome I, pp 302, 303.
-
[68]
Ibid, p. 92, 93.
-
[69]
Ibn ’Âshûr, op.cit., Tome X, p. 147.
-
[70]
Ibidem.
-
[71]
Coran, XXVIII, 57
-
[72]
Ibn ’Âshûr, op.cit., Tome X, p. 148.
-
[73]
Coran, XVIII, 6.
-
[74]
Coran, XXXV, 8.
-
[75]
At-Tabarî, op.cit., tome IX, p. 194, 195.
-
[76]
Coran, XX, 2-3.
-
[77]
Az-Zamakhsharî, Abû al-Qâsçim Jâr-Allah Mahmûd ibn ’Umar ibn Muhammad, Al-Kashaf ’an haqâ’iq ghawâmid at-tanzîl wa ’uyûn al-aqâwîl fî wujûh at-ta’wîl, Dar al-kutub al-’ilmiyya, Beyrouth, première édition, 1995, tome III, p. 48.
-
[78]
Al-Baydâouî, Nasir ad-Dîne abî Sa ’îd ’abd Allah ibn ’Umar ibn Muhammad ashshîrâzî, Tafsîr al-Baydâouî, anwâr at(tanzîl wa asrâr at’ta’wîl, Dar al-Kutub al-’ilmiyya, Beyrouth, première édition 1988, tome I, pp. 42, 43.
-
[79]
Coran, LXVI, 10.
-
[80]
Coran, LXXI, 5, 6.
-
[81]
Coran, XI, 45-46.
-
[82]
Coran, XXVI, 214, 215, 216.
-
[83]
Coran, LXVI, 11.
-
[84]
Coran, III, 104.
-
[85]
ibn ’ Âshûr, op.cit., III, p. 37.
-
[86]
Ibidem.
-
[87]
Ibidem.
-
[88]
Ibn ’Âshûr op.cit.,, III, p. 39.
-
[89]
Coran, XXXXI, 33.
-
[90]
Coran, IX, 71.
-
[91]
Coran, III, 110.
-
[92]
Ibn Mâjah, Sunan Ibn Mâjah, Dâr al-fikr li-at-tibâ ’a wa an-nashr wa at-tawzî’, Beyrouth, 1ère éd., 2003, chapitre, « al ’amr bi-l- maruf », Hadith n° 4013, p. 909- 910.
-
[93]
Coran, LXXIV, 2.
-
[94]
Coran, XII, 108.
-
[95]
Coran, II, 44.
-
[96]
Coran, XVIII, 28.
-
[97]
Ar-Râzî, op.cit., tome 21, p. 96.
-
[98]
Ibidem.
-
[99]
Coran, XVI, 136.
-
[100]
Coran, XXXVII, 35,36.
-
[101]
Coran, LI, 52.
-
[102]
Coran, LXXIII, 10.
-
[103]
Coran, XXVII, 79, 80, 81
-
[104]
Coran, XVII, 70.
-
[105]
Al-Mâwardî, Abû al-Hasan ’Alî ibn Muhammad, al-Ahkâm as-Sultâniyya wa al-Wilâyât ad-Diniyya, édité par Ahmad Mubârek al-Baghdâdî, Librairie Ibn Qutayba, Le Kuweït, 1ère éd., 1989, p. 315.
-
[106]
Ibid, p. 316.
-
[107]
Ibid, p. 318.
-
[108]
Ibid, p. 328.
1L’appel à la conversion à l’islam (ad-da’wa) puise souvent ses arguments dans la vocation universelle de cette religion dont le message est adressé à toute l’humanité. Néanmoins, cette tâche est variable selon la définition, l’objectif et la méthode de l’appel à l’islam. Le problème est de définir les frontières entre, d’une part la communication d’une expérience personnelle souvent expliquée par la volonté de partager avec autrui un bonheur spirituel ainsi défini par son acteur et d’autre part la propagande en tant qu’activité qui use souvent de la séduction et de la démagogie. Excepté dans certains pays de tradition musulmane, la da’wa ne s’est pas donnée de structures officialisées. Néanmoins, sans qu’elle ne soit calquée sur des méthodes missionnaires connues dans d’autres traditions religieuses, des formations spécialisées font aujourd’hui partie des enseignements dispensés dans des Universités de théologie comme celle d’al-Azhar en Egypte et celle de Médine en Arabie Saoudite. Avec l’émergence de l’islam idéologisé, la da’wa puise ses fondements dans la théorie de la jâhiliyya qui renvoie l’organisation des sociétés musulmanes d’aujourd’hui à un archétype antéislamique. Il est à constater que la pratique de la da’wa est tributaire de la conception qu’on lui donne sans se référer le plus souvent au texte fondateur de l’islam. D’où l’intérêt d’étudier cette notion telle que le texte coranique définit son objet, la méthode à suivre pour la pratiquer et les objectifs à atteindre. Nous jugeons également nécessaire d’étudier les mutations que celle-là avait connues à travers l’histoire.
Précisions conceptuelles
2Le terme arabe da’wa du verbe da’â renvoie à plusieurs registres selon le champ sémantique de son utilisation. Le sens premier de ce mot est l’invitation, l’appel, la demande et l’incitation à faire certaines choses ou à s’en abstenir. Dans le sens religieux, ce terme désigne la prédication, l’appel fait par les prophètes aux gens pour qu’ils se convertissent à la religion dont ils sont transmetteurs du message. Celui qui pratique la da’wa est le dâ’iya, pluriel du’ât. Il s’agit, selon Ibn Manzûr (1233-1311), de « celui qui appelle les gens à adhérer à une religion ou à une hérésie. Ce vocable désigne également le muezzin de par son appel à la prière » [1]. Le prophète Muhammad est qualifié par le Coran par dâ’iya Allah :
« Répondez au prédicateur de Dieu et croyez en lui » [2].
4Sa mission consiste à assurer la continuité de la transmission des enseignements initiés par les messages religieux précédents tout en mettant en avant l’appel à embrasser l’islam. Cette continuité s’explique par des termes récurrents dans le texte coranique qui sont associés au terme da’wa. Le Coran parle de dhikr et de l’impératif dhakkir qui désignent le rappel du principe de monothéisme. Plusieurs autres termes portant sur le même sens sont itératifs dans le texte coranique. Le vocable balâgh et l’impératif balligh du verbe ballagha désignent la transmission et la communication du message :
« Ô messager, transmets ce qui a été descendu de la part de ton Seigneur » [3].
6On trouve également l’impératif asda’ (du verbe sada ’a) qui signifie expose clairement le message :
« Expose donc clairement ce qu’on t’a commandé » [4].
8L’impératif andhir (du verbe andhara), dont le participe actif est mundhir, est à son tour synonyme du terme da’â. Il signifie l’annonce et l’avertissement : « Lève-toi et avertis » [5], l’ordre est adressé au Prophète dont le rôle est d’annoncer le message de l’islam et d’avertir des conséquences de l’associationnisme.
9Un autre terme, souvent associé à andhir est celui de bashir qui désigne l’annonce de la bonne nouvelle :
« Certes Nous t’avons envoyé avec la vérité, en annonciateur et avertisseur » [6].
11Le terme maw’iza est également associé aux vocables précités et s’explique par l’exhortation :
« Voilà un exposé pour les gens, un guide, et une exhortation pour les pieux » [7].
13L’impératif ’izhom, du verbe wa’aza, signifie l’exhortation des gens à suivre la voie de la droiture telle que le Coran la définit :
« Exhorte-les, et dis-leur des paroles convaincantes » [8].
15Dans plusieurs passages du texte coranique la da’wa indique aussi al-hidâya, la guidance vers le droit chemin tel que l’islam le définit : « C’est Lui qui a envoyé son messager avec la guidée et la religion de vérité » [9].
16Le Coran est en soi considéré comme source de hidâya « qui guide vers la droiture » [10]. Ce texte n’est pas seulement présenté comme guide, mais aussi comme référence de conduite et de discernement :
« Le mois de ramadan au cours duquel le Coran a été descendu comme guide pour les gens, et preuves claires de la bonne direction et du discernement » [11].
18Dans ce même cadre, les messages religieux qui ont précédé l’islam constituent également des guides : « à chaque peuple un guide » [12]. Est associé également au terme da’wa, l’impératif d’al-’amr bil-ma ’rûf wa an-nahi ’an al-munkir (conseiller le convenable et déconseiller l’inconvenant). C’est que la da’wa ne concerne pas exclusivement les non musulmans, elle est également adressée aux croyants musulmans. D’où l’ordre adressé au Prophète d’inciter ses proches à accomplir la prière :
« Et commande à ta famille d’accomplir la prière, et fais-la avec persévérance » [13].
20Cet ordre de conseiller le convenable et de déconseiller l’inconvenant constitue l’un des principes défendus par les Mu’tazilites. Ce qui permet entre autres, selon ce courant théologique, de se rebeller contre une autorité politique injuste puisqu’il s’agit d’une opposition à l’injustice. Enfin, et par extension, « la da’wa désigne le contenu même de cet appel » [14]. Mais, ce terme n’indique guère le sens de propagande ou d’influence qui est le propre de la da’wa dans sa dimension politico-religieuse ayant pour objectif « l’invitation à embrasser le parti d’un personnage ou d’une famille qui prétend avoir droit à l’imamat sur les musulmans, c’est-à-dire l’autorité civile et spirituelle » [15]. Nous pouvons donner l’exemple de la da’wa chiite qui a abouti à la fondation du califat Fâtimide en Afrique du Nord. Avec le transfert de son pouvoir en Egypte, cet Etat dynastique a fait construire la mosquée al-Azhar pour jouer un rôle officiel dont l’objectif principal consiste à enseigner et à propager la doctrine chiite. Cette da’wa a été précédée par celle des Abbassides se réclamant de leur droit au califat vu leur appartenance, eux aussi, à la famille du Prophète.
Les destinataires de la da’wa
21Le texte coranique définit d’abord l’objet de la da’wa. Deux expressions récurrentes dans le Coran expliquent la mission de Muhammad : innâ arsalnâka (Nous t’avons certes envoyé pour…) et wa mâ arsalnâka illâ (Nous ne t’avons envoyé que pour…). La première expression, innâ arsalnâka, montre l’objectif de la da’wa :
« Nous t’avons envoyé avec la Vérité en tant qu’annonciateur et avertisseur. Il n’est aucune nation qui n’ait jamais eu un annonciateur » [16].
23Ce texte renvoie à l’exemple des messagers précédents et rappelle que la mission du prophète de l’islam est d’annoncer la da’wa de la nouvelle religion qui prend ses racines dans celle d’Abraham :
« Il ne vous a imposé aucune gêne dans la religion, celle de votre père Abraham, lequel vous a déjà nommés musulmans » [17].
25En conséquence de quoi, l’islam s’inscrit dans la continuité de toutes les religions abrahamiques et exhorte ses adeptes à croire en tous les messages et messagers qui ont précédé l’islam :
« Nous ne faisons aucune distinction entre Ses messagers [18] ».
27Muhammad est donc chargé en premier lieu de rappeler le principe du monothéisme comme fondement principal de toutes les religions du Livre et de convaincre les associationnistes à se convertir à l’islam :
« Ainsi t’avons-Nous envoyé dans une communauté avant laquelle bien d’autres sont révolues, pour que tu lui récites ce que Nous t’avons révélé, bien qu’ils dénient le Miséricordieux. Dis : c’est Lui mon Seigneur. Il n’est d’autre dieu que Lui. À Lui je fais confiance. Vers Lui je reviens repentant » [19].
29D’autres textes coraniques définissent le rôle de Muhammad en le qualifiant de témoin :
« Ô Prophète ! Nous t’avons envoyé (pour être) témoin, annonciateur et avertisseur » [20].
31Ce témoin doit transmettre le message divin comme c’était le cas pour les messagers qui l’ont précédé « afin qu’après la venue des messagers il n’y eût point d’argument (d’excuse) devant Dieu » [21]. La deuxième expression, wa mâ arsalnâka illâ, définit les limites de la da’wa qui ne doit ni se transformer en une contrainte ni en un fardeau à transporter par le messager :
« Nous ne t’avons envoyé qu’en tant qu’annonciateur et avertisseur » [22].
33Le rôle de Muhammad est exclusivement la transmission du message de l’islam sans se soucier de l’acceptation ou du refus de sa prédication :
« Et s’ils se détournent, Nous ne t’avons pas envoyé pour être leur tuteur : tu n’es chargé que de transmettre le message » [23].
Les questions des destinataires et du but de la da’wa
35Pour ce qui est des destinataires de la da’wa, le Coran rappelle que Muhammad est « le messager de Dieu et le dernier des prophètes » [24], que son message est à vocation universelle et qu’il n’est pas destiné à une ethnie particulière ou à un peuple spécifié :
« Nous ne t’avons envoyé qu’en miséricorde pour l’univers » [25].
37En expliquant les étapes à suivre quant à la pratique de la da’wa, le Coran évoque les destinataires concernés. Il parle d’abord de ceux qui n’ont pas connu auparavant de message monothéiste :
« C’est Lui qui a envoyé à des gens sans Livre un Messager des leurs qui leur récite Ses versets, les purifie et leur enseigne le Livre et la sagesse » [26].
39Ce verset parle donc des mecquois, les tous premiers destinataires. Dans le cadre de sa mission, Muhammad se doit de les appeler à abandonner l’adoration des idoles et des divinités diverses. Afin d’assurer sa mission, et en profitant des occasions de rassemblements des tribus arabes pendant les jours du pèlerinage et au moment des souks qui ont lieu par la même occasion, il n’a pas manqué, selon Ibn Kathir (700-774), « d’appeler les gens, nuit et jour en privé et publiquement, à embrasser la nouvelle religion » [27].
40Néanmoins, il est souvent admis que les destinataires de toute da’wa se posent la question de la conversion ou non des proches du dâ’iya. Pour cette raison il était nécessaire que le Prophète s’adresse d’abord aux membres de sa famille et ceux de sa tribu. Dans ce sens, le Coran appelle Muhammad à exhorter ses proches et à les avertir des conséquences de la mécréance :
« Et avertis les gens qui te sont les plus proches » [28].
42Ibn Kathîr (700-774) rapporte que suite à cet ordre :
« Le Prophète a convié chez lui les membres de sa famille, qui étaient plus au moins quarante personnes […] Il s’est adressé à ses invités en ces termes : “ô Banî Hâshim ! Ô Banî Abd al-Muttalib ! Ô Banî al-’Abbâss ! Ô Safiyya tante de Muhammad ! Ô Fatima fille de Muhammad ! Dieu m’a envoyé à vous en particulier et aux gens en général” » [29].
44Le biographe Ibn Ishâq (m. 667) rapporte que lors de cette même réunion le Prophète a averti ses proches en leur disant :
« Ô Banî abd Manâf ! Ô Banî ’abd al-Muttalib ! Ô Fatima fille de Muhammad ! Ô Safiyya tante de Muhammad […] Sachez que ce sont les pieux qui seront sauvés en premier le jour du jugement dernier […] Il ne faut que les gens viennent avec leurs bonnes œuvres et vous venez avec rien. Je ne pourrais rien pour vous » [30].
46Ibn Kathîr mentionne que dans ce discours le Prophète a joué le rôle d’avertisseur en répétant à chaque fois l’expression :
« Sauvez-vous de l’Enfer » [31].
48À son tour et en se référant aux circonstances de la révélation de ce verset, l’exégète Ibn ’Âshûr (1879-1973) conclut que le texte coranique « a spécifié les proches et les membres de la tribu du prophète comme dentinaires de la da’wa pour montrer qu’au cas de refus le Prophète n’en est pas responsable et ne peut intervenir auprès de Dieu pour les sauver de l’Enfer » [32]. Afin de transmettre son message et par la même occasion de consolider sa position dans sa ville natale, de garantir un soutien au message, et de faire des alliances avec tous ses habitants, le Prophète s’est ensuite adressé aux tribus et aux clans de la ville de la Mecque. Il est alors monté sur le mont As-Safa (à proximité de la Kaaba) et a appelé toutes les tribus arabes de la Mecque à se regrouper pour entendre ce qu’il voulait leur annoncer. Suite à cet appel :
« Les gens se sont rassemblés autour de lui, d’autres ont envoyé des délégués et il leur a dit : “Ô Banî ’abd al-Muttalib ! Ô banî Fihr ! Ô Banî Ka’b ! Je vous annonce que je suis le messager de Dieu pour vous avertir d’un châtiment douloureux (au cas où vous n’abandonnez pas vos idoles et vous ne croyez pas en Dieu unique)” » [33].
Conséquences dans la société
50Toutefois, au fur et à mesure que le groupe des premiers musulmans augmente, le message de Muhammad devient la cible des attaques de l’aristocratie qurayshite. Cette da’wa menace leurs intérêts. En effet, la Kaaba qui accueille les idoles des différentes tribus arabes constitue le garant de leur influence et la source de la prospérité de leur commerce notamment pendant la période du pèlerinage. Cette da’wa est également perçue comme source de perte de prestige des notables mecquois qui refusent l’adhésion à une religion dont les préceptes les réduisent à un statut similaire à celui de leurs esclaves. Muhammad n’a donc pas bénéficié un tant soit peu d’immunité provenant d’une éventuelle protection que son clan pourrait lui assurer. De plus les adeptes de l’islam, en l’occurrence les esclaves et les démunis, n’étaient pas à l’abri des agressions des polythéistes de la Mecque. Ces raisons et bien d’autres étaient suffisamment décisives pour choisir l’émigration vers Médine et continuer la da’wa dans un endroit moins hostile à son message. À Médine, et grâce à la présence massive de tribus monothéistes, la prédication de Muhammad a pris une autre allure et englobe désormais les juifs et les chrétiens :
« Dis : “Ô gens du Livre, venez à une parole commune entre nous et vous : que nous n’adorions que Dieu, sans rien Lui associer, et que nous ne prenions point les uns les autres pour seigneurs en dehors de Dieu” » [34].
52Ce texte exprime l’intérêt pour la da’wa de partir d’un point commun entre les monothéistes pour faire face au polythéisme, mais sans perdre de vue la volonté de les convertir à l’islam. C’est pourquoi, le Coran ordonne aux musulmans de débattre avec les gens du Livre et d’échanger avec eux :
« Et ne discutez que de la meilleure façon avec les gens du Livre » [35].
54Ce même verset ordonne Muhammad de rappeler que cette nouvelle religion exhorte l’adoration d’un Dieu commun :
« Notre Dieu et votre Dieu est le même, et c’est à Lui que nous nous soumettons » [36].
56Enfin, dans le sens où la da’wa consiste à conseiller le convenable et déconseiller l’inconvenant, les destinataires sont généralement ceux qui ont déjà embrassé l’islam, mais qui méritent d’être appelés à chaque fois à se conformer aux enseignements du Coran.
La méthode de la da’wa
57Le texte coranique appelle Muhammad à suivre la même méthode déjà initiée par les messagers et les prophètes précédents :
« Ceux-là, Dieu les a guidés : suis donc leur voie » [37].
59Pour ce faire, le Coran cite dans plusieurs passages l’objet de la da’wa de ceux-là, de leurs méthodes et de la souffrance qu’ils ont subie en accomplissant leurs missions de Messagers. Les textes qui parlent du parcours de chacun de ces prophètes sont connus sous le nom de « récits coraniques ». Néanmoins, il est à remarquer que le Coran a insisté sur l’évocation de certains prophètes sans d’autres :
« Et il y a des messagers dont Nous t’avons raconté l’histoire précédemment, et des messagers dont Nous ne t’avons point raconté l’histoire et Dieu a parlé à Moïse de vive voix » [38].
61Nous pouvons constater également qu’à l’exception de certains récits, « le Coran n’a pas cité les détails des informations qui concernent les prophètes qui ont précédé l’islam, mais il a choisi ce qui pourra correspondre à l’état de la da’wa à l’islam dans ses débuts et à la position de Muhammad par rapport aux siens. En ce sens, le récit coranique vise à affermir le Prophète et ceux qui l’ont suivi, le consoler et lui donner des exemples de réponses aux questions que les associationnistes de la Mecque ne cessent de lui poser pour vérifier la véracité de son message et de sa prophétie ou tout simplement pour l’intimider et discréditer sa da’wa » [39].
62Le Prophète est donc tenu d’inviter les gens à embrasser l’islam en suivant une voie que le Coran définit comme suit :
« Appelle les gens au sentier de ton Seigneur par la sagesse et la bonne exhortation. Et discute avec eux de la meilleure façon. Car ton Seigneur connait le mieux celui qui s’égare de Son sentier et c’est Lui qui connait le mieux ceux qui sont bien guidés » [40].
64L’analyse de ce texte nous permettra de mettre en lumière les fondements de la méthode coranique à suivre au sujet de la da’wa. Pour ce faire, nous jugeons nécessaire de le répartir en quatre passages.
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65Ce verset commence par un impératif ud’u ilâ sibîli rabbika, appelle (les gens) à suivre la voie de Dieu. Selon Ibn ’Âshûr :
« L’expression (la voie de Dieu) est utilisée ici dans un sens métaphorique lié à l’objectif de l’acte de la da’wa qui consiste à adorer Dieu et le remercier pour ses grâces » [41].
67Cet impératif ne précise pas les destinataires de la da’wa, mais il met l’accent sur son importance puisque le Message est adressé à tous les humains sans exception.
68Le deuxième passage de ce texte consiste à définir la méthode à suivre : la sagesse et la bonne exhortation. La sagesse nécessite une connaissance certaine déniée de toute erreur. Il s’agit donc de connaitre la quintessence de la da’wa afin de la transmettre selon une capacité sans équivoque et en suivant une attitude digne d’un Messager. Pour insister sur cette dimension, le Coran énonce :
« Celui à qui la sagesse a été donnée bénéficie d’un grand bien » [42].
70En appelant le Prophète à exhorter ses destinataires en puisant dans la sagesse, le texte coranique l’invite à s’adresser à leur raison. Cette exhortation est qualifiée de « bonne » car l’objectif est d’appeler le destinataire à éviter les mauvais actes. En effet, le dâ’iya exprime parfois une dureté dans son exhortation et blesse son destinataire. Or, l’objectif de la da’wa n’est aucunement d’offusquer l’autre ou de l’intimider. Le dâ’iya doit éviter d’être dur et rigoureux. Il doit être inoffensif et patient :
« Mais si tu étais rude, au cœur dur, ils se seraient enfuis de ton entourage » [43].
72Pour montrer la pertinence de cette méthode de souplesse, le texte coranique donne l’exemple de Moïse et de son frère Aaron :
« Allez vers Pharaon : il est coupable d’outrance. Puis, tenez-lui langage conciliant dans l’espoir qu’il médite ou qu’il craigne » [44].
74En effet, la sévérité et le manque d’indulgence ne peuvent que pousser les gens à rejeter la da’wa. En ordonnant au Prophète d’utiliser la bonne parole, l’objectif est que les mots puissent avoir un effet sur les cœurs. La parole sincère et le discours accommodant sont susceptibles de convaincre le destinataire à prêter attention aux propos du dâ’iya :
« Ne leur tiens donc pas rigueur, exhorte-les, et dis-leur des paroles convaincantes » [45].
76Il y a donc insistance d’éviter toute voie autre que la sagesse et la bonne exhortation.
77Le troisième passage du verset porte sur le jadal ou la mujâdala qui désigne, selon le champ sémantique de son utilisation, la discussion, la controverse ou la polémique. Ce terme signifie, selon al-Jurjânî (1340-1413) :
« L’argument utilisé quand quelqu’un veut empêcher son interlocuteur d’invalider son propos à l’aide d’une preuve ou d’un argument qui consiste à donner des preuves pour expliquer une opinion et réfuter une autre qui lui est différente » [46].
79Le jadal peut également signifier le litige entre deux parties opposées dont l’objet nécessite de chacun de présenter des arguments pour montrer que son point de vue constitue la vérité et la mujâdala peut finir par l’usage de la violence verbale ou physique. C’est pourquoi, dans le processus de la da’wa, présenté par ce verset, le jadal vient en dernier recours après l’usage de la sagesse et la bonne exhortation. En effet, comme c’était le cas pour les prophètes précédents, les destinataires de la da’wa de Muhammad vont essayer de le provoquer pour l’induire dans l’erreur en l’entrainant vers la polémique. Le jadal n’est pas un objectif en soi. Il n’est pas non plus la meilleure voie à emprunter pour transmettre le Message. L’exégète Ar-Râzî (1150-1210) admet que la méthode de la da’wa se limite à l’usage de la sagesse et de la bonne exhortation, le jadal, précise-t-il :
« N’a rien à voir avec la da’wa puisque son objectif (le jadal) n’est enfin de compte que d’astreindre l’interlocuteur et de l’accabler d’arguments » [47].
81Néanmoins, si Muhammad est contraint au jadal avec les associationnistes de la Mecque, il ne doit pas user de leur méthode. Lors de sa mujâdala, il doit adopter une manière meilleure que la leur. Il est appelé également à avoir recours à des arguments convaincants. L’ordre coranique est donc ferme de suivre la bonne méthode lors des controverses en avertissant en même temps du danger des procédés astucieux des associationnistes. Ce verset, précise Ibn ’Âshûr :
« Enseigne au Prophète la bienséance et les convenances de la pratique de la da’wa » [48].
83Le Coran donne des exemples de jadal qu’avaient connus les prophètes précédents avec leurs destinataires. Le récit d’Abraham avec le Nimroud nous parait significatif :
« N’as-tu pas su l’histoire de celui qui, parce que Dieu l’avait fait roi, argumenta contre Abraham au sujet de son Seigneur ? Abraham a dit : “J’ai pour Seigneur Celui qui donne la vie et la mort”. – “Moi aussi, dit l’autre, je donne la vie et la mort”. Alors dit Abraham : “Puisque Dieu fait venir le soleil du Levant, fais-le donc venir du Couchant”. Le négateur resta alors confondu. Dieu ne guide pas les gens injustes » [49].
85La da’wa nécessite donc de choisir la voie de la persuasion en présentant des preuves susceptibles de démontrer l’objet du message à transmettre et ses objectifs. La preuve doit être authentique, indubitable, péremptoire et ne comporter aucune lacune susceptible d’évoquer le contraire. Ce type de preuve, précise l’exégète Ar-Râzî, « est la quintessence de la sagesse qui est la plus noble des qualités » [50]. Le discours du dâ’iya consiste donc à persuader les auditeurs sans chercher à les offusquer ou à les soudoyer. Ar-Râzî remarque que
« La persuasion doit puiser dans des preuves constituées de prémisses connues et reconnues par les ulémas ou reconnues comme telles par les deux parties en controverse. Une preuve qui se base sur des prémisses vicieuses dont l’auteur use des mensonges et n’ayant pour objectif que la déstabilisation de l’interlocuteur est une démarche qui ne convient pas aux gens vertueux et encore moins aux prophètes » [51].
87Le Coran recommande donc le débat lorsqu’il est encadré par un certain nombre de conditions qui produisent une issue favorable au monothéisme. Il interdit le débat lorsqu’il semble être improductif et contraire au débat de la meilleure des manières. En effet, une discussion qui n’a pour dessein que d’accabler quelqu’un d’arguments et de le contraindre à abdiquer est considérée comme une polémique déniée de toute sincérité. La discussion se transforme alors en mirâ’ qui signifie :
« la volonté de discréditer le discours d’autrui en insistant de montrer ses défauts et n’ayant pour objectif que d’outrager et humilier l’interlocuteur » [52].
89Dans le récit des gens de la caverne le Coran donne un exemple de ce genre de controverse improductif. En effet, les interlocuteurs de Muhammad ne s’intéressent guère de la moralité de ce récit, mais ils ont voulu désorienter la discussion en tenant à ce qu’il leur parle du nombre des gens de la caverne :
« Ils diront : “ils étaient trois et le quatrième était leur chien”. Et ils diront en conjecturant sur leur mystère qu’ils étaient cinq, le sixième étant leur chien et ils diront : “Sept, le huitième étant leur chien”. Dis : “Mon Seigneur connaît mieux leur nombre” » [53].
91Pour éviter ce genre de débat le Coran avertit le Prophète et l’ordonne en ces termes :
« Ne dispute à leur sujet que dispute d’apparences et ne consulte personne en ce qui les concerne » [54].
Débats sur le recours à la contrainte
93Enfin, le dernier passage du verset 125 de la Sourate XVI :
« Oui, ton Seigneur connaît parfaitement celui qui s’égare hors de son chemin, comme Il connaît ceux qui sont bien guidés ».
95Ceci signifie, selon Ar-Razî :
« Toi Muhammad, tu es chargé de la da’wa selon les méthodes précitées. Mais l’adhésion à ce que tu dis et la bonne guidance de ton destinataire n’entrent pas dans ta mission. Dieu connaît ceux qui sont disposés à la bonne guidance et ceux qui n’en sont pas. Exhorte donc les gens et ne t’attends pas à ce que tout le monde te suive » [55].
97Le Coran appelle Muhammad à ne pas se sentir responsable si ses dentinaires persistent dans leur position de rejet de sa da’wa :
« Ce n’est pas à toi de les guider vers la bonne voie, mais c’est Dieu qui guide qui Il veut » [56].
99Il ne lui appartient pas non plus de contraindre les gens à croire. Ceci est en contradiction avec les valeurs défendues par le Coran qui précise :
« Tu n’as pas pour mission d’exercer sur eux une contrainte » [57].
101En effet, pour que la conversion à l’islam soit sincère, le texte coranique prévient Muhammad des effets néfastes de l’obligation des gens à répondre à sa da’wa. La conversion est une décision personnelle suite à une conviction ferme et à un libre choix :
« La vérité émane de votre Seigneur. Que croie celui qui veut, et dénie celui qui veut » [58].
103Le verset qui résume l’interdiction ferme de contraindre les gens à se convertir est celui de la deuxième Sourate, verset 256 qui dit :
« Nulle contrainte en religion ! Car le bon chemin s’est distingué de l’égarement ».
105Ibn ’Âshûr souligne que ce verset a été révélé postérieurement aux versets offensifs et les a abrogés. Il précise :
« Ce verset fût probablement révélé après la conquête de La Mecque. Il a donc abrogé tous les textes coraniques qui parlent du recours à la force » [59].
107Cet exégète énonce également que ce verset a abrogé le hadith rapporté par Ibn ’Umar que le Prophète avait dit :
« J’ai été ordonné de combattre les hommes jusqu’à ce qu’ils témoignent qu’il n’y a d’autre divinité que Dieu et que Muhammad est l’Envoyé de Dieu, de s’acquitter de la prière, et de payer la zakat. S’ils font cela, leurs vies et leurs biens seront saufs à moins qu’ils ne commettent une transgression de l’islam, et Dieu règlera leur compte [60] ».
109Néanmoins, en ce qui concerne ce hadith nous pouvons dire qu’il ne s’agit pas d’abrogation. À notre avis ce propos attribué au Prophète a été composé dans un contexte habité par le souci de guerre qui nécessite des arguments religieux susceptibles de légitimer les campagnes successives ayant pour objectif l’expansion de l’empire. Il est également un support religieux pour légitimer la répartition du monde en demeure d’islam et demeure de guerre tel que les fuqahâ’ l’ont défini. Nous y reviendrons. Rappelons ici que les guerres qui ont eu lieu au vivant du Prophète n’avaient aucunement pour objectif de forcer les gens à se convertir. Il s’est agit de guerres défensives « qui n’ont aucune relation avec la da’wa » [61].
110Le texte suivant résume tous les versets portant sur ce sujet :
« Combattez dans le sentier de Dieu ceux qui vous combattent, et ne transgressez pas. Certes Dieu n’aime pas les transgresseurs » [62].
112D’autres textes coraniques vont dans ce même sens. En effet, l’interdiction de la guerre durant les mois sacrés [63] est conventionnellement définie et respectée par toutes les tribus arabes depuis avant l’islam. Le Coran a admis cette tradition, mais au cas où les musulmans sont attaqués durant cette période il leur est permis de se défendre :
« Mois sacré pour mois sacré ; la règle du talion s’applique aux temps et aux lieux consacrés. Celui qui vous agresse agressez-le d’agression équivalente. Mais craignez Dieu et sachez que Dieu est avec les pieux » [64].
Du texte à sa mise en pratique dans l’histoire
114Quoi qu’il en soit, le recours à la force au nom de la da’wa n’a eu lieu qu’après la mort du Prophète. Il est indéniable que la da’wa était à la base de l’expansion de l’islam, mais le recours à la violence avait pour objectif premier l’élargissement du territoire alors contrôlé par les musulmans. Les conquêtes entreprises au nom de la da’wa ont créé une césure voire une fissure entre le texte et la pratique. Ce qui nous laisse parler de deux islams : celui du texte et celui de l’histoire. Dans l’islam du texte les obligations s’inscrivent dans un cadre de liberté et de respect de la raison humaine sans heurter la foi profonde et sincère tandis que dans l’islam de l’histoire la contrainte prend le dessus sur la liberté et l’espace du raisonnement est limité. Les massacres commis au nom de l’appel à l’adhésion à l’islam ont transmué la défense en attaque et la da’wa par la sagesse et la bonne parole en contrainte. D’ailleurs, la passion du pouvoir a été derrière des guerres fratricides qui n’ont cessé de raviver les agressions entre musulmans eux-mêmes. Ces guerres ont commencé depuis le règne du troisième calife ’Uthmân ibn ’Affân et ont abouti à la guerre de Siffîne qui a opposé le quatrième calife ’Alî ibn abî Tâlib à son gouverneur de Damas. A ne pas perdre de vue également les massacres des Umayyades par Abbassides et les guerres successives entre musulmans en Andalousie. En effet, la da’wa à l’islam n’a pas besoin de recourir à la guerre. Si on jette un coup d’œil sur l’histoire de la conversion à l’islam, on trouvera que celle-ci a eu lieu par le biais de commerçants, d’ulémas et de confréries mystiques. Ceci prouve que cette religion peut être répandue sans recourir à la force des armes. Nous pouvons citer l’exemple de la Chine, de l’Indonésie et de la Malaisie qui comptent le plus grand nombre de musulmans au monde.
Face au refus du message
115Néanmoins, le dâ’iya accepte souvent mal le rejet de son message notamment si celui-ci provient de ses proches. En consolant le Prophète qui a essayé vainement de convertir des membres de sa famille et ceux de sa tribu (Quraysh), le texte coranique attire son attention en ces termes :
« Tu ne guides pas (vers la conversion) celui que tu aimes, mais c’est Dieu qui guide qui Il veut. Il connait mieux cependant les biens-guidés » [65].
117At-Tabarî (839-923) renvoie les circonstances de la révélation de ce verset « au refus de l’oncle du Prophète Abû Tâlib de se convertir à l’islam » [66]. Cet exégète fait appel à plusieurs hadiths portant sur ce sujet, nous en citions le propos suivant :
« Le Prophète – que paix et salut soient sur lui – a dit à son oncle alors agonisant : “Dis il n’y a de divinité que Dieu et j’en témoignerai pour toi le jour du Jugement dernier“. Abû Tâlib lui répondit : “Si ce n’était pas la crainte d’être discrédité par les qurayshites qui diront que c’est parce qu’il a senti que sa mort est proche qu’il s’est converti, j’aurais exaucé ton vœu” et le verset fut révélé » [67].
119Après la mort de son oncle, at-Tabarî souligne que
« le Prophète était chagriné par le fait qu’il est décédé sans se convertir à l’islam » [68].
121Ibn ’Âshûr va dans ce même sens, mais il admet que :
« Même si les circonstances de la révélation de ce verset sont spécifiées à Abû Tâlib, il s’agit du spécifique qui englobe le général » [69].
123Cet exégète précise que le verset constitue une consolation du Prophète « qui a exprimé une grande inquiétude sur le sort des Qurayshites –ses plus proches- qui n’ont pas répondu à sa da’wa » [70]. Il argumente son point de vue en citant le verset de la même sourate qui dit :
« Et ils dirent (les païens de la Mecque) : si nous suivons avec toi la bonne voie, on nous arrachera de notre terre » [71].
125Ibn ’Âshûr cite un hadith rapporté par ibn ’Abbâs qui relate :
« Des qurayshites sont venus voir le Prophète en lui disant : “Nous savons que ce que tu dis est la vérité, mais nous craignons qu’en nous convertissant nous serons chassés de notre terre par les autres tribus arabes car nous sommes faibles et nous ne sommes pas en mesure de nous défendre” » [72].
127La deuxième partie de ce verset, « mais Dieu guide celui qui le veut », assure le Prophète que Dieu connaît les prédispositions de chacun, ses penchants, l’influence de son entourage et le contexte dont lequel il vit, tous les facteurs qui décident de son acceptation ou de son refus de la da’wa. Nous rencontrons le même sens dans d’autres versets qui insistent à rappeler au Prophète qu’il n’est pas responsable du refus de son message et qu’il n’a pas à être épris par le chagrin :
« Tu vas peut-être te consumer de chagrin parce qu’ils se détournent de toi et ne croient pas en ce discours » [73].
129Un autre verset reflète également la tristesse du Prophète suite au refus de son message :
« Que ton âme ne se répande donc pas en regrets pour eux » [74].
131At-Tabarî explique ce verset par « une reproche adressée au Prophète en l’appelant à ne pas s’affliger ou s’attrister à cause de leur refus de se convertir à l’islam » [75]. Un autre verset va dans ce même sens en rappelant au Prophète que son message ne doit pas constituer un fardeau lourd à transporter :
« Nous ne n’avons pas fait descendre sur toi le Coran pour te rendre malheureux, mais il s’agit d’un Rappel pour quiconque craint Dieu » [76].
133L’exégète Az-Zamakhsharî (1075 –1144) souligne que ce verset veut dire :
« Ô Muhammad ! Tu n’es pas chargé de transmettre le message pour que tu t’affliges et pour te rendre malheureux en regrettant que les gens ne se soient pas convertis. Tu n’as qu’à transmettre le message et il ne t’appartient pas qu’ils se convertissent » [77].
135L’exégète al-Baydâouî (m.1286) va dans ce même sens et précise que ce texte signifie :
« Nous ne t’avons pas fait descendre le Coran pour que tu te fatigues en le transmettant aux gens. Tu n’as qu’à rappeler » [78].
137C’est que tout message ou toute idée doit être proposé et non pas imposé. Le refus de la conversion des proches de Muhammad n’est pas un fait isolé de celui qu’avait subi la da’wa des prophètes précédents. Le Coran le rassure en lui donnant des exemples de messagers dont la da’wa fût rejetée par leurs proches :
« Dieu cite en parabole pour ceux qui ont mécru : la femme de Noé et la femme de Loth. Toutes deux étaient en puissance de deux adorateurs d’entre les Nôtres : des justes ; elles les trahirent » [79].
139Dans ce même cadre, le texte coranique relate le récit de Noé qui a appelé, durant longtemps, ses proches à se convertir mais vainement :
« Seigneur ! J’ai appelé mon peuple de nuit et de jour. Mais mon appel n’a fait qu’accroître leur fuite » [80].
141D’après ce même récit, lorsque Noé a reçu l’ordre de fabriquer l’arche, Dieu lui a promis de le sauver, lui et ceux qui ont cru en son message, ainsi que ses proches. Néanmoins, en rejetant sa da’wa, son fils était parmi ceux qui ont péri malgré l’imploration de Noé :
« Noé invoqua son Seigneur en disant : “Mon Seigneur ! Mon fils appartient à ma famille. Ta promesse est surement la Vérité ; tu es le plus juste des juges” ; il répondit : “Ô Noé ! Celui-là n’appartient pas à ta famille car il a commis un acte infâme” » [81].
143Ce récit enseigne à Muhammad qu’il n’était pas le premier prophète à être abandonné par les siens. Il lui enseigne également d’être bienveillant avec eux bien qu’ils ne l’aient pas suivi et de ne se pas se culpabiliser du fait qu’ils refusent de se convertir :
« Avertis les gens qui te sont les plus proches, et soi bienveillant avec les croyants qui te suivent, mais s’ils te désobéissent, dis-leur : « moi, je désavoue ce que vous faites » [82].
145Le texte coranique donne un contre exemple, celui de la femme de Pharaon qui a cru au message de Moïse malgré le refus de son mari :
« Dieu cite en parabole, pour ceux qui croient, de la femme de Pharaon, quand elle dit : “Seigneur, construis-moi auprès de Toi une demeure au Paradis, et sauve-moi de Pharaon et de ses œuvres. Sauve-moi d’un peuple d’iniquité” » [83].
Qui est chargé de la da’wa ?
147Celui qui est chargé de la da’wa est en premier chef le Prophète. Néanmoins, on trouve dans le texte coranique des versets qui élargissent le champ de cette mission et impliquent d’autres personnes en leur ordonnant de propager les enseignements de l’islam. Comme nous l’avons déjà mentionné plus haut, l’approbation du convenable et la désapprobation de l’inconvenant s’inscrivent dans le cadre de la da’wa :
« Que soit issue d’entre vous une communauté qui appelle au bien, ordonne le convenable et désapprouve l’inconvenant » [84].
149Dans ce texte il est précisé « d’entre vous » ce qui signifie une spécification du terme umma. Il s’agit donc d’un sous groupe. Ibn ’Âshûr précise que :
« L’ordre concerne certaines personnes parmi d’autres pour se constituer en un groupe qui appelle au bien » [85].
151Ce sont donc le Prophète et une partie de ses compagnons qui sont appelés à guider les gens vers le bien, à conseiller le convenable et à déconseiller l’inconvenant. Il ne s’agit pas, selon cet exégète, de tous les compagnons, mais « de certains parmi eux, peut-être les plus versés dans le savoir » [86]. En effet, le partitif renvoie ici à « ceux qui sont connaisseurs en la matière de la da’wa et en ce qui est perçu comme convenable et ce qui est reconnu comme inconvenant » [87]. Par extension et en fonction de la connaissance de l’objet de la da’wa, « tous le monde est concerné mais selon la capacité et la qualification leur permettant d’accomplir cette tâche » [88]. Néanmoins, la umma musulmane est considérée comme porteuse d’une mission universelle et la pratique de la da’wa est jugée comme une mission qui concerne tout musulman :
« Et qui profère plus belles paroles que celui qui appelle à Dieu, fait bonne œuvre et dit : “Je suis du nombre des Musulmans” ? » [89].
153L’appel à embrasser l’islam et la propagation de ses enseignements est secondé par une da’wa endogène qui concerne l’ordre du bien :
« Les croyants et les croyantes sont alliés les uns des autres. Ils recommandent le convenable et désapprouvent l’inconvenant » [90].
155Et dans ce cas, l’accomplissement de ce devoir est une condition sine qua non pour mériter le qualificatif de la « meilleure des nations » tel qu’il est précisé dans le texte coranique :
« Vous aurez été la meilleure communauté jamais produite aux hommes pour conseiller le convenable, déconseiller l’inconvenant et croire en Dieu » [91].
157Selon les textes coraniques précités, cette tâche relève de l’échange de bons conseils recommandés par la religion. Néanmoins, on a fait circuler un propos attribué au Prophète qui dit :
« Celui d’entre vous qui voit un mal qu’il le change avec sa main. S’il ne peut pas, qu’il le change par sa langue et s’il ne peut pas, qu’il le fasse alors dans son cœur et ceci est le plus bas degré de la foi » [92].
159Ce propos a été utilisé pour légitimer l’agression de ceux qui sont jugés agir d’une manière inconvenante. Or, le recours à la force physique ou verbale pour réprouver un acte perçu comme blâmable peut engendrer la violence et le désordre dans la société. Désapprouver le mal par la langue peut également se traduire en altercation. Ces deux moyens sont susceptibles de créer des tensions et de donner lieu à des actes encore plus néfastes. En effet, l’objectif de la da’wa est défiguré par les interprétations erronées des versets portant sur ce sujet ainsi que par le recours à des propos attribués au Prophète qui se contredisent avec les textes coraniques. C’est pourquoi, le dâ’iya (prédicateur) doit remplir certaines conditions afin que son exhortation soit acceptée.
Qualités nécessaires attendus du dâ’iya
160Le dâ’iya tel que les textes coraniques le définissent doit avoir un savoir-faire digne de l’accomplissement de son rôle. La première condition à remplir par celui-là est le savoir. Il est très important de souligner à cet égard que le Coran incite Muhammad à s’adresser aux gens pour leur transmettre le Message « Lève-toi et avertis » [93]. Mais avant de l’appeler à transmettre son message aux autres, le premier verset qui fut révélé était : « Lis » ce qui prouve que la da’wa nécessite au premier chef l’acquisition des connaissances nécessaires de son contenu et de la méthode à suivre afin de transmettre le message. Un dâ’iya ignorant altère l’objectif de la da’wa et diffracte son objectif :
« Dis : “Voici ma voie, j’appelle les gens à Dieu, moi et ceux qui me suivent, nous basant sur une connaissance et une preuve évidentes” » [94].
162Mais, le savoir ne suffit pas à lui seul pour transmettre les enseignements de l’islam. Pour que l’objet de la da’wa soit jugé sincère, il faut que le comportement du dâ’iya soit conforme aux valeurs prêchées. Le texte coranique interpelle ceux qui conseillent les gens d’abandonner des péchés alors qu’eux-mêmes en sont impliqués :
« Commandez-vous aux gens de faire le bien, et vous oubliez vous-mêmes de le faire, alors que vous récitez le Livre ? Etes-vous donc dépourvus de raison » [95].
164Le texte coranique oblige donc tout dâ’iya d’agir selon sa vocation et d’avoir un comportement exemplaire et d’être un modèle pour les autres.
165La modestie est également parmi les qualités qui peuvent aider le dâ’ya à transmettre son message. Le Coran appelle le Prophète à honorer ceux qui l’ont suivi et à ne pas négliger leur présence :
« Fais preuve de patience (en restant) avec ceux qui invoquent leur Seigneur matin et soir, désirant Sa Face. Que ton regard d’eux ne se détourne vers la parure de la vie d’ici-bas. Et ne cède pas à celui dont Nous avons rendu le cœur indifférent à Notre Rappel, sectateur de ses passions, et de qui le comportement n’est qu’outrance » [96].
167Ar-Razî souligne que les circonstances de la révélation de ce verset portent sur « le refus des notables qurayshites de discuter avec Muhammad en présence des diminues parmi les croyants. Ils lui ont en effet demandé de les renvoyer et de consacrer à chacun des deux groupes une réunion à part » [97]. Le Coran lui ordonne également « de n’accorder aucune importance qu’ils viennent vers lui ou pas. Il est tenu de respecter la volonté de ceux qui ont cru en son Message et de rester avec eux » [98]. En effet, si quelqu’un n’est pas disposé à répondre à la da’wa, il ne saura réceptif à aucun enseignement :
« Ils dirent : que tu nous exhortes ou pas, cela nous est parfaitement égal » [99].
169En appelant Muhammad à accomplir sa mission de transmetteur de Message, le Coran l’avertit qu’il va se heurter aux intérêts de certains qui mettront tous les obstacles possibles pour l’empêcher. Il va subir le même sort des prophètes précédents qui étaient l’objet de moqueries et d’outrage. Il va être la cible de tentatives ayant pour objectif de le déstabiliser. Le texte coranique attire son attention sur le fait que les associationnistes chercheront à dissuader les gens qui l’ont suivi en faisant circuler des rumeurs le qualifiant de devin, de fou ou de poète :
« Quand on leur disait : point de divinité à part Dieu, ils se gonflaient d’orgueil et disaient : allons-nous abandonner nos divinités pour un poète fou ? » [100].
171Dans ce sens, le Coran consolide le Prophète en énonçant :
« Aucun Messager n’est venu à leurs prédécesseurs sans qu’ils disent : c’est un magicien ou un fou » [101].
173Muhammad est donc appelé à endurer et à se comporter avec eux d’une manière digne d’un Prophète :
« Supporte avec patience ce qu’ils disent ; et écarte-toi d’eux d’une façon convenable » [102].
175Le dâ’ya est également appelé à ne pas être affligé ni désespéré dans le cas de refus de sa da’wa :
« Place donc ta confiance en Dieu, car tu es de toute évidence dans la vérité et le bon droit. Tu ne peux faire entendre les morts ni faire entendre l’appel aux sourds quand ils s’enfuient en tournant le dos. Et tu ne peux non plus guider les aveugles hors de leur égarement. Tu ne feras entendre que ceux qui croient en Nos signes et se soumettent » [103].
Le fiqh et la codification de la da’wa
177Comme nous l’avons mentionné plus haut, après la mort du Prophète les conquêtes vont être considérées comme l’essence même de l’islam. La da’wa signifiera alors une mission politico-religieuse. Cette méthode néfaste semble être admise par les fuqahâ’. En effet, avec la légitimation religieuse de la contrainte, le fiqh a manifesté sa disposition entière quant à son caractère de compromis et de composition avec les pouvoirs politiques.
Justifier la contrainte ?
178Les dispositions juridiques qui traitent du recours à la force pour appeler les gens à se convertir à l’islam n’émanent pas exclusivement du texte coranique. Il s’agit de législations ayant souvent pour objectif la justification religieuse d’une politique d’expansionnisme. D’ailleurs, c’est dans les œuvres des fuqahâ’ qu’on trouve des détails sur le partage du butin, la traite des prisonniers de guerre et celle des esclaves. Ils ont codifié la politique de l’empire dont les pratiques ont revivifié celles de la période préislamique quant à la hiérarchisation de la société. Petit à petit le fiqh commence à faire écran aux textes coraniques pour devenir le porte-parole de l’islam. Au nom de la da’wa et de l’incitation à embrasser l’islam ou d’adhérer à une orthodoxie définie par les fuqahâ’, la société est désormais répartie en bons musulmans, hérétiques et dhimmis. Toute une législation a alors vu le jour pour définir le statut de la terre conquise, celui de ses habitants et celui de l’exploitation de ses richesses. Nous pouvons nous contenter de l’exemple de la hiérarchisation de la société telle qu’elle était conçue par les fuqahâ’. Si le monde est désormais réparti en demeure d’islam, celui contrôlé par les musulmans, et en demeure de guerre, celui qui nécessite une guerre permanente au nom de la da’wa, la société est à son tour répartie en musulmans, hétérodoxes et dhimmis. Cette hiérarchisation n’incarnait-elle pas une contrainte pour se convertir à l’islam voire se convertir à une vision de l’islam définie par les fuqahâ’ non sans le pilotage du pouvoir politique en place ?
179Nous pouvons citer à titre d’exemple le statut de dhimmi décrété par les fuqahâ’ de l’époque classique. Cette législation constitue une humiliation de l’homme qui se contredit avec l’esprit et la lettre du texte coranique qui énonce :
« Nous avons certes anobli les fils d’Adam » [104].
181La contrainte à embrasser l’islam, l’humiliation que les non musulmans avaient subies constituent-elles des moyens pour assurer le bonheur, le salut et la félicité dans l’Au-delà ? Nous croyons que ceci est complètement contradictoire avec tous les messages religieux. Le statut des musulmans jugés hétérodoxes n’est pas moins malheureux que celui des non musulmans. Les fantassins de cette législation obsolète continuent jusqu’à aujourd’hui de croire en l’authenticité de certains propos attribués au Prophète qui vont dans leur sens de percevoir la da’wa et qui font écran aux versets qui interdisent la contrainte en religion.
Un ordre coranique institutionnalisé ?
182Il en va de même pour ce qui est de l’approbation du convenable et la désapprobation de l’inconvenant. Cet ordre coranique est désormais institutionnalisé et officialisé. Bien que la da’wa ne nécessite pas l’existence de missionnaires fonctionnarisés, on a confié cette mission au muhtasib qui, de son rôle de contrôleur du marché, se voit étendre ses prérogatives pour qu’elles concernent les mœurs. Dans son travail le muhtasib a recours, selon le cas, à trois méthodes : al-inkâr (le désaveu), az-zajr (répression ou blâme) et enfin at-ta ’dîb (la prise de mesures de coercition ou de châtiment). Le muhtasib prend des décisions immédiates sans l’intermédiaire du juge. De plus, puisqu’il est accompagné d’une brigade il n’a pas à recourir à des institutions exécutives. Il exécute, lui-même ou à travers ses agents, le jugement qu’il trouve nécessaire. Le changement « par la main » est alors considéré comme l’une des fonctions publiques. Il s’agit d’un recours à la violence légitime, au sens wébérien du terme. En effet, le muhtasib est accompagné par des agents « afin d’être plus réprimant » [105] selon l’expression du juriste al-Mâwardî (m. 1058). Car d’après ce même faqîh « parmi les conditions à remplir par le muhtasib est « d’être tenace et répriment lors de l’application des préceptes de la religion » [106]. Il doit « user de la coercition et de la forte autorité et de la grande rigueur » [107]. Nous pouvons donner un exemple d’application portant sur le rôle et les procédés du muhtasib. Al-Mâwardî énonce :
De nos jours, il semble que cette législation révolue est encore vivace dans certains pays de tradition musulmane. L’officialisation de l’approbation du convenable et la désapprobation de l’inconvenant a donné lieu à la création de brigades chargées de changer ce qu’ils jugeaient non conforme à l’islam par le recours à la force. En Arabie Saoudite par exemple, « le comité pour le commandement du bien et la désapprobation de l’inconvenant » est une entité gouvernementale dont le but est de faire respecter les mœurs. Cette instance a joué le rôle de polices religieuses depuis sa fondation en 1940 jusqu’aux réformes entreprises en 2016.« Si quelqu’un exhibe sa possession d’une (bouteille) de vin, cette boisson lui sera versée dessus et il sera châtié » [108].
Conclusion
183La da’wa a pris aujourd’hui une autre allure. Certaines organisations agissent, sous la bannière de l’islam, et considèrent que cette tâche concerne les musulmans plus que d’autres. Les sociétés traditionnellement musulmanes sont jugées déviantes par rapport aux enseignements d’un islam jugé le plus authentique. Dans la conception de ces organisations, la da’wa consiste désormais à appeler les gens à adhérer à leurs propres visions de l’organisation sociétale, économique et politique. Rappelons à cet égard que la première revue qui diffuse les thèses des Frères musulmans porte le nom de « ad-da’wa ». À mesure que l’on avance dans le temps, la dimension religieuse de la da’wa est presque abandonnée excepté quelques slogans qui rappellent la référence à une vision de l’islam mais qui affichent surtout une méthode étrange de la da’wa dont les objectifs restent flous et n’ont aucune valeur ni politique ni religieuse. Avec la radicalisation du discours religieux, le jihad est, de nouveau, perçu comme une guerre contre les dénégateurs, revient en surface pour fonder des sociétés dépourvues d’égalité de droits et de liberté de conscience. Une guerre sans merci est alors déclarée contre les pouvoirs politiques en place qui n’appliquent pas, aux yeux des partisans de cette vision de l’islam, les préceptes de l’islam. Cette conception prend de plus en plus une allure plus brutale avec les jihadistes qui se donnent le droit de leurrer les gens par leur propagande et s’adonnent, au nom de la da’wa, à commettre des crimes et des attentats meurtriers dont les auteurs passent pour des martyrs. Le pont d’accès au Paradis est-il constitué de cadavres des innocents ?
Bibliographie
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- Ibn mâjah, Sunan Ibn Mâjah, Dâr al-fikr li-at-tibâ ’a wa an-nashr wa at-tawzî’, Beyrouth, 1ère éd., 2003.
- Ibn manzûr Jamâl ad-dîn abî al-Fadhl Muhammad ibn Makram, « da’â », dans, Lisân al-’arab, édité et annoté par’Âmir Ahmad Haydar, Dâr al-kutub al-’ilmiyya, Beyrouth, 1ère éd., 2003.
Notes
-
[1]
Ibn manzûr, Jamâl ad-dîn abî al-Fadhl Muhammad ibn Makram, « da’â », in Lisân al-’arab (La langue des arabes), édité et annoté par ’Âmir Ahmad Haydar, Dâr al-kutub al-’ilmiyya, Beyrouth, première édition, 2003, tome XIV, p. 321.
-
[2]
Coran, XXXXVI, 31. Pour la traduction des textes coraniques nous avons utilisé celle de Muhammad Hamidullah et celle de Jacques Berque avec des ajustements personnels.
-
[3]
Coran, V, 67.
-
[4]
Coran, XV, 94.
-
[5]
Coran, LXXIV, 2.
-
[6]
Coran, II, 119.
-
[7]
Coran, III, 138.
-
[8]
Coran, IV, 63.
-
[9]
Coran, 48, 28 et 61, 9.
-
[10]
Coran, 72, 2.
-
[11]
Coran, II, 185.
-
[12]
Coran, XIII, 7.
-
[13]
Coran, XX, 132.
-
[14]
Marius Canard, « Da’wa », dans, Encyclopédie de l’islam, Leyde E.J. Brill, Maisonnneuve & Larose, Paris, 1977, Tome II, p. 173.
-
[15]
Ibidem.
-
[16]
Coran, XXXV, 24
-
[17]
Coran, XXII, 78.
-
[18]
Coran, II, 285.
-
[19]
Coran, XIII, 30
-
[20]
Coran, XXXIII, 45
-
[21]
Coran, IV, 165
-
[22]
Coran, XVII, 105 et Coran, XXV, 56
-
[23]
Coran, XXXXII, 42, 48.
-
[24]
Coran, XXXIII, 40.
-
[25]
Coran, XXI, 107.
-
[26]
Coran, LXII, 2.
-
[27]
Ibn kathîr, Abû al-Fidâ’, Al-bidâya wa an-nihâyah, Dâr al-Manâr li-n- Nashr wa at-Tawzî’, Le Caire, 2001, Tome II, Partie III, p. 87.
-
[28]
Coran : XXVI, 214.
-
[29]
Ibn Kathîr, Tafsîr al-Qur’â al-’Azîm, Dar al-kutub al-’ilmiyya, Beyrouth, 1999, volume III, p. 328-329.
-
[30]
Ibn ishâq, ibn Yasâr Muhammad, Sirat Ibn Ishâq, Kitâb al-Mubtada’ wa-l-Mab’ath wa-l-Maghâzî, édité par Muhammad Hamidullah, Imprimerie Muhamed V, Fès, 1976, p. 128.
-
[31]
Ibn Kathîr, Al-bidâya…, op.cit., Tome II, Partie III, p. 85.
-
[32]
Ibn ’âshûr, Muhammad at-Tahir, At-Tahrir wa-t-Tanwîr, Dâr Sahnûn li-n-nashr, Tunis, 1997, volume IX, chapitre 19, p. 201.
-
[33]
Ibn Kathîr, Al-bidâya…, op.cit., Tome II, Partie III, p.85.
-
[34]
Coran, III, 64.
-
[35]
Coran, XXIX, 46
-
[36]
Ibid.
-
[37]
Coran, VI, 90
-
[38]
Coran, IV, 164.
-
[39]
cf. Extraits traduits par Mohsen Ismail de l’ouvrage de Muhammad Ahmad Khalafallâh, L’art narratif dans le saint Coran. ; Se comprendre, n° 99/07, août-sept. 1999, http://www.comprendre.org/khalaf.htm.
-
[40]
Coran, XVI, 125.
-
[41]
Ibn ’âshûr, op.cit., volume VII, p. 325.
-
[42]
Coran II, 269.
-
[43]
Coran, III, 159.
-
[44]
Coran, XX, 43-44.
-
[45]
Coran, IV, 63.
-
[46]
Al-jurjânî, ’Ali ibn Muhammad al-Sharîf, Kitâb at-Ta’rîfat (Le livre des définitions), Maktabat Lubnân, Beyrouth, nouvelle édition 1990, p. 78. Al-Jurjânî, Le livre des défintions, traduction de Maurice Gloton, Dar Alburaq, Beyrouth, 2006, p. 162.
-
[47]
Ar-Razï, Fakhr Ad-Dîn, At-Tafsîr al-Kabîr ou Mafâtih al-Ghayb, Dâr al-kutub al-’ilmiyya, Beyrouth, première édition, 1990, Tome X, p.112.
-
[48]
Ibn ’Âshûr, op.cit., volume VII, p 330.
-
[49]
Coran, II, 258.
-
[50]
Coran II, 269.
-
[51]
Ar-Râzî, op.cit., tome X, p. 111.
-
[52]
Al-JURJÂNÎ, op.cit., p. 221, 222.
-
[53]
Coran, XVIII, 22.
-
[54]
Ibidem.
-
[55]
Ar-Râzî, op.cit., Tome X, p.112.
-
[56]
Coran, II, 272.
-
[57]
Coran, L, 45.
-
[58]
Coran, XVIII, 29.
-
[59]
ibn ’Ashûr, op.cit., tome III, p 26.
-
[60]
Al-Bukhârî, Abû ’Abd Allah Muhammad ibn Ismâ ’îl, Sahîh al-Bukhârî, Markaz ad-dirâsât wa-l-’i ’lâm, Dâr ishbîlyâ, Riyad, 1997, volume I, chapitre I, p. 11-12.
-
[61]
ibn ’Ashûr, op.cit., tome III, p. 26-27.
-
[62]
Coran, II, 190.
-
[63]
Il s’agit du 11e, du 12e et du 1er mois du calendrier lunaire.
-
[64]
Coran, II, 194.
-
[65]
Coran, XXVIII, 56
-
[66]
at-tabarî, Abû Ja’afar ibn Jarïr, Jâmi’ al-Bayân ’an Ta’wîl al-Qur’ân, Dâr al-Fikr, Beyrouth, 1984, Tome XI, p 91.
-
[67]
At-Tabarî, op.cit., pp. 92, 93 et ibn hishâm, Abû Muhammad ’abd al-Malik, As-sira an-nabawiyya, Dâr al-Hadîth, Le Caire, 2006, Tome I, pp 302, 303.
-
[68]
Ibid, p. 92, 93.
-
[69]
Ibn ’Âshûr, op.cit., Tome X, p. 147.
-
[70]
Ibidem.
-
[71]
Coran, XXVIII, 57
-
[72]
Ibn ’Âshûr, op.cit., Tome X, p. 148.
-
[73]
Coran, XVIII, 6.
-
[74]
Coran, XXXV, 8.
-
[75]
At-Tabarî, op.cit., tome IX, p. 194, 195.
-
[76]
Coran, XX, 2-3.
-
[77]
Az-Zamakhsharî, Abû al-Qâsçim Jâr-Allah Mahmûd ibn ’Umar ibn Muhammad, Al-Kashaf ’an haqâ’iq ghawâmid at-tanzîl wa ’uyûn al-aqâwîl fî wujûh at-ta’wîl, Dar al-kutub al-’ilmiyya, Beyrouth, première édition, 1995, tome III, p. 48.
-
[78]
Al-Baydâouî, Nasir ad-Dîne abî Sa ’îd ’abd Allah ibn ’Umar ibn Muhammad ashshîrâzî, Tafsîr al-Baydâouî, anwâr at(tanzîl wa asrâr at’ta’wîl, Dar al-Kutub al-’ilmiyya, Beyrouth, première édition 1988, tome I, pp. 42, 43.
-
[79]
Coran, LXVI, 10.
-
[80]
Coran, LXXI, 5, 6.
-
[81]
Coran, XI, 45-46.
-
[82]
Coran, XXVI, 214, 215, 216.
-
[83]
Coran, LXVI, 11.
-
[84]
Coran, III, 104.
-
[85]
ibn ’ Âshûr, op.cit., III, p. 37.
-
[86]
Ibidem.
-
[87]
Ibidem.
-
[88]
Ibn ’Âshûr op.cit.,, III, p. 39.
-
[89]
Coran, XXXXI, 33.
-
[90]
Coran, IX, 71.
-
[91]
Coran, III, 110.
-
[92]
Ibn Mâjah, Sunan Ibn Mâjah, Dâr al-fikr li-at-tibâ ’a wa an-nashr wa at-tawzî’, Beyrouth, 1ère éd., 2003, chapitre, « al ’amr bi-l- maruf », Hadith n° 4013, p. 909- 910.
-
[93]
Coran, LXXIV, 2.
-
[94]
Coran, XII, 108.
-
[95]
Coran, II, 44.
-
[96]
Coran, XVIII, 28.
-
[97]
Ar-Râzî, op.cit., tome 21, p. 96.
-
[98]
Ibidem.
-
[99]
Coran, XVI, 136.
-
[100]
Coran, XXXVII, 35,36.
-
[101]
Coran, LI, 52.
-
[102]
Coran, LXXIII, 10.
-
[103]
Coran, XXVII, 79, 80, 81
-
[104]
Coran, XVII, 70.
-
[105]
Al-Mâwardî, Abû al-Hasan ’Alî ibn Muhammad, al-Ahkâm as-Sultâniyya wa al-Wilâyât ad-Diniyya, édité par Ahmad Mubârek al-Baghdâdî, Librairie Ibn Qutayba, Le Kuweït, 1ère éd., 1989, p. 315.
-
[106]
Ibid, p. 316.
-
[107]
Ibid, p. 318.
-
[108]
Ibid, p. 328.